La Quebrada de Humahuaca
L’estafette que nous avons louée s’essouffle sur la route qui monte de Salta vers San Salvador de Jujuy. 90 km sur une route qui serpente dans la forêt tropicale, avec de nombreux lacs alentours. Au volant, Oscar, un ténébreux Argentin et la belle Monica, visage rond aux yeux curieux, sourire large, cheveux noirs sur les épaules, une métisse indienne parlant un Français délicieusement châtié qui va nous servir de guide. Sabine notre hôtesse de Salta nous a proposés cette expédition de deux jours dans la Quebrada de Humahuaca et sur la «puna» Argentine.
La Quebrada (vallée) de Humahuaca est classée au patrimoine mondial de l’Unesco pour son patrimoine culturel et sa bio-diversité. 10 000 d’histoire dans cette région reculée, frontière avec la Bolivie et le Chili, où la diversité indigène continue d’exister, comme si le souffle de l’histoire tourmentée de cette région ne pouvait s’effacer devant la civilisation moderne. Région de transit et de guerre, ce passage obligé des envahisseurs virent s’opposer aux natifs indiens, les tribus Omaguacas et Fiscaras, (de redoutables guerriers bâtisseurs), l’envahisseur Inca vers le début du XVIème siècle puis les colons Espagnols dans la foulée, attirés par leur rêve d’un Eldorado impossible.
A partir de Jujuy, la route se glisse entre les contreforts de la vallée où coule le Rio Grande, les montagnes majestueuses lui font un écrin minéral. Notre première étape sera Purmamarca, un village miraculeusement préservé, avec ses ruelles pavées, ses maisons en pisé aux toits de torchis, sa place centrale avec une église à l’ombre d’un caroubier millénaire.
A pied, nous allons sur un sentier qui contourne la cité pour découvrir unes des nombreuses merveilles de la journée : la montagne au sept couleurs. Un peintre fou semble avoir laissé libre cours à son imagination pour décorer les parois des motifs les plus étranges. Les sels minéraux se conjuguent en une palette infinie où les strates s’enchevêtrent afin de créer cette oeuvre unique que l’érosion transforme à chaque tempête, la faisant évoluer sans cesse au grès des caprices d’un créateur invisible.
Après un déjeuner délicieux, nous reprenons la route vers la Purcara (fortin) de Tilcara.
Construit sur un piton rocheux, ce fortin protégeait le village indien en contrebas, offrant un angle de vue parfait pour contrôler le passage de la vallée. La culture dynamique et l’organisation sociale très sophistiquée des Fiscaras, se retrouvent dans les vestiges de cette forteresse dont certains des éléments ont été reconstitués par les archéologues. Quelques maisons de pierres jointes, avec un toit en troncs de cactus et en torchis de boue et de paille, l’autel des sacrifices d’animaux à la Pachamama (la terre-mère), (il n’y avait pas de sacrifices humains chez eux, à la différence des Incas qui offraient des enfants de bonne famille à leurs Dieux afin de maintenir un dialogue et de s’attirer leurs graces). D’innombrables cactus dressent leurs bras vers le ciel, des fleurs blanches en corolles comme une couronne, le ciel est pur et l’air frais dans un soleil de plomb. le sentier de pierre descend vers la ville où nous allons visiter le musée archéologique. Il confortera cette impression fascinante d’une richesse historique hors du commun pour notre culture européenne qui fait la part belle à celle des colons au détriment des indigènes. Le musée offre un panel d’objets usuels et cultuels du Chili, de la Bolivie et de la vallée de Humahuaca. Emotion devant l’incroyable modernité des poteries, des bijoux, des outils issus de la nuit des temps pour nous renvoyer vers notre passé.
Plus loin encore, le Tropique du Capricorne avec photo obligatoire pour le capricorne que je suis avant d’arriver enfin à Humahuaca, la cité qui ouvre sur la région désertique qui jouxte la Bolivie à plus de 3000m d’altitude.
Maisons basses au long des rues pavées qui convergent vers la place du village arborée où une église immaculée tranche avec le gris des murs, la poussière qui vole, le son des tambours et flutes indiennes, l’immense escalier de pierres comme une agora qui monte vers la statue du Cacique Viltipoco, dressé l’arme vers le ciel, en train d’accorder la paix à ses ennemis à terre. Humahuaca est un rêve, c’est aussi une preuve de la profonde survivance des indiens échappant à tout contrôle dans cette région inaccessible que les argentins connaissent peu mais que les touristes depuis son classement au Patrimoine de l’Humanité découvrent avec ferveur.
Il restera le retour à Purmamarca où nous allons dormir pour communier avec cette nature grandiose, le ciel qui s’assombrit, l’air vivifiant (nous sommes à plus de 2000m), les bruits si particuliers d’une terre inconnue... Un concert d’aboiements de chiens couvrent la musique d’une fête dans une cour proche. Il est temps de s’endormir avec des rêves d’or dans les songes d’une nuit de printemps.