J'avais écrit, confère le 28 aout 2010 dans ce blog, un article intitulé, "Devenir le père de son père..." je me souviens encore de son regard et du geste étrange qu'il avait eu en le
lisant sur son ordinateur... C'était juste avant qu'il ne décroche et cesse toute activité intellectuelle. Il m'avait donné un coup de coude en me disant "-Toi alors, merci, ton article !"
Et nous n'en avons jamais reparlé... comme nous avons si peu communiqué avec ce père omniscient mais au corset enserrant ses sentiments si fortement qu'il ne pouvait les exprimer. Et puis
avait suivi une longue glissade de deux années vers le renoncement jusqu'à ce mois de juillet 2012 où nous avons partagé un dernier repas dans un restaurant à la Bocca. En août, son état empira.
En septembre, un mois d'hôpital puis 5 semaines de clinique et 3 jours d'une maison de retraite avant un déces annoncé. Il est parti le 22 novembre à 7h30. Brutalement, à l'image d'une vie
taillée à la serpe, sans fioritures.
Je devais me rendre à Montréal pour travailler sur un Mondial des Jeux et le lundi 26 je m'envolais malgré tout, avec l'accord de ma mère et de mes frères, emportant avec moi la
certitude que plus rien ne serait comme avant. Le dernièr rempart qui me protégeait de ma propre mort venait de sauter.
les obsèques ont eu lieu le jeudi 29 novembre, sans moi. Mon frère Michel composa et lu cette oraison funèbre devant la famille, le casque de pompier de mon père posé sur le
cercueil, juste avant la crémation. J'aurais pu l'écrire, je n'aurai pas fait plus juste, j'aurais dû être présent...
Alors pour ceux qui ont entrevu ce père Oheix, où par mon entremise, connu des bribes de sa vie, juste une dernière fois, comme pour un "dernier avant la route", l'ultime signal d'une
vie en train de s'achever. Père Oheix, Gérard le pompier, Une femme et 4 enfants, Ciao Babbo !
Texte lu par Michel Oheix devant le cercueil.
"C'est le moment pour dire quelques mots sur Gérard OHEIX avant qu'il nous quitte définitivement.
L'enfance de Gérard, notre père, le mari de Paulette, le frère d'Ivan, l'oncle, l'ami, est lumineuse et obscure. On sait que jeune enfant, moins de deux ans, il est un enfant aimé d'un jeune et
beau couple du début de siècle, on sait que la fatalité lui enlève brutalement ses deux parents et que très tôt, avec son frère il devient orphelin, à cet âge où les parents et leur amour
sont tout pour l'enfant. Suivent des années douloureuses, malgré l'affection fausse ou vrai de celles et ceux qui remplacent ce père et cette mère définitivement absents. L'enfance est alors
celle des années trente: dure, difficile, laborieuse avec comme horizon un apprentissage de boulanger. Les études supérieures ne seront pas pour cette génération! Il apprendra dans cet
apprentissage les dures leçons d'une vie où les rapports peuvent être violents, comme celui, par exemple, où l'apprenti mange à la table des patrons, mais ne partage pas les plats ! la viande au
patron, les légumes pour l'apprenti. Ce n'est pas du Zola, c'est la vie simple d'un adolescent des années trente.
Avec la grande adolescence et la nouvelle grande guerre viendra le temps de l'émancipation, le temps des jeunes qui s'enivrent de la libération, le temps aussi, faut il le dire où l'apprenti
boulanger devenu galant, pourchassé par le maître boulanger jaloux franchit la passerelle d'un cuirassier pour s'engager dans la Marine Nationale.
Finie la Vendée, finie l'enfance, c'est l'horreur d'une nouvelle guerre en Indochine qui le rendra adulte. De ce temps de guerre, nous ne savons pas grand chose, si ce n'est des histoires de
peur, de dégout. Cette guerre ne sera pas racontée. C'est un nouvel homme qui à Nice, lors d'une escale, où belle gueule et bon pied, c'était un danseur agile, séduit la jeune et belle Paulette
et avec qui il va construire une famille, la sienne, la leur, la notre. Quatre enfants, tous garçons naîtront, de 1949 à 1957 : ce fut, nous le savons, une période encore difficile où malgré le
travail, tous les travaux possibles, l'argent était insuffisant pour nourrir la marmaille! Puis vint au milieu des années cinquante l'embauche comme sapeur pompier à Cannes, le temps, pour les
enfants que nous étions, d'un père héros, au blouson lourd sentant le cuir, au casque brillant, aux bottes bien graissées. Le temps aussi des silences pesant lorsque le métier devenait dur
(nous savons ce que veut dire pour un pompier d'intervenir lors des graves accidents, les suicides, les grands malheurs de la vie).
Gérard OHEIX fut un jeune gaulliste d'après guerre, porté par les idéaux de la Nation, de la République et sa rigueur morale : les idéaux dévoyés par un petit maréchal se retrouvaient si bien
dans cette génération d'après guerre : Travail, Famille , Patrie! les années 68 en feront un homme de gauche, défendeur de nouveaux idéaux : solidarité, partage, tolérance, anti racisme. De
toutes ces valeurs nous en fûmes, nous les enfants les premiers bénéficiaires.
Gérard OHEIX a beaucoup sacrifié pour sa famille : ce ne fut pas un homme de bar, lui qui pourtant aimait bien.., il ne partait pas avec des amis pour de joyeuses bamboches, tout, finalement
était réservé à la famille et à l'éducation. Mari absolument fidèle, il fut un père rigide dans son éducation mais choisissant, nous le disons plusieurs longues années plus tard, pour ses enfants
les meilleurs principes : une morale rigoureuse, la scolarité prioritaire, l'éducation sportive. Sportif il le fut lui aussi, toujours. Il avait choisi un sport exigeant où on ne dépense pas
d'argent mais où on souffre pour gagner son plaisir : le cyclisme! Si fier de ce sport, qu'à la fin de sa vie il affichait sur sa porte d'entré ses deux trésors : la grande reine Paulette, et son
vélo, la petite reine.
Cette rigueur dans l'éducation, parfois excessive, nous pouvons le dire, porta ses fruits. Il voulait que ses enfants réussissent leur scolarité, ce que, lui, la vie l'en avait empêché :
nous fûmes tous bacheliers, universitaires diplômés ou non, ce qui permit à chacun de ses enfants d'affronter leur vie d'adulte avec les meilleures armes, celles du savoir, de la connaissance. De
cela, plus que tout autre chose nous lui sommes redevables et nous l'en remercions aujourd'hui, dans ce jour d'au revoir. Nous savons que c'est la plus grande fierté qu'il avait, celle d'avoir
été un père qui avait donné à ses enfants l'éducation que lui n'avait pu avoir. Que sa mémoire sache aujourd'hui que nous en sommes conscients et que nous le remercions.
Gérard OHEIX ne fut pas un bavard, il était plutôt taiseux, ce ne fut pas un raconteur d'histoires, ce qui souvent nous manqua, il ne fut pas toujours souple, parfois trop rigide.
Il est mille fois pardonné pour ses défauts car ce que nous savons, dans notre intimité, c'est qu'il fut un mari aimant et fidèle et un père généreux et noble.
Merci Gérard OHEIX, merci papa".
Dernière photo volée...quelques heures encore et il nous dira au revoir, pour toujours.
Ciao Babbo !