Le grenier de la mémoire 10 : La Belle Bleue, le grand plouf !
Après la réalisation au niveau de la MJC de Bourg en Bresse d'un CD 45t auto produit avec un artiste local, Patrick Veuillet, j'ai sans doute eu la plus belle illumination de ma vie professionnelle... mais aussi préparé le plus grand bouillon de ma carrière, ce qui pour une boîte que j'avais dénommée La Belle Bleue est un peu regrettable, surtout que je n'avais pas de bouées, à cette époque !
En 1982, le Parti Socialiste préparait son congrès à Bourg, lequel parti venant de faire élire François Mitterand comme président (le premier de gauche depuis la libération) et le premier pour ma génération qui n'avait toujours connu que la droite au pouvoir !
A cette occasion, Edwige Avice, Ministre de la Jeunesse et des Sports, tutelle des MJC, avait souhaité rencontrer le monde associatif et visiter notre établissement. Branle bas de combat. Je l'accueille avec la présidente Renée Touton et la rencontre se passe merveilleusement. Je lui parle de notre action pour la création en région, lui offre notre CD et lance quelques idées, notamment celle d'un organisme rattaché aux MJC de France qui aurait pour mission de structurer l'offre et la demande des 600 lieux qui diffusaient au minimum 5/6 spectacles dans leur année sans compter les lieux plus adaptés à la diffusion culturelle comme certaines MJC de Paris, Cannes, Annecy et autres qui possédaient une salle de spectacle et une programmation à l'année !
Banco, me dit-elle, on peut monter un FIC, contactez mon secrétariat en me tendant une carte de visite. Il a fallu que je me renseigne pour savoir ce qu'est un FIC...en l'occurence un Fond d'Intervention Culturelle pour des projets novateurs !
Très rapidement la machine s'est emballée, rencontres à la FFMJC, délégué nommé sur l'opération (Gérard Bortollato), secrétariat d'Edwige Avice et présentation du projet dans les réunions régionales.
L'objectif dans cette France maillée par les structures associatives était de créer une structure professionnelle apte à coordonner une action au long terme, faire fructifier le réseau de diffusion et permettre l'émergence d'artistes en récupérant les dividendes du travail opéré pour les lancer dans le grand bain !
Vaste projet qui, à l'évidence, était dans les têtes de nombres acteurs socio-professionnels mais que j'avais réussi, aussi incroyable que cela puisse être, à faire vivre !
J'étais subitement devenu le Zorro de la culture.... sauf qu'assez rapidement j'en suis devenu le Zéro de l'absolu ! Si mon raisonnement était parfaitement abouti, il a achoppé sur deux aspects : le premier d'évidence est que la programmation est le jardin d'éden de tous les responsables, la carte de visite de l'égo des Directeurs bien nécessaire pour se coltiner toutes les tâches ingrates du quotidien. En l'occurence, tout le monde voulait être sur le Catalogue de La Belle Bleue... mais rares étaient ceux qui acceptaient de piocher par solidarité dans ce catalogue pour leur programmation !
Le deuxième aspect est lié à mon humble personne ! Si j'étais doué comme animateur, capable de vendre n'importe quoi à n'importe qui, je manquais cruellement de fondements artistiques, de bases solides pour effectuer les choix, assumer une vision professionnelle au long terme ! Je travaillais sur le coup de coeur et dans l'instant. Certains m'ont suivi et Nilda Fernandez en est un exemple qui explosera avec son CD, Madrid, Madrid, 3 mois après que La Belle Bleue ne se soit dissoute ! Moi je l'avais proposé l'année précédente aux 600 MJC pour une poignée de figues avec 5 contrats signés à la clef !
Mais 2 années c'est vraiment trop court pour emmagasiner et percevoir les mutations profondes de cette époque où le show-biz pointait son nez et se structurait autour d'une jeunesse qui avait enfin le pouvoir et l'argent (Cf. les industries culturelles naissantes sous l'action de Jack Lang) !
Un des écueils que j'ai dû affronter et sur lequel je n'ai pas eu le courage de trancher, c'est que tous les artistes qui avaient entamé cette aventure avec moi venaient de cette région Rhône Alpes et que c'est dans ce creuset que j'ai réalisé les premières prospections et ventes de contrats. Je n'ai pas eu le temps d'intégrer les forces vives des autres régions et de devenir leur référent. Quand je décide de réaliser un 33t, Nilda rêve de le faire avec La Belle Bleue ! Comment dire à Patrick Veuillet, qu'après avoir lancé l'opération, je le laisse tomber pour quelqu'un d'autre qui me semble plus prometteur... je n'ai pas eu cette force ! Or Nilda était l'avenir, Patrick le présent !
Mais quand je regarde mon catalogue, je me dis qu'il avait fière allure malgré tout, que les Marianne Sergent, Denis Wetterwald et autres, avaient compris l'intérêt de cette opération. Que les 80 contrats des Aventuriers de la Gondole Perdue, la présentation à Bourges des artistes La Belle Bleue, ce n'était pas rien malgré tout !
Au bout de deux ans et après plus de 200 contrats vendus, la réalité d'un modèle économique m'a rattrapé. J'ai loupé, et les MJC avec moi, le tournant décisif d'une mutation profonde. Le grand paradoxe de toute cette période, c'est que les MJC qui avaient contribué à l'élection d'un président de gauche, ont été enterrées par cette même gauche au pouvoir dans un jeu délétère où personne n'avait raison et où tout le monde s'est retrouvé victime d'une histoire en marche vers un monde futur en train de naître, celui d'internet, de la globalisation et de la rentabilité à tout crin. Cela impliquait le démantèlement du social pour l'économique, de la formation citoyenne pour un statut de consommateur passif !
Le résultat, c'est que les quartiers privés de leurs structures se sont embrasés et que les artistes ont perdu leur réseau de scènes de proximité pour balbutier leur talent et grandir. Les bars allaient les remplacer pour un gain (très) relatif !
Mais il reste Internet, You Tube et le confinement pour continuer de rêver !
PS : Merci à Chantal Veuillet, mon assistante à l'époque, qui a subi le meilleur (assez rarement) comme le pire (le plus souvent) en travaillant à mes côtés pendant ces 2 années cauchemardesques !
PPS : Merci aux nombreux artistes qui rêvaient avec nous, aux quelques directeurs qui y ont crû, à Jean-Pierre Carriau, missionné pour une expertise, avec qui j'ai pris une cuite mémorable quand la cause perdue a été entendue !
PPPS : C'est dans cet échec que j'ai forgé ce que j'allais devenir, que je me suis donné des armes qui m'avaient fait défaut. Je l'ai su rapidement, instinctivement. Pour moi, il y a un avant La Belle Bleue et un après !
PPPPS : Et je pense à mon ami Nilda Fernandez. Toute notre vie, nos chemins se sont croisés, en Russie comme en France. Le 22 septembre 2010, je t'ai offert un orchestre symphonique pour t'accompagner sur la scène du palais des Festivals afin de célébrer notre amitié ! Cette amitié a résisté à mon échec et à ton succès. On se retrouvait à chaque fois avec bonheur en rigolant de nos débuts balbutiants. Le temps nous appartenait jusqu'à ce qu'un fil se rompe et que tu t'évades. Ta voix miraculeuse n'a jamais cessé de retentir en moi et elle résonne encore comme la certitude d'un passé que j'ai aimé partager avec toi !