Le grenier de la mémoire 41 : L'été à la plage ?
Les saisons culturelles s'enchaînaient, longues à souhait, démarrant fin septembre pour finir en avril au rythme épuisant d'une quarantaine de spectacles et de 4 festivals (Danse, Musique Classique, Marionnettes, Jeux). Après le mois de mai et son Festival du Film où la Ville s'ouvrait au monde entier, une nouvelle période de deux mois et demi complètement folle débutait ! Le temps de la plage n'était pas propice à bronzer en lézardant du côté de Cannes en cette fin de millénaire quand on travaillait à l'Évènementiel !
C'est avec la Fête de la Musique du 21 juin que les hostilités démarraient ! Une fête se déroulant sur une dizaine de lieux dont un grand plateau sur une scène aménagée sur le parvis du Palais où je me faisais plaisir en testant des groupes et des artistes que l'on retrouvera souvent dans les saisons culturelles ou dans les Concerts de Septembre (Tekameli, Michael Jones, Omar Pene, Aston Villa, Enzo Avitabile, Manau, Darko Rundek et Cargo Orkestar...).
Après ce baptême du feu, en juillet, Les Nuits Musicales du Suquet et Le Jardin des Contes investissaient l'extérieur, sans compter un Village d'été des Jeux en extérieur comme un miroir de l'hiver.
Et cela sans oublier sur ces 2 mois, une compétition pyrotechnique qui drainait 150 000 personnes à chacun des 6 feux d'artifices en compétition avec en prime, un concert en clôture de soirée sur le parvis du Palais des Festivals destiné à fluidifier les départs qui engorgeaient les routes en provoquant des bouchons gigantesques. Je m'amusais vraiment sans contraintes en proposant Les tambours du Bronx, Sally Nyolo, Vocal Sampling, Orange Blossom, Vincent Absil et Contry Journal, les Espoirs de Coronthie...
Et pour corser un tout petit peu l'addition, une série de spectacles payants au Palais des Festivals (Chico et les Gypsies, I Muvrini, Sapho, Les tambours de Tokyo, La Castafiore, Sheila, Bernard Lavilliers, Les voix de Géorgie...) au rythme de 5 à 10 par été en ciblant aussi bien la clientèle de touristes étrangers que le public local !
Nougaro (12/07/97) et Sylvie Vartan (6/08/97) pour un remplissage maximum des 2400 places de la grande salle !
Jusqu'en 2003, ma direction était aussi chargée des animations gratuites dans toute la ville. 15 à 20 concerts répartis dans les quartiers entre Cannes et La Bocca ! Je me suis régalé à programmer des ovnis, avec, je dois le dire, un certain succès ! Les Trogodes, Orchestre de Trompes de Banda Linda de Centrafrique tout droit arrivés de leurs villages de brousse, en déambulations musicales dans les rues de Cannes (choc mutuel assuré !), Carmen Mambo, Gotainer ou Raoul Petite, Urs Karpatz ou Huun Huur Tu, mais aussi Stone et Charden, François Valery, Herbert Léonard et Dave, tous particulièrement appréciés par le public Boccassien ! Un Festival incessant de rythmes cubains ou africains, de sons exotiques entrecoupés des vieilles gloires françaises qui allaient revenir sous les feux de la rampe avec l'opération "Stars des années 80".
L'ensemble de la programmation représentait environ 50 jours spectacles sur 2 mois... effrayant quand on songe que c'est la même petite équipe de 11 personnes qui enchaînait les 2 saisons !
Pourtant, avec l'arrivée d'un nouveau triumvirat, (Brochand, Lisnard, Giuliani), le paysage des animations allait se transformer en profondeur !
En 2001, David Lisnard fraîchement débarqué dans le fauteuil de Maire-Adjoint, homme de culture, prend ses marques avec moi. Le courant passe plutôt bien et nous avons une même idée : utiliser la grande esplanade du Vieux-Port pour créer un festival d'été au coeur du Cannes historique. Il me parlait bien d'un Festival Electro... auquel je ne comprenais, avouons-le, pas grand chose. Je monte dans l'urgence un plateau : Matmatah en pleine bourre en ouverture, une soirée afro-cubaine avec Alfredo Rodriguez, Sinsemilia pour les jeunes, une soirée électro avec NRJ, Ishtar, la voix d'Alabina, l'American Gospel Connexion et en clôture, Rachid Taha qui venait de sortir son CD Medina, un bijou bourré d'un rock électronique "transe", un des plus beaux concerts de ma carrière. Le succès est réel malgré les contraintes techniques d'un lieu nouveau avec plus de 7000 entrées. C'est le dernier soir, pendant le sublime show de Rachid Taha, alors que je suis ivre de fatigue mais heureux, qu'il me présente une personne en me déclarant tout de go : "- Bernard, voici Jean-Marie Sevain, c'est lui qui programmera l'an prochain la Pantiero !".
Violence extrême de la méthode ! Comment ne pas prendre des gants ? Mystère du pouvoir ! J'ai mis longtemps à lui pardonner même si, par la suite, nous avons pu recoller les morceaux et travailler en bonne entente.
Ce que je lui reproche, c'est cette manière de mettre au pied du mur et surtout le moment choisi ! Il aurait attendu la fin de l'été, provoqué une réunion, expliqué son projet électro... cela serait passé comme une lettre à la poste ! Je n'avais pas les "codes" de ce genre musical mais j'avais les clefs de l'action et j'aurais accepté sans état d'âme ! Mais là quand même.. un peu de tendresse, SVP !
Ma satisfaction malgré tout, sera que Jean-Marie Sevain, son ami "branché" et DJ d'opérette sur Lyon, s'avérera un piètre Directeur-Artistique. Il mettra plus de 5 années à égaler mon score d'entrées de la première édition et échouera, de par sa morgue, son incompétence et son mépris des "indigènes" locaux, à devenir un des acteurs majeurs de l'électro en France alors qu'il avait tout pour réussir : le site de Cannes, les budgets, un lieu magique, la terrasse du Palais des Festivals et l'amitié du responsable politique ! Tant pis pour lui même si La Pantièro nous offrit quelques belles pages de musique avec des artistes incroyables !
À partir de 2002, Jazz à Domergue, le Festival Russe et La Pantièro, (déménagée avec bonheur à mon initiative sur le toit du Palais des Festivals) deviennent les institutions du mois d'août et complètent l'offre. Parallèlement, les animations gratuites basculent alors sur un service d'animations de la Ville, sous la houlette d'une adjointe médiocre et d'un ringard qui avait fait la campagne du bon côté ("-J'aurai ton poste la semaine prochaine", m'avait-il déclaré, les yeux dans les yeux, juste avant l'élection de Bernard Brochand !). Il s'est trompé quelque peu le sbire et n'eut que les miettes de l'été, ce colleur d'affiches pas seulement électorales !
Exit donc les concerts de musique du monde offerts aux cannois et aux touristes, bienvenue à la mauvaise soupe des multiples médiocres qui logeaient chez les tourneurs spécialisés dans ce créneau, avides de caser leurs poulains auprès des institutions municipales très souvent incompétentes... et à des prix prohibitifs !
Pendant ces 15 étés qui courent de 1997 à 2012, c'est plus de 800 spectacles que j'ai assurés en programmation ou en production. Nombres d'entre eux résonnent encore en moi, sont toujours présents par la magie d'un public ému, touché, d'une foule aux yeux grands ouverts devant la beauté de la culture du monde ! Tout ne fût pas parfait, loin s'en faut, mais chaque soirée chassée par une nouvelle donnait à Cannes cette dimension d'un "village global"... cher au concept de David Lisnard !
La glorieuse incertitude de l'Art offrait des pages blanches à ceux qui étaient prêts à s'ouvrir aux autres pour mieux les comprendre ! Et à l'heure de la retraite, je pouvais regarder derrière moi avec la satisfaction d'avoir écrit quelques paragraphes en lettres d'or dans l'histoire de la culture cannoise !