La porte Australe !
Puerto Montt est une petite ville nichée au creux d’une baie de l’Océan Pacifique avec un chapelet d’îles en diadème pour empêcher l’horizon de se perdre. Elle est située tout près du volcan de l’Osorno, sentinelle angoissante qui contrôle sa destinée, avec son cône rectiligne tiré aux cordeaux, immaculé dans l’azur du ciel, culminant à plus de 3000 mètres d’altitude. Des montagnes aux sommets enneigés l’enserrent en tenaille, langues de glace sur crêtes dentelées, impression pesante d’être enfermé dans un cirque gigantesque où tout est trop grand, trop définitif pour l’humain.
La ville s’étale à partir de la côte, petites rues s’enfonçant vers une arête crénelée de maisons de couleurs qui domine la cité. L’architecture mélange le moderne de quelques hôtels et centres commerciaux rutilants et le vieillot des murs de planches et de tôles des maisons basses où logent les habitants de la ville.
L’odeur marine sature l’atmosphère. Des bateaux de pêche sillonnent le plan d’eau dans le silence du soir qui tombe. Il fait froid et une bise glacée vient nous rappeler que nous sommes aux portes de la Patagonie, la dernière grande ville du Chili avant le désert des Terres Australes, cette immense région découpée comme un tissu de dentelles où la terre et l’eau se confondent, se mêlent et s’oublient !
Notre destination est Chiloé, la plus grande île d’Amérique du Sud après La Terre de Feu. Entassés à 14 dans le «combi» d’une agence locale, nous tanguons à tombeaux ouverts sur la ruta 5, la Pan Américaine qui traverse tout le Chili, secoués comme des pruniers pendant que Miguel, le conducteur, s’égosille en Espagnol dans un micro, agitant ses bras comme un moulin hystérique, tout cela en écrasant l’accélérateur comme si sa vie n’avait plus d’importance !
Après la traversée du chenal sur un «bac» à fond plat pouvant transporter des cars et des camions, ronde des transbordeurs comme un ballet parfaitement réglé au milieu des phoques qui plongent et des pélicans qui volent au raz des vagues, nous continuons vers Ancud, première cité où nous allons visiter un des trésors de cette île classée au patrimoine de l’Humanité pour ses nombreuses églises de bois.
Plus de 190 lieux de cultes, églises, chapelles, réparties sur la route principale de goudron et les chemins de terre qui en partent pour arriver nulle part. Succession de fjords, baies, anses, limites ténues entre l’eau et la terre, arbres verdoyants épousant les méandres de la côte et des collines.
Les maisons typiques de Chiloé sont construites intégralement en bois, murs de «tuiles» ouvragées, décorées de motifs, dans des couleurs allant du violet au rouge, du bleu au jaune, façades percées de fenêtres où flottent des rideaux blancs, avec des toits de tôles ondulées de couleurs sombres. Reposants sur des pilotis, elles s’avancent dans l’eau, Venise australe, et couvrent les rivages d’une étrange mosaïque. Des barques sillonnent les bras d’eau, les filets plein de poissons frais qui se débattent et se tordent. en lançant des éclairs de lumière.
Tout est paisible, calme, un miroir immense dans lequel se reflètent les sommets enneigés qui nous cernent. des centaines de kilomètres carrés préservés, un parc gigantesque où la nature s’est réfugiée et laissent glisser la modernité.
Après un déjeuner constitué de quelques huitres succulentes arrosées de citron et d’«empenadas» à base de queso ou de fruits de mer à Dilicuhé chez Dona Ines, une charmante petite vieille au sourire se perdant dans ses rides, direction la capitale Castro avec son église imposante située sur la crête de la ville qui se dresse tel un phare mariant des couleurs impossibles : jaune, violet, orange et vert, mosaïque arc en ciel pour monter au ciel plus rapidement !
Et le retour, sur la route 5, de nouveau ouverte à la furie conductrice de Miguel, notre conducteur. Le soir, sur Puerto Montt, sur une digue qui s’avance sur la mer étale, sous la lune qui fait miroiter le plan d’eau et resplendir les crêtes sombres qui ferment l’horizon, nous fêterons un anniversaire... et la vie est belle !