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culture

Los Frappa "Dinguos"

Publié le par Bernard Oheix

Ils sont là mes producteurs préférés, ceux qui ont répondu à mon invitation de partager 4 jours de musique sur Cannes et de nouer des liens indéfectibles de travail et d'amitié. Bref aperçu de leur chaleureuse présence !Chacun m'avait apporté une spécialité de sa région en cadeau...Un Tour de France des "gâteries", le Père Noël en septembre ! J'ai dû manger des trucs bizarres, d'Amiens, du Jura et d'ailleurs...Heureusement, il y avait un excellent Bordeaux pour faire digérer le tout !


Le monde de la culture en général et de la musique en particulier ne représente pas grand-chose en regard du poids économique de l’industrie, du commerce, des banques…Pourtant, dans une société en crise, quand l’emploi fond comme neige au soleil (les mines sont fermées depuis longtemps et c’est pas dans le textile ou l’automobile que l’on créera les centaines de milliers de salaires nécessaire !), quand les grandes crises artificielles (comme celle des banques !) tétanisent le corps social, que la spéculation l’emporte sur la création de richesse, que le « papy boom » débarque des retraités encore jeunes sur le marché de la consommation, alors, l’industrie culturelle devient un complément effectif de la vie économique, un réservoir d’emplois et de richesse qui, bien que modeste, a sa place entière dans la société du loisirs du XXIème siècle.

Notons que c’est dans ce domaine que l’esprit « capitaliste » originel est encore possible. Avec une mise de départ dérisoire, on peut toucher le jackpot, une voix faire couler des richesses, un texte, accumuler des biens. Esprit d’aventure, pas de règles, pas de normes…la culture est un Eldorado pour les aventuriers de l’esprit, les marginaux et ceux qui refusent une société trop formatée !

A l’intérieur de ce vaste domaine, on retrouve les clivages traditionnels de l’économie réelle. Il y a les gros producteurs et les grands artistes, indissolublement liés jusqu’à faire des couples solides qui trustent les entrées. Camus/Halliday, Coullier/ Polnareff, Drouot/Leonard Cohen…Les gros producteurs détiennent les grandes salles (Zéniths et autres Palais des Congrès), s’échangent les artistes « bancables », ne sécrètent que peu d’emplois, ayant recours aux statuts particuliers de ce secteur d’activité, privatisant les gains conséquents de ce secteur d’activité.

Il reste alors les autres, artistes en mal de cachets, techniciens subissant l’intermittence des intermittents, les promoteurs locaux qui œuvrent à 3% du chiffre d’affaires et sont tenus à des objectifs impossibles de remplissage de salles, les tourneurs et producteurs positionnés sur des niches tellement pointues que plus personne ne les trouvent, les responsables des structures exsangues, tétanisés par la raréfaction des subventions, l’augmentation des tarifs artistiques, la fuite du public …

Effectivement, dans ce constat amer, le public a démissionné de son rôle moteur. Il ne va pas toujours là où il devrait aller et ne cherche plus depuis longtemps. L’esprit d’aventure est en train de se perdre, la télé et les médias poussant à une banalisation et une consommation de plus en plus ciblée de produits formatés à des prix rédhibitoires. Tous les lieux et les acteurs trinquent alors devant ce rouleau compresseur sans âme dont le public est totalement complice. C’est l’ère des méga-shows et des foules de 50 000 personnes agglutinées dans des conditions indignes d’un spectacle vivant. Spectateurs robotisés, consommation et merchandising, fric es-tu là ?

Et mes « frappadingues » alors, me direz-vous ?

Dans cet univers de plus en plus aseptisé d’une industrie culturelle en marche forcée vers une productivité artificielle, il existe encore une armée du soleil, des hommes et femmes qui pensent la culture autrement, vivent l’artiste et le spectateur au quotidien, investissent leur temps avec passion afin de construire les bases d’une rencontre authentique entre le public et la scène. Ils sont des accoucheurs de bonheur, des praticiens de l’esthétique, panseurs de maux pour bonheurs éphémères…

On se rencontre au WOMEX (marché des Musiques du Monde, à Bab El Med, dans des concerts et des Festivals. Ils aiment la vie, rire, se défoncer et éperonner les conventions, être iconoclastes. Ils ont entre 25 et 40 ans, sont les cadres de demain, survivent difficilement dans cette jungle où les chausse-trappes sont nombreuses…Ils ne perçoivent que les miettes du festin de la culture mais en représentent les forces vives, régénérantes. Quand l’un d’entre eux sombre, il y en a toujours qui se lèvent afin de porter le flambeau de ceux qui marchent debout et perpétuent leurs espoirs. J’aimerais avoir leur âge, leur passion et leur insouciance, je les aime parce qu’ils sont fiers et beaux et qu’ils font exactement ce que je ferais à leur place si d’aventure, on m’enlevait une vingtaine d’années.

Moi, j’ai vécu les glorieuses années d’une culture rempart, frontière, bien que largement assistée, elle avait conquis son indépendance dans les luttes. Elle était apte à se revendiquer telle une citadelle inexpugnable. J’ai été Directeur de MJC, puis au Palais des Festivals de Cannes…Je ne savais pas que ce capital extraordinaire pouvait fondre et se dissoudre aussi rapidement dans l’indifférence, la montée des haines et l’ostracisme d’une société qui se contracte sur elle-même, soumise devant les idéaux religieux et le fanatisme, l’égoïsme et le mercantilisme.

C’est sans doute pour cela que je les apprécie encore plus mes « frappadingues » car ils me donnent la certitude que l’essence de l’art, la rencontre des univers multiples, des cultures différentes, des individus se fondant dans un groupe pour garder leur authenticité, tous ces gestes d’avenir ont encore des passeurs de rêves, mes amis remuant de la culture, cœur gros et plein d’espoir, les frappadingues de Séville !

Certaines et certains étaient à Cannes pour les Concerts de Septembre…Ourida Yaker (la femme forte d’un Maghreb ouvert, celle-là, c’est un roc, elle résiste à tout !) et Sabine Grenard (la douce et efficace spécialiste des voix…A Filetta, Sam Karpiena, Darko Rundec, c’est elle !), avec leur Band of Gnawa, superbe projet charnière entre un plan culture et le showbiz. La secrétaire du groupe informel de Séville, Aurélie Walfisz, administratrice du Festival d’Amiens, pétulante et hilarante, remplie de tendresse et capable d’autodérision jusqu’à en pleurer des larmes de joie. Elle sème le rire sans se départir de son air lunaire. Claire Henocque, la « big mama » du reggae (Alpha Blondy), une gamine élégante en pays de barbus fumeurs d’herbe qui a les yeux remplis de vie et sait utiliser sa fausse naîveté pour mieux cerner les autres. Laurence Samb, une métisse sénégalaise belle comme un soleil d’Afrique, perdue entre Berlin et le Niger, à moitié toujours ailleurs. Elle suit le groupe en prenant des chemins de traverse, appel de la solitude et recherche d'un équilibre intérieur, à la fois indépendante et fusionnelle…Et puis les mecs aussi. François Saubadu, grosse agence à Turin, qui fait des affaires sans oublier de vivre et cherche le geste juste, l’équilibre dans le désordre, toujours prêt à s'enthousiasmer pour un artiste et à passer du futile au sérieux. Valentin Langlois, visage d’ange absent, redoutable dans le décalage, toujours attentif derrière sa nonchalance affectée, il analyse son entourage sans en donner l'impression et possède l'art d'être juste où il faut comme s'il n'y était pas. Laurent Benhamou, de Crunk Production, féroce dans son humour et sa volonté de foncer à 100 à l’heure dans le fou rire et la passion de vivre. Il dérègle les codes, éperonne le consensus et lance des éclairs de génie qui laissent un sillon enflammé derrière lui ! 

Au départ, j’avais prévu de les héberger dans une résidence hôtelière et de leur offrir les spectacles. Ils se sont retrouvés au Gray d’Albion, 4*, plage privée, badges « all accès », mangeant au catering avec les artistes, copinant avec la sécurité, ils se sont fondus dans le Palais comme s’ils y avaient toujours trainé leurs guêtres, terminant tard dans la nuit, à la fermeture du Sun7 avec Thomas, le patron, qui les a adoptés en leur servant forces « morito » ou « Champagne-vodka ».
Sur la plage des Rochers Rouges, ma plage ! C'est là que l'on dispersera mes cendres dans quelques décennies. Un des rochers (celui que l'on entrevoit en arrière-plan), sera officiellement dénommé "Le Rocher de Bernard"). En attendant, ils ont fière allure ces Guevarra de la culture, à poser pour l'éternité en consommant les biens fort terrestres d'une Côte d'Azur hospitalière !


Ils ont eu droit à ma plage privée des « Rochers Rouges », à des baignades tous les jours avec un soleil estival, à des pâtes chez mon voisin « Di Giuglio » et nous avons ri en reconstruisant le monde comme si la vie pouvait se résumer à un grand pied de nez à la conformité et à la tristesse.

Les concerts furent fabuleux (cf. comptes rendus précédents) et je les aime toujours plus, mes « frappadingues », parce qu’ils sont une partie de mon passé et un morceau de cet avenir qui m’est dérobé. Ils me permettent d’exister encore et de rêver que la culture sera, demain, au centre du monde, une vraie fraternité basée sur l’harmonie universelle !  


Ils sont repartis. Au mur l'affiche montage qu'ils m'ont offerte et le chapeau vert mascotte qui fit toutes les scènes de Séville à Paris et se retrouva sur la tête le chanteur des Gnawas. J'ai une mission, le convoyer jusqu'à Copenhague où je les retrouverai pour la plupart  pour de nouvelles aventures  !

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Les Concerts de Septembre (4)

Publié le par Bernard Oheix

 

Le cycle s’achève. Il nous reste deux groupes et l’événement tant attendu du retour d’Archive dans la Ville de Cannes…quelques heures de délice, le calme après la tension des jours précédents. Je suis en terrain de connaissance avec ces Suisses et mes Anglais que je connais bien, avec qui j’ai réalisé le plus beau concert de ma vie professionnelle (cf. article blog d’octobre 2007) et un dernier disque que j’ai modestement contribué à réaliser en organisant l’enregistrement des cordes, cuivres et percussions avec l’Orchestre de Cannes, dans un studio à Nice, toujours avec mon compère des coups tordus, Michel Sajn. Il est avec moi d’ailleurs, tout comme Evelyne, Gaby, la garde azuréenne prétorienne d’Archive, un groupe génial qui s’est fait un nom dans la région…aussi grâce à notre action depuis de longues années !

 

The Young Gods.

Les papes suisses d’un punk-rock, étant passés au « sampler », redécouvrent les charmes d’un esprit soul. Cela aurait pu n’être qu’une aventure sans lendemain, si ce n’est qu’ils investissent ce « soul sudiste » avec l’inventivité et la générosité musicale qui les caractérisent. En acoustique, 3 guitares et un batteur-percussionniste vont imprimer un rythme totalement moderne à ces chansons folks, les transcendant pour agrémenter la mécanique et entrer en résonance avec une lecture moderne de ce répertoire. La voix puissante, chaude et juste de Franz Treichler est sertie d’une cohorte de bruits (accordéon diatonique, corne de brume, frottements sur les cordes, tapotements sur les caisses des guitares…etc.). C’est une musique d’intelligence qui s’ancre dans le rythme effréné, casse les mélodies, fait monter la pression pour se lover en boucles, étirer les plages, jouer sur les contrastes et accentuer les effets ou gommer les césures. Cela reste une musique de cœur mais sonnant avec la tête, un projet intellectuel qui rend à la nature première du son une efficacité et une énergie primitive.

Le Young Gods habitués à un public de fans dans des salles à visage humain, verront les 1500 personnes du Grand Auditorium se lever pour un rappel de 15 minutes, une découverte pour beaucoup, une confirmation pour ceux qui les avaient déjà entendus dans ce répertoire fascinant qui marque un tournant dans la vie du groupe !

 

Archive. (Prononcer Arkaïve).

On ne va pas refaire l’histoire, je ne vais pas vous reparler d’Archive, de la qualité de ses leaders (Darius Keeler, Danny Griffiths, Pollard Berrier…), de l’excellence de leur univers musical, du choc que provoque la première fois qu’on les voit en scène…Et puis, après tout, pourquoi se gêner, oui ! Je vais vous en reparler, je vais retenter de vous convaincre que vous avez raté le concert du siècle, l’opéra-rock le plus étonnant de ces dernières années dans le Palais des Festivals.

Scène vide, teinte verte, fantômes d’instruments se découpant dans l’ombre…Une bande débite l’ouverture de leur dernier album, Controlling Crowds, note stridente répétitive, étirée à l’infini en écho jusqu’à ce que les musiciens s’installent et déclenchent le feu. Bullets avec un « Personnal responsability », (vous êtes responsables), ressassé entre les plages des claviers nous interpellant jusqu’à ce que les guitares et la batterie décochent des flèches et embrasent notre culpabilité. Des silhouettes hagardes errent sur l’écran, images de foules aux yeux vides, coupables d’être absents et de ne pas s’opposer à la mécanique de l’horreur.

C’est l’histoire d’un groupe constitué en collectif dont les têtes pensantes sont Darius Keeler et Dany Griffiths qui navigue entre la musique planante, le rap, le rock et intellectualise la place de l’être humain dans un monde désaxé. Parfois, les mélodies tentent de calmer le jeu et font régner l’harmonie mais très rapidement, la rythmique vient briser les repères et par paliers monte en crescendo jusqu’à la fusion totale. Les chanteurs sont puissants, Pollard Berrier, Rosko John et Steve Harris enchaînent, se répondent en unissant leurs voix, libèrant les paroles du corset de notes qui les emprisonne. Ils sont une colonne vertébrale qui permet à la symphonie moderne de trouver son équilibre.

Dans Collapse/Collide, Maria Q apparaît sur l’écran, filmée de face, chante en revers du groupe qui interprète en live la musique, jeu de miroir inversé, voix d’ange sur univers planant.

Les morceaux s’égrènent, défense du dernier album sur plus d’une heure, avant que quelques tubes soient repris pour un dernier set de 45 minutes qui leur permet de revisiter leur œuvre à la lumière de cette composition de l’orchestre. Un sublime « Again » bouleverse le public qui depuis longtemps s’est immergé dans leur monde caverneux, entre le déchaînement et la supplique, le rock et l’opéra, le fragile et la dureté de l’acier. Puis les musiciens quittent le groupe un par un, individuellement, laissant le vide se réinstaller sur la scène habitée de leur fantôme.

Un rappel de 4 morceaux viendra parachever la soirée après plus de trois heures de musique, violent à l’extrême, envoûtant, les claviers et la batterie grimpant sans cesse vers une crête sonore inaccessible, celle d’une musique pure, obsessionnelle, découpant l’espace et le temps en plages impossibles, déferlement de notes comme un tsunami qui emporte tout sur son passage.

Et la dernière note envolée, le public se retrouve d’un seul coup dans un monde réel plus cru, balayé du conformisme et du consensuel, comme si le message du groupe pouvait résonner longtemps dans l’obscurité de nos solitudes. C’est Archive à son zénith, porteur de rêves, une note incessante dans la paix intérieure, le ferment d’une révolte que le cœur envoie à la tête et qui ne laisse personne indifférent… La musique est belle quand elle sonne juste !
Touf, c'est un ami d'Angéla, ma fille. Fan absolu d'Archive, tous leurs disques, 5 fois en concert...Il vient spécialement de Paris pour les voir et je lui ai fait la surprise de l'emmener backstage pour rencontrer Dany et Darius. Il est sur un nuage et va se souvenir longtemps de ce concert et de sa rencontre avec ses idoles !

Quand à mes frappadingues, ils arrivent !

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Les Concerts de Septembre (3)

Publié le par Bernard Oheix

On enchaîne après la folie Peter Doherty avec une soirée plus traditionnelle. Enzo Avitabile, découvert à Marseille, déjà programmé pour une Fête de la Musique à qui j'avais promis de le faire revenir dans une salle et Goran Bregovic qui a déjà rempli le Grand Auditorium du Palais des Festivals avec son Grand Orchestre des Mariages et des Enterrements.
 

Enzo Avitabile & bottari.
Le souffle de la passion. Photo de Alain Hanel.


Energia, energia ! Un ludion souffle dans son saxe et s’agite sur scène. Derrière son orchestre (clavier, guitares, basse, batterie), 8 Bottari commencent à taper furieusement sur leurs fûts de bois, leurs bras exécutent une danse lancinante débouchant sur un halètement convulsif qui donne une résonance mystique à la musique électrique. La voix se glisse entre les grondements chauds des percussions et les nappes stridentes des instruments. C’est parti pour un show échevelé, dopé à la faconde napolitaine, entre rock transe et tarentelles traditionnelles. C’est un vrai spectacle visuel, une danse avec le cœur en balance, comme si nous entrions en phase avec le mouvement interne d’une horloge biologique survitaminée. Enzo Avitabile dévore l’espace et le temps, joue avec les spectateurs, relance à l’infini les bras en l’air un public qui le suit, accepte d’entrer dans son univers d’humeur positive. C’est un homme adorable, ancien saxe de Pino Daniele, humble et fier à la fois, transfiguré par la scène et attentif au public. Il s’impose dans ce mixte étonnant où la logique s’abandonne aux rythmes des battements d’hommes en noir qui parlent aux dieux de la percussion.

Il est heureux mon Italien de choc ! Et moi je suis aux anges sur une planète musique. Enzo c'est la perfection à la Napolitaine !

Goran Bregovic et l’orchestre des Mariages et des Enterrements.
On l’avait accueilli avec sa grande formation, chœur d’hommes, orchestre classique et voix bulgare. Ils nous reviennent dans leur dernier spectacle, à 9, et d’entrée, vont donner le tempo en pénétrant par la salle avec les cuivres dans des duos d’instruments qui rivalisent et se répondent d’une aile à l’autre. 2 heures après, épuisés, les spectateurs vivront un « kalachnikov » d’anthologie pour la clôture d’un concert qui aura transcendé les 1400 personnes. Avec Alen, son double (et non son fils comme il se dit !), à la percussion et à l’accordéon, deux voix féminines et les 5 cuivres, il introduit une vraie pulsation de fête, un air d’entraînement qui nous oblige à nous lever pour l’aube de la vie, comme si la fête slave était là pour réveiller les morts et pousser les vivants à communier dans le bonheur.
L'attitude type de Goran...assis, bras écarté, la voix dirigée vers les cieux à dialoguer avec les dieux qu'il tutoie ! Photo de Alain Hanel.


Elégant dans son ensemble immaculé, assis de travers sur une chaise, presque évanescent, il impose sa présence dans la finesse d’un jeu de sobriété en totale opposition avec la frénésie des cuivres qui percent la muraille des sons pour déchirer le monde. C’est du Bregovic à l’état pur et ses tubes nous reviennent, remontent à la surface, musiques de films, chants « trad » et compositions originales dénonçant les marchands d’armes et les voleurs de rêves, bien plus dangereux que les voleurs de poules qui hantent ses œuvres. La frénésie est totale et le public a quitté ses sièges depuis longtemps, ivre de bonheur et les bras se lèvent pour le célébrer dans un triomphe à la romaine comme le Palais en a rarement vu !


PS : Goran logé au Gray d’Albion, un 4* de luxe c’est normal, mais allez expliquer à Brégovic qu’il loge à Cannes, rue des Serbes sans qu’il se sente particulièrement honoré ! Le hasard fait parfois bien les choses !

 Dans sa loge, après le concert, détendu et heureux, Sabine C, son agent, une amie à la photo, la nuit n'est pas terminée, les "frappadingues" guettent et nous attendent pour une plongée dans le rêve !

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Les Concerts de Septembre (2)

Publié le par Bernard Oheix

Deuxième jour en pays de musique...Du gros, du lourd avec Peter Doherty...Cela s'annonçait complexe, cela le fut !!!  Un vrai show Rock and Roll !


Je ne dirai rien des DumDumBoys. Je n’ai pu les entendre ni les voir, largement occupé par les tensions inhérentes à la programmation d’un Peter Doherty dont la réputation sulfureuse implique une attention constante.

A manier avec précaution, tout comme cette poignée de main à son arrivée dans le Palais, délicate et fine, tendue avec un rictus de douleur. De l’aéroport à l’hôtel, dans un état de fatigue extrême, une sieste bienvenue, pas de balance pour une arrivée à l’heure dans l'enceinte du Palais.

Des danseuses en tutu blanc dans les couloirs, une porte fermée sur les musiciens en retard, la tension qui monte dans la salle bondée de jeunes en slim et mèches plaquées, la frénésie d’assister à un événement unique, Peter Doherty est bien présent, lucide et il va pénétrer sur cette scène. On m’avait tant promis l’annulation que j’en savoure avec délice ces derniers instants d’incertitude. Je repense au concert d’Archive avec l’orchestre symphonique, au show époustouflant d’Iggy Pop, et je me dis que c’est génial de travailler dans cette ville, avec la liberté de programmer même l’improbable en confiance avec David L, mon président, d’accueillir mon groupe de "frappadingues" de Séville (mais de cela je vous en reparlerai !), et de voir les musiciens de Babyshambles s’étreindre avant d’entrer sous les feux de la lumière pour déchaîner la foudre.
Pendant la fureur, au milieu d'une foule en délire, la solitude du chanteur de rock saisit par Alain Hanel !


Et la foudre fut ! Déluges de ce son « so british », rock aigre des origines quand la musique avait encore quelque chose à revendiquer, batterie, basse, guitares et la voix bien présente du leader dans son costume sombre, chapeau sur la tête, enflammant ses fans avec des morceaux nerveux, pleins de dissonances, un son brut à l’évidence dans une force tellurique qui ne peut laisser insensible. Peter Doherty n’est pas qu’une icône destroy, un article dans une galerie de portraits acides, une trace de fait divers…il est aussi et avant tout un vrai compositeur, un interprète de talent, un fauve sur la scène que rien ne peut entraver. Même les danseuses kitchissimes, les jets de soutiens-gorge et de strings, les flottements d’un set sur le cordeau ne peuvent gâcher le plaisir d’une rencontre rare. On pourra dire j’y étais, et en parler jusqu’à fin des nuits.

Après une heure de concert, Peter Doherty, fidèle à lui-même, décidera de dérégler le bon ordonnancement des choses. Il invite ses fans à le rejoindre sur le plateau, la sécurité se fait totalement déborder dans une salle impossible à contrôler, une marée humaine de 300 personnes envahit la scène dans le paroxysme d’un morceau interminable, la confusion batterie/guitare continuant jusqu’à l’apocalypse d'un magma de corps et de membres frénétiques. Ces minutes vont rejoindre le panthéon des grands moments de délire et d’absurdité d'une existence qui en a pourtant déjà vu des moments de folie ! Jusqu’à la sortie d’un Peter Doherty hâve et dépenaillé, l’oreille en sang, matériel dévasté sur la scène transformée en champ de ruines, les mômes exultant en exhibant les baguettes du batteur, les oripeaux des musiciens réfugiés en coulisses.
La scène comme un bateau ivre en train de tanguer...Peter heureux enfin comme un capitaine démoniaque lève le poing de la passion ! Merci Eric Dervaux pour cette photo historique ! 


Petit flottement jusqu’à la remise en ordre du matériel et l’annonce surréaliste du manager qui demande que l’on rende les baguettes pour reprendre le concert. Elles atterrissent à ses pieds et les Babyshambles reviennent en force pour deux morceaux haletants, au bord du gouffre, la pression à son comble devant l'invite par le leader d'une nouvelle invasion promise.

Finalement, d’un grand coup de lattes dans l’ampli, Peter va achever son concert dans l’apothéose d’un sacre d’empereur à la fureur et au dérèglement…
Peter n'en revient pas...on a aimé ! Admirez son oreille déchirée par les fans et son air goguenard, il a fait son show comme un vrai pro, à la frontière de tous les possibles, on y était... et lui aussi !


Il acceptera quelques photos et la signature du programme et sera tout étonné de nous voir, le président et le directeur, heureux comme des gosses de ce bon coup donné au conformisme et à la bienséance. Son oreille en sang, il partira pour les heures sombres d’une vie à cheval sur la mort, ayant illuminé le présent de son "aura" sombre…Et le Palais résonnera longtemps des hurlements en communion d’une foule en délire !

Au bilan, 5 fauteuils détruits, une tête d'ampli fracassé trois micros et deux retours explosés...Pour ce prix, je resigne tout de suite, et que vive encore et longtemps le souffle des dieux iconoclastes dans les champs de l'uniformité ! 

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Les Concerts de Septembre (1)

Publié le par Bernard Oheix

8 groupes, 12 heures de musique, une ambiance de folie dans les salles, les concerts de cette rentrée ont été à la hauteur de nos espérances...Il faut dire que rarement j'ai eu la certitude de programmer des groupes aussi proches de ma sensibilité en phase avec l'air du temps ! Voilà donc une revue d'effectif de ces 4 jours de passion.


Jeudi 24 septembre.

Les Tornado, un groupe que j’avais eu l’occasion d’entendre sur une péniche à Paris, ouvraient le Festival avec un set tout de finesse, une élégante musique d’un rock progressif servi par des interprètes discrets mais efficaces avec un chanteur Samy Decoster dont on reparlera. Moment de gloire pour ce jeune groupe, la grande salle du Palais des Festivals, avant Bertignac, et un public qui leur offrit une belle salve d’applaudissements avec rappel à la clef ! Quelques rêves ont germé dans les nuits d’une bande de copains sympathiques en diable. Ils ont un bout de chemin à faire dans la jungle des groupes qui naissent et leur travail a payé. Bravo à Tornado.

Alain Hanel avait couvert les deux précédentes années de spectacles du Palais. Bertignac l'inspire !

Louis Bertignac trio, un rock comme on l’aime, frais et énergique, plein de fureur ludique, des sons jaillissant de la Gibson de Louis, un bassiste complice et un batteur déchaîné ont servi, aux 800 personnes présentes, une heure de nostalgie. C’était l’époque où le rock était simple comme la vie, la nuit succédant au jour, la lumière à l’ombre, les méchants d’un côté et les bons de l’autre avec des besoins élémentaires comme hurler sa joie et crier son espoir. Louis Bertignac est un porte flambeau de ce rock bon enfant, il reste égal à sa légende, cheveux blanchis, traits burinés, adorable dans la distance, simple comme un rocker sans illusion qui vit dans sa bulle de notes stridentes. Il jouera le jeu d’une conférence de presse institutionnelle en y apportant un zeste d’ironie et beaucoup de chaleur. Il se pointera à l’after sans façon, au Sun7 avec un Thomas, le patron rayonnant, pour consommer des bières et repartir en ayant illuminé la scène d’une certaine conception du rock, la révolte sans la guerre, le bruit sans la fureur. Dans une 3ème partie, les musiciens du Band of Gnawas viendront le rejoindre pour une heure de revival, Led Zep, Hendricks, les Beatles, les Stones… en mélangeant le rock et le « trad » des artistes Gnawa. Surréaliste juxtaposition d’un univers électrique avec des marocains costumés bondissant et se croisant sur scène. Musicalement, Loy Erlich de Hadouk trio, Cyril Atef de Bumcello et le chanteur Akram Sedkaoui à la voix d’ange assurent merveilleusement (sans oublier Louis Bertignac qui sait rester en retrait quand il est nécessaire de laisser s’épanouir les chants gnawas !).

Eriic, mon pote photographe, toujours a l'affut des sensations, devant le saut d'un gnawa défiant les lois de la pesanteur !

Le concert est parfois fragile. La transition entre le moderne et l’ancien un peu mécanique, le positionnement quelque peu aléatoire…mais la force de Band of Gnawa vient de la fusion réelle qui surgit de l’accumulation des passions, de l’énergie et de la volonté commune qui animent les musiciens dans cet hommage au passé du rock dans les racines de la musique traditionnelle de l’Atlas.

En loge avac Moulinot...Bertignac heureux et moi de même !

Sabine et Ourida, les tourneuses du projet, à l’origine de leur venue au palais suite à une discussion au Bab El Med de Marseille, sont béates et papillonnent, cajolent leur artistes, vibrionnent en embrassant tout le monde et vivent ce moment si particulier de la réussite, quand tout semble en harmonie…La nuit sera longue
 !

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Chutes de riens (2)

Publié le par Bernard Oheix

De retour de vacances…Farniente, baignades et randonnée en mer à la réserve de la Scandola, eau pure et poissons de couleurs, plages désertes, côtes escarpées… la Corse si belle, si fière, si charnelle. Quelques jours à Porto, une semaine à Bastia. C’est 10 jours de rêve, un peu de repos et déjà la reprise avec ces concerts de septembre qui se pointent, 4 jours de musique comme un ouragan…les Tornado et Louis Bertignac and Band of Gnawas, DumDumBoys et Babyshambles (Pete Doherty sera là, bien sûr !), Enzo Avitabile et  bottari plus Goran Bregovic, les Young Gods et pour finir les Archive dans leur dernier opus, celui qui fut coproduit par Cannes avec L’Orchestre de Bender… Plus qu’une reprise, une déflagration musicale, un festival feu d’artifices pour ouvrir la saison 2009/2010.

Alors, pour entamer ce nouveau cycle, quelques chutes de riens, épisode 2, textes qui vont rejoindre le néant et qui l’espace de quelques minutes, pourront exister gratuitement, sans espoirs d’avenir. No futur pour les chutes condamnées au grand silence, textes délétères en claquement de doigts.

Chut, les phrases qui vont mourir vous saluent !


Chutes de riens (2).

 

Mariage et sexe

Petite rubrique sur les chutes concernant le rapport au sexe. Dans le roman qui porte sur la vie d’une femme, je ne pouvais ignorer cet aspect de sa personnalité…De plus, j’ai découvert depuis de longues années que j’aimais écrire des scènes chaudes, le plaisir de la sensualité, tenter de décrire ce qui se trame entre l’émotion du cerveau et la sensation d’un physique en fusion, les gestes et les images. Petit lexique de séquences qui ont sauté en dernier relecture et se retrouvent donc orphelines de lecteurs.

 

 

Page 46

J’étais toujours vierge, je n’avais jamais perçu le moindre élancement dans mon ventre si ce n’est dans mes duos avec un public qu’une scène séparait de mes désirs. J’ignorais mon corps, ma vie me semblait si riche en émotions que les pulsions d’un physique endormi n’arrivaient pas à exprimer un manque.

 

Page 75

Il tentait de me séduire assidûment, toujours amoureux de sa métisse mais je ne pouvais accéder à son désir et repoussait ses tentatives avec le maximum d’égards. Un homme était bien la dernière préoccupation de mon existence. Je n’avais toujours connu qu’Aimé. Il m’avait initié à ce plaisir physique qui me manquait cruellement, mais en corollaire légué l’angoisse d’un compagnon. Je ne me résolvais point à ouvrir mes jambes pour accueillir un membre d’homme, j’avais si peur de l’après, quand l’homme du plaisir s’estompe pour laisser place à l’homme dominateur et sûr de lui, celui qui doit guider votre existence et devenir l’axe de votre mal.

On nous apprend à subir les hommes comme si la nature nous prédisposait à devenir leur exutoire.

 

Page 92

Je me félicitais chaque matin de le trouver dans mon lit, de sentir son odeur mâle, ses poils qui hérissaient ses joues et ripaient ma peau quand il m’embrassait en s’éveillant. Il était prévenant, me faisait l’amour doucement pour ne pas déranger ce nouveau petit bout d’homme en train de prendre ses aises dans mes entrailles. Il me faisait jouir en murmurant des phrases où il était question de ma beauté, de notre amour, de la douceur de mon ventre. Il me confiait qu’aucune femme n’avait compté dans sa vie et qu’il avait toujours pensé qu’il me rencontrerait un jour, que c’était inéluctable, écrit par les dieux dans le ciel de nos vies croisées. Qu’il avait attendu trop de temps avant que nos chemins convergent pour créer et donner la vie.

 

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La société se prémuni contre l’inceste. Les rites de la vie commune impliquent des règles très strictes pour lutter contre ce fléau, une mère ne peut dormir dans la même case que son garçon pubère, un père ne peut  rester seul sous le toit familial si ses filles ont déjà eu leurs règles. Mais les frontières de la sexualité se bornent à ces interdictions. Rien n’empêche les adolescents de s’aimer.

 

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Le rapport au sexe différait de la prostitution classique de type européenne. L’aspect commercial pur, l’échange d’argent contre des faveurs codifiées étant largement noyé dans un mélange d’ensorcellement et de naturel qui excitait le client devenu roi d’un soir et d’un corps.

Dans cette dernière décennie d’un millénaire en train de s’achever, une part non négligeable des hommes qui débarquaient, était attirée part le tourisme sexuel. Contre quelques billets, un bijou ou même un repas dans un restaurant, on pouvait finir sa nuit avec une belle indigène, une femme prête à tout pour satisfaire les désirs de son hôte. Le sexe exotique trouvait des débouchés dans ce tourisme de masse confrontant la richesse des possédants à une permissivité naturelle. Le laxisme général et la pauvreté endémique formaient un terreau fertile pour ce tourisme de la chair qui commençait à faire des ravages avec le développement du sida dont les échos arrivaient bien faiblement encore sur ces terres éloignées. Notre catholicisme importé au XIXème siècle s’était dilué dans un animisme primitif et n’avait pu réaliser les ravages commis dans les civilisations occidentales mais cette liberté avait un prix dans notre culture malgache dont les femmes étaient trop souvent les victimes consentantes.

 

 

La vie sociale et la scène.

 

Vu que mon héroïne est une chanteuse née à Madagascar, de nombreux passages du roman portent sur la vie dans ce pays et sur son apprentissage de la scène et du chant. Quelques chutes donc pour évoquer la naissance d’une femme et d’une star !

 

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Les demandes en mariage sont des moments importants dans les villages, c’est l’occasion de rire de la vanité des hommes. Les prétendants sont encore fragiles à l’aube de fonder un nouveau foyer, leur rappeler la dérision de leurs certitudes fait partie du jeu. L’existence des êtres humains ne doit pas se calquer sur les rites des dieux, ils doivent beaucoup d’humilité à la nature souveraine. Mon grand-père savait tout cela. Il avait organisé la cérémonie avec beaucoup de soin, car même si la famille de mon père s’était installée depuis longtemps dans la région, ils étaient et resteraient des vazahas par leur culture et la couleur de leur peau, des blancs qui ne saisissaient pas toujours les extrêmes subtilités d’une demande en mariage.

 

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Une phrase me hantait, « je ne verrai plus mon grand-père » me répétais-je. Cette idée qu’une personne pouvait disparaître, s’évanouir et ne plus exister alors qu’elle avait guidée mes pas jusqu’à ce jour m’apparaissait intolérable, incongrue, particulièrement obscène. Comment imaginer cette voix absente ? Depuis ma plus tendre enfance, elle avait résonné à mes oreilles en me transmettant tant de secrets, des histoires d’un peuple dont il restait le dernier dépositaire, l’ultime roi. Imaginer cette source tarie ? « -Tu seras notre voix », me disait-il, mais comment assumer cette prédiction s’il me laissait orpheline de sa sagesse, de ses conseils assurés, de cette empreinte qui s’était gravée en moi et m’avait éclairée tout au long de ces années où j’avais grandi sous son aile.

 

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Sur la scène des bals et des boîtes, j’étais habillée intérieurement, reflet en miroir de ce que le public espérait, la technique me dissimulant derrière les pulsations de mon âme.

J’étais unique, la puissance de la voix est incommensurable devant le tangible, devant les biens terrestres qui encombrent nos existences et nous dissimulent la nature profonde des êtres.

 

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Cette fusion physique avec une foule d’ombres me contentait largement. Nul besoin d’aimer un être de chair et d’os quand l’abstraction la plus pure vous autorise toutes les folies. Je n’en étais que plus disponible pour l’amitié, pour les sorties et travaux en commun avec mes amis de l’université. Je refusais absolument toute promiscuité avec la clientèle du « Soleil de Minuit » où je me brûlais aux projecteurs d’une célébrité naissante. Il y avait une césure absolue entre mon monde de la nuit et celui de la journée. La nuit, c’était le chant et l’ivresse des sens, le bruit et la passion. La journée, l’enseignement et la tête, l’affection et l’absence de crainte. La vie était si sereine dans les rues de cette capitale que j’apprivoisais, une sérénité à laquelle j’aspirais depuis l’échec de mon couple avec Aimé, fondée sur une vie intense mais sans peur. Il n’y avait que la carence de ma famille et de Petit Pierre pour me faire regretter d’être au centre de ce monde.

 

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Je savais que mon histoire ne pouvait se résumer à cette expression de chants traditionnels pour un public qui m’avait vu grandir. Il devait bien y avoir un ailleurs qui m’attendait dans ce monde que l’horizon dérobait.

 

Je sais la mort des mots, mais qu'en est-il de la vie d'un texte ? Je continue d'écrire en espérant qu'un jour, dans la lumière, ces phrases que j'ai inventées, ces paragraphes à qui j'ai insufflé un soupçon d'espoir, puissent s'épanouir comme des fleurs au soleil d'une renaissance.
Comment ? Là, il faudra m'expliquer les règles du jeu !

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Pantiero 2009

Publié le par Bernard Oheix

 

16 groupes, des dj’s en pagaille, des afters jusqu’à l’aube, le crû Pantiero allait-il résister à la déferlante des plages électroniques (12 000 spectateurs en moyenne par date !), à la création d’un Festival à Nice sur 4 jours, (2many DJ’s)…et à une offre qui s’est structurée depuis quelques années dans la région.

 

Jean-Marie Sevain, le Directeur artistique proposait deux jours à tonalité rock, une hip-hop et une clôture en électro pur et dur.

Sur les 4 jours, quelques belles pépites ont embrasé cette terrasse magique du Palais, suspendue au-dessus du vide, coincée entre le vieux port, la colline du Suquet et la baie de Cannes avec son arc de palaces flamboyants ceinturant l’horizon. 8000 personnes sont venues se plonger dans les délires sonores de ces groupes pas toujours connus en dehors de leur sphère d’initiés, avec une baisse sensible sur la journée hip-hop et le plein sur la dernière journée (3000 spectateurs).

 

Le 8 août.

Après The Chap dont il n’y a pas grand-chose à dire, Fujiya et Miyagi ont marqué par leur pop expérimentale, nimbée de claviers et d’électro, des boucles hypnotiques à la recherche d’un équilibre impossible, des nappes sonores élégantes se développant en harmonie pour imposer un groove psychédélique. Une belle prestation élégante et distancée.

ESG, l’événement annoncé de cette première soirée me laissera sur ma faim. Ces pionnières d’un punk-funk new-yorkais sont une tranche d’histoire de la musique contemporaine. Sur une trame lourde de batterie-percussions et de voix profondes, elles tentent de ressusciter le passé. Elles me paraissent datées, comme si nous assistions à une tranche d’histoire coupée du présent, un album sorti de notre mémoire pour nous souvenir du bon vieux temps (déjà !). Leur force iconoclaste originelle s’est diluée dans l’expérimentation moderne et l’appropriation de ce qui faisait leur force. Reste que les fans ont vibré.

La vraie surprise viendra d’une black déjantée, Ebony Bones. Superbe dans son accoutrement de couleurs vives, avec un groupe qui maîtrise parfaitement la scène, des costumes, des maquillages carnavalesques, un vrai show endiablé où l’énergie pure va se balader entre l’afro-beat, le punk, le funk pour emporter le public dans un délire totalement assumé. C’est une grande artiste qui vient de naître…un album, quelques concerts seulement mais déjà toute l’expérience et la finesse d’une artiste généreuse qui s’offre sans réserve au public. Un show vivifiant, tonique, esthétique où la musique roule comme des vagues d’énergie pure.

 

Le 9 août.

On attendait Naïve New Beaters…Malgré l’ordre de passage (ouvrir la soirée dans la clarté du jour !), Naïve en deux riffs de guitare s’est emparé d’un public au départ clairsemé pour ne plus le lâcher et donner un show de légende. Deux guitares et une machine multicartes vont faire saigner l’éther, remplir l’atmosphère de sons pénétrants comme des lames d’acier dans le public, montée d’adrénaline, pop-électro torturée, juste un pas devant le présent, à la limite des conventions qui implosent sous leur énergie et leur humour. Car le leader sait habilement jouer de son accent et de ses interventions pour s’attacher les présents et donner à l’obsession de ce son puissant la légèreté d’un moment de partage. Vive Naïve New Beaters, king of Pantiero.

Stuck In The Sound, pour honorable qu’ils furent, avaient la lourde tâche d’embrayer derrière ce show décapant…Il fallut attendre Kap Bambino pour retrouver le punch originel d’une musique hors-normes. Dans ce duo machine et voix, un zébulon blond monté sur des ressorts, une voix de tête à la limite de la déchirure, dans un jeu de scène paroxystique porte à incandescence le public médusé. Elle saute, bondit, s’égosille en un jeu évident de transe, soutenue par le son bas et gras d’un punk électro qui percute les sens. Faille dans le consensus ambiant, ce duo de Bordeaux est une pure révélation (pour moi !) et possède un jeu de scène d’une maturité étonnante malgré leur jeune âge !

Late of The Pier  arrivait pour conclure, précédé de la réputation d’un groupe dont on s’accorde à penser qu’il sera grand et créera l’évènement. Psitt ! Pompier, grandiloquent, avec des voix très inégales et une certaine naïveté dans l’approximation tant du jeu que de l’interprétation…Late a encore du temps (!!) pour progresser, on découvre leur jeunesse en live et si le CD est plutôt intéressant, le show laisse largement à désirer, dévoilant les faiblesses de ces gamins trop vite encensés ! Ils ont l’avenir pour eux, sauront-ils l’utiliser ? Réponse dans quelques années !

 

Le 10 août.

Soirée intégralement consacrée au hip-hop. Bon, ce n’est pas mon genre préféré mais depuis longtemps j’ai appris à ouvrir les oreilles et à abandonner mes préjugés. Disons-le, ce n’est pas ce 10 août qui m’ouvrira les portes des sensations extrêmes ! Kid Acne, Krazy Balhead font partie de la catégorie des hip-hopeurs hurleurs. Yo! Majesty, sans sa moitié perdue dans les brumes océanes, tente de meubler l’absence de sa comparse et s’époumone sans convaincre. Son funk (grotesque reprise de James Brown), son agitation et ses provocations tournent à vide. Lady Sovereign, sans son DJ (décidément, les duos ont tendance à perdre leur moitié !) laisse 10 mn la scène vide avec un show de lumières anémiques dans la musique d’une bande enregistrée avant d’entrer pour 40 mn pauvre et désespérante de vacuité !

Désolé messieurs et dames hip-hopeurs, on reviendra en 2ème semaine pour se persuader de la dimension extatique de cette musique venue des bas-fonds !

 

Le 11 août.

The oscillation. Dans une soirée consacrée au DJ’s panzer division, la présence de ce groupe au rock alternatif, aigre et incisif, avec des montées violentes comme des bourrasques sonores pouvait étonner. Ils assurent une belle introduction, vivante et métallique, avec un côté « can » au rock psychédélique, nostalgie empreinte de modernité.

Place donc à nos trois représentants d’un monde mécanique où la robotique crée l’illusion. Rebotini qui compose l’intégralité de ses sons en direct grâce à ses machines, offre un set gras et lourd passionnant. Son œuvre s’inscrit dans une tradition de musique concrète répétitive, des sons issus de la réalité pour être transformés en musique par leur intensité, leur fréquence, leur incessant enchâssement dans des trames fluctuantes. Il assure une vraie composition originale et permet le lancement tant attendu de la star Mr Oizo. Célèbre pour sa pub qui passe en boucle, animal au sang froid qui se dissimule pour mieux séduire, il va occuper l’espace avec tout son savoir-faire, une maestria pour passer de « samples » connus en plages originales hypnotisantes, cassant les rythmes, distordant les sons et imposant un univers personnel.

 Les 3000 fans ont chaviré depuis longtemps et derrière son mur de machines, Mr  Oizo mène parfaitement le jeu, faisant alterner les fréquences obsédantes avec la délicatesse de plages aériennes qui viennent comme des ponctuations éthérées.

Reste Erol Alkan, le dieu londonien, celui qui est sans conteste la star des grandes fêtes électro. En vieux routier habitué à son public, il va jongler avec toutes les musiques contemporaines, jouant sur tous les tableaux, déclenchant l’hystérie, décortiquant sans cesse les structures de chansons connues pour les rendre plus dynamiques, recréer à partir de la réalité une nouvelle composition originale, réinventant la musique originelle pour donner corps à la matière brute. C’est un opéra moderne en direct, une façon de prouver que l’on peut piller les musiques des autres tout en étant authentique, réinjectant de l’âme dans des œuvres connues. Son final sur Sting restera dans la mémoire de bien des spectateurs éblouis.

 

Voilà terminé le Pantiero 2009, par un vrai succès dans une édition mitigée. Les « afters » balbutiants, un soir un peu faible en assistance, quelques groupes hésitants, n’enlèvent rien à la richesse de cette manifestation atypique. Sur le toit du Palais des Festivals, entre les étoiles et la mer, le Suquet et les yatchs, pendant 4 jours, la modernité put s’exprimer au sein d’un écrin de conformité ! C’est cela aussi Cannes et la sélection du Directeur artistique, Jean-Marie Sevain, a au moins le mérite de sortir des sentiers battus et d’explorer les voies nouvelles de la musique de demain... il y a des pépites dans ces chemins de traverse !

 

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Deux morts et un enterrement !

Publié le par Bernard Oheix

 

Petit commentaire déposé sur le blog de David Lisnard écrivant sur la starification de Michael Jackson après son décés.


Divagations au petit matin !

« Dans le cas de notre ami M. Jackson, cher Président, vous évoquez sont statut de "starification" mais n'est-ce point plutôt de "scarification" dont il faut parler ? En quel cas, notre messie de la pop aurait offert son corps et son sang à l'élaboration de son propre mythe et d'une nouvelle religion dont ses fans seraient les apôtres ! En l'occurrence, la scène prendrait furieusement une allure de cène et son parc Neverland deviendrait un Eden épargné par le pêché originel ! »

 

La mort du roi de la pop m’a laissé étrangement indifférent. D’ailleurs, je me suis aperçu à cette occasion que je n’avais aucun CD de lui. Ce n’est qu’après les nombreux reportages entrevus à la télévision et les articles de Libé et du Monde que le personnage a pris une certaine épaisseur pour moi. Son rapport aux « fans », sa disponibilité et la gentillesse de sa sécurité, (vérifiée à l’occasion de sa prise d’empreintes par ma collaboratrice Nadine S. lors de la présentation de son clip au Festival du Film) n’étaient pas qu’une légende. Sa trajectoire d’enfant prodige en star momifiée par un culte planétaire n’obère en rien la part d’ombre d’un personnage lunaire. Qu’en est-il exactement de ce passé de soufre qui brouille une image colorée ? Le rapport à la teinte de sa peau qui mène à cet étrange paradoxe que l’emblème des blacks américains tentait désespérément de se blanchir en gommant sa couleur d’origine, la monstruosité de ses masques mortuaires dérobant son visage aux photographes, son nez sans cesse « retaillé » aspirant le regard de son trou noir, ses enfants engendrés dans la froideur d’une mécanique même si son amour paternel ne semble point discutable…Mais le reste aussi, les nuits dérobées d’enfants perdus, mythe ou réalité ? L’histoire ne tranchera jamais, mais il reste les traces de ses spectacles, les galettes d’un son brut, cette silhouette étonnante de grâce virevoltante en échappant à la pesanteur, ce sens de la scène et de la musique qui en font un des personnages fondamentaux de l’univers musical de la fin du XXe siècle ! Sa disparition brutale, apte à générer toutes les rumeurs, entretiendra sa légende et lui permettra de se retrouver aux côtés des James Dean, John Lennon et autre Hendrix foudroyés en plein soleil pour l’immortalité !

Que dire alors de cette cérémonie mondialement diffusée où l’improbable côtoyait le mauvais goût, le génie, l’à-peu-près, où un Dieu si typiquement invoqué par les américains, dispensait ses bienfaits en larmes dégoulinantes cascadant de bouches éplorées, où les voix s’époumonaient à tenter de monter dans l’azur afin que les présents récupèrent un peu de la gloire du disparu…Facticité d’un clan artificiellement reconstitué, d’un père honni devenu le géniteur d’un dieu mort ? Rien sans doute, si ce n’est que l’authentique tristesse de certains ne pouvait que se heurter à la réalité d’un monde où la mort affronte au quotidien les indéfinissables, les sans-grades, les mères et les enfants qu’une faux vengeresse décapite allégrement aux sons des tubes de Michael Jackson que la radio déverse en flots tumultueux !

 

Par contre, j’ai été choqué par la disparition soudaine de la grande chorégraphe Pina Bausch. Je me souviens encore en 1984, au TNP de Villeurbanne, de la seule et unique fois où j’ai vu une de ses pièces en live. Je me rappelle vaguement de danseuses et danseurs vêtus de tenues sans forme en train de se jeter sur des parois de bois délimitant la scène, d’une musique assourdissante et d’une émotion naissant de l’enchevêtrement des corps et de la rythmique d’un mouvement paroxystique, sans fin. Après Béjart en Avignon en 1969, Pina Bausch en 1984 m’a transmis une idée de la Danse sans frontières ni limites, comme une bouffée d’air pur dans le conformisme d’un académisme qu’elle faisait voler en éclats. Mon imaginaire chorégraphique s’est structuré autour de ces deux repères.

Je n’aurai plus l’occasion de la voir. C’est une grande perte pour le monde des idées et de l’art. Depuis 10 ans, je suppliais Yorgos Loukos, le Directeur artistique du Festival de Danse de Cannes que j’organise, de monter un projet avec elle et de la programmer, et ce d’autant plus, qu’il la connaissait personnellement. Ce n’était pas chose aisée mais j’avais bon espoir…je l’ai perdu définitivement cet espoir de croiser son chemin et de partager un moment de sa magie, je le regrette infiniment !

Il reste le mystère d’une femme morte en cinq jours d’un cancer inconnu. Les rares éloges d’un monde frileux ne l’empêcheront point d’accéder au Panthéon des vraies célébrités, celles que l’histoire grave dans ses pages en lettres d’or. Tant d’autres disparaîtront à jamais du grand livre des femmes et hommes qui ont transformé le monde des certitudes…que le temps n’usera point son aura mystique. Elle échappait aux règles, aux normes, n’était jamais où on l’attendait, toujours dans cet univers si particulier de bruit et de fureur qui fait que le silence de sa disparition devient assourdissant. Elle posait inlassablement des questions et ces questions resteront ouvertes à jamais de par sa disparition…si rapide, trop tôt.

Il est toujours trop tôt pour que la lumière s’éteigne !

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A l'heure du palmarès...

Publié le par Bernard Oheix

Festival du Film (3)

 

32 films visionnés. 15 de la compétition officielle,  6 d’Un Certain Regard, 4 de la Quinzaine des Réalisateurs et les autres répartis entre la Semaine de la Critique, le Cinéma des Antipodes et des séances spéciales.

Globalement cela représente environ plus de 55 heures de films auxquelles il faut rajouter mon travail de directeur de l’évènementiel (en version light !), des rencontres et réunions à entretenir avec des relations du cinéma ou du spectacle… et 16 personnes à la maison en train de dormir, de ripailler et d’ingérer des films à haute dose en se croisant dans une joyeuse panique pour des commentaires enflammés dans le jardin, sous les bananiers, à l’heure où blanchit la campagne !

En contrepoint, on peut, pour l’anecdote, dénombrer 18 parties de rami corse et 12 de dominos entre les séances, qui m’ont rapporté la modique somme de 32,75 € et l’ingestion d’un nombre incalculable de mes bonnes bouteilles (ils avaient trouvé la cachette !).

Et le cinéma dans tout cela ?

 

Disons-le un fois pour toute : c’était un grand crû, une année d’exception, peu de nectar bouchonné, je ne suis sorti qu’une fois de la salle. En corollaire, cela veut dire, énormément de bonnes surprises, des films intelligents qui font honneur au 7ème Art, des problématiques fortes avec des réflexions pertinentes, des mises en scène fortes, un jeu d’acteurs brillant et surtout des scénarii très riches. Vive le cinéma donc et en avant pour une petite revue de circonstance !

 

Dans la compétition.

Les déceptions proviennent essentiellement de l’Asie (Johnnie To avec Johnny premier), Lou Ye (Nuit d’Ivresse Printanière) et Park Chan-Wook (Thirst, ceci est mon sang…). Pour le reste, même s’il fallait parfois s’accrocher, la compétition offrait de belles opportunités pour un cinéphile prêt à franchir la ligne d’horizon des deux heures de projection.

Les « panzers divisions » annoncés ont été quelque peu en retraits ( Almodovar et  Tarentino) dont leurs ultimes opus, tout en restant fort intéressants, ne sont pas au top de leur filmographie. Trop Almodovarien (l’intégralité de son alphabet y passe !) pour Les Etreintes Brisées qui semble un collage de tout ce qui a constitué son fond de commerce et porte l’handicap de s’exposer comme sa propre marque, où trop Tarentinesque pour Inglorious Bastards avec un Brad P qui en fait à la pelle et le sentiment d’un moteur patinant dans la  choucroute allemande pour cette sombre variation d’une guerre à  la guerre qui assume son ignominie en perdant un peu de son énergie débridée…

Une des grandes satisfactions de ce festival provient du contingent français (cocorico !). A l’Origine de Xavier Giannoli est un excellent film social bourré de bons sentiments. Cluzet y est remarquable dans le rôle de ce petit arnaqueur piégé à son propre jeu et qui devient le sauveur d’une région contre le système économique des groupes financiers et industriels qui dépossèdent les habitants de leur travail et de leur fierté. C’est Zorro contre les grands décideurs d’une économie qui oublie la réalité de la vie des individus. Applaudissements nourris dans la salle en résonance à cette période troublée.

Dans un tout autre registre, Gaspar Noé avec sa caméra épileptique de Soudain le Vide nous entraîne dans les abysses d’une ténébreuse histoire où la mort n’est qu’une étape vers la réincarnation. Un petit dealer amoureux de sa sœur meurt d’une balle et, prenant de la hauteur, va tenter de revenir se nicher auprès d’elle (en elle plus exactement !). C’est frénétique, parfois redondant, trop sophistiqué comme si le réalisateur ne pouvait se cadrer et dompter toute sa puissance créatrice… mais c’est aussi une véritable performance, avec des images qui alternent le réalisme et le travail graphique, des effets surprenants sur la lumière et les mouvement de caméras. On peut garantir les discussions indispensables au final pour tenter de le décrypter ! Un prix spécial du jury serait une récompense logique pour ce travail d’extraterrestre !

Reste le bijou d’Un Prophète de Jacques Audiard. Un prix assurément, l’interprétation par exemple pour Tahar Rahim ou pour la mise en scène qui fait reculer les limites de ces murs dans lequel notre petit malfrat va survivre avant de pouvoir s’épanouir en devenant un caïd formé à l’école des meilleurs truands.

Quand au Resnais, je ne l’ai malheureusement pas vu.

Formidable coup de cœur pour Ken Loach (Looking for Eric) qui non seulement assume son statut mais nous délivre un de ses plus beaux films. Entre la comédie sociale et la comédie tout court, dans une histoire découpée au cordeau où rien n’est en trop, des acteurs remarquables renvoient de la réalité vers le rêve et nous permettent de mieux lire le monde des petits, ces supporters de Manchester qui n’ont même plus l’argent pour aller au stade malgré leurs salaires de postier et se contentent de regarder le match à la télévision, au bar, tous ensemble. C’est bourré d’humanité, de fraternité…de bons et généreux sentiments, de tranches de vie agrémentées d’un inénarrable Eric Cantona qui se révèle grand acteur. Et comme le film se termine bien, en plus, et qu’il reconquiert le cœur de sa belle… Il sera au palmarès, c’est sûr !

Il faut citer Jane Campion égale à elle-même dans un film à costumes et à beaux sentiments, Andrea Arnold (Fish Tank), nerveux et poignant sur une adolescente en rupture, Elia Suleiman (The Time that remains), israélo-palestinien qui oscille entre Buster Keaton et Tati et délivre sa vision de l’histoire de son peuple à travers les vies de son père et de sa mère et un Bellocchio (Vincere) sur la maîtresse et le fils de Benito Mussolini. L’histoire officielle devra gommer leur existence afin de préserver l’homme d’état. La passion d’Ida ne pourra résister au pouvoir de son amant qui n’aura de cesse d’empêcher le scandale de surgir quitte à nier ces deux vies.

Reste les deux bijoux d’une sélection très riche. Sur ce que je pense d’Antichrist de Lars Von Trier vous pouvez vous reporter aux articles précédents. Michael Haneke compose Le Ruban Blanc comme une œuvre naturaliste toute en douceur, sans donner les clefs d’une histoire complexe qui doit trouver son sens chez le spectateur. Divers incidents surviennent dans un village rural type du début du XXème siècle et le film se termine en 1914, au début de la grande guerre. Ces dérèglements de la vie affectent tous les piliers de l’ordre social (un médecin, le baron propriétaire des terres et le pasteur de la communauté). Ils sont contés par le survivant, un instituteur, en voix off. Chacun de ces tenants de l’ordre social est gangrené de l’intérieur (le médecin est incestueux, la Baron un pantin cocu, le pasteur un tyran possédé par la hantise du mal). Même si cela n’est pas affirmé, les enfants du village sont les « damnés » responsables de ces incidents. Porteurs des vices des parents, ils préfigurent l’effondrement de toutes les valeurs et l’entrée dans la première guerre qui débouchera sur le nazisme. C’est magistral, jamais didactique, un film intelligent qui pose les problèmes sans répondre aux questions, qui ouvre les perspectives d’une lecture de la société allemande en train d’exploser. De l’infiniment petit à l’holocauste, il n’y avait qu’une lente érosion d’un monde en train de muter sans se prémunir contre ses propres démons. Malgré une certaine lenteur inutile, c’est du grand Haneke, et pour moi, la Palme d’Or naturelle d’une sélection extrêmement riche.

 

Les autres sélections.

 

En plus des films cités dans l’article précédent, deux bijoux terrifiant de violence intérieure. Daniel y Anna du Mexicain Michel Franco, s’appuie sur un fait réel. Le développement de la pornographie sur Internet pousse des gangsters à organiser des enlèvements de couples issues d’une même famille et à filmer leurs ébats sous la menace. Au Mexique, un frère et une sœur d’une famille aisée sont contraints à l’inceste. Libérés, ils vont tenter de survivre à ce cauchemar en taisant ce qui leur est arrivé. La sœur aînée, mieux armée, grâce à une psychologue, pourra dépasser ce drame. Le frère  adolescent, qui n’avait jamais fait l’amour et ne possède pas encore les clefs de la parole, plongera dans une dépression, dans un cycle pervers où tout devient absurde. Sans aucun voyeurisme, sans jamais s’exposer à utiliser le matériau brut de scènes atroces, le réalisateur fait ressentir l’horreur absolue de cette transgression ultime. C’est un film sur la violence qui ne montre pas la violence, il la fait exister à l’intérieur de chaque spectateur transformé en victime !

Une vie toute neuve de Lee Chang Dong sur un scénario de Oumie Lecomte (une Franco-Coréenne) montre la vie d’une petite fille brutalement abandonnée par son père dans un orphelinat catholique en Corée. Elle va l’attendre, persuadée de son retour…C’est poignant, déchirant, un conte sur l’abandon, autobiographique (on voit l’arrivée à Paris de la petite qui a été adoptée par des français !) mais sans pathos. Plusieurs histoires se croisent qui tissent entre ces enfants du désespoir, l’écheveau d’une humanité blessée. Un concurrent sérieux pour la caméra d’or !

Beaucoup d’émotions avec The Silent Army, du Néerlandais Jean Van de Velde, sur les enfants embrigadés dans l’armée et qui apprennent à devenir des bourreaux au prix de leur vie, jouets d’adultes à la conquête du pouvoir dans une géopolitique où les occidentaux sont à l’origine des maux et avivent les tensions en leur vendant des armes.

Reste une bonne comédie, Les Beaux Gosses, où l’art de se masturber sans que cela soit dramatique, (bien au contraire !), et qui campe une joyeuse bande d’adolescents perturbés par la « chose » dans un collège bien de chez nous et un magnifique film de  Denis Dercourt avec Vincent Pérez et Jérémie Renier, Demain dès l’Aube, confirmant la bonne qualité des films Français. Un pianiste célèbre, mal dans son couple, réintègre la maison de sa mère en phase terminale du cancer. Son frère passionné de jeux de rôle l’entraîne dans son univers des armées napoléoniennes. Bientôt, les frontières entre le présent et le passé vont s’effacer...Un drame magnifiquement filmé qui tient en haleine le public jusqu’à un dénouement particulièrement surprenant !

 

Voilà, beaucoup de films cités, mais aussi beaucoup de passion pour cette décade de tous les films, lucarne ouverte vers le monde extérieur. Des thèmes surnages (l’inceste cette année tenait la corde !), des techniques se ressemblent provenant de tous les continents (utilisation du bruitage en fond sonore), des scénarii, des cadrages, des couleurs…et toujours cette passion intacte des cinéphiles sans âge, ceux qui vont de salle en salle, de film en film, afin d’épuiser leur soif de découvertes et qui  pensent que le temps peut s’arrêter de défiler à 24 images seconde.

Je vous ai donné mes impressions, quelques minutes seulement avant le Palmarès. C’était un pari sur leur intelligence. Rendez-vous devant l’écran de télévision pour voir la remise de la Palme d’Or à Haneke et le prix spécial du Jury à Lars Von Trier avec un Ken Loach heureux de son prix du jury ! Non, mais !

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Une journée (bien) ordinaire

Publié le par Bernard Oheix

Festival du Film (2)

 

Réveil à 7 heures.  La tête dans le sac. La conjugaison du film coréen, Thirst, ceci est mon sang, une histoire de curé qui devient vampire et bondit comme un cabri en patinant dans la semoule imbibée du sang de ses victimes et du film chinois, Nuit d’ivresses printanière, où les acteurs passent leur temps à se sodomiser dans les couleurs crues de néons chargés de rappeler que la Chine est aussi un pays moderne, m’avaient quelque peu assommé pour ce lancement du Festival 2009 !

Une douche, la moto (650 bandit Suzuki), badge en oriflamme et par l’entrée des artistes, petit privilège d’un directeur, je pénètre dans la salle obscure en attendant que l’écran s’illumine pour mon premier film de la journée.

8h30  Vengeance. Johnnie To. Chine. (Compétition) Palais des Festivals.

Je m’installe dans un des fauteuils rouge de la grande salle pour les presque 2 heures d’un show réunissant les 2 Johnny (le To et le Halliday). Dur, dur…  lunettes noires optic 2000 comme les flingues dégainés dans la nuit sombre, histoire ridicule sombrant dans le n’importe quoi, violence et vengeance, (mémorable réplique de Johnny devenu amnésique à cause d’une balle qui se promène dans son cerveau « -C’est quoi la vengeance !»). Notre héros national joue vraiment comme une chaussette et le réalisateur ne l’aide pas beaucoup…pourquoi n’est-ce pas Delon qui a eu le rôle ? Bof !

11h. Polotist, Adjectiv. Corneliu Porumboiu. Roumanie. (Un certain Regard) Salle de la Licorne.

Une enquête sur un jeune qui se défonce au H dénoncé par son ami. Le policier doute car il subodore que le corbeau veut en fait sortir avec la petite amie de l’autre. Un chef obtus va lancer la machine policière et briser la vie du jeune. Film intéressant, un peu lent dans sa première partie qui pose le problème de la frontière des délits et de la culture de la dénonciation et des « balances ».

Petit détour par mon jardin, sous le soleil, juste en face de la salle de projection. Une bande l’occupe. Je dénombre, un Allemand (Hartmut, fidèle complice qui fait son festival depuis une dizaine d’années chez nous), 3 Corses, mes 2 enfants, 2 de leurs amis de Paris, deux Avignonnais plus leur progéniture et son copain… soit 14 personnes attablées en train de manger et de boire quelques unes de mes excellentes bouteilles  sous la tonnelle.

Après  une dinette rapidement ingérée, les trois quarts des présents se lèvent pour filer au cinéma.

14H. Lost persons area. Caroline Strubbe. Belgique. (Semaine de la critique) Salle de la Licorne.

Dans un chantier improbable avec des ouvriers hongrois, un couple et leur petite fille solitaire et solaire. Un accident et la vie d’une communauté d’hommes durs au labeur, l’amitié et l’amour. C’est lent et long (2h), ample, une première moitié qui chemine sinueusement pour terminer plus violemment. Un film étrange quelque peu envoûtant mais qui laisse sur sa fin (faim) !

Petite pause d’une heure. Détente avec une partie de cartes (le rami corse) en compagnie de mon fils, Julien (redoutable aux cartes, même contre son père !) et de Christian, le beau-frère corse. Je perds mes 2€ de mise.

17h. Neuilly…sa mère ! Gabriel Laferrière. France. Ecran Junior. Salle de la Licorne.

Un petit bijou. Enfin du rire, de la rapidité, des répliques qui fusent ! Comédie sur un petit beur d’une cité de Chalon transplanté chez sa tante (sublimissime Rachida Brakni !) à Neuilly, coincé dans une famille de « bourges » où le fils rêve d’un destin présidentiel, la fille épouse toutes les révoltes, et lui obligé de terminer la saison scolaire dans un collège privé ! Une bouffée d’air frais. Le cinéma sert aussi  à se détendre intelligemment, il n'y a pas de honte à prendre son plaisir !

19h. Samson et Delilah. Australie. Warwick Thornton. (Un certain Regard) Salle de la Licorne.

Dans le bush Australien, deux adolescents aborigènes vont tisser leur destin, affronter l’exil à la ville, se retrouver brutalement plongés dans l’horreur (viol, drogue) et partiront se reconstruire sur leur terre natale en apaisant leur colère. Une belle histoire d’amour sans amour, une errance terrible. C’est d’une lenteur inutile dans la première partie mais tout le final accroche. Derrière les images du miracle de la modernité australienne, il y a l’expropriation et le vide de l’espoir des jeunes natifs. Le dénuement est absolu tant dans la réalité que dans l’imaginaire. Un beau film dérangeant parfois un peu pesant !

21h Un prophète. Jacques Audiard France. (Compétition). Salle de la Licorne

Plongée dans l’univers carcéral des « grands », un jeune sauvageon va faire l’apprentissage de la survie à l’école des truands pour devenir un loup. La mafia des Corses qui tiennent le pouvoir, les « barbus » qui se structurent, chacun cherche sa place entre ses murs trop hauts et tente de survivre. La frontière entre le maton et le prisonnier est ténue, comme le fil qui retient à la réalité. Malik va trouver sa place, devenir un prophète, aidé par les apparitions du premier meurtre sur commande des corses venant le hanter avec récurrence. Son habileté et sa rage de survivre vont lui permettre de s’affranchir de toutes les règles et quand il sortira enfin, il sera prêt à devenir le caïd redouté, celui que plus rien n’arrêtera ! 2h30 terrible, haletante, dénonciation froide et sans concession d’une machine carcérale faite pour forger l’horreur. La cruauté affleure sans arrêt, révélatrice de la capacité d’adaptation de l’individu. Grandir ou mourir, Malik a choisi ! Superbes compositions d’acteurs, filmage au plus proche, coulé dans le moule sans espace de murs froids, une belle façon de terminer cette journée cinéma avec un film qui devrait se retrouver au Palmarès. Tentons le pari : Prix Spécial du Jury !

Voilà donc l’heure d’aller se coucher. Demain matin, 8h30, j’ai rendez-vous avec Ken Loach et Eric Cantona (« -I am not a man, i am Eric Cantona !) …En attendant, cette journée de cinéma m’aura permis de visionner 6 films pour 11h30 de pellicule, 2 en compétition, et 4 de sections différentes, de ne pas m’assoupir une minute malgré la lenteur évidente de 3 œuvres, de découvrir des horizons perdus, quelques jets de sang ne dissimuleront pas la beauté de sentiments et la grandeur de la peine d’hommes de bonnes volontés…C’est le 7ème Art, celui que j’aime !

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