La charge héroïque : Hommage à un vieux pote !
À mon âge vénérable, j'ai plus l'opportunité de parler des enterrements que des mariages. Pourtant, entre les deux, se glissent quelques anniversaires, ces dates qui se glissent dans le courant tumultueux de la vie des vieux et qui sont la preuve, à l'évidence, que c'est encore la meilleure façon de vieillir en évitant la mort !
Oui, il y en a encore quelques-uns qui s'accrochent aux branches, ne serait-ce que pour pouvoir connaître ce nom du futur président de la République Française qui nous obsèdent, ou pour constater l'harmonie de cette société que nous avons contribué à ériger et qui semble bien difficile à décrypter pour les ptérodactyles que nous sommes devenus.
Qu'à cela ne tienne, c'est aussi l'occasion pour moi d'exprimer par des mots ce torrent bouillonnant qui s'empare de mon cerveau enfiévré à l'idée de pouvoir faire un nouveau discours et de contribuer ainsi, à ma légende de conteur qui sait charmer son auditoire à coup de punch-line bien senties.
Voilà donc mon dernier né, en hommage à un pote qui n'est pas né de la dernière pluie, même s'il réside dans un région nantaise propice aux déversements d'un ciel couvert qui a en permanence le désir de se soulager sur les têtes chenues de mes copains !
Hommage à Bertrand Delaporte
Bon, on ne va pas en faire un fromage. Tu es devenu vieux et c’est déjà un exploit. Même si tu as plus tendance, désormais, à parler de ta santé que des spectacles de Musique du Monde du Festival de Nantes que tu as programmés avec brio, sans doute à cause de ton sonotone mal réglé qui t’empêche de goûter aux charmes des vocalises de Rokia Traoré et te fait confondre Céline Dion avec Michel Fugain.
Tu es un époux toujours vaillant, un père qui ne s’est pas (trop) trompé en éduquant sa progéniture et un désormais grand-père presque idéal. Mais tu as été aidé en cela par ton modèle, l’homme qui a fait de ton imperfection, l’être exquis qui se complet à l’être. Je parle bien sûr de ton pote Bernard, l’empereur du Palais des Festivals de Cannes, celui qui a su déceler en toi la richesse d’un intérieur foisonnant et la complexité d’un hétéro convaincu qui ne céda jamais à la tentation, même par une nuit d’ivresse au Womex de Séville, quand tu trébuchas sur la piste de danse pour tomber dans ses bras.
Et oui Bertrand, il y a des choses que l’on ne peut effacer même si Alzheimer nous guette.
Tu as été, en cette période où les candidats à la présidence foisonnent, le vrai, l’authentique Leader Maximo de Zone Franche, cette bande de gamins mal torchés qui avait décidé d’affronter le capitalisme sauvage et de donner un souffle nouveau à la culture. Tu étais un chef charismatique respecté (même par moi !), et si tu y as laissé quelques plumes, quel réconfort par contre de savoir que les requins de l’establishment ont tremblé au moins pendant quelques minutes devant les assauts de l’intelligence de la passion et du coeur.
Tu as été accompagné dans ton parcours tumultueux par Françoise, véritable sainte femme, qui décida au siècle dernier de partager ta vie et de t’accompagner dans le confort et la béatitude d’un Che Guevarra des riffs et des solis endiablés. Tu lui es redevable de bien des cicatrices refermées et d’avoir pu passer le cap des 60 ans, puis des 70 ans, même si je sais qu’elle a fait tout cela en attendant avec impatience un voyage, que dis-je voyage, une croisière autour du monde sur un Costa Concordia en légitime retour sur son investissement. Vérifie quand même l’âge du capitaine et avoue à ta charmante compagne, que au vu de la pingrerie de tes amis, tu as dû te rabattre sur un tour de barque sur les rives du lac Léman.
Alors voilà. Tu as basculé chez les septuagénaires et tu deviens l’heureux propriétaire d’une carte vermeil +. Ce sera, malheureusement sans la présence de ton pote Bernard de Cannes, mais cela, je sais que tu t’en contrefiches puisque tu l’as invité uniquement parce que tu voulais revoir Thérèse, sa charmante épouse. Mais même si ta femme est complice, hors de question que je vous la laisse ne serait-ce que quelques heures… j’aurais trop peur qu’elle succombe à votre hospitalité si chaleureuse, à la promesse de plateaux de fruits de mer somptueux (pour info, elle n’aime pas les huîtres), à la quiétude de l’air marin nantais.
Nous aurions aimé partager ce moment autrement que par ces mots, avec vous 2, avec ta famille, tes amis, mais les vicissitudes de cette époque bien étrange, nous imposent de rester au soleil de Cannes, coincés entre des gardes d’enfants, des cas contacts et des plongeons dans la Méditerranée qui te rendent presque jaloux.
Rassure-toi, nous n’en avons pas fini de nous poursuivre de nos assiduités, et quand tu auras suffisamment souqué dans ta barque sur le lac Léman, tu pourras toujours venir te reposer sur nos rivages paradisiaques et te refaire une santé pendant que je m’occuperai de Françoise et que Thérèse, l’infirmière en chef de ma vie, te remettra sur tes pieds.
On vous aime et on tient à vous. Alors rendez-vous pour nos 80 balais qu’on fêtera ensemble dans une cérémonie païenne orgiaque et en attendant, en ce moment précis où tu pleures de me lire, je déguste un bon pastis avec des olives niçoise à ta santé.
Longue vie à toi vieux pote.
PS : Et merci à Lucas, ton fils, qui a accepté d’être mon porte-voix en se demandant pourquoi c’est toujours lui qui se retrouve dans les galères !
Je vous épargne les photos, vu qu'il n'y a plus grande chose à montrer de notre charme légendaire, et je confirme que pour nos 80 ans, on se fera une "teuf" d'enfer avec tous les restes de nos vies de bricoles dans la période bénie de l'âge d'or de la culture et du rêve.
En attendant, on ne connait toujours pas le nom du futur président, et sincèrement, on s'en fout, tant ils sont tous nuls et nous donnent envie de hurler la nuit en regardant les étoiles.
Allez, mon vieux pote, on va se retrouver bientôt quelque part, et comme à chaque fois, j'aurai l'impression de cheminer à côté de l'amitié, sur le versant des belles choses, en bonne compagnie !