En mars 2009, dans mon blog, j'écrivais un article prémonitoire intitulé : "La Russie en crise... et demain ?".
Il faut dire que j'avais le privilège de m'y rendre chaque année, au mois de janvier pour l'organisation du Festival de la Culture Russe que j'avais créé avec des russes, dont le Président était Nikita Mikhalkov, et qui se déroulait à Cannes en août. J'ai pu ainsi, depuis la chute du mur, me rendre dans les régions et villes (Moscou, Kazan, St Pétersbourg, Vologda, Kaléningrad et autres) et vivre et rencontrer des russes chez eux, dans leur univers quotidien.
C'était fascinant !
Et pourtant, à chaque périple, je voyais ce pays francophile, peuplé de gens cultivés et généreux, s'enfoncer dans la crise qu'un Poutine entretenait d'une main de fer en jouant sur tous les tableaux. J'ai vu resurgir le rôle et le poids de l'église et de ses popes gourous, j'ai entendu le racisme monter tel une vague jusqu'à submerger les bonnes volontés et l'argent roi devenir l'étalon du non sens !
La Russie en Crise !
La crise, les ravages de la crise… pas une réunion, pas un repas, une cérémonie du thé ou un toast qui ne commence par cette litanie et ne s’achève par un constat alarmiste. Les nombreux responsables rencontrés dans cette semaine de prospection en Russie n’avaient que cette antienne à la bouche, la crise, les ravages de la crise…Nous sommes en janvier 2009 et toute la Russie est en train de basculer dans l’horreur.
Il faut tenter de comprendre ce qui se passe. Depuis bientôt 10 ans que j’effectue ce pèlerinage en terre slave, les rôles sont bien distribués. Les Russes de la Fondation draguent les fonds publics pour adosser le Festival qui se déroule en Août aux régions très indépendantes économiquement et particulièrement riches en cette période de libéralisation qui succède au centralisme de l’ère communiste. C’est ainsi que je joue le VRP de choc, séduisant, me baignant dans l’eau glacé des lacs gelés en compagnie des gouverneurs, troussant des discours fleuris pendant les repas interminables parsemés de toasts rituels, accueilli comme un prince en renvoyant l’image d’une Côte d’Azur pleine de charme et de mystère, l’objectif final étant de convaincre les politiques d’investir sur le Festival en finançant exposition vantant la région et spectacles de tradition remplissant le Palais.
Il a fallu du temps pour en arriver à cette sophistication, à cet équilibre subtil entre les acteurs russes et mon rôle de promotion dans les régions.
Tout aurait pu continuer ainsi dans le meilleur des mondes si le grain de sable d’une crise violente exportée des Etats-Unis n’était venu enrayer la belle mécanique d’un capitalisme triomphant en terre slave !
Au pied de la Tour penchée de Kazan... penchée comme la Russie à la recherche d'un équilibre précaire.
Il faut comprendre que pendant les trois quarts du XXème siècle, les Soviétiques ont vécu à l’abri des tourmentes de l’économie moderne capitaliste. Grand pays de culture, capable de forcer les portes de la science et de la technologie (conquête de l’espace, médecine, éducation, culture…etc.), ils ont construit une forteresse, une économie de non-travail comme de non-chômage, un cocon bureaucratique assurant un minimum de bien-être par l’égalisation d’un standard moyen de vie assurant la subsistance sans permettre le développement exponentiel de la consommation et l’accaparement des libertés individuelles.
La suite, nous la connaissons. Un conflit meurtrier aux confins de l’Orient dans les montagnes de l’Afghanistan, un fragile mur qui s’écroule en Occident, le monde qui s’invite sous toutes ses coutures par les lucarnes de la télévision et le développement des échanges… et tout bascule, y compris les certitudes idéologiques ! La transition démocratique de Gorbatchev volant en éclats sous les coups de boutoir d’une classe de futurs oligarques avides de se dépecer les richesses du pays sous la baguette de Boris Eltsine, l’Union Soviétique disparaît corps et bien pour accoucher d’une nouvelle Russie conquérante et avide de retrouver sa place dans le concert des nations modernes.
Alors pendant 15 ans, le miracle économique aura bien lieu et les rêves prendront corps. Plus aucun frein, si ce n’est celui d’une violence et d’une corruption que manifestement Poutine réussira à juguler (ou plus exactement à canaliser !), des oligarques moteurs d’une richesse colossale entraînant le pays dans une spirale inflationniste, le prix du pétrole et du gaz en pleine ascension donnant des moyens illimités aux régions et à l’état central, une progression de deux chiffres du PNB autorisant tous les rêves… C’est Tintin au pays des ex-soviets décomplexés, ivres de liberté et achetant à tour de bras des biens matériels, exposant leur richesse comme des nouveaux riches sans pudeur… C’est aussi une catégorie populaire qui se retrouve dans ce dynamisme, travaille et érige une société où les frontières avec l’Occident s’estompent.
Moscou devient la capitale la plus chère du monde, se couvre de magasins de luxe et les firmes de produits de haut de gamme se précipitent au banquet annoncé de nouveaux consommateurs avides. Vologda, Kaliningrad, Novgorod en phase avec le cœur du pays épousaient les mêmes rythmes.
J’ai vu la Russie s’embellir, gratter sa misère pour exposer ses ors, les babouchkas vendant des souvenirs se fondre et disparaître dans la pulsation d’un pays ivre de frénésie.
J’ai vu aussi pendant ces 10 ans, la montée d’un authentique racisme en parallèle de la régulation de la violence, de la normalisation des liens sociaux. J’ai vu aussi éclore un fanatisme religieux, églises reconstruites, popes tout-puissants, oracles des temps modernes…
Délice d'un ballet classique dans son temple... Le Lac des Cygnes par le Mariinsky.
Et 2009 est arrivé ! En Russie, on avait connu en un siècle, la non-économie socialiste et l’ivresse du capitalisme conquérant. Restait donc par la grâce d’une crise des locataires surendettés de l’Amérique profonde incapables de rembourser leurs «loyers », à découvrir les horreurs des crises du capitalisme, crises cycliques, rémanentes mais que les Russes subissent à leur corps défendant, dans la violence extrême d’une société qui ne s’est pas prémunie contre ces soubresauts délétères. Pas de syndicats, des retraites à minima, les indemnités de chômage réduites comme peau de chagrin, des usines qui ferment du jour au lendemain, des entreprises rayées de la carte, des familles foudroyées passant du tout au rien, avec pratiquement aucun filet de protection.
Dans nos sociétés, des matelas assourdissent (mais pour combien de temps !), la violence de la déflagration, là-bas, en Russie, l’absence de tous fusibles accroît l’ampleur de l’explosion et la société se tétanise de peur, les responsables plient sous leurs responsabilités, sont incapables de trouver des solutions. Le prix du pétrole en chute libre (divisé par 3), et sa consommation qui a perdu 20%, obligent l’Etat à puiser dans les caisses heureusement pleines d’une décade inflationniste… Mais après ! La chute générale des matières premières et le frein au développement dû au chômage massif bloquent toute la mécanique économique à un niveau de prix incompatibles avec la récession.
Alors demain ? Révolution brune de ceux qui ont faim ? Contraction violente d’une société angoissée, crispée sur son racisme, son obscurantisme religieux et la cruauté héritée d’un système qui donnait si peu de prix à la valeur humaine… On peut s’interroger et craindre pour l’avenir de ce beau pays de culture, de ce peuple qui mériterait de vivre dans la paix et se retrouve éternellement confronté aux démons de son histoire.
Depuis mon dernier voyage en 2012, je m'étais promis de ne plus mettre les pieds en Russie tant que Poutine en serait le Dictateur. Bien m'en a pris hélas !
Ce que je pressentais c'est avéré. Le pays s'est embourbé dans les marécages d'un pouvoir sanguinaire sans limites. Pour ceux nombreux qui pensent que la France est une dictature qui nous prive de nos libertés, qu'ils émigrent avec leur convois de La Liberté en Russie, ils découvriront alors le vrai visage d'une botte de fer.
Quand aux autres, ceux qui ne comprennent pas comment on en est arrivé à ce point d'ignominie, qu'ils fassent bien la différence entre un système Poutine et un peuple russe qui tente de lutter avec ses maigres moyens contre les fantômes de leur passé. Ils sont nombreux les Russes à ne pas vouloir être complices de cette tragédie... et quand ils affirment leur opposition, ils se retrouvent en prison, eux !
J'ai trop d'amis en Russie pour ne pas être horrifié par leur drame.
Alors que les sanctions tombent, que l'Europe passe une nouvelle étape dans sa construction, bannissons les responsables de cette horreur de toutes activités sur notre si vieux continent et que vive la démocratie et l'harmonie entre les peuples.
Et en attendant, courage à nos amis Ukrainiens qui n'ont qu'un seul tort, celui d'aspirer à un monde meilleur pour leurs enfants et prouvent dans leur résistance désespérée que les fascistes sont en face, en train de les bombarder pour les rayer de la carte !