Tout avait commencé à la bourse Rideau (un marché du spectacle) perdu à Québec, début février, où quelques programmateurs européens d'artistes de la Belle Province étaient invités ! Je faisais partie de ces heureux élus.
Cette année-là, en 2001, le Carnaval de Québec se déroulait en même temps. Délices des fanfares, aux doigts gelés, des jeunes sirènes aux épaules nues perchées sur des traineaux dérapant sur les plaques de verglas, tout cela par - 30°... Alors nous avons bu, dans des cornes de caribous élancées, un alcool innommable, et après avoir réchauffé nos coeurs en le brûlant au tord boyaux, nous avons parlé, aidés par les effluves alcoolisées, dans le froid saisissant, au milieu des flons-flons musettes verglacées ! Où donc peut se nicher l’art et l’amitié ?
Il s’avéra que le sémillant jeune homme à mes côtés avait pour nom, Gilbert Rozon, l’empereur de l’humour, l’homme par qui les fous-rires se déclenchaient sur la planète austère d’un nouveau millénaire, Les vidéo-gags, le Festival Juste pour Rire, c’était lui. Il s’était imposé en France en permettant à Charles Trenet de faire une nouvelle et ultime carrière... En le relançant, il s’était lancé ! Et il rebondissait toujours, jamais à court d’idées, réussissant souvent, échouant parfois, véritable leader dont les Stephane Rousseau, les Arturo Bracchetti et autres comiques naissant à Juste Pour Rire étaient les portes étendards d’un empire en train de se bâtir !!!
Quand l’amitié affleure, on se cherche, on se renifle... Il en allait ainsi entre Gilbert R et Bernard O, deux animaux au sang chaud en train de tendre des passerelles entre le vieux et le nouveau monde.
C’est en discutant de ma fonction et des actions que je menais en tant que Directeur de l’Evénementiel du Palais des Festivals de Cannes, qu’incidemment, je fus amené à lui parler du Festival des Jeux...150 000 visiteurs, 12 000 joueurs inscrits à des tournois, plus de 10 000 nuitées générées...
J’ai réellement vu ses yeux s’ouvrir comme des billes, un éclair en point d’interrogation vacillant dans son regard. Il a dessoulé, mais 15 jours après, il débarquait sur le Festival des Jeux à Cannes.
Je revois encore sa tête devant les 1000 scrabbleurs alignés sagement dans un silence de cathédrale, son effarement devant les milliers de gens agglutinés devant l’entrée du Palais des Festivals bloquée pour cause de saturation, sa perplexité devant les familles en train de jouer aux centaines de jeux du salon, devant des personnages déguisés simulant des combats préhistoriques, des maquettes des grandes batailles napoléoniennes, sa fatigue au bout de la nuit devant des centaines de joueurs attablés aux tables du Off en train de tester des boites grises dont certaines se retrouveraient commercialisées quelques années après dans de beaux emballages de couleurs !
Suite à cette plongée dans les nuits ludiques cannoises, il avait étoffé son Festival Juste pour Rire d’un volet Juste Pour Jouer, avec plus ou moins de bonheur suivant les années.
Nous avons continué à nous croiser, à entretenir des liens d’amitié, lui de plus en plus grand manitou du Québec, bureaux à Los Angeles, Londres, Paris, jury d'un Incroyable Talent... Moi, restant l’histrion de la Culture Cannoise, le saltimbanque devenu épicier de luxe.
Et puis il y a eu ma décision de prendre ma retraite en 2012, avec la satisfaction du devoir accompli, la peur de la saison de trop, la volonté de transmettre le flambeau dans de bonnes conditions, à mon zénith...
Et en septembre 2012, un coup de fil surréaliste de mon pote Rozon.
«-Bernard, qu’est-ce que tu fais. Tu es à la retraite et tu te bronzes au soleil alors que tu es mon directeur du Festival des Jeux de Montréal ! Et tu ne le sais même pas ! Allez, monte sur Paris, il faut que l’on se parle.»
Comment résister à une telle injonction ? Je me suis donc rendu en la capitale, dans son magnifique loft, un déjeuner d’amitié et il m’a proposé de travailler sur le chantier d’un grand festival des jeux avec pour objectif 2017...
C'est en cette année 2014 que le Festival des Jeux va prendre son envol !
L'apport des responsables que Gilbert Rozon avait choisis sera déterminant. Arman Afkhami et Guillaume Degré-Timmons, deux jeunes bourrés d'énergie, vont impulser une dynamique incroyable. Progressivement, le hall du complexe Dujardin sera remplacé par un binôme, animations dans le Festival de la rue/tournois dans les salles de jeux, et quelques coups d'éclats (un grand master d'échecs, une compétition E/sport, un "off" en train d'émerger dans les nuits chaudes de Montréal...) vont commencer à nous installer dans le mastodonte Juste pour Rire ! Les résultats ne se firent point attendre et même financièrement, les comptes s'améliorant pour flirter (presque) avec l'équilibre en 2015. Le Festival décollait et parallèlement, mon rôle avait évolué, d'initiateur à "mentor" comme Arman et Guillaume me définissaient ! J'étais là pour les conseiller, les aider, les soutenir, mais c'est bien eux qui avaient les clefs de Juste pour Jouer !
J'aimais cette position de "transmetteur", ce positionnement dans l'ombre après avoir si longtemps été dans la lumière ! Donner le témoin et voir le présent se transformer sous ses yeux !
Gilbert Rozon, pendant toutes ces années, resta fidèlement à mes côtés, intervenant à chaque fois pour combler les vides d'une organisation tentaculaire (Juste pour Rire) qui ne comprenait pas toujours les objectifs et la spécificité des jeux et la psychologie des joueurs.
Le monde des affaires anglo-saxon ne fait pas toujours bon ménage entre les bonnes idées et le souci d'une rentabilité immédiate... cela mit en péril en plusieurs occasions Juste pour Jouer. Pourtant, à chaque fois, le big boss intervint pour dénouer les situations et permettre que l'aventure perdure contre vents et marées !
Et le parfum d'un "mat" décisif, couronnement de ma carrière, commençait à affleurer pour cette édition 2016 déterminante dans notre quête initiale d'un Festival 2017 qui devait nous consacrer !