Suite et fin de cette aventure dans le monde de la danse. Un Festival, c’est beaucoup de tensions, enchaînement de propositions diverses, une façon de découvrir les tendances qui
parcourent la création et donnent le tempo du lendemain. C’est avant tout une aventure personnelle, une réflexion sur sa propre histoire et sa culture. Quelques mots pour vous en convaincre
!
Lundi 30 novembre-18h
Compagnie Ando-Davy Brun
A contre danse
Deux hommes sautillent sur le battement sourd d’une machine. Cela dure longtemps. Vers la fin du spectacle, ils danseront… un peu ! Entre ces deux moments, ils nous imposent deux mannequins, une
gestuelle compassée, des non-effets, pensum théâtralo-psychologique qui porte bien le nom de contre danse pour des contre-spectateurs ! Dommage, il y avait matière à créer quelque chose, mais
quoi, déjà !
Mardi 1er décembre-20h30
Compagnie Pockemon Crew
La Faute idéale
Show 100% Hip-Hop Breakdance.
Un peu prétentieux nos breakeurs dans la première partie. La mort du faune, une comédienne, une danseuse, une chanteuse… théâtralisation de l’univers de la rue, quand les trottoirs de la
contestation se mettent à penser et veulent devenir intelligent pour faire comme tout le monde. Bof ! C’est pas mal malgré tout, on a envie de les aimer nos petits beurs, même s’ils ne sont
jamais meilleurs que lorsque on leur lâche la bride sur le corps et qu’ils exécutent ce qu’ils aiment, tourner sur la tête, bondir et jaillir en écartant les jambes, sauter et s’équilibrer sur
les bras. Les jeunes du public, désarçonnés, leur ont offert un accessit malgré tout et c’est tant mieux.
Mercredi 2 décembre-18h
Compagnie Hervé Koubi.
Coppélia, une fiancée aux yeux d’émail
Les suprêmes.
Bref séjour chez les vivants.
Hervé Koubi est l’enfant du sérail, le prodige local, passé par l’école de Rosella, apprécié des institutionnels. Première sélection dans le Festival de Danse avec la pression qui en découle.
Coppélia en version courte. Deux femmes figées par des hauts talons, trois hommes amoureux de ces poupées. Parfois un peu brouillon, une belle proposition pas tout à fait achevée.
Les suprêmes ou l’univers autobiographique (cela sent le vécu !) d’un enfant qui n’aime pas le foot et découvrira dans une boîte de nuit, les émois d’un monde de moiteur. La qualité de l’instant
est évidente, les danseurs donnent du mouvement mais cela semble parfois un brin naïf, une évocation trop surlignée de sens.
Bref séjour chez les vivants dévoile, dans un décor d’apocalypse, des morts-vivants, qui vont s’animer. La proposition est forte, introduit une véritable tension.
Dans ces trois pièces, Hervé Koubi démontre à l’évidence un sens du spectacle et de la scénographie. Pourtant, il semble que, paradoxalement, sa danse ne soit pas encore au niveau de sa vision et
de son désir du « signifier ». Il lui manque un soupçon de maturité chorégraphique (de l’expérience ?) pour rendre cohérents sa perception de la scène et son désir de l’animer. Une séance comme
celle du Festival devrait lui permettre d’aller plus loin et d’en tirer les fruits. Hervé Koubi est attachant, sensible et possède une marge de progression importante. A lui de nous prouver qu’il
possède cette matière dansante enfouie dans son histoire et qu’elle ne demande qu’à éclore pour toucher le spectateur.
Mercredi 2 décembre-20h30
Zoopsie Comedi
Recréation d’une pièce des années 80 qui avait rencontré un beau succès dans les salles. Dominique Boivin (dont on avait apprécié l’Histoire de la Danse présentée dans le Festival, au siècle
dernier, en 1999), Christian Lacroix aux costumes et les Castafiore au soutien artistique et au réglage chorégraphique de certains numéros…une belle proposition à priori, même si Télérama faisait
paraître une critique très acidulée sur cette reprise d’une œuvre qui aurait mal vieilli !
Qu’importe ! Les spectateurs se sont plongés dans un petit bijou de danse jubilatoire, l’humour si rare en danse est bien présent, un spectacle tout fou, plein d’énergie et de décalages, entre
Decouflé et les Monty Pythons avec un zeste de Tex Avery, de superbes moments de danse piochant largement dans l’univers des claquettes, du hip-hop, du jazz, de la comédie musicale…Les tenues
extravagantes collent aux personnages, certains passages sont hilarants (le combat des cavaliers antiques en claquettes, les betty boop qui se multiplient, les danseurs poissons avec des
palmes…).
Les deux héros sont de merveilleux danseurs qui viennent de la rue, à la fois chewing-gums et aciers, souples et dynamiques, étrange paradoxe si l’on pense au spectacle des Pockemon qui tentaient
de se « nobiliser » alors c’est la comédie qui se « vulgarise » avec bonheur dans cette récréation de Dominique Boivin. « L’après-midi d’un faune » ne réussit pas à élever un spectacle de rue
alors que les figures de la rue rendent jubilatoires une comédie musicale traditionnelle ! Beau pied de nez !
Zoopsie Comedi est une vraie réussite qui fait aimer la danse, une approche tout public, tout âge, toute culture. Ils tournent encore en France, précipitez-vous, on ne regrette pas cette plongée
dans l’univers déraisonnable de ces déjantés de première classe !
Jeudi 3 décembre-20h30
Dumb Type
Voyage
On attendait énormément de ces japonais à la réputation sulfureuse qui éperonnent les codes, transgressent les frontières des arts et renvoient le spectateur à un inconfort motivant…trop
peut-être !
En 1975, j’ai participé à un Concert Fluxus de Ben et des artistes de l’Ecole de Nice…le temps a passé. 35 ans après, la technique en plus et la vidéo en renfort, j’ai l’impression de me
retrouver jeune étudiant m’ébaudissant d’une rupture radicale avec les codes de l’establishment ! Même non-discours, même relecture ampoulée chargée de provocations décalées, même étirement des
images entrant en collision avec la réalité.
Certaines séquences sont plutôt réussies, quelques effets sont prenants… mais l’ensemble dégage une impression de vide dans des interstices sidéraux, comme si à force de s’interroger, les acteurs
de cette pièce n’offraient qu’un regard dénué de toute énergie, de contradictions. Il y a un renoncement général en abysse, les cris ne percent plus les murs de l’indifférence. Chaque moment est
trop long, chaque idée se retrouve étirée dans le temps et au bout du compte, il y a bien longtemps que l’on ne peut plus révolutionner la scène avec une non-histoire dans une palette d’images
fabriquées pour une provocation sans fondement. On n’a même pas envie d’être en colère, juste de se dire, « -tout cela pour ça ! -»
Vendredi 4 novembre-18h
Jeune Création Italienne
Francesco Nappa. Backlash
Imperfect Dancers Compagnia Balletto 90. Luce Bianca – Bolero
Ils sont beaux nos jeunes italiens, et ils ont de l’énergie à revendre !
Sur la scène, inspiration jazz danse, danseurs énergiques, décors sophistiqués, c’est pas mal du tout cela ! Et en plus, ils sont vraiment italiens !
Vendredi 4 novembre-20h30
Ballet de l’Opéra de Lyon.
Giselle. Mats Ek. « Un chef-d’œuvre en mouvement »
Une trame éternelle. Une femme abusée par un homme, deux castes qui s’affrontent, la folie comme prix à payer d’une trahison et la rédemption avec le don d’une vie. Mats Ek détourne les codes de
la danse classique en étant fidèle à la musique et à la structure générale. Il tire les personnages vers un naturalisme de synthèse pour mieux le détourner et symboliser au final la folie des
hommes. Les vêtements sont très réalistes dans le 1er acte, habits des paysans ou de nobles, accessoires, danses de groupes renvoyant à des images simples, des rapports de force primaires entre
deux blocs soudés par la haine. Dans le 2ème acte, il casse les figures de la rhétorique traditionnelle et introduit la folie des personnages dans la gestuelle mécanisée qui les anime, une
succession de pas et d’attitudes reliant à l’enfermement des êtres dans une prison intérieure. Bouches ouvertes, soumission à un garde-chiourme, démarche grégaire d’un pas étrange qui fait peser
le passé sur les épaules. Dans cette lecture « engagée » de l’œuvre Giselle, Mats Ek utilise tout un alphabet de la cassure, bras brisés, jambes en angles, têtes tournées, corps affaissés,
démarches claudicantes afin de créer une parenthèse entre la vie des personnages et les émotions qu’ils ressentent. C’est magistral et éblouissant, à l’image de cette compagnie de l’Opéra de Lyon
qui porte à la perfection l’expression d’un néoclassicisme inventant une danse éternelle. C’est une clôture en forme d’apothéose, un ballet qui ouvre les portes du paradis !
Voilà une nouvelle édition du Festival de Danse qui s’est achevée dans la sérénité. On aura eu beaucoup d’images, de la danse aussi pour cette édition en demi-teinte bien en phase
avec la morosité de la scène vivante actuelle. Beaucoup de questions pour peu de réponses, exhumer quelques œuvres du passé, prévoir un arsenal de provocations (timides) pour marquer l’air du
temps…reste le public qui a répondu présent pour une édition sans grandes têtes d’affiche, qui a suivi attentivement et a marqué son attachement au Festival malgré une crise réelle et une
inflation de spectacles à venir dans une principauté voisine. Reste les coups de cœur des Castafiore, de Benjamin Millepied et du Ballet de l’Opéra de Lyon avec la Giselle de Mats Ek. Reste aussi
et avant tout, la rencontre et les discussions autour de ces œuvres souvent inclassables…le talent n’a pas de frontières, les spectateurs ressortiront un peu plus intelligents de cette plongée
dans l’univers du mouvement !