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Crime de lèse-Godardisme assumé !

Publié le par Bernard Oheix

En 2010, sur le tapis rouge du Palais des Festivals de Cannes, un film débarque dans la section "Un Certain regard" auréolé d'un nom de légende : Film Socialisme de Jean-Luc Godard ! Pour une génération de cinéphiles biberonnés aux images du pape de la révolution du 7ème Art, frustrés depuis des lustres d'un silence si prégnant, ce fut l'enthousiasme, la frénésie et la ruée vers les fauteuils rouges de la salle Debussy.

Mais la potion amère d'un film tourné pour partie un navire de croisière le Costa Concordia, de triste mémoire, s'échouant sur les rives de la Méditerranée deux années après, ne passa pas chez le Fan éperdu de la Nouvelle Vague que j'étais.

Et j'ai pondu dans ce blog un article qui reflétait ce que je pensais de cette oeuvre réalisée par un génie hors norme du cinéma !

Crime de lèse-Godardisme assumé !

Pour une génération de soixante-huitards dont je suis, il y a d’innombrables figures tutélaires qui parsèment ce long cheminement de l’acquisition d’une conscience politique et d’une culture universelle se voulant embrasser tous les savoirs. De Wilhelm Reich à Kérouac, des Beatles aux leaders « maximos », de Lacan à Robbe-Grillet… Il y a aussi, les pères fondateurs, les dieux vivants, maîtres parmi les maîtres, que personne assurément ne pouvait toucher, au panthéon des esprits supérieurs, tel Jean-Paul Sartre, le philosophe écrivain engagé, Picasso, l’homme qui restitua la peinture au temps présent ou Jean-Luc Godard, le pape du Cinéma…Film socialisme arrive sur la Croisette, en 2010, quelques décennies après, âge et rides en plus et il est l’heure des constats.

 Que Jean-Luc Godard ait transformé le cinéma est un fait. De À bout de souffle à Pierrot le Fou, de Week-endau Mépris, de Deux ou trois choses que je sais d’elle à tous ses films qui dans les années soixante ont inventé une nouvelle façon de filmer, mieux, de penser (panser ?) le Cinéma. Une décade prodigieuse, une tornade respirant les vents de la création. J’étais donc Godardien parce qu’il ne pouvait en être autrement et que chacune de ses œuvres ouvrait les champs de l’impossible, une réflexion tendue entre le savoir et le connaître, entre le possible et l’improbable. La rupture violente de 68 consacrera son isolement dans une logique de contre-production. Il émergera de son utopie créatrice révolutionnaire, et sonnera le glas du temps de l’expérimentation pour entamer un lent chemin de croix vers sa propre glorification, vers l’institutionnalisation de tout ce magma tonifiant qui fondait sa légitimité. À parler de la marge pour investir le centre, il se retrouvera soudain, par l’usure du temps et l’érosion des utopies, à camper au centre du centre, comme l’histrion assumé d’un monde marchand qui avait bien besoin d’un fou du roi pour se régénérer en redéfinissant ses frontières.

Film socialisme est le dernier opus du Maître, sélectionné dans Un Certain Regard, il se devait d’apporter une réponse au temps qui fuit, ambition d’une somme esquissée à travers ses Leçons de cinéma, émergeant d’un silence que sa statue de commandeur imposait aux détracteurs. Tout tourne toujours autour de Godard, que pouvait-il alors nous offrir dans ce chant crépusculaire ?

Entre images sublimes (la mer et l’horizon) et trashs (les lieux de vie), des dialogues cachés par des bruits de fond, des citations parcellaires, des montages en opposition, des collages, du contrepoint, de la distanciation… tout le rituel de l’alphabet d’un cinéma à la Godard est développé sans aucune distance, comme si Godard jouait à être Jean-Luc, comme s’il n’y avait plus de marge entre ce qu’il dynamitait joyeusement et ce qu’il fabrique laborieusement, quête d’un sens caché, étalage de tics et de moments si convenus.

Dans ce prétexte d’une croisière sur «Mare Nostrum» déclinant des villes portuaires charnières, plus rien n’a d’importance, que le vide créé par son torrent créatif. -L’imagination au pouvoir- déclinions-nous dans les années ferventes, mais à quelle fin désormais ? Pour perdre le sens du spectateur et la finalité d’un film ? Godard est ailleurs, dans un monde que lui seul reconnaît et peut mesurer, celui d’un alphabet figé qui lui ôte tout espoir de «   dire » au détriment d’un « faire ». Et si certains d’entre nous, lui accordons toujours notre crédit, c’est parce qu’il continue d’être celui qui a embrassé pour l’éternité son rôle de bouffon d’une société marchande.

Pendant ce temps, la vie continue. Il restera toujours Le Mépris pour signifier que Jean-Luc Godard fut un des plus grands cinéastes du XXème siècle. Son œuvre restera immortelle même s’il lui faut abdiquer, désormais, tout espoir de se dépasser pour atteindre cette zone improbable où l’instinct vient au secours du génie pour composer une œuvre définitive !

Non, décidément, Film socialisme de Jean-Luc Godard est assurément ennuyeux, très ennuyeux !

 

Godard restera à jamais celui qui a embrasé le 7ème Art. Il n'était pas le seul tant les Truffaut, Rivette, Resnais et autres ont permis cette éclosion d'une génération qui transformera le cinéma mondial. 

Mais si j'ai un conseil à donner aux jeunes cinéphiles (il en existe encore !)  qui voudraient découvrir son oeuvre, alors, il faut visionner Pierrot le Fou et À Bout de Souffle avec un Belmondo éblouissant, tous ces films des années soixante où la pensée créatrice se confrontait aux désirs d'un spectateur avide de rencontrer la vie sur l'écran de ses désirs.

Alors rêve en paix Jean-Luc Godard dans ton paradis d'images et merci de cette oeuvre si foisonnante et riche qu'elle en était parfois difficile à comprendre mais jamais inutile !

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Revoir Paris... et revivre ! Mais sans Godard !

Publié le par Bernard Oheix

 En 2014, jeune retraité, je me laisse porter par l'art de vivre au jour le jour, sans contraintes. Une rencontre sur une plage, une discussion amicale et me voilà embarqué dans le tournage d'un film dans une villa luxueuse du cap d'Antibes comme figurant durement rétribué pour les heures à attendre dans la fraicheur nocturne, un improbable "action", que la complexité du lieu (une villa avec piscine), une scène de baignade de nuit, le nombre de figurants et les acteurs (Matthias Schoenaerts et Diane Kruger) rendaient impossible. Il a fallu prendre son mal en patience en observant la jeune réalisatrice en train de s'évertuer à organiser le chaos avant de toucher le maigre chèque de son labeur.

Ce film était dirigé par Alice Winocour et sortira sous le titre de Maryland... mais ne me cherchez pas dans le flot des convives, même moi, je ne m'y suis pas retrouvé ! Et ce n'est pas pour cette raison, avouons-le qu'il ne marquera pas l'histoire du 7ème Art !

Photo volée entre deux attentes étirant le temps ! Bernard Oheix dans son costume de figurant et Diane Kruger se prêtant au jeu d'une photo souvenir non sans me faire remarquer que cela n'était pas très professionnel !

Photo volée entre deux attentes étirant le temps ! Bernard Oheix dans son costume de figurant et Diane Kruger se prêtant au jeu d'une photo souvenir non sans me faire remarquer que cela n'était pas très professionnel !

Je ne savais pas, à l'époque, derrière  cette silhouette gesticulant devant les difficultés de tourner cette séquence nocturne pour crier le mot "fin", que la réalisatrice, 8 ans plus tard, me provoquerait un des électro-chocs les plus forts et étonnants que le cinéma m'ait donné de vivre au visionnement d'un film : quand l'usine à rêves rejoint la zone des cauchemars !

Une femme (Virginie Efira) esseulée, entre dans un restaurant branché. Elle contemple les gens et son regard est attiré par un homme (Benoit Magimel) à qui l'on fête son anniversaire. Elle se lève pour aller aux toilettes quand des détonations retentissent, des corps s'écroulent, elle rampe entre les victimes et le sort joue à la roulette russe entre ceux qui échapperont aux balles de la Kalachnikov et ceux qui, pour un gémissement, la vibration d'un téléphone où autres détails se font déchiqueter.

La scène est insoutenable, et cela d'autant plus, qu'elle est tournée avec pudeur, sans effets d'hémoglobine et de plans rapprochés soulignant  et grossissant l'impact de cette fusillade d'un attentat jusqu'au noir de l'inconcience !

3 mois après, temps qu'il a fallu pour tenter de se reconstruire chez sa mère en province, elle revient vivre à Paris. Mais les cicatrices sont bien présentes. Elle passe devant le restaurant et est attirée comme par une force à laquelle elle ne peut s'opposer. Elle pénètre dans la salle, erre jusqu'à ce qu'un serveur comprenne qu'elle est une des nombreuses victimes revenant sur le lieu du crime. Il lui annonce qu'il y a des réunions pour les "gens comme elle" le matin et qu'elle peut y venir pour y rencontrer des survivants et des responsables...

Elle va alors entamer un processus de reconnexion avec la réalité, de réapropriation d'une mémoire qui a oblitéré les faits. Grâce à une psychologue qui suit le groupe, elle va tenter de renouer les fils de ce drame pour en faire la lumière. Elle a des bribes par flash, une main secourable, un tatouage sur un bras, un tablier de serveur, un homme qui l'aurait aidée.

L'homme qui fêtait son anniversaire, la jambe déchiquetée maintenue par des attelles, va croiser son histoire, lui apporter la certitude que tout cela était vrai et qu'ils sont des victimes, lui offrir un amour qui aurait pu être le produit de la paix mais se retrouve un lent chemin vers la guérison à deux.

La résilience est en marche et quand elle retrouvera le partenaire avec qui elle a survécut, elle recollera tous les morceaux du puzzle et pourra enfin accepter de vivre, plus tout a fait la même, mais enfin libre d'accepter un futur.

C'est un film éblouissant, sans pathos, qui éclaire de bonheur le drame d'une vie. Les acteurs sont merveilleux de justesse et derrière la face cachée d'un monstre froid, l'espoir demeure de pouvoir surmonter la douleur.

Bravo à toute l'équipe de réalisation et à Alice Winocour pour ce film salutaire dans un monde où l'on voit que les blessures profondes érigées des murs d'incompréhension peuvent aussi cicatriser et autoriser la vie à l'ombre de la barbarie !

 

Et pour terminer, pendant la correction de cet article, une nouvelle vient de tomber : Jean-Luc Godard est allé tourner un dernier film dans un paradis d'images parfaites qui doit bien l'insupporter ! L'homme qui a révolutionné le cinéma à la machette, aux sentences cinglantes, et fait rentrer l'Art Cinématographique dans la modernité n'a plus de voix pour faire entendre des sons nouveaux.

Même si, cinématographiquement, sa mort était depuis longtemps acquise, (cf mon article dans ce blog : "Crime de Lèse-Godardisme assumé !"), l'homme a tellement compté, est un tel repère, que pour les cinéphiles de ma génération, il restera l'éternel commencement d'un mouvement profond qui changera le regard et la perception du monde.

Jean-Luc Godard pendu avec François Truffaut aux rideaux rouges du Palais des Festivals de Cannes en mai 68 pour empêcher que le festival ne se déroule : c'était il y a plus d'un demi-siècle déjà !

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Des Films, sinon rien : La nuit du 12, Has Bestas et Là où chantent les écrevisses !

Publié le par Bernard Oheix

Dominik Moll nous avait fascinés avec son Harry, un ami qui vous veut du bien, un polar dérangeant. Il renouvelle ici son coup d'éclat avec une affaire non-élucidée, nous le savons d'entrée, qui va explorer toutes les possibilités sans donner aucune clef, l'affaire n'étant toujours pas résolue à ce jour.

Et pourtant, nous allons être scotchés sur les diverses clefs explorées dans le labyrinthe des pistes et fausses pistes jusqu'à ce que la vraie réponse soit posée par l'amie de la victime : Clara a été tuée parce qu'elle était une femme !

Quelle que soit les raisons, femme libre, provocante, ce n'est pas elle la coupable, mais bien ce meurtrier inconnu que nous ne connaîtrons jamais et qui dort d'un sommeil du juste pendant que la mémoire de Clara s'estompe et se dilue dans les questions et les interrogations d'un crime non-élucidé.

Ce film fascinant, La Nuit du 12, plonge délibérément le spectateur dans un état de voyeurisme insidieux, comme si nous avions les clefs d'un mystère sous nos yeux sans pouvoir en connecter les évènements et dénicher le coupable. Le couple d'enquêteurs (Bastien Bouillon et Bouli Lanners) fonctionne à merveille et la musique lancinante ronge nos derniers espoirs d'une solution rationnelle à ce qui ne l'est peut-être pas !

Has Bestas de Rodrigo Sorogoyen nous plonge dans une région montagneuse de la Galice où un couple de français autour de la cinquantaine s'est installé afin de vivre une deuxième partie de leur vie dans un cadre écologique et en accord avec leurs convictions. Ils pratiquent une agriculture moderne et plus saine en respectant la nature, réparent bénévolement des maisons afin de redonner vie à ce village perdu et tentent de s'intégrer à cette communauté de montagnards.

Las, leur décision de s'opposer à l'installation d'un parc d'éoliennes sur leur terre et ainsi les quelques retombées économiques va braquer les locaux contre eux et entrainer une escalade de tensions et le drame. 

Denis Menochet et Marina Fois sont extraordinaires de justesse et le final surprenant d'une femme s'accrochant à la mémoire de son mari et à cette terre qu'elle façonne de ses mains est un hymne à une nature dont on sait désormais combien nous la maltraitons et comme elle peut se révolter sous le joug des hommes inconséquents.

Un polar agreste passionnant et la preuve que le cinéma peut parler au coeur et à la tête en même temps !

La où chantent les écrevisses de Olivia Newman est une ode à la nature, à l'amour et à la différence. Kya, abandonnée par sa mère et ses frères fuyant un père qui les bat, se retrouve seule avec un alcoolique qui l'abandonnera aussi...

Elle va grandir et s'élever dans sa solitude des marais de Caroline du Nord, à Barclay Cove, aidée de quelques rares personnes (dont un couple d'épiciers noirs), recherchée par les services sociaux, devenant un objet de singularité auréolé de mystère pour sa communauté : la fille des marais !

C'est Tate, un jeune garçon qu'elle a rencontré sur sa barque qui va l'initier à l'amitié, puis à l'amour avant de partir pour l'université en l'abandonnant mais non sans avoir au préalable permis qu'elle s'accomplisse comme une écrivaine et dessinatrice du marais et de sa faune reconnue et célébrée. Chase va la séduire pendant son chagrin et l'utiliser comme un prédateur jusqu'à ce que l'on retrouve son cadavre dans les marais.

Débute la curée d'un procès où elle est forcément coupable malgré l'absence de preuves, la haine morbide de ceux pour qui elle est un être du mal.

Mais la justice triomphera, Tate reviendra de son exil et ils vivront d'amour et de partage dans ces marais qu'elle a magnifiés de sa plume et l'ont rendue célèbre.

Jusqu'à son décès après une longue vie de quiétude et de bonheur où Tate fera une étrange découverte...

Ces 3 films font honneur au cinéma. Ils proposent des visions personnelles et des histoires fortes. Ils sont filmés avec délicatesse et donnent le désir de s'immerger et de mieux comprendre le monde qui nous entoure. C'est le cinéma que l'on aime, celui qui nous transporte à travers un écran, dans un univers que rien ne peut troubler, celui de nos désirs et des fantômes du passé ! C'est l'image qui prend le dessus et nous guide par la main vers un lendemain qui chante. Que vive le 7ème Art !

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Palme d'Or : le hold up !

Publié le par Bernard Oheix

34 films et le palmarès qui tombe sur l'écran de la télévision publique. Un Vincent Lindon plutôt à l'aise dans un exercice qui l'est rarement. Les films primés s'égrènent, un beau prix d'interprétation féminine pour Zar Amir Ebrahimi Holy Spider de Abbasi, un étrange prix du 75ème pour Tori et Lokita des frères Dardenne, un façon de ne pas leur offrir cette 3ème Palme d'Or inédite à ce jour, il fait nul doute ! Plus réservé sur l'interprétation masculine du Kore-Eda, beau film certes, mais sur ce créneau, d'autres pouvaient prétendre à cette récompense dont le héros tout en finesse de Nostalgia de Mario Martone. Rien à dire sur les 2 prix du jury que je n'ai pas vus, Les 8 montagnes et Eo. Applaudissements pour le film égyptien, Boy from Heaven de Tarik Saleh, un de mes chouchou, film superbement filmé sur une trame passionnante et pour Décision to Live de Park Chan-Wook.

On arrive donc dans le dur du sprint final vers le graal de l'Or convoité. Les Grands Prix annoncés pour le magnifique et émouvant Close de Lukas Dhont largement justifié... mais la machine se dérègle quand on annonce le 2ème grand prix ex-aequo : Stars at Noon de Claire Denis, un film médiocre, surfait, alambiqué à souhait... Aïe !

Il ne reste donc plus qu'un film à honorer. On pense à tous ces bijoux non-cités, le sublime RMN de Mungiu, l'étonnant et riche Leila's Brothers de Saeed Roustaee, quelques autres pas vus, pas pris... quand la sanction tombe : ce sera Triangle of Sadness de Ruben Ostlund pour une seconde Palme d'Or après The Square en 2017 !

Il ne me reste alors que la solution de le visionner dans les séances du Palais des Festivals offertes aux cannois au lendemain de la proclamation, tradition bien cannoise, et ce sera mon 35ème et dernier film de la 75ème édition.

Avec Pascal, le dernier des burgiens présent, nous nous rendons donc munis de nos précieux sésames à la séance de rattrapage, escaladons les 24 marches habillées de tapis rouge et nous retrouvons assis à l'orchestre sans l'espoir que Carole Bouquet nous roule une pelle, comme à Vincent Lindon, mais avec la certitude de passer un moment historique. Dans une session foisonnante de belles propositions avec des thématiques fortes renvoyants aux tourments d'un monde en colère, nul doute que cette palme serait à la hauteur de nos espérances.

Patatras ! J'aurai dû me méfier à la relecture de mes notes concernant leur précédente Palme : "... verbeuse, longuette et sans grand intérêt, dont on peut imaginer qu'un simple accessit aurait été largement suffisant pour une présence somme toute déjà symbole de victoire pour son réalisateur...".

Et l'impensable aura lieu : un film s'étirant sur 2h30, avec une première partie insupportable de lenteur axée sur un jeune couple (elle influenceuse et lui mannequin), une 2ème plus originale et qui démontre que le film aurait pu fonctionner, dans les coursives d'une croisière de luxe débouchant sur un naufrage où des séquences illustrent un monde figé dans le rapport entre les puissants et les faibles, où tout se dérègle pendant une tempête, et une 3ème sensée inverser ces rapports de classes et donner le pouvoir à une femme de ménage sachant faire du feu et pêcher pour la poignée de rescapés qui s'échouent sur un îlot perdu. Le réalisateur sombre alors devant l'ampleur du propos et son incapacité à offrir une vision originale en phase avec sa charge contre les nantis.

Le ton se veut débridé et iconoclaste mais seul le vide et la confusion surnagent. Là où Wes Anderson, les Monty Python ou autre provocateur auraient peut-être tiré leur épingle du jeu, Ostlund perd le fil de sa charge et se retrouve en rase campagne, entre le vaudeville et la comédie de moeurs, dans un territoire sans saveur qui aurait dû l'écarter de cette Palme d'Or.

 

Le jury 2022 a tranché. Le précédent qui avait offert une Palme à Ruben Ostlund était composé de Almodovar, Agnès Jaoui, Sorrentino, Park Chan Vook, Will Smith...excusez du peu ! Cette fois, un Vincent Lindon président, accompagné de Asghar Faradi, Jeff Nichols, Joachim Trier, Ladj Ly et autres Noomi Rapace représentant un cinéma de qualité, à récidivé en lui offrant une portion d'éternité. Pourquoi ? Vincent Lindon dont on connait l'engagement a-t-il été dépassé par les membres de son jury ou, bien au contraire, a-t-il tiré le jury vers son choix ? Mystère des délibérations, des états d'âmes et de l'état de sidération que provoque le choix d'élire à la plus grande des consécrations un film parmi d'autres !

Ruben Ostlund est par deux fois passé au travers du chas d'une aiguille, grand bien lui fasse ! C'est dommage pour cette édition du renouveau qui offrait tant de pages de qualité sur les thèmes forts d'une actualité chargée. Le cinéma n'est pas seulement un art de la diversion, il fait aussi acte de conversion et sans doute le monde avait-il plus besoin d'un regard chargé de sens que cet essai laborieux de tenter de renverser les rapports de force dans une provocation juvénile !

Une certitude, Vincent Lindon, malgré son plaidoyer vibrant pendant la remise des prix pour être reconduit à sa fonction de Président du jury pendant les 5 années qui viennent,  a perdu l'autorité naturelle que son nom lui permettait d'espérer ! Dommage !

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Le Festival 2022 : bilan avant clôture des feux

Publié le par Bernard Oheix

Que dire, après 25 films, de cette dizaine de jours consacrée à plonger dans les arcanes du 7ème Art ? Que le cinéma de papa, qui vit une crise structurelle sans précédent, peut encore être ce "reflet dans un oeil d'or" qui nous ouvre les portes de l'infini ! Qu'il reste, au moment où il se retrouve confronté à la mécanique engendrée par les confinements, les assauts des plateformes, les nouvelles habitudes des spectateurs, un art majeur nous offrant les portes d'une perception d'un monde bouleversé et bouleversant.

Le thème de cette édition sera donc l'universalité, la confrontation aux pages sombres de l'histoire de l'humanité, le sort des migrants dans un monde sans frontières qui se referme sur lui, les approches des différences (sexuelles, religieuses, sociales) se heurtant aux murs des indifférences.

Un monde sans avenir pour des humains sans espoirs... 

Symptomatiques les 5 premiers films digérés...

Tirailleurs, réalisé par Mathieu Vadepied, produit et avec Omar Sy, où des noirs capturés dans leur pays par l'armée française, après une vague formation militaire, vont servir de chair à canons dans les tranchées de la guerre 14/18 ou Les Harkis de Philippe Faucon, quand les supplétifs de la France sont lâchement abandonnés à leur sort dans un Algérie déchirée qui se libère dans la douleur des colonisateurs.

Rodéo de Lola Quivoron est un film gentiment raté, aboutissement des deux générations précédentes perdues, des jeunes sans illusions cabrent leurs motos dans des rodéos où ils s'inventent une vie de prestige... Bof !

Incroyable Harka de Lotfy Nathan, où un jeune tunisien, 10 ans après la révolte des jeunes, est confronté à un monde de corruption, géré par des incompétents tout puissants, et où sa colère va le porter à l'incandescence d'une révolte destructrice dont sa propre immolation sera l'aboutissement désespéré de la fin des illusions perdues.

Et pour achever cette série inaugurale, Boy from Heaven de Tarik Saleh, un chef d'oeuvre égyptien en compétition, que l'on devrait retrouver distingué dans le palmarès, où un jeune fils de pêcheur obtient une bourse pour étudier la religion à l'université Al-Azhar du Caire, épicentre de l'Islam sunnite, et se retrouve confronté aux luttes de pouvoir entre la dictature militaire et le pouvoir des religieux. À couper le souffle.

Ainsi donc les 5 premiers films de cette 75ème édition donne le tempo. Entre les migrations, les religions et les enfants perdus de ces générations condamnées, le gouffre d'un monde sans espoir, l'inhumanité de la désespérance.

Petit commentaire : imaginons (on en est pas passé très loin !) que Marine ou Éric aient été élus Présidents de la France et qu'ils viennent ouvrir le Festival du Film comme premier acte de leur mandature. Le choc du visionnage de ces 5 films ! Dur d'être un président d'extrême droite dans une France qui accueille le gratin du cinéma mondial !

Et le festival continue dans l'effervescence des bugs informatiques du système de réservation des places, les règles ineptes et les annonces au micro qui nous conteste le droit d'aller plus d'une fois aux toilettes pendant une séance (sic ! désolé les prostatiques !).

La vie s'organise dans la tribu cinéphilique qui s'est installée dans mon jardin. Le matin, tout le monde se retrouve sur son smartphone pour tenter d'accrocher des places dans la salle de la Licorne jamais pleine mais que des quotas cinéphiliques condamnent à ramer pour obtenir un sésame.

Et les perles continuent de s'enchâsser avec quelque scories. Un bouleversant film roumain, synthèse des 5 films précédents, RMN de Cristian Mungiu, Palme d'Or en 2007, qui résume à lui seul, la problématique du migrant dans un village perdu de Transylvanie. Les déchirements devant l'arrivée de 3 migrants dans la seule usine qui peine à recruter sur place, ou comment la pauvreté sécrète le rejet de l'autre et ou la différence devient un appel à la haine.

Je ne suis pas un grand fan des Amandiers de Valeria Bruni-Tedeschi, trop surfait et caricatural, surtout quand on peut voir, derrière, les Pires de Lise Akoka et Romane Gueret, tournage dans une cité de Boulogne d'un film sur la jeunesse perdue. Fort et poignant, authentique même si le final pêche par envie de trop bien faire et de donner des clefs. Ce tandem de cinéastes prouve à l'évidence qu'une génération se dresse pour prendre la réalité à bras le corps et tenter de la transformer.

Et pour couronner cette série en cours, Tori et Lokita, des doubles palmes d'or, les frères Dardenne. Deux jeunes qui ont décidé d'être frère et soeur, l'un avec des papiers l'autre sans, affrontent le monde impitoyable de la combine pour survivre, de la vente de drogue à la prostitution forcée, jusqu'à la fin tragique d'un rêve brisé. Bouleversant et incroyable, une leçon d'humanité pour un film qui porte les couleur de l'or éternel d'une Palme que je propose de leur attribuer à vie...

Il reste tant d'heures et de films que les journées et les nuits trop courtes. Les Nuits de Mashad, de Ali Abbasi, formidable enquête d'une journaliste iranienne sur des meurtres de prostituées commis au nom de la religion, Nostalgia de Mario Martone, où un napolitain exilé vient se confronter à son passé dans les ruelles d'une ville gangrené par la pègre, Joyland, de Saïm Sadiq, un pakistanais plongeant dans les affres intérieurs d'un couple déchiré, coincé entre les règles d'une vie patriarcale et les tourments intérieurs, l'espoir d'une liberté et le désir d'assumer une déviance. Extraordinaire film d'une précision chirurgicale dans la peinture d'une société figée dans les codes de l'honneur.

Bon, je ne vous parlerai pas des films ratés, de mes sorties furtives après une demi-heure de séance, des trop rares parties de rami avec mon beau frère corse, de l'absence de notre cinéphile germain Hartmut. Je pourrai aussi vous dire combien mon ami Hamid Benamra me colle avec sa caméra et me filme sous toutes les coutures, combien son objectif est obsédant.

Je pourrai vous parler des bressans venus en force et de mon oeil qui a tendance à s'enflammer avant même la projection d'un film... mais il reste 2 jours de festival, des spéculations sur les résultats et un grand repas d'adieu à faire avant de retrouver ce palmarès d'un festival riche en passions et en propositions sur l'avenir de l'humanité.

Et pendant ce temps, j'ai presque oublié que Poutine continue son entreprise de sabotage et sa guerre ignoble ! Et pendant ce temps, des enfants sont assassinés dans la réalité, quelque part dans un pays d'Amérique où rien ne tourne comme on l'espérait après la non-élection de Trump.

La vie réelle est bien un authentique scénario que les scénaristes du monde entier ont du mal à saisir dans sa globalité ! 

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The Last Picture Show !

Publié le par Bernard Oheix

Ouverture du 75ème Festival de Cannes dans mon pré-carré de La Bocca, avec l'arrivée d'un couple de bressans, d'un corse du fils et du neveu et dans l'attente du reste de la tribu des cinéphiles avides de retrouver leurs sensations après 2 ans de disette forcée.

Mon tapuscrit "Journal d'un cinéphile Cannois" sous le bras, à la recherche d'un interlocuteur du Festival afin de confronter ma vision débouchant sur la périphérie du festival à celle d'un interlocuteur qui en serait au coeur, j'entame mon marathon du 7ème Art avec la ferme conviction d'en découdre avec les écrans du monde entier convoqués aux agapes de la cinéphilie. 

Et divine surprise, une page entière dans mon quotidien Nice Matin m'attendait pour un moment de gloire éphémère qui a du faire grincer quelques dents dans le landerneau de la cinéphile cannoise. Alexandre Carini, journaliste à Nice Matin, qui m'avait fait l'honneur d'aimer Café Croisette en le clamant haut et fort, ayant digéré mes 300 pages du Journal d'un Cinéphile, décida de pondre un nouvel opus qui ne fera pas tâche dans mon passé de cinéphile passionné. Qu'il en soit remercié du fond de mon coeur.

Je vous le livre avec gourmandise...

Devenir "la vraie star du festival" n'est pas donné à tout cinéphile... je savoure !

Devenir "la vraie star du festival" n'est pas donné à tout cinéphile... je savoure !

Reste le cinéma, le plus important. Avec mon oeil brinquebalant, je vais tenter d'aller voir malgré tout quelques films, dans la frénésie d'un système informatique absurde, de règles dissonantes et d'une ambiance morose qui échappent à la raison du plus simple des mortels attaché à un écran fantasmé.

Qu'à cela ne tienne, la magie du 7ème Art fonctionnera toujours, mais à quel prix ?

Et pour les films, il faudra attendre mon prochain billet... 

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Malik Oussekine : série en cours !

Publié le par Bernard Oheix

 

 

Paris Lundi 9 mai 2022. 18h30

 

La façade du Grand Rex est couverte d’un immense visage où une cicatrice rouge dessine   la trace sanglante d’un destin brisé. Un nom s’étale, Malik Oussekine, qui remonte d’un passé pas si lointain comme une blessure enterrée, un crime que le rideau de l’oubli a renvoyé au néant.

 

Pourtant, tous ceux qui ont plus de 50 ans ont vécu ce drame. C’était en 1986, François Mitterand était le Président d’une France qui avait rompu avec un ancrage à droite que nous avions toujours connu depuis la fin de la guerre mais se trouvait confronté a une 1ère cohabitation avec les ténors de la droite, Chirac, Pandraud, Pasqua... qui tenaient les rênes d’un pouvoir qu’ils rêvaient de reconquérir à temps plein. Pendant ce temps, les jeunes lycéens défilaient, réinventant la contestation et les manifestations violentes, 20 ans après Mai 68, contre le projet de loi d’un Alain Devaquet qui voulait réformer à la hussarde les Universités et inscrire des critères de sélection pour accéder aux études supérieures.

 

Malik Oussekine mourra le 5 décembre sous les coups des «voltigeurs», ces policiers à motos équipés de bâton avec lesquels ils tapaient à l’aveugle sur les manifestants. Il deviendra le symbole d’une lutte et la victime d’un système. Il sera surtout une page de plus dans la longue histoire des bavures policières.

Son nom est resté mais son histoire s’est fondue dans la nuit des temps.

 

Le temps a passé et d’autres convulsions, d’autres drames sont venus balayer une actualité toujours chargée en morts inutiles, de raison d’état en crimes cachés.

 

Et c’est tout l’art d’Antoine Chevrolier d’exhumer cette tragédie afin d’en solder les effets pervers à l’heure où les rejets de l’autre, le racisme, et l’impunité des forces de l’ordre continuent de jeter un voile sur la vérité.

 

Avec 3 co-auteurs, après avoir renouer avec la famille de Malik Oussekine, ils ont trouvé un étrange producteur, Dysney+, pour une série en 4 épisodes qui donne un sens à la notion même de quête de la vérité et de la nécessité de régler nos comptes avec les pages sombres de notre histoire, ce que le cinéma Français à beaucoup de difficulté à réaliser. Combien de films sur l’esclavage dans nos colonies, sur la guerre d’Algérie et le sort des harkis, sur les pages sombres de la collaboration et d’un Pétainisme « sauveur des juifs » ont été traités ? Si peu !

Quand nous sommes si forts à ancrer un certain réalisme social dans la problématique de filmer notre environnement, nous sommes trop souvent paralysés par le poids de notre propre histoire dans ses pages les plus sombres, à la différence des américains, aptes à peindre la guerre du Viet-Nam en direct, le drame de l’extermination des indiens, les affres de leur politique intérieure...

 

Et grâce à Dysney+, dont le fond de commerce et plutôt constitué de sagas historiques et de super-héros, Malik et son histoire peuvent revivre enfin et rendre son honneur à une famille dévastée par un drame atroce, dépeindre les ravages d’un racisme au quotidien, camper l’incroyable difficulté d’une assimilation toujours exigée des politiques mais rendue impossible par une discrimination rampante et une inégalité devant la loi de ceux qui sont différents mais tentent de s’intégrer.

 

Cette série fera date par la qualité de son scénario tiré de la réalité mais aussi par la perfection des acteurs (bouleversante Hiam Abbass, qui interprète la mère de Malik), frères et soeurs, flics sans vergogne, politiques sans états d’âme.

 

L’équipe technique est parfaite entre les prises de vue, la photo, le montage, une réalisation soignée qui donne un souffle à cette série et lui offre une audience prévisible sur les écrans du monde entier.

 

Il fallait ressentir l’incroyable vibration de la salle du Grand Rex bourrée à craquer en cette présentation officielle des 2 premiers épisodes, où « peoples » et spectateurs lambdas se côtoyaient et communiaient dans une réelle émotion.

Les bons sentiments peuvent aussi déboucher sur l’art de conter une histoire éternelle, celle de la lutte contre l’injustice, pour la fraternité et le respect de l’autre.

 

Il fallait être en ce 9 mai 2022 dans cette salle pour se convaincre que le cinéma a encore de magnifiques pages à écrire. Merci à toute l’équipe de production et de réalisation de nous avoir permis d’oublier les miasmes d’une campagne présidentielle ignoble, les délires Poutinesques d’une invasion de l’Ukraine, le développement sordide du travestissement de l’histoire par les fake-news et d’avoir remis de l’humain au sein d’une oeuvre de mémoire indispensable !

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In memoriam Chiara Samugheo

Publié le par Bernard Oheix

Alfred Hitchcock, dans l'oeil de Chiara Samugheo.

Alfred Hitchcock, dans l'oeil de Chiara Samugheo.

Un jour, une dame d’un certain âge demande à me voir à l’entrée de mon bureau dans le Palais des Festivals…J’ai reçu tant de gens porteurs d’idées fumeuses et géniales à la fois, alors une de plus ou de moins ! Elle se présente, Chiara Samugheo, photographe, et me propose de réaliser une exposition à partir de ses photos sur les légendes du cinéma. Je n'avais jamais entendu parler d'elle, honte sur moi. Elle me sort un book et je le feuillette distraitement d’abord, puis de plus en plus fasciné, au fur et à mesure que je retrouve ces noms qui hantent mon imaginaire. Soudain, je tombe sur cette photo d’une Claudia Cardinale rayonnante. Claudia Cardinale ! Et quand elle voit que je ne résiste pas devant cette photo, elle m’achèvera d’une phrase définitive : « -Claudia est mon amie. C’est moi qui ai fait ses premières photos et je suis persuadée qu’elle acceptera de venir parrainer cette exposition et sera présente au vernissage ! » 

Chiara, en prononçant ces mots, venait de sceller une amitié naissante et de s’assurer deux mois d’exposition au Palais des Festivals de Cannes, en juillet et aout 1998. 

In memoriam Chiara Samugheo

Chiara Samugheo est, et restera,  la photographe des hommes et des femmes qui ont fait le cinéma, dans une période où l’image est rare, sacrée et où le talent de celui qui prend la photo se conjugue avec l’homme ou la femme qui est devant l’objectif ! Comme avec Alfred Hitchcock qui accepte de l’accompagner sur une terrasse où le linge sèche et qui se prêtera au jeu avec jubilation. 

Dans les années 60, les photos ont un sens, celui de capturer et de figer un moment de vie pour le restituer comme une œuvre d’art. On est loin de la surconsommation effrénée actuelle avec les téléphones portables qui nous permettent de fixer chaque moment de notre vie et brouillent la frontière entre l’art et la réalité ! Les personnalités qui s’offrent aux photographes ont la certitude d’arracher au temps une bribe d’immortalité. 

Claudia Cardinale, comme un papillon qui s'envole !

Claudia Cardinale, comme un papillon qui s'envole !

Quand je l'ai connue, elle habitait Nice, un appartement sur la promenade des anglais avec vue sur la mer. Elle était seule avec tant de souvenirs en elle pour meubler son présent. Elle était démunie devant la réalité, elle qui avait le don de figer l'éternité se trouvait bien désarçonnée devant ce temps qui filait entre ses doigts d'or.

Son grand amour venait de disparaître la laissant seule pour affronter son destin. Alors, elle donnait son amitié en partage, elle offrait sa mémoire à ceux qui acceptaient de partager des moments d'intimité toujours accompagnés des fantômes d'une vie hors du commun où elle avait croisé la route des plus grands.

C'était une mémoire vivante et ses amis, les Pierrobon, Nadine Seul, les Caramella, moi et quelques autres, lui offrions un peu de chaleur, de tendresse et le parfum de cette gloire qui avait été la sienne.

Mais les années passant, elle fut rattrapée par sa solitude. Elle fit donation de sa collection à un institut de Parme et entama son dernier parcours.

Sa famille réapparut dans sa vie. Elle fut happée dans un cycle mortifère par quelques uns de ses proches qui la mena à se retrouver vers Bari, sa région natale, coupée de tout ce qui avait été son existence. Bien décidés à récupérer les miettes d'un festin, ils l'enfermèrent dans un institut dans l'indifférence générale, isolée et dépossédée de tout, même de son téléphone et de la possibilité de maintenir un contact avec ses amis et le monde extérieur.

Gianni Torres, un jeune cinéaste, avait le projet de faire un film sur cette légende mais le mur érigé autour d'elle était trop grand. Il y a quelques semaines, il réussit à entrer en contact par téléphone et son visage triste s'illumina à l'évocation de son aventure cannoise, de cette exposition de 1998  où elle rayonnait de bonheur.

Mais la nouvelle vient de tomber. Elle s'est éteinte ce 12 janvier 2022 à 11h30. Qui pleurera sur son sort si ce n'est quelques amis qui se souviennent encore de la lumière qui se dégageait d'elle ? Qui pourra raconter ces pages d'une aventure humaine d'exception ?

Avec Chiara, la véritable star était l'être humain qui lui offrait son visage et son corps. Elle qui avait commencé à photographier les simples gens de sa région, les anonymes, ne perdit jamais le sens humain d'une photo faite pour dévoiler l'indicible qui se cache en chacun de nous. Et si les stars se prêtèrent au jeu, c'est avant tout l'essence de l'autre qu'elle cherchait à capturer.

Il reste ses photos et quelques bribes d'un passé sauvegardé pour que l'on puisse affirmer : "- Chiara était notre amie, elle était la vie et elle méritait mieux que cette fin misérable. Elle était un soleil... mais même les astres sont amenés à disparaître !"

Alors bon vent Chiara Samugheo dans ton paradis de l'image. Tu vas pouvoir te libérer de tes chaînes et retrouver ceux qui ont embelli ta vie et que tu as su si bien figer dans cette éternité devenue tienne !

Chiara avait entamé un travail sur les murs et façades de Nice. Au crépuscule de sa carrière, elle avait encore ce goût de l'expérimentation qui la poussaient à dévoiler, derrière la réalité, les images de son imagination féconde.

Chiara avait entamé un travail sur les murs et façades de Nice. Au crépuscule de sa carrière, elle avait encore ce goût de l'expérimentation qui la poussaient à dévoiler, derrière la réalité, les images de son imagination féconde.

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Le Traducteur, Mes Camarades, Les Intranquilles... et Cry Macho !

Publié le par Bernard Oheix

Voici donc un film qui débarque en pleine problématique des migrants, dans une France surchauffée par les Z, Marine et autres surenchères d'une campagne présidentielle nauséabonde, quand l'individu qui s'échoue sur nos rivages devient une monnaie d'échange pour alimenter toutes les passions les plus révoltantes de celui qui refuse de penser et de voir le monde tel qu'il est : un charnier où les individus ne sont qu'une valeur d'ajustement dans un monde ouvert à tous les vents pour les capitaux mais qui érige des frontières de barbelés dans tous les coins d'une planète qui se convulse pour enfermer les humains.

Le traducteur s'ouvre sur une séquence d'un printemps avorté, en 1980, dans une Syrie tenue d'une main de fer, et où un enfant voit disparaitre son père sous ses yeux, capturé par la police secrète de Hafez El Assad. Quelques années plus tard, Bachar va reprendre le flambeau et devenir un des dictateurs les plus sanglants du XXIème siècle. 

L'histoire va balbutier un nouvelle fois. À cause d'une erreur, Sami, l'enfant de la scène initiale, devenu un traducteur syrien, va se retrouver exilé en Australie, rencontrer l'amour mais avec la culpabilité d'avoir abandonné sa mère, son frère et ses amis dans un pays en pleine décomposition.

Et au printemps arabe de 2011, quand son frère disparaitra dans les mains des forces spéciales qui abattent tous ceux qui manifestent pacifiquement contre le régime, il va décider de revenir clandestinement dans son pays pour renouer les fils de son histoire et assumer son propre destin.

C'est magnifiquement réalisé par un couple de cinéma, Rana Kazakh et Anas Khalaf, joué à la perfection et renvoie à une histoire au présent que nous avons vécu par écrans interposés. Film indispensable pour comprendre combien le destin de certains est suspendu à la volonté des autres, combien ceux qui souffrent sous la botte des dictateurs ont besoin de la pression internationales pour réguler leurs poussées sanguinaires. Bachar a pu tout faire, même bombarder sa population civile avec des armes chimiques, sans que personne n'intervienne.

Et Sami osera le défier une ultime fois en refusant de se plier aux ordres de son bourreau.

Dans la fratrie des Mikhalkov, il y a le frère, Andreï Kontchalovski, Grand Prix du Festival de Cannes en 1979 pour Sibériade, son escapade aux États-Unis avec Runaway Train, son retour sur ses terres et à plus de 80 ans, l'incroyable créativité qui lui permet de se replonger dans l'histoire du communisme et d'un régime qui a laminé les individus en les privant de leur libre-arbitre.

Chers Camarades replonge dans les soubresauts de l'après-stalinisme, quand en 1962, se produit un massacre d'ouvriers se révoltant contre un système à bout de souffle qui ne les protège plus et baisse leurs salaires de misère. Une chape de plomb va tomber sur cet épisode tragique qui sera dissimulé pendant plus de 30 ans. L'art de Kontchalovski est de démonter les mécanismes d'une bureaucratie où chaque individu ne possède qu'une portion d'une vérité et se trouve dépendant d'une hiérarchie des pouvoirs sans limites. Une femme du conseil municipal va chercher sa fille disparue dans la répression et affronter toutes les interrogations qui mènent à ce pouvoir dévastateur. 

Et ce qui est terrible, c'est qu'elle va en appeler, devant la faillite générale, à un Staline mort et à sa main de fer pour remettre de l'ordre. Le communisme à produit un univers concentrationnaire où l'horizon se dérobe et où les services secrets sont les clefs de l'architecture sociale. 

C'est un film sur la désespérance qui montre à l'évidence que les printemps de révolte ne peuvent pas lutter contre les rigueurs des hivers russes.

Et en se replongeant dans l'histoire tragique de son pays, le réalisateur se reconnecte au temps présent et aux errements d'un pouvoir  dictatorial. Pauvre Russie de toutes les espérances !

Moi qui suit un de ses plus fervents admirateurs, je pouvait rêver d'un énième opus Eastwodien... las ! Pathétique Clint s'égarant dans un Cry Macho où il aurait dû se contenter d'être le réalisateur à défaut d'être l'acteur. Son âge visible ôte toute crédibilité aux élans amoureux des femmes qu'il croise et aux ruades des chevaux qu'il dompte. Allez mon Clint, tu as trop donné au cinéma pour ne pas t'apercevoir du drame en train de se nouer ! Tu es (très) vieux et trouver un rôle à ta mesure deviendra de plus en plus complexe. On pourra toujours se consoler en plongeant dans ta filmographie.

Et pour finir, loupé pendant le Festival de Cannes, et rattrapé au Raimu, mon cinéma fétiche de la MJC Ranguin, Les Intranquilles de Joachim Lafosse avec une Leïla Bekhti et un Damien Bonnard bouleversants. Une formidable plongée dans l'univers d'un couple percuté par la bipolarité du mari, sa volonté d'échapper aux traitement médicaux dès qu'il va mieux, la lente descente aux enfers de sa femme et de son enfant devant les montées récurrentes de sa folie, l'amour sans espoir malgré tout. Un film passionnant sur un sujet complexe, une tranche de vie sur le fil de la déraison !

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Festival du Film Panafricain de Cannes 2021 : Le vent d'ailleurs !

Publié le par Bernard Oheix

Quand Basile Ngangue Ebelle, président fondateur et âme du FIFP  m'a proposé d'être membre du jury de l'édition 2021, j'ai accepté avec enthousiasme cet honneur. En 2015 j'avais déjà connu ce privilège et je me souviens encore des belles heures partagées entre des films excitants venus d'horizons divers, les personnalités attachantes du jury, des rencontres au long des nuits de passion à transformer le monde pour que règne l'harmonie et la fraternité.

Et en ce 19 octobre 2021, je me retrouve donc aux côtés d'un jury de choc (je ne le savais pas encore !), sur la scène de la salle Miramar devant un public chamarré de couleurs, en train d'écouter les incantations d'un griot venu spécialement du Cameroun pour ouvrir la manifestation en lui accordant le regard bienveillant des ancêtres !

L'organisation avait conçu deux jurys, l'un de "fiction" dont je faisais partie, avec Hamid Benamra (réalisateur) et Dorothée Audibert Champenois, chargée des programme courts sur France TV et l'autre sur les documentaires, composé du Prince Kum'a Ndumbe III, une légende africaine, un lettré humaniste et héritier de la tradition, de Roch Lessaint-Amedet, comédien multicartes et bateleur de talent et d'Olivier Rapinier, réalisateur ultramarin. Disons-le tout de suite, l'ambiance fut particulièrement bonne entre les 2 jurys !

Et dès la séance d'ouverture, un court métrage d'animation d' Ingrid Agbo (Togo), Akplokplobito, nous plonge dans l'univers de personnages torturés aux bouches noires béantes qui, au cours de leurs parcours pour reconquérir une part d'humanité, retrouvent leur bouche pour mordre dans la vie. Après ce film passionnant, le 1er long métrage en compétition de la catégorie fiction, Hairareb de Oshoveli Shipoh (Namibie), nous permit de découvrir une oeuvre attendrissante sur l'amour d'un homme et d'une femme, sur le pardon des fautes commises, sur la fatalité de la disparition de l'aimée et sur cet enfant, né pour rattraper la vie et poursuivre le chemin de l'espoir.

Malgré d'évidentes faiblesses dans sa construction, c'est un film attachant plein de sincérité que l'on retrouvera primé pour l'interprétation féminine (Hazel Honda) avec une mention spéciale du Jury Fiction pour la réalisation. 

diversité des réalisateurs, scénaristes et producteurs engagés dans un combat ardu pour leur reconnaissance.

diversité des réalisateurs, scénaristes et producteurs engagés dans un combat ardu pour leur reconnaissance.

Après cette belle ouverture porteuse d'espoir, le festival prit son rythme de croisière avec, il faut bien l'avouer, des hauts et des bas. Une certaine faiblesse dans la qualité des films fictions longs, un trop plein de films documentaires, une grille pas toujours lisible avec en corollaire un public trop clairsemé garnissant les fauteuils accueillants de la salle... Loin de moi l'idée de jeter la pierre ! Je sais d'expérience combien organiser une telle manifestation n'est pas chose aisée mais les recettes pour gommer les aspérités, parfois, se nichent dans les détails. Une grille plus claire indiquant 10 fictions sur les créneaux 19h et 21h, dix documentaires sur les créneaux de 11h et 13h30 auxquels on pourrait rajouter, pour raccrocher le public cinéphile local, un focus sur un pays à l'honneur à chaque édition avec une série de films plus connus à 15h. Des coups de coeur de l'organisation sur le créneau de 9h. 

Il appartient à l'équipe en place de trouver l'alchimie entre la vitalité réelle des rencontres, l'ambiance passionnée générée par les présents et un projet cinématographique plus resserré, permettant de mettre à l'honneur ceux qui travaillent sous le soleil des tropiques à faire émerger une cinématographie trop souvent méconnue.

De séance en séance, nous avons continué à ouvrir nos yeux sur des horizons dérobés. Dans la catégorie des courts métrages fictions, quelques productions aux charmes indéniables, comme Juste un moment  (France) de Djigu Diarra , Smoking Kills (France) de Steven Luchet jusqu'à nos coups de coeur : mention spéciale pour The Shadow of your smile du Colombien Carlos Espina où l'univers de clowns se transforme en cauchemar de tueurs accomplissants des missions sous peine de perdre la vie. Une image délavée avec des couleurs criardes pour souligner l'éternel combat des miséreux en recherche d'une dignité perdue. Et le Dikalo d'Or, le grand prix, fut attribué à un bijou ultramarin, Dorlis d'Enricka MH. En Martinique, une jeune fille affronte un grand-père incestueux au crépuscule de sa vie et sa mère tue (?) celui qui porte la honte et que le silence a protégé des foudres de la colère et de la vengeance. Un film de 25mn ciselé au cordeau, sans une once de  faiblesse, une ambiance entre le mystique et le concret, la qualité technique d'une réalisatrice en pleine possession de ses moyens, accomplissant le tour de force d'aller jusqu'au bout d'une vengeance sans haine où l'ambiguïté reste le ferment de toutes les illusions. 

Pour le grand prix des longs métrages fictions, il n'y aura pas de discussions tant les qualités d'Enchained de Moges Tafesse sont évidentes. Dans la lignée d'un Hailé Gérima, il nous propose de partir dans une Éthiopie de la tradition à la reconquête d'un honneur perdu et d'un bonheur retrouvé. Une adolescente est mariée  à un homme puissant contre sa volonté malgré un amoureux qu'elle aime profondément. Celui-ci, va perdre son nom en devenant un mendiant et la rechercher à travers le pays pour l'aimer de nouveau. Le mari trompé invoque la coutume et les deux hommes doivent se rendre enchaînés jusqu'à la cour de la reine afin de plaider leur cause. La reine va profiter de ce procès pour affirmer son pouvoir sur les hommes qui l'entourent et la manipulent et le mendiant retrouver son honneur en dénonçant les abus du pouvoir et des juges unis par la corruption. Une image luxuriante d'une richesse incroyable, un jeu d'acteur époustouflant (Grand prix d'interprétation masculine pour Zerihun Mulatu), la beauté de la langue et des traditions, tout était réuni pour faire de cette ode à l'amour et la sensualité, le film détonateur d'une prise de conscience de la révolte des faibles contre les puissants.

Pour le reste, une belle actrice, (Bridget John) au tempérament passionnée obtiendra le co-prix de l'interprétation féminine dans Marrying a Campbell, et même dans les films les moins réussis, un plan, une séquence, une bribe de scénario nous rappellent que le cinéma, pour être un art, est aussi une alchimie mystérieuse entre le travail et l'inspiration. 

défilé de mode sur le tempo de femmes envoûtantes !

défilé de mode sur le tempo de femmes envoûtantes !

Bon que dire sur mon jury Fiction. Hamid Benamra, le président, un ami pour la vie, un homme au talent rare, Dikalo d'Or en 2014, fabriquant d'images à l'univers si particulier. Dorothée Audibert Champenois et sa coiffe afro, pétulante et gracieuse responsable des programmes courts à France TV aux idées bien arrêtées, dans le mouvement perpétuel d'une activité débordante.

Pour ce qui est des documentaires, les jurés n'ont pas chômé et si vous voulez connaitre leur palmarès, rendez-vous sur le site du Festival Panafricain. Mais le Prince, Roch et Olivier n'ont pas fini d'entendre la musique de la réalité chanter la complainte des jours heureux.

Et moi, j'étais bien dans cette ambiance ouverte à toutes les différences, quand l'espoir rime avec l'avenir.

Bravo encore et merci à l'équipe d'organisation et à Basile, son chef d'orchestre !

Dans les bras d'une Afrique éternelle !

Dans les bras d'une Afrique éternelle !

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