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histoires vraies

Histoire vécue (10)

Publié le par Bernard Oheix

Il y a des pages de votre vie qui ne peuvent se fermer. Ma rencontre avec Jean Delmas en est une, François Truffaut, une autre. Pour Truffaut il faudra attendre, je ne suis pas encore prêt. Jean Delmas était un grand monsieur, un intellectuel de cet après-guerre qui a marqué son époque. Il avait un franc parler, une vision du monde très personnelle qu'il assumait, un rapport aux gens basé sur la fidélité et l'attachement. Il a particulièrement compté pour moi, dans ces années de formation universitaire où tout semble possible, même le rêve !
Les larmes du temps
 
 S’enthousiasmer sur la distanciation Brechtienne d’un film réalisé par un obscur réalisateur hongrois sur un Poète Sandor Petofï, dont personne ne connaissait l’existence avant la projection, était le passage obligé d’une époque bénie où le choc des mots accompagnait celui des images. Nous étions en 1973, le mois de Mai continuait à fleurir d’une façon récurrente nos espoirs d’un monde meilleur et les salles de cinéma du Palais des Festivals, l’ancien, gardaient encore en mémoire l’image d’une jeune garde emmenée par Truffaut et Godard empêchant le rideau rouge de s’ouvrir pour la projection du film d’un Milos Forman complice. Au feu les pompiers venait de rater son entrée dans le monde du 7ème Art en étant la dernière séance d’une foire d’empoigne entre le monde des anciens et du nouveau.
Période bénie où les débats idéologiques permettaient des affrontements rhétoriques, où l’embrasement des idées autorisait toutes les contractions intellectuelles, où les théories fondaient le socle des pensées fertiles comme un terreau permettant aux fleurs de la révolte de s’épanouir. On était bien loin d’une mondialisation qui allait, des rouges aux blancs, transformer la vie en une fresque rose aux rêves frelatés d’un moule stérilisateur.
Bande d’étudiants cinéphiles, faux passes en poche imprimés en Corse par une filière non officielle, représentant d’une Voix du Nord dont je n’avais jamais lu une ligne et que je situais dans un no man’s land brumeux, je déblatérais avec délectation, repoussant les arguments de mes adversaires sceptiques, arrivant même à me convaincre que Petofï 73 était un grand film révolutionnaire en dégustant des œufs frites et en buvant des bocks dans une gargote du marché Gambetta. J’avais la tchatche ce jour-là.
Un petit monsieur nous écoutait avec ravissement et j’en jubilais de le sentir accroché à mes lèvres en train de me suivre dans mes contradictions outrancières. J’ai forcé la dose et j’ai escaladé un Everest de la révolution aux flancs de ce poète hongrois qui n’en demandait certainement pas autant.
Au café, à l’heure où les effusions sémantiques se transforment en vague torpeur, il s’est penché vers moi et s’est présenté. Il me proposait de coucher sur le papier ce que je venais de déclamer avec tant de lyrisme afin, peut-être, si c’était possible, si cela convenait, de l’éditer dans une revue de cinéma dont il s’occupait. Il ne me promettait rien mais lançait un hameçon. Je venais de rencontrer Jean Delmas et d’intégrer l’équipe de Jeune Cinéma même si je ne le savais pas encore. Je devenais ainsi un critique, avec sur mon épaule, l’ombre de Jean Vigo qui rodait pour m’insuffler son amour de la déraison.
Ce n’était pas ma première expérience dans le domaine de l’écriture. Pigiste à Nice-Matin, critique à l’Espoir, j’avais déjà ce goût des mots couchés sur le papier et un certain sens de la formule même si je ne le contrôlais pas toujours…dixit Jean Delmas.
Il m’a pris sous son aile, sans doute comme il l’a fait pour tant d’autres, mais en me donnant l’impression que j’étais unique, que nous entretenions des liens privilégiés. Il m’a conseillé, critiqué (souvent), glissant au dernier moment un mot d’encouragement pour me permettre de continuer à m’accrocher et à lui fournir de la copie.
A chaque numéro, entre Andrée Tournès, René Prédal, J-P et Françoise Jeancolas mes articles venaient agrandir mon horizon, me guidant par les mots vers les chemins de ma liberté. C’est ainsi. Jean Delmas était un pionnier, un dénicheur insatiable, un accoucheur de talents. Tous ses enfants n’ont pas grandi dans le sérail. Nombre se sont envolés. On ne trahit vraiment que ceux que l’on aime !
Au cours de mes pérégrinations pour la revue, j’ai eu le privilège de rencontrer François Truffaut qui venait de terminer La nuit américaine et de suivre une rétrospective de son œuvre intégrale. Moments d’une rare intensité où il s’est livré sans concession et dont on retrouve la partie initiale dans le numéro 77 de mars 1974 sous le titre « Le métier et le jeu »
J’avais étoffé cette interview par un article fleuve conséquent, véritable somme définitive (à mes yeux) de son œuvre. « L’éthique moraliste de François Truffaut » ( !!) et Jean avait annoncé sa publication fractionnée avec le reste de l’entretien. Las, il ne parut jamais ! Mon rédacteur ne l’aimait pas et j’en étais d’autant plus furieux que le réalisateur lui-même l’avait lu et semble-t-il, apprécié, allant jusqu’à me l’écrire. François Truffaut ajoutait avec une certaine perfidie et un sens prémonitoire (j’ai toujours sa lettre) qu’il doutait de sa parution dans Jeune Cinéma. Il m’écrivait « Franchement je n’arrive pas à croire que Jeune Cinéma publiera ce texte car il contredit trop leur ligne idéologique, mais je me trompe peut-être et, de toute façon, comme à chaque fois que je me prête à ce genre de dialogue, j’ai l’impression d’avoir un peu éclairci les choses, ne serait-ce que pour moi. »
J’en ai profondément voulu à Jean Delmas. Dans une lettre, il m’annonçait que le reste de cette interview et mon papier seraient publiés au moment de la sortie du prochain film de truffaut. Il ne les a jamais fait paraître. C’est dans cette lettre, à propos d’un compte-rendu du festival de San Remo, qu’il m’écrivait « C’est un éreintement, je ne sais pas si vous vous en rendez compte. Je connais des jeunes chats qui croient caresser en sortant leurs griffes. »
Nos relations se sont, petit à petit, estompées et quelques années après, je l’ai trahi pour écrire dans l’Huma, ma maîtrise a été éditée dans la collection Etudes Cinématographique sous la direction de mon maître es cinéma J.A Gili, et j’ai vogué vers d’autres cieux. Pourtant nous échangions encore des lettres, nous nous croisions dans les couloirs du Palais à chaque festival, et à chaque fois son sourire éclairait un visage que les années creusaient. Il m’aimait malgré tout, sans aucun doute parce que je n’avais pas la fidélité servile. La jeunesse n’excuse pas tout, sauf l’essentiel, la peur du vide. Jean le comprenait et je sais qu’il ne m’en a jamais voulu. J’ai fait ce que je devais faire, j’ai grandi.
En 1978, j’ai reçu une dernière missive de lui. Avec son humour décalé, il m’écrivait « souvent je me demande ce que tu deviens. Tu me diras que j’aurais pu aller voir » et me donnait rendez-vous à Vallauris, dans une maison rustique nichée dans les pins qui s’agrippait aux collines où il élisait domicile, dès qu’il pouvait descendre dans le sud. Nous nous sommes retrouvés avec émotion. Nous avons parlé de tout et de rien, de ma disparition et de mes rêves, nous avons bu, il faisait chaud et les cigales chantaient. La nostalgie d’un temps qui fuit me paralysait, j’avais ma vie à construire. Je l’ai quitté sans lui dire qu’il avait eu tort de ne pas publier mon étude sur Truffaut. 
Aujourd’hui, je le regrette, parce que c’est la dernière fois que nous avons parlé ensemble. La vie m’a aspiré. Il a continué à découvrir des talents et à offrir un espace de liberté à ceux qui trouvaient le monde imparfait, et puis il est parti définitivement. Truffaut aussi. Il ne reste plus personne à qui raconter cette histoire. Alors je la dédie à Jeune Cinéma, à ceux innombrables qui ont tenté de donner un sens au monde en l’éclairant d’un jour nouveau. C’était il y a si longtemps, hier seulement. Une époque bénie où écrire sur le cinéma était parler de la vie, du monde. Toucher les autres, c’était se découvrir ! Jean Delmas et Jeune Cinéma était un rayon de soleil fragile. Puisse cette lumière vacillante maintenir une lueur d’espoir dans un monde d’obscurité que les écrans viennent trop rarement illuminer !
Que vive Jeune Cinéma !
 

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Histoire vécue (8)

Publié le par Bernard Oheix

Les Trogodes Banda Linda : De la paillote au béton

 

J'ai eu l'occasion de travailler à plusieurs reprises sur des projets d’échanges et de promotions avec un Réseau Européen pour les Cultures du Monde composé d'opérateurs de Hollande, de Suisse et de Belgique. Nous avions constitué un groupe de réflexion et de travail qui tentait de diffuser des orchestres de musique et de danse porteurs des traditions et d'une authenticité…non frelatée. Cela peut paraître contradictoire avec l'univers du spectacle marchand dans lequel nous les plongions sans transition. Une tournée en Occident pour un musicien du Soudan ou de la Côte d'Ivoire représente souvent une année de salaire pour une famille vivant dans un village de cases perdu au fin fond de la savane africaine. Il nous fallait profiter des Festivals d'été et des concerts gratuits pour monter ces tournées entre nos diverses structures et amortir les coûts des voyages et de l'hébergement, l'artistique étant bien souvent la part minoritaire des budgets même si nous avions la volonté de leur assurer un minimum de 100€ par concert, ce qui représente  une petite fortune pour des hommes vivant dans des pays où le revenu annuel moyen se situe dans des fourchettes de 200 à 500 dollars par habitant.

 Nous avions réussi à organiser la venue d’un orchestre à trompes, les Trogodes Banda Linda de la République Centrafricaine. La Centrafrique est plus grande que la France tout en étant peuplée que de 4 millions d'habitants. Les Banda Linda sont un peuple pacifique installé sur les rives de l'Ouham, vivant de l'agriculture et perpétuant les traditions séculaires qui rythment le quotidien. Dans les villages de paillotes en terre séchée couvertes de toits de chaume, l'arène centrale est le lieu de vie où l'échange et les décisions de la collectivité s'effectuent sous la houlette des chefs dans des rituels non écrits immuables. Chaque événement individuel, de la naissance à la mort, chaque moment de la vie du groupe est l'occasion de réunions et de palabres qui s'expriment aux sons des Trogodes, les orchestres à trompes indispensables au bon déroulement des cérémonies.

La nature des trompes creusées dans des racines, des bambous ou des cornes d'animaux ne permet pas de jouer sur l'harmonie, chacune ne pouvant donner qu'un ou deux sons. Chaque musicien  s'appuie alors sur l'intensité et la durée, la mélodie naissant de la juxtaposition des divers sons et de leur enchaînement sur le temps. C'est comme dans le Gamelan de l'Indonésie, la musique ne peut naître et s'épanouir qu'en corrélation avec les autres instrumentistes, l'union et la fusion permettant de composer à partir des individus, des airs structurés qui se perpétuent de génération en génération. Des sifflets et des percussions donnent une rythmique à l'ensemble.

Il fallait voir cette fanfare constituée d'une quinzaine de noirs de tous âges défiler dans les rues de cette cité balnéaire avec leurs habits de parade, pagnes en fibre végétale, colliers et peintures sur le visage, tirant des sons plaintifs de leurs instruments, pour saisir le choc culturel qui jouait dans les deux sens. Incompréhension et stupeur des spectateurs à la vision surréaliste d'une bande de "sauvages" issue de la nuit des temps propulsés dans l'univers du béton et de la consommation de la Côte d'Azur. Je sais que nombre d'entre eux ont pu s'acheter du bétail et nourrir leur famille d'avoir arpenté nos trottoirs en jouant leur musique. Qui a gagné de cet échange entre leur monde et le nôtre : j'aime à penser que le ventre plein de leurs enfants justifiait ce voyage dans le temps qu'ils ont effectué à marche forcée vers l'acculturation.

 

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Histoire vécue (7)

Publié le par Bernard Oheix

Lasers à rien


Eté 1990. Une nouvelle municipalité s’est installée à Cannes avec Michel Mouillot à sa tête. Françoise Léadouze est une adjointe à la culture passionnée, mère Térésa des « sans culture », révolutionnaire humaniste persuadée qu’elle peut transformer la réalité à coups de rêve. Elle nous booste, bobo avant l’heure, et nous oblige à trouver du sens à notre action.
Nous sommes une équipe jeune, celle de l’Office de la Culture, Une dizaine de filles dont je suis le directeur-adjoint, chargées des manifestations. Elles sont issues de stages, de Tuc, de bric et de « broque », manquent cruellement d’expérience mais compensent avec une farouche volonté de bien faire, une capacité de se dépasser et d’accomplir des miracles. Elles sont jeunes et belles, et moi, moins jeune mais toujours rêveur !
Et justement, en ce mois de mars 1990, le miracle a eu lieu. Dans mon esprit torturé, mon imagination débordante a encore sévi. L’espoir fou de marquer l’histoire (de Cannes !) et de laisser une trace indélébile me provoque une acné tardive et entraîne toute mon équipe dans un de ces cauchemars récurrents dont je suis un grand spécialiste.

Tout est venu, à ma décharge, d’une rencontre avec un Belge trop amateur de bière dont les effets néfastes sur son équilibre intellectuel le poussa à me proposer d’illuminer la rade de Cannes avec des lasers dont il faisait la promotion et la commercialisation. Il me dessina si bien le tableau de ce qui adviendrait, que je la voyais cette immense baie, éclatante de soleil de nuit, croulante sous les faisceaux se décomposant en myriades d’étoiles, découpée comme les remparts de Carcassonne, montagnes de lumières assemblées par un architecte divin. C’était moi, ce Dieu de l’impossible, j’allais montrer à quel point le désir est capable d’imposer sa loi à la réalité.

Le projet consistait à illuminer la Croisette à l’aide de lasers, à l’entracte d’un concert qui se déroulait sur le parvis du Suquet, la colline qui surplombe Cannes de son clocher où se déroule un festival de musique classique. Pour corser l’affaire, nous avions récupéré l’écran géant du stade de foot (à l’époque, Cannes avait une bonne équipe… Zidane, Vieri, Micoud…etc.) pour l’installer sur le parvis du Palais des Festivals afin de retransmettre le concert en « direct live ». Il manquait juste une montgolfière pour y accrocher des miroirs réfléchissants qui renverraient les lasers vers les cieux cléments. Une bagatelle somme toute au vu de ce que nous envisagions.

Je me souviens alors, de ces nuits de repérages au port Canto, à la pointe du Palm-Beach, des essais pour aligner les faisceaux sur les palaces, visant des disques minuscules qui permettaient de faire diffracter les pinceaux lumineux. Du phare du quai du vieux port pour cibler la pointe du Palais et même la colline du Suquet. Pour être honnête, j’avais l’impression très nette de ne rien voir mais vu les exclamations enthousiastes des techniciens belges, je mis sur le compte de ma fatigue et de mon inexpérience cette absence d’émotion…ce qui aurait dû m’alerter.
Et puis, nous avions tant de choses à préparer. Trouver la montgolfière, organiser le transport de cet écran géant, obtenir les autorisations de la marine, de la sécurité, ceinturer le parvis du Palais, tirer des tracts dont le titre alléchant explosait en un : « illumination aux lasers de la Baie de Cannes » comme un vœu qui allait rapidement devenir pieux.

Le soir du concert arrive, l’Orchestre de Vienne interprétant des valses, dirigé par un chef autrichien hilare devant le bordel ambiant. Inquiétude générale. Au dernier moment, les lasériens belges nous demandent un bateau pour étendre un rideau de fumée sur la mer trop étale et claire. Imaginez le ridicule d’une barcasse avec un enfant de Wallonie en tête de proue, le bras levé comme la Victoire de Samothrace, qui dégage à l’aide d’un fumigène un maigrelet trait de brouillard qui se fond dans la vastitude du plan d’eau. Qu’à cela ne tienne ! Il faut désormais boire jusqu’à « l’hallali » cette coupe frelatée de mes propres délires.

Pendant la première partie du concert, le vent se lève et la nacelle de la montgolfière arrimée au bord de l’eau se couche sur l’eau, endommageant irréversiblement le matériel et faisant courir des frissons auprès des spectateurs inconscients qui batifolent autour du ballon secoué comme un prunier. Un effet à l’eau, déjà, et en l’occurrence, ce n’est pas qu’une image !

Le public, aussi bien dans l’enceinte du Suquet que sur le parvis, chaloupe et tangue dans la tempête qui se lève. Une nuit de soufre. A l’entracte, le maire de Cannes et les invités de marque se massent au bord du muret dans l’attente du flamboiement de la baie. Après quelques minutes d’intense attente, un filet vert s’échappe presque par hasard du port Canto. Frémissement dans la foule. Enfin le spectacle commence. Las, c’était l’effet final ! Deux doigts anémiques se courant l’un après l’autre, tentant vainement d’accrocher l’attention et de s’imposer devant le grand vide de la baie ouverte à mon désespoir. Je disparais derrière les buissons et me cache aux yeux de tous. Séparé des officiels par un rideau de buissons, j’entends les commentaires fuser, portant tout autant sur le ridicule des lasers que sur la température trop élevé de la coupe de champagne où sur les petits fours rances que le traiteur nous avait refourgués. Certains même se gaussent de moi et je ne peux les en blâmer, sincèrement, j’avais autant envie qu’eux de me moquer de moi. J’ai honte comme rarement un directeur peut avoir honte. Le voile rouge devant les yeux, la gorge nouée, c’est Sophie mon adjointe et Françoise Léadouze qui viennent me déloger de ma tanière. Elles tentent maladroitement de cautériser les plaies à vif de mon orgueil et ne réussissent qu’à me rendre ombre qui marche, zombie de la culture, pâle ectoplasme du pouvoir de faire.
La deuxième partie du concert fut un feu d’artifice (enfin) d’humour et de déraison. C’est comme si un vent de folie venait doubler les rafales qui soulevaient les tentures du Suquet. En bas, sur le parvis, des milliers de personnes valsaient en riant de cette fête impromptue et gratuite où le grain de la déraison dispensait ses vapeurs hilarantes.
Pourtant, sur ma vespa, j’entendais, encore et toujours, rire des fameux lasers qui avaient inoculé une dose confortable de ridicule dans l’ego et les couleurs d’un directeur dérouté !
La conclusion. Le lendemain, Michel Mouillot m’attendait dans son bureau de maire. En entrant, dans mes petits souliers, je m’excusai platement…Eclats de rire ! J’ai rarement vu le maire de Cannes rire autant et si franchement. Il en avait les larmes aux yeux de me raconter son attente des lasers. Il doit s’en régaler encore et j’entends sa voix me glisser entre deux hoquets : « Oheix Bernard, il n’y a que les imbéciles qui ne se plantent pas… mais là, vous avez fait fort !!! Par contre si les huiles ont pâti d’être sur les hauteurs, mes électeurs étaient en bas et se sont bien amusés. Bon, avertissez-moi quand même si vous avez une autre idée de ce genre ! »
Et la vie a continué… comme quoi, on survit au ridicule… même si, quand j’entends parler de lasers belges, je me mets à avoir des palpitations et que le rouge me monte au visage.

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Sabine G, ma copine irresponsable d'une structure de diffusion de spectacles qui a, sur son tableau de chasse, les corses d'A Filetta. Adhérente de mon blog, elle me photographie à Séville afin de me faire chanter, un soir où manifestement je n'avais pas (encore!) arrêté ma consomation d'alcools forts. Elle signe le management de Darko Rundek et Cargo Orchestra (cf. mon article précédent), une des révélations du Womex. Honneur à elle !


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Histoire vécue (6)

Publié le par Bernard Oheix

Il y a des moments dans la vie qui comptent double. Cette expérience valut son pesant de cacahuètes. Faut dire, accepter un tel plan démontrait à l'évidence que j'étais un peu barge. Pour être honnête, je ne suis pas sûr qu'il y ait eu une amélioration. Vous verrez, j'en possède d'autres dans ma besace ! Cow-boys-indiens...nordistes-sudistes : à vous de choisir votre camp...mais méfiez-vous, l'histoire exige son tribut !


La reconstitution historique de la bataille de Nashville




Avril 1989. Festival de guitares. Pierre Olivier P. en est le directeur artistique, un guitariste sans talent, professeur sans passion mais qui a eu le nez creux en créant une manifestation autour de la guitare. Les relations ne sont pas toujours faciles entre nous.
POP avait décidé d’inviter Chet Atkins et Marcel Dadi, (vous savez la guitare à Dadi !), le français étant le plus fidèle lieutenant et l’admirateur inconditionnel du génial guitariste américain. Dans la foulée, il nous propose de réaliser une reconstitution de la bataille de Nashville qui s’est déroulée pendant la guerre de sécession opposant les nordistes et les sudistes, les forces fédérales aux confédérés. Sa rencontre avec un adepte des jeux de rôles grandeur nature ayant débouché sur une soirée bien arrosée et sur ce projet délirant.
Il faut savoir que deux associations existent, l’une en Belgique, l’autre en France. Ces bons pères de familles, cadres et ouvriers, se donnent des rendez-vous secrets dans des propriétés du Massif Central pour se la rejouer en technicolor, cette guerre. Ils achètent des costumes, se fabriquent des armes (fusils, canons), récupèrent des éléments de décors, tentes, couteaux, havresacs et le temps d’un week-end, crapahutent, se tirent dessus (à blanc !), s’égorgent à l’arme blanche dans l’espoir de confirmer où d’infirmer les leçons de l’histoire !
Il faut être honnête : pour « barges » que nous apparaissent ces « soldats du temps », cette reconstitution excite toute l’équipe de l’Office de la Culture dont je suis le directeur adjoint. Imaginez ! Dans cette ville de Cannes de la période du bicentenaire de la révolution, ce projet ambitieux et hors normes. Tous les ingrédients sont réunis afin de nous autoriser à rêver et à sortir du moule d’une culture aseptisée et formatée. Le goût pour l’histoire avant que la mode ne lance ce type de reconstitutions devenues très prisées.
L’endroit choisi se situait au cœur de Cannes, les Allées de la Liberté les bien nommées. Le jeudi, deux convois dégorgent devant les badauds estomaqués, une bande de soiffards qui se précipitent sur des fûts de bière et montent les tentes (copies des authentiques) au carré après nombres altercations (sic) entre nordistes et sudistes sur la délimitation des emplacements. Les cordes arrimées à des pieux jalonnent ces carrés de toile grise qui flottent dans la brise du soir. Les nuages (on est en avril, et même s’il ne pleut jamais sur la Côte d’Azur !!!) se décident alors à déverser un violent orage sur les protagonistes qui se retrouvent trempés, le camp se transformant en un champ de désolation boueuse. On est vraiment à Nashville !
Plusieurs tonnes de sable en sac de jute définissent des zones, un glacis de positions de combats, dégageant une arène d’évolution en leur centre, le public se répartissant tout autour de cette immense place qui résonne plus souvent aux chocs des carreaux des boulistes plutôt qu’à l’explosion des canons confédérés issus d’une contraction ubuesque de l’histoire.
Le samedi soir Chet Atkins et Marcel Dadi offrirent un concert sublime aux 600 spectateurs entassés dans la salle de la Licorne. Au sortir de cette soirée mémorable, un message de la police nationale m’attendait. Il me demandait de me présenter le plus rapidement possible au poste de la rue Borniol. Angoisse au ventre, je me présente. Un fonctionnaire débonnaire m’attend et me convie à expliquer comment et pourquoi un indien, un vrai indien avec la jupette de cuir, les plumes dans les cheveux et un coutelas de 30 cm accroché à sa taille, peut se promener dans la rue d’Antibes en avril.
-Monsieur, le carnaval c’est en février.
-Oui, mais c’est un éclaireur des nordistes !
-Comment ? (tête rubiconde du fonctionnaire ebaudis)
-C’est un des acteurs qui réalisent la reconstitution historique sur les allées, vous savez, c’est moi qui l’organise pour la mairie.
Pas convaincu, le pandore dubitatif accepte de relâcher notre Geronimo contre la promesse qu’il ne promènera plus son coutelas d’égorgeur dans les rues éclairées de la ville.
Sommeil entrecoupé de cauchemars prémonitoires. Scalps en trophées, canons qui explosent, batailles rangées à l’arme blanche entre les troupes rugissantes, chevaux se cabrant…

Que vous dire de cette reconstitution. Le pire. Du désordre né de ces réunions insupportables avec les responsables des deux camps ne voulant en faire qu’à leur tête et refusant de monter un scénario cohérent. Les à peu près d’une parade qui allait engager notre crédibilité, notre image. Notre désarroi d’organisateurs impuissants à canaliser la fougue de soldats emportés par le souffle de leur propre histoire.
Le meilleur aussi. Magie du spectacle. Les deux armées défilent. Pas un bouton de guêtre ne manque. Tout rutile sous le soleil, les chevaux piaffent, les canons se glissent à main d’hommes entre les obstacles, harmonie des musiques militaires. Tout y est. Chet Atkins prend sa guitare et entame l’hymne sudiste. Marcel Dadi se saisit de la sienne et joue l’hymne nordiste… les deux morceaux fusionnent. C’est beau à pleurer.
Notre indien, en bon éclaireur à la solde des fédéraux, quand les hostilités se déclarèrent, décida de monter dans un des immenses platanes qui se trouvent en plein milieu du champ de bataille afin de parfaire son rôle de guetteur et de justifier ses appointements réglés en fioles d’eau de feu. Un acolyte l’aide à grimper et, comme un sphinx, il campe fièrement, la main en visière, l’œil perché sur la ligne d’horizon. Las ! Ayant présumé de son aptitude à descendre de son perchoir comme un singe, il restera bloqué sur sa branche tout le temps de l’engagement, ses appels à l’aide se noyant dans le vacarme des vociférations de soldats en transe occupés à se déchirer. Coups de feu, rafales, les soldats miment la mort en chutant lourdement pour se relever après quelques minutes et reprendre le combat comme si de rien n’était, les troupes de réserve n’ayant manifestement pas eu le temps d’être exhumées des cercueils de l’histoire.
Pendant une heure, entre le ridicule et le fantastique, de grands enfants vont jouer aux soldats d’opérette pour le plus grand plaisir des milliers de spectateurs qui se sont massés le long des barrières et contemplent ces scènes caricaturales exhumées des lambeaux d’une mémoire tragique de l’humanité.
Spectacle terminé. La bière coule à flots dans les gosiers asséchés des vaillants combattants.
Et puis vient le moment de défaire ce qui a été bâti si laborieusement depuis trois jours. Et savez-vous ce qu’il advint ? Les nordistes après trois heures de travail intense, campent fièrement devant leurs paquets soigneusement entassés devant le bus, tentes pliées, havresacs alignés. Ils se mirent à huer les sudistes, à les couvrir de lazzis. Leur camp ressemblait à un capharnaüm digne d’un tableau d’apocalypse. Tout gisait sens dessus dessous, plié à la va vite, avec des bouts de ficelle, jeté pêle-mêle dans la plus grande des confusions. Quelques confédérés se disputaient sur l’ordre du chargement, d’autres draguaient des jeunes filles en fleur, certains, allongés sur des tapis de sol, riaient en se remémorant leurs exploits à l’aide de grandes lampées de bière.
Une nouvelle fois, l’histoire se réécrivait en lettres d’or et la sentence de l’officier supérieur nordiste sonnait le glas de tout espoir de revanche : « -Regardez ce foutoir, vous comprendrez maintenant, pourquoi les sudistes ont perdu cette putain de guerre ! »

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Histoire Vécue (5)

Publié le par Bernard Oheix

Discours prononcé pendant le dîner de fin d’année qui réunit toute l’équipe de l’Evénementiel du Palais des Festivals, le 9 novembre 2005 à Sophia-Antipolis.

Je vous vois venir. Mais que nous sort-il de sa manche le bougre ? Et oui ! Un vrai discours. Avec  l'équipe de l'évenementiel, chaque année nous privilégions quelques moments de convivialité, des réunions autour d'une bonne assiette, d'un verre. Pour des personnes condamnées à travailler ensemble tout au long de l'année, ce n'est pas du luxe. Ce sont des moments forts, de vérités, un moyen de souder l'équipe. On se connait trop pour être dupe, mais il suffit de connaître nos limites et pour cela, rien de tel que de boire un canon en oubliant le fracas de la réalité.

Voilà un exemple de ce que subissent les membres de mon équipe !

 

Dans l’univers impitoyable qui est le nôtre, par-delà les vicissitudes de cette noble mission qui nous est confiée : faire manger, boire, dormir, offrir un catering aux artistes, et plus si affinités… dans cette période particulièrement trouble qui voit les banlieues s’embraser, le public se terrer et lâcher de plus en plus chichement les maigres oboles qui nous permettent de remplir les caisses du Palais des Festivals pour faire des spectacles, il reste une équipe de l’Evénementiel fière d’elle, debout, le nez plongé dans cet horizon d’un lendemain chantant.
Souvenons-nous. Vous étiez jeunes et belles, une bande de drôlesses directement échappées des failles du système. Etudiantes, Tuc, Stagiaires de l’office de la culture, perdues dans un comité des fêtes occupées à quelques japoniaiseries détonantes, ou même encore étudiantes sur les bancs de l’école, de la fac…
Par les hasards de la vie, tout ce petit monde, un jour s’est retrouvé dans les rêts de ma direction. Regardez-moi. Malgré ma calvitie rampante, mon haleine fétide et les petits pets que je dispense derrière mon bureau quand vous êtes absentes, je suis aussi un homme, un vrai, de chair et de sang, avec ses humeurs, ses peines et ses colères, ses désirs et ses frustrations. Je suis un homme et je rêve encore d’un monde meilleur.
Et pour que ce monde plus beau s’accouche, il faut des femmes de désirs, vous, toujours aussi belles au fil de ces années partagées, de ces épreuves communes. Il faut aussi des hommes, et oui messieurs, des hommes, pas nombreux, tolérés dans cette équipe matriarcale. Il faut enfin des enfants.
Et de ce point de vue, l’Evénementiel a été prolifique sans que j’y sois, hélas, pour grand-chose. Moi qui fut un géniteur exemplaire aux spermatozoïdes d’une fécondité tout à fait étonnante, j’ai dû laisser ma place à d’autres futurs pères, provoquant une pondaison soudaine et éruptive, perturbatrice d’une vie d’équipe mais dont les regards malicieux des chers bambins et les cacas malodorants sont les meilleures des thérapies… pour avoir envie de revenir au boulot subir mes foudres !
Oui ! Vous êtes devenues d’affreuses marâtres aux seins flasques d’allaiter…mais rassurez-vous, Bernard se vengera sur vos filles, à leur majorité, de tout ce que vous lui avez fait subir, de tout ce que vous continuez à me faire subir avec vos charmes de déesses de la maternité !

Dans notre histoire fertile commune, si riche et variée, nous avons côtoyé les dieux, leurs muses mais aussi l’enfer et ses diablotins.

Comment ne pas se souvenir de Sir Elton John et de son désamour immodéré pour les belles jeunes filles interdites de coulisses même quand elles devaient œuvrer à nourrir les artistes, des premières soirées d’une Pantiero Sevainesque où les rares passants nous faisaient espérer d’une entrée miraculeuse, d’un Festival Russe version fausse armée rouge, des bides divers dont nous nous souviendrons longtemps. La débauche d’énergie pour attirer le chaland à Jimmy Cliff, la morgue impérissable d’un Tapie à la vulgarité affirmée, l’inénarrable Monsieur Masure dans le veston cintré de Bernard Menez ou le sourire gracieux d’Evelyne Leclercq dans un canard à l’orange qui avait malheureusement survécu à la grippe aviaire avant l’heure.
Souvenons-nous de la honte qui a embrasé nos visages à la présentation de certains spectacles. Notre sympathique Roger Hanin dans un Tartuffe mémorable et ce sein que l’on n’avait surtout pas envie de voir, La Fille de Madame Angot dont on espérait qu’elle n’engendrerait point de progéniture, Stormwind, un rock nordique à la Licorne (30 payants), Don Juan d’origine dans le désert vide d’un Debussy devenu soudain gigantesque, Ruggero Raimondi, une de nos déroutes les plus sanglantes… Mais aussi le cirque de Russie sur glace… sans la glace avec l’allure hésitante des patineurs en recherche permanente d’équilibre, la grâce pataude des escaladeurs de Sakountala accrochés aux rêves de grandeur d’une chorégraphe de piètres galas.

Mesdames et Messieurs, souvenons-nous et recueillons-nous. Aujourd’hui, à la mémoire de tous les coups tordus, les pets de nonnes, les artistes plantés et planteurs, les spectacles frelatés, et même à la mémoire de ce public qui n’hésite jamais à vous trahir. Versatile et traître, il n’hésite pas à se précipiter sur les daubes les plus faciles, pourvu qu’elles soient médiatisées, pour s’installer aux abonnés absents quand nous avons besoin de lui, que le spectacle en vaut vraiment le coup et que nous avons désespérément besoin de son soutien pour faire passer cette idée de la noblesse d’une culture qui continue à nous cheviller au corps.

Mesdames et Messieurs. Pour les heures de gloire qui se sont transformées en cauchemars, je vous demande de vous lever et de respecter ce silence.

(30 secondes de silence)

Mais si le pire a côtoyé parfois nos vies professionnelles, bien souvent le meilleur l’a sublimé pour nous permettre d’atteindre l’extase. Dans ce chapelet de moments de bonheur et de félicité absolue, dans ces innombrables perles que nous avons serties dans les nuits cannoises, Souvenons-nous :
Les concerts si chauds et attachants de la Licorne à La Bocca. Idir le Kabyle humaniste, Huun Huur Thu, les diftoniques mongols issus des steppes, Bireli le gitan virtuose capable de toute les audaces, Vicente Amigo l’espagnol aux doigts de fée, Mariza la blonde portugaise à la voix déchirante, Souad Massi l’arabe au yeux de beauté… et tant d’autres noms dont les signes sont invariablement accolés à la pureté musicale, à la ferveur et à la passion d’un public transporté.
Le Grand Auditorium rempli à craquer par une foule avide de toucher du doigt le rêve d’une star offerte. Bécaud au timbre pur dans sa dernière tournée, Nougaro à la juvénile silhouette et au parler incantatoire, Alain Souchon et son ironie désenchantée, Aznavour toujours en haut de l’affiche, Mano Solo, un soir de deuxième tour d’élection présidentielle, Cheb Mami et Ismaël Lô réunis pour faire vibrer les fauteuils rouges de la salle de gala du Palais, Cesaria Evora, la voix rauque, pieds nus sur scène, la tête dans un bouge du Cap-Vert… et tout ceux, ils sont nombreux depuis 15 ans, qui nous ont emportés sur les ailes de leur passion.
Parlons de grâce exquise. Le cirque Eloïse et son univers lunaire, Les danseurs comédiens mimes de Philippe Genty plongés dans un monde onirique où rien ne compte que la légèreté, La Batsheva, danseurs d’Israel à le recherche d’un paradis perdu, le ballet des tables de Forsythe, les drapeaux rouges du ballet national de Chine, Brachetti où l’art de se transformer sans jamais perdre son âme d’enfant, la Giselle Rouge de Boris Eifman, quand la folie touche aux vagues de la révolution d’octobre, les décors somptueux d’Enki Bilal pour un Roméo et Juliette de Preljocaj qui invente la douleur sous les pas de ses danseurs…
Les concerts sous la mer avec le Corou de Berra et Michael Lonsdale en train de déclamer Jules Verne pendant qu’un harpiste sonnait d’un instrument sous-marin pour les plongeurs spectateurs ravis (avez-vous déjà entendu de la musique sous l’eau ?). Les déambulations du soldat Sveik dans les jardins de la médiathèque, Bouquet-Noiret en tandem dans une histoire scabreuse qu’ils anoblissaient, Christophe Malavoy, Niels Arestrup, Bernard Giraudeau… Les nasardes de Santini, le clown Howard Buten et son double Buffo et tous ceux dont les voix résonnent encore dans la salle Debussy en portant un écho de leur amour et de leur passion pour les textes qui rendent plus intelligent.
Les rasades de bonne humeur aussi. Noëlle Perna notre salade Niçoise se déhanchant dans une robe rose en strass, Alex Metayer en train de s’écrouler pendant sa dernière tournée faisant naître des vagues de rires pour faire la nique au cancer qui le rongeait. Slava Polonin et sa tempête de neige dans une salle surchauffée, Aïoli ou la chanson au niveau de la ceinture du Toulonnais, Franck Dubosc en autodérision d’un tombeur éternellement amoureux de ses propres charmes.
Et puis… Kasparov tournant comme un ours des Carpates avant de fondre sur son adversaire pour l’assommer en partie semi-rapide, Karpov, fuyant l’échiquier et illuminant les joueurs de tarot de sa mémoire et de son killer-instinct. La beauté des étoiles des artifices de Kimbolton l’anglais ou la majesté divine d’un Caballer espagnol toquant à la porte des dieux pour leur parler avec la poudre aux cieux.
Et les 5000 personnes du concert de Massive Attack…
Et tout, et tout, et tout…

Voilà, si nous avions à trouver une justification à notre travail dans la culture, ce sont dans ces moments dérobés à la tristesse que nous la trouverions. Nous sommes dépositaires de ces tableaux volés à la morosité, de ces émotions si rares, de ces rencontres provoquées par notre action.
C’est cela qui doit être notre fierté.
A l’heure où le choc des idées se transforme trop souvent en jets de cocktails molotov, en embauche de flics, en gestionnaires sans état d’âme d’une culture que l’on aseptise derrière les chiffres… nous sommes des forgerons de la beauté, des artisans d’une humanité plus juste, plus belle de se confronter par l’art.
Oublions les indices, les pointages, les caméras et vigie pirate…
Oublions les échecs, les insatisfactions, les trahisons…
Oublions les fatigues, le stress, la médiocrité…

Il nous restera toujours…
Pour nous-mêmes, quand nous regardons notre miroir, pour nos enfants que nous plongeons dans un monde cruel, pour nos amis, pour ceux, innombrables, qui d’un serrement de main, d’un clignement d’œil, d’un rire franc qui brise les conventions…nous donnent un peu de leur chaleur…
La fierté, le vrai honneur d’être au cœur de ce qui est capital : la vie des idées, le choc des mots, la violence des sentiments, la rencontre pacifique de ceux qui s’opposent par les mots et non par les armes.
Tout le reste est accessoire. Tout est dans l’amour. Je vous aime alors pour les heures passées, les rêves avortés, les joies du cœur.
Merci à vous.

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Histoire vécue (4)

Publié le par Bernard Oheix

Bon d'accord ! Vous allez être jaloux et me maudire. C'est dur, je le sais mais que voulez-vous, quand on a du charme... Et puis, il fallait bien que je vous la sorte celle-là, d'histoire vraie. C'est ma perle, mon bijou, un diamant taillé dans ma légende. Chut, je ne vous en dirai pas plus, à vous de lire désormais.

 

 

Encore Kim Basinger !

 

 

 

Dans le cadre du Festival du Film, c'est ma direction qui est chargée de réaliser les empreintes des stars, vous savez, ces mains qui jalonnent le parvis du Palais des Festivals que les touristes contemplent, dans lesquelles ils glissent leurs menottes, à quatre pattes, en tentant de saisir un peu de l'âme de leur idole. Les plus grands noms se retrouvent ainsi inscrits pour l'éternité au revers de nos désirs, gravés dans le marbre de nos émotions. Et cela marche, les appareils de photos qui mitraillent ces augustes doigts plein de rêves nous le prouvent toute l'année. Une véritable aubaine pour les millions de touristes qui déferlent vers le « grand palais » du Festival du Film !

 

 La technique de prise d'empreintes est sophistiquée. Un carré d'une terre glaise est préparé spécialement par un potier de Vallauris. L'artiste imprime sa main mais le responsable de la prise est dans l'obligation de peser sur cette main et sur les doigts (à plat, l'impétrant n'a pas de force !). Par la suite, quand la trace de la main est bien visible en creux dans la terre, il s'agit d'apposer une signature lisible grâce à une pointe qui mord dans la surface plane et d'ajouter l'année de réalisation. L'octroi d'une petite lingette permet de nettoyer les scories déposées sur les mains de nos stars devenues immortelles !

 

Chaque année, à partir des noms des vedettes annoncées dans la programmation des films, ma collaboratrice, Nadine, effectue son choix, contacte les attachés de presse, organise les rendez-vous et gère les egos divers de nos invités. En général, si l'entourage dresse des barrières autour de sa vedette, l'artiste lui, redevient un enfant pendant cette opération. Cela l'amuse et disons-le, le flatte, de savoir que la postérité retiendra une trace concrète de son passage sur terre. Il rit, plaisante, se prête au jeu, s'enthousiasme comme un enfant devant des pâtés de sable.

 

 Au vu de la liste des postulants à l'interprétation masculine et féminine, j'ai choisi trois noms, (je suis le directeur, quand même !) pour en  devenir l'officiant dévoué. En cette édition particulièrement brillante de l'année 1998, j'avais sélectionné Julie Delpy (Ah ! La grâce fragile de deux yeux d'émeraude), Claudia Schiffer (une bombe de naturel aux formes bouleversantes comme un bonbon d'amour) et... Kim Basinger dont je ne pouvais décemment pas rater l?occasion de la « prendre dans mes bras » même si la figure de style est un peu osée en regard des présupposés techniques énoncés plus haut !

 

 Arrive le moment sacré, dans un salon d'un partenaire champagne du festival au 3ème étage du Palais, dans une quasi intimité, 150 photographes et journalistes seulement se pressant autour de nous pour immortaliser notre étreinte. Présentation, dans mon anglais de collège constipé.

 

 -         Hello, Kim, how are you ?

 -         Fine, thank you ( Yes ! C'est elle qui me parle ! A moi, Bernard !)

 -         One or two hands, as you like !

 -         One

 -         Ok, we go, now.

 

 

 Je sais, dans la gamme d'un échange shakespearien, avoir relativement peu de chance de passer à la postérité comme un dialoguiste de génie, mais j'étais très fier de m'en être tiré sans dommage collatéraux pour le sabir de la blanche Albion. Nous passons donc aux actes, elle ondule jusqu'à la plaque, se courbe légèrement m'enivrant de son parfum, ses cheveux cascadant dans un effet des plus réussi, se colle à mon flanc comme attirée par mon charme, pose ses doigts graciles sur la plaque de terre et commence à pousser sans que, évidemment, sa main s'imprime. Arrive donc le grand moment tant attendu, celui de recouvrir sa main avec la mienne afin de peser sur ses doigts et de les faire pénétrer dans la glaise.

Deux remarques à ce moment crucial de cette authentique anecdote. La première fait référence à une symbolique éminemment sexuelle. Contact intime, couvrir, peser, proximité des corps qui s'effleurent, pousser, souffle divin, j'en passe et des meilleures sur ce qui se déchaîne dans ma tête, où plutôt, dans l'ouragan de mes sens exacerbés !

La deuxième est beaucoup plus prosaïque. Les plaques sont changées à la moitié du festival car elles ont tendance à sécher et deviennent moins souples à travailler au fil des jours. Petit détail, nous étions à la moitié du festival et les plaques avaient perdu de leur morbidité du fait d'une grande chaleur régnant en ce mois de mai. C'est le lendemain que nous devions recevoir une nouvelle provision. En attendant, il fallait faire avec les moyens du bord !

 

 J'entame donc ma danse nuptiale comme un gros bourdon. J'appuie sur chaque doigt, imprime ma paume sur le dos de sa main, puis les deux mains, je m'arc-boute, me dresse sur la pointe des pieds pour avoir un meilleur angle de pesée et sens que cette main de star refuse de prendre sa place dans la terre élue. Je redouble d'efforts et sous mes yeux horrifiés, m'aperçois que ses doigts deviennent tout blanc, perdent leur couleur et que seul le rouge vermillon des ongles surnage dans ce Waterloo de la prise d'empreintes. C'est la Bérézina, je panique, défaille, ne réussis à extraire de ma gorge nouée qu'un râle dans lequel son oreille experte discerne un : « -Sorry, Kim, sorry », balbutiant. Sans se démonter, se tournant légèrement pour plonger ses yeux dans les miens, papillonnant des  cils comme un sémaphore épileptique devant un bateau ivre en train de sombrer dans une mer démontée, elle m'octroie un : « -More, more ! » d'une voix basse et sirupeuse avec un grand sourire moqueur de connivence ravageant toutes mes certitudes.

 

 Ainsi donc, par la nature rétive d'une plaque d'argile, je suis devenu en cette année 1998, l'Homme à qui Kim Basinger a susurré dans le creux de l'oreille un « Encore, encore » qui résonne toujours comme une douce et lancinante mélopée. Ma légende s'en trouva, ma foi, fort agréablement enjolivée d'une page dorée. Et je vous assure, que dans les soirées arrosées entre amis, le « more, more » de ma Kim adorée à plus fait pour  conforter ma réputation que des heures de discussions sur la dialectique du changement pacifique des institutions dans l'Union Soviétique de Mikaïel Gorbatchev !

 

 Merci Kim Basinger. Et si j'osais : «-Encore, encore !» une fois merci du fond du coeur de me permettre de narrer cette histoire sans mentir.

C'est arrivé près de chez moi, je vous le jure !

 

 

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Histoire vécue (3)

Publié le par Bernard Oheix

 

Entre la poire et le fromage, le violon et la pizza... imaginez ! On est dans une scène des Soprano, les présents ont des mines sombres et tout cela ne présage rien de bon. Moi, je sors de mon lit, le cadavre est sur la table. Qui saura s'en occuper et faire une autopsie. Désolé, j'ai déjà décroché, c'est un cauchemar, bon soir, je retourne me coucher !

 

L'âme du violon

Nuits du Suquet. 28 juillet 1997. Festival de musique classique se déroulant sur la colline qui domine Cannes, sous les remparts de l’église, dans la moiteur des festivités cannoises. Un festival qui programme des orchestres de chambre, quatuors et autres solistes dans des œuvres prestigieuses. Une manifestation bien en phase avec la douceur des nuits cannoises, sous les étoiles, dans les chants des sternes qui accompagnent le coucher du soleil, une certaine idée d’un art de vivre en train de disparaître, miraculeusement préservé des atteintes du temps.

 

 

Comme chaque saison, nous tenons à accueillir de la meilleure façon nos invités musiciens et utilisons tous les atouts d’une ville qui jongle avec les festivals comme d’autres avec le quotidien. Espace Renault à disposition, restaurant niché dans les ruelles qui serpentent vers l’église, oriflammes qui faseyent dans la brise nocturne, public élégant se pressant sur les gradins à portée de mains de la scène où s’installe le Quatuor Enesco dans un silence religieux.

Le Quatuor Athenaeum Enesco, originaire de Roumanie, a été fondé en 1979 par Constantin Bogdanas et Florin Szigeti au violon, Dan Iarca à l’alto et Dorel Fodoreanu au violoncelle. Ce quatuor a été programmé dans les salles les plus prestigieuses, sur des instruments de légende. Ils ont le rare privilège d’être invités à jouer sur les Stradivarius de la cour d’Espagne.

A Cannes, c’est sur leurs propres instruments qu’ils devaient interpréter des œuvres de César Franck (le quintette pour piano et cordes en fa mineur) et de Antonin Dvorak (le quintette pour piano et cordes en la majeur, opus 81) accompagnés par Gabriel Tacchino, le pianiste directeur artistique du festival. Après avoir assumé la mise en place du concert, les 700 spectateurs sagement installés sur les gradins, le quatuor, instruments en main et le pianiste trônant devant son Steinway, le concert pouvait commencer dans les dernières lueurs d’un couchant qui illuminait de rose le ciel fondant dans le noir. Sophie Dupont, directrice-adjointe de l’évènementiel, devant assurer la permanence, à 22 heures, avec la satisfaction du devoir accompli, je récupérais ma moto et réintégrais mes pénates. L’enchaînement des soirées de spectacles ininterrompues depuis 15 jours avait quelque peu érodé ma résistance aussi décidais-je de m’octroyer une pause et de laisser mon adjointe assurer la clôture et le repas d’après concert. Le sommeil ne tarda pas, portable en veille à la tête de mon lit par sécurité.

 

Sonnerie stridente. Réveil comateux dans la première plongée en apnée de mes rêves. Une voix m’arrache des limbes. « Bernard, viens vite, ils ont écrasé un violon ». Blanc. Il faut que les mots percutent et prennent du sens dans le désordre de mon esprit. Je m’habille et reprends ma moto, regagnant le Suquet en longeant un bord de mer peuplés de fantômes, silhouettes sombres papotant autour des barbecues sur la plage, dans la chaleur caniculaire.

Il est minuit trente. Pizza du port. Quartier général de l’après concert. Une chape de plomb s’est abattue sur les acteurs du festival. Mines endeuillées, on chuchote à voix basse, airs contrits sur les visages blêmes. L’enterrement d’un proche. Trône au milieu de la table, l’objet du malheur. Un étui de violon ouvert de guingois. Dedans comme un oiseau blessé, un violon laisse découvrir son ventre ouvert. Il baille d’un sourire édenté, son tablier défiguré par une esse non-prévu. A ses côtés, comme une relique, un archer brisé en trois morceaux, les fils en bataille, écheveau de la violence humaine sur l’harmonie du monde. C’est un cercueil avec un cadavre encore chaud et les spectateurs ont les yeux exorbités rivés sur le corps du macchabé.

 

Dans l’euphorie d’un concert particulièrement de belle facture, Florin son étui à la main, se rendit sur la place de la Castre afin de récupérer la navette qui devait l’accompagner au restaurant. Une belle femme, quelques amis, des embrassades, et le violon se retrouve sur le sol, à ses pieds. La navette arrivant en marche arrière dans une côte, il s’écarte et oublie son instrument. Cela fait du bruit, une Renault de 10 millions qui roule sur un violon de 60 millions. Un crac à fendre l’âme, c’est un peu de l’âme du violon qui disparaît dans les volutes du gaz d’un moteur qui bute avec acharnement sur un obstacle incongru. Ce n’était après tout qu’un Tomaso Balestrieri réalisé en 1768 à Mantova et son histoire avait la richesse de siècles de grandeurs.

 

Les larmes du violoniste étaient des larmes de sang. Les rapports entre un musicien et son instrument sont très particuliers. On se souvient de Pierre Amoyal et de son Stradivarius volé, la tournée triomphale qu’engendrèrent leurs retrouvailles que nous avons d’ailleurs accueillies sur cette scène du Suquet. Dans ce cas précis, Notre Roumain perdait de son âme en même temps que celle de son instrument.

Le miracle vint de la présence parmi nous, comme invité du festival, du plus grand luthier en activité, Etienne Vatelot, un magicien des instruments, un artiste de la rénovation et de l’entretien. Se saisissant du grand corps malade, il l’observa et scruta longuement les morsures du temps. De ses doigts fins de praticien, il ausculta le bois patiné, les échardes de la table d’harmonie, les torsions qui soulevait les jointures et déclara d’une, voix ferme et assuré « -L’archer est mort, pour ce qui du violon, je m’en occupe, je vous le rendrai comme il était au premier jour, avec un son à l’identique. »

La déclaration à l’assurance fut rocambolesque à souhait, (allez expliquer la rencontre impromptue entre une espace rugissante et un violon gémissant à un assureur !), les jours passèrent et c’est par un froid mois de décembre que notre ami Florin nous informa qu’il avait récupéré son violon et qu’il sonnait encore mieux qu’avant.

Depuis, il dort avec son violon. Il ne le quitte pas des yeux et aucune taille de femme au monde ne peut détourner ses bras de l’étui qu’il a rivé à sa main gauche. Il faut qu’elles s’y fassent et acceptent la cohabitation avec son violon.

Etienne Vatelot  continue de labourer un paradis de champ de violon à l’accord parfait. Il doit rire encore de la gueule béante de l’instrument trônant sur une table jonchée de pizzas dégoulinantes de fromage. Il savait que ses mains de fée sauraient lui rendre son âme et sa puissance.

On a toujours des espaces sur le festival et des voituriers aussi. Ils se racontent toujours, en faisant des marches arrière sur le parvis de l’église, l’histoire du violon qui baillait pour vaincre sa solitude.

 

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Histoire vécue (2)

Publié le par Bernard Oheix

Bernard juché sur une table en train d'haranguer la foule. Bernard en colère. Bernard aime Arno et lui pardonne malgré tout. Il reste un soupçon de folie sur l'aile de ce barde à la voix pleine de pierres qui roulent et de textes  déchirants qui respirent les brumes du nord... mais on est dans le sud et les soirs sont parfois orageux ! 

 

 

Arno, l'Arlésienne de Belgique.

 

Premier épisode.

Entendre et voir Arno le Belge sur une scène est une expérience hors du commun. La première fois que j'ai eu le privilège de participer à cette orgie sonore, c'était au Midem, dans un des salons du Majestic au milieu des années 90.

 

 

Emancipé de TC Matic, il entamait son parcours solitaire et obsessionnel. Une voix rauque jouant sur les faiblesses de sa tessiture, une dégaine d'alcoolique errant sur scène, accroché au micro comme à une béquille salvatrice, tout cela dans un univers de violence et de désespoir que ses textes aux mots ciselés mettaient en valeur. Désespoir de l'homme, nombrilisme d'une âme torturée, noirceur d'une peine en fardeau de tous les cris qui montent dans les nuits étouffantes de cette fin de millénaire.

Il me devint évident, à l'instant même où il est entré dans les faisceaux de lumières en poussant son premier rugissement, que je le programmerais au plus tôt dans la saison culturelle de Cannes.

Le temps a passé et j'avais toujours son nom dans un recoin de ma mémoire bien active jusqu?à ce qu'un jour, enfin après plus de trois ans, Garance qui le tournait, me le propose au moment opportun. Période de tournée correspondante, salle disponible, budget en phase, inclusion cohérente dans le profil général de la programmation. Banco.

Arno présent, c'est toujours un spectacle en soi... et l'angoisse du dérapage en permanence. Arrivée dans un minibus après avoir voyagé toute la nuit, son équipe de musiciens et de techniciens prend possession de la salle avec trois heures de retard. Fatigue aidant, l'installation et la répétition se déclenchent dans les plus mauvaises conditions entre son équipe, celle du Palais des Festivals et celle de la salle du Noga-Hilton qui nous hébergeait pour la circonstance.

Agrippé à ses basques, je le marque à la culotte pendant la conférence de presse qui fut homérique à souhait. Arno, habillé comme un rocker fatigué, jouant au désesperados provocateur dans le hall rutilant du Hilton et posant devant la mer...cela valait déjà son pesant d'émotions, de celles que l'on vit quand tout peut basculer dans l'horreur.

Il me fallut intervenir deux fois pour calmer les tensions entre son régisseur et le régisseur de la salle. Je m'exécutai sans faillir, tentant de ramener un peu d'ordre dans le désordre ambiant.

19h30. Le public nombreux commence à envahir le hall de la salle en marbre blanc, les miroirs renvoyant l'image d'une foule composite aux antipodes de notre public traditionnel. De vrais « fans » d'Arno, au look un peu déjanté malgré tout !

Coup de fil sur mon portable. Josh, l'assistante de Salomon de Garance Productions, m?annonce qu'Arno ne jouera pas ce soir, qu'il est parti et ne reviendra pas sur sa décision. Silence blanc et long comme un jour sans Arno. La sono ne convenait pas, de notre faute, de leur refus de nous le signaler, de tous ces petits riens qui font les grands dérèglements et dont on ne perçoit plus vraiment qui est le coupable.

Juste un tour en coulisses. Le désert. Je hurle son nom devant les techniciens médusés.

Me voilà donc juché dans le hall, sur une table, devant plus de trois cent personnes, annonçant à la cantonade son impossibilité de jouer « pour des raisons techniques indépendantes de notre volonté ». C'est une première pour moi après 20 ans d'organisation, à 30 minutes d'un concert, auquel je tenais tout particulièrement qui plus est !

Réactions amusées du public. Un vent de défaitisme nostalgique, certains me confient que c'est la troisième fois qu'ils tentent d'assister à un de ses concerts. Cela ne calme pas ma colère?

 

Deuxième épisode.

Je monte à Paris pour un rencontre avec Salomon, le patron de Garances Productions, un des plus gros producteurs de spectacles en France. Débat intense. Nous avons versé 50%, je veux les récupérer, lui veut nous faire régler le solde. Qui est en faute ? La mauvaise qualité de la sono de la salle est évidente. Mais sur simple réclamation de leur régisseur, nous aurions pu en trouver une autre sans aucun problème. L'incompréhension des équipes en conflit a débouché sur cette annulation. Nous menaçant d'avocats, de procès et des pires maux de la terre, nous sympathisons et optons pour une conciliation bien latine. Nous reprogrammons Arno sur la saison d'après, il nous fait un abattement sur son cachet, et tout le monde est content, nous aussi ! Nous devenons par la même occasion des amis et partons pour de nouvelles aventures en terre de culture.

 

 

 

La saison suivante arrive et Arno trône en bonne place dans mon programme. Premier concert. Pour vaincre le signe indien, j'ai changé de lieu. La Licorne, 500 places, meilleure salle pour la musique avec une acoustique rock excellente, située à la Bocca. Les réservations marchent toujours autant, son public étant suffisamment accroc pour ne pas lui en vouloir de ses faiblesses et de ses rendez-vous ratés.

Deux jours avant la date prévue, coup de fil surréaliste de Josh, l'assistante de Salomon qui gère la tournée d'Arno le magnifique :

 

-Bernard, quelle est la pire des nouvelles que je pourrais t'annoncer ?

- Non, pas cela, ce n'est pas vrai ?

-(silence chargé de signification à lire entre les lignes)... Heu !

-C'est une blague ?

-Non ! La mère du batteur est gravement malade, il a décidé de rentrer en Belgique et le groupe ne peut pas assurer sa date. Point final.

 

Vous imaginez le gag. Les gorges chaudes de la presse et des responsables du Palais, l'équipe de l'événementiel en train de tenter d'informer les possesseurs de billets et de prévoir une permanence devant la salle pour le soir prévu afin de désamorcer la tension. Pour la petite histoire, la maman du batteur est bien décédée le jour du concert d'un cancer qui la rongeait. Quelle valeur  possède la musique devant le drame de la vie et de la mort d'un être cher ? Et qu'importent les angoisses d'un directeur devant une scène éternellement vide censée accueillir le groupe d'Arno ?

Troisième épisode

Il est à venir ! Têtu je suis, et reste. Quand j'aime, j'aime vraiment et quelqu'un qui a écrit une chanson comme « dans les yeux de ma mère » forcément, ne peut que croiser ma route de programmateur. Arno a quitté Garances Productions pour voler de ses propres ailes. Il continue de se balader sur les routes de France à la recherche de ce public qu'il aime tant et qu'il trahit parfois. Un jour pourtant, je vais réussir à le présenter à Cannes. Il sera là, en chair et en os, avec son groupe, jouera de sa voix éraillée et nous emportera dans son univers si sombre et ce sera enfin la lumière pour moi.

 

 

 

Arno, à Cannes, c'est comme un coin de paradis qui se refuse. mais je l'aurai, un jour. C'est sûr. L'an prochain, à Jérusalem ?

 

 

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Histoire vécue (1)

Publié le par Bernard Oheix

Ne tentez pas le diable, cela n'arrive qu'une fois... et encore, c'est à se demander ce que j'avais fumé ce jour-là !!!

2 février 2006. Il est 20h30 au théâtre de la porte Saint-Martin. Un siège inconfortable, la pluie et le froid, la foule des grands soirs pour un des évènements de la saison théâtrale. Je suis installé en loge latérale, pas forcément la meilleure place pour voir le spectacle, mais avec  vue plongeante sur le parterre où se presse le public bruyant qui vient se défouler au duo de choc constitué par Patrick Timsit et Richard Berry dans une nouvelle mouture de L’emmerdeur de Francis Veber.

Bruissement et douce rumeur. Un ancien président de la République Française , Valéry Giscard D’Estaing se glisse entre les sièges suivi par des centaines de regards. Certains tendent la main afin de le toucher. Il s’assied et le noir tombe sur la salle.

Les dix premières minutes s’écoulent, la pièce éculée mais efficace fonctionne mollement portée par  un tandem qui ronronne avec professionnalisme. Soudain, juste en dessous de ma loge, un cri monte, couvrant la tirade plaintive de Patrick Timsit. Déchaînement de fureur. Deux spectateurs se frappent dans les cris de leurs femmes éplorées qui demandent qu’on les sépare. Le rire de l’un perturbant l’autre, une remarque appelant une réponse, c’est aux poings que les deux spectateurs ont décidé d’en découdre, oubliant les vertus d’un Molière consensuel, devant les regards ébahis des acteurs rendus muets qui tentent de percer le mystère de cette interruption intempestive. On expulse les deux perturbateurs après deux ou trois minutes d’intense agitation et Richard Berry se tourne vers le public et annonce que le spectacle va recommencer, qu’ils sont là pour jouer et qu’ils aimeraient pouvoir mener à bien cette mission. Applaudissements de la salle.

La pièce mystérieusement se pare d’une aura étrange. Un peu comme si un détonateur venait de déclencher une accélération non prévue par le metteur en scène. Timsit et Berry se cherchent enfin et se trouvent. Tirades qui s’étirent et se percutent, rires de connivence, mise en danger des acteurs sur le fil. Il se passe enfin quelque chose et les rires peuvent monter les soutenir.

Au tiers de la pièce, pour ceux qui l’ont vue, les deux acteurs se retrouvent dans un jeu très « boulevard » enlacés sur le lit de la chambre d’hôtel. Langoureusement, dans un demi-sommeil, Patrick Timsit, l’emmerdeur, passe sa jambe par-dessus la taille de Richard Berry le tueur. Las ! Des hurlements montent dans la nuit sous les regards ébahis des acteurs qui s’adossent à la tête du lit et contemplent abasourdis le trou noir de la salle. Une voix perce le silence glacé. « - Il a une attaque, vite un médecin, appelez les pompiers, au secours ! -».

Pendant de longues minutes le pauvre spectateur va voler la vedette à la scène où les acteurs désemparés errent comme des âmes en peine. Timsit s’installe sur le lit, les yeux absents, Berry se rend en coulisses et disparaît de notre vue. Le temps s’étire à la limite du possible.

Il reviendra par la suite, la pauvre victime évacuée, reprenant sa place, et lancera un « -Nous allons tenter de terminer la pièce » sous les applaudissements nourris des spectateurs complices. La soirée pourra enfin aller jusqu’au bout de la nuit !

Un ancien président, une rixe, un malaise… c’était sans doute beaucoup pour « s’emmerder » dans une soirée parisienne où tout pouvait arriver  !  

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