Des films, toujours des films !
Rafale de films en compétition, qualité exceptionnelle d’Un Certain Regard, pépites des autres sélections... Dans cette overdose d’images, d’histoires qui se télescopent, de pays et de sélections au plus grand Festival de Cinéma du monde, Cannes vit avec ses deux faces, aussi mystérieuses l’une que l’autre. L’une de frénésie, de rencontres et d’affaires, des professionnels centrés sur la Croisette qui dessinent le cinéma de demain, l’autre plus secrète, plus cinéphile, dans des salles périphériques, avec des spectateurs fascinés par cette extraordinaire exposition d’un monde ouvert sans frontières que les images tentent de dévoiler.
Evidemment, je suis dans la deuxième catégorie, avec mes 21 films visionnés dans la salle de la Licorne à La Bocca, un quartier périphérique bien loin des ors de La Croisette où se croisent spectateurs de tous âges, toutes origines, fraternisant dans des files d’attente, échangeant sur les films en des débats passionnés, évaluant le jeu des acteurs et les scénarios, se projetant dans des palmarès improbables, car dans chaque cinéphile, un membre de jury sommeille qui ne demande qu’à s’exprimer !
Américan Honey de Andréa Arnold est un road movie déjanté autour d’une bande de jeunes qui parcourent l’Amérique profonde afin de vendre des «magasines» alors que plus personne ne lit ! La reproduction des mécanismes d’une économie dans ce qui en est la face des laissés pour compte (la leader «capitaliste» qui impose ses règles, les codes de la vente et le principes d’une vie de groupe que l’on retrouve dans toute sa violence (interdiction de la sexualité dans un climat débridé, rivalité et sanctions pour ceux qui ne vendent pas assez (le combat des loosers), apprentissage du mensonge pour «fourguer» des revues à des gens qui n’en ont pas les moyens... tout cela soutenu par une bande sons où rap et rock rythment le temps éphémère...
Paterson de Jim Jarmusch propose une autre facette de cette Amérique profonde. Un conducteur de bus, poète dans la ville de Paterson, compose une oeuvre au quotidien pendant que sa femme s’invente une vie de ruptures et de rêves ! Déjanter le quotidien, ritualiser les espoirs, énigmatique porteur d’un avenir incertain, le film s’écoule comme si à tout moment, quelque chose pouvait entraver la marche du temps...
Sublime Julieta de Pedro Almodovar. Une femme tente de renouer avec son passé et une fille qui l’a abandonnée le jour de ses 18 ans. 12 ans ont passé sans nouvelles quand une rencontre fait ressurgir l’histoire enfouie... beau, ensorcelant, limpide, attachant... les adjectifs manquent pour décrire ce film où tout est ciselé et s’imbrique parfaitement dans la fuite du temps ! Du grand Almodovar, comme on a eu du grand Ken Loach !
Enfin, 3 films remarquable d’Un certain regard :
Harmonium de Fukada Koji. Une famille japonaise voit son présent exploser quand le père, pour une raison mystérieuse, embauche un homme et l’héberge jusqu’au drame ! 8 ans après, il faudra bien solder les comptes de ce passé caché. Intriguant, passionnant, tout en retenu !
Caini du Roumain Bogdan Miirica, est dans la lignée de ce cinéma un peu esthétisant et parfois étiré de l’école roumaine. Pourtant, il y a d’indéniables qualités dans ce western de l’Est, un jeune propriétaire tentant de vendre une propriété héritée d’un grand père, aux confins du pays, dans une terre de trafics où règne un boss cruel !
Un grand coup de coeur pour Derrière les montagnes et les collines de l'Israélien Eran Kolinn où un militaire après 22 ans de service, tente de se réinsérer dans la vie civile et de renouer des liens avec sa femme et ses deux enfants. Toutes les contradictions de cette société, de cet affrontement entre deux peuples, des désirs enfouis chez les individus dans un monde où tout peut exploser ! C’est un vrai film humaniste, un «certain regard» sans complaisance où chacun prend sa part d’un poids que l’histoire lègue et qui pèse sur tous les acteurs de la vie au quotidien !
Enfin coup de chapeau pour Chouf de Karim Dridi, où la peinture crue et sans espoirs d’un monde sans lois ni règles, où mêmes les composantes d’une fratrie explosent sous le poids de l’absurdité et des rivalités sans fin qui endeuillent les acteurs du marché de la drogue dans un Marseille de soleil. Presque un documentaire sur un monde où la vie importe peu, où le cancer de l’argent sale se métastase à l’intérieur des familles et brise tous les codes, où la place que l’on occupe est sans arrêt remise en cause par ceux qui poussent derrière pour prendre le pouvoir au bout de leurs armes, ou le futur n’existe plus que dans le fracas des armes aveugles !
Allez, encore trois jours d’ingestion de pellicules et l’on saura bien qui aura les honneurs de la Palme d’Or même si nous savons que c’est toujours le cinéma qui reste le grand vainqueur de cette orgie d’images et d’histoires !