Les borgnes magnifiques !
Bon, je ne le suis pas encore ! Mais quand même, au réveil d'un matin blême, quand votre oeil gauche vous adresse le message impérieux d'une absence de vision, vous vous posez des questions bien légitimes !
Après l'urgence d'une consultation auprès de Pascale Wasmer, mon amie et ophtalmologue préférée, force fut de constater que cet implant que l'on m'avait posé il y a une quinzaine d'année pour lutter contre une cataracte précoce, avait décidé de faire des siennes en dérogeant aux sacro-saintes lois de l'équilibre naturel. Rompant les amarres, il décida d'aller se promener dans une cornée bien désolée de le voir prendre des chemins de traverse et quelque peu inquiète des conséquences fâcheuses qu'il pouvait engendrer dans un iris qui n'en demandait pas tant.
Un chirurgien, jeune et talentueux, Laurent Melki, décida alors de prendre mon oeil en main et de se consacrer à faire rentrer dans le droit chemin, l'implant capricieux, et m'opérant en urgence, tenta de remettre l'impétrant en place.
C'est ainsi que je me réveillais après une nuit sans rêves, dans un lit de clinique où des infirmières s'activaient à faire de mon oeil un personnage présentable sous des pansements dérobant la moitié du monde à ma vision chancelante !
Vous me direz, ne voir que 50% de la réalité en ce moment, c'est s'épargner la moitié des horreurs qui frappent l'Ukraine, même si cela n'empêche pas d'entendre la totalité des bêtises d'une campagne présidentielle affligeante !
C'est aussi l'occasion de faire le point, même avec un seul oeil, ce qui est plus difficile, sur le vaste chantier que l'âge a entamé sur les vestiges de mon corps.
N'exagérons pas, le corps médical soudé autour de ma pupille, me promet des lendemains heureux pour un rétablissement originel et la pleine possession de mes moyens oculaires. Un peu comme si vous promettiez aux Ukrainiens que Poutine libérait leurs territoires, renvoyait ses armées à la maison, et décidait de transmettre le Kremlin à un jeune juif, acteur comique dans une tragédie balayant les vestiges du passé.
Moi, j'erre toute la journée au rythme de ces gouttes perlées dans cet oeil... que j'ai à l'oeil et j'attends que des jours meilleurs reviennent afin que je puisse admirer ces pyramides que tant de siècles ont contemplées.
Beauté de la Place rouge, en 2011, quand il n'y avait pas encore des l'armes à l'oeil et que Poutine n'était toujours qu'un pantin alternant les manoeuvres pour se maintenir au pouvoir (cf. La Valse des Présidents !).
Et au passage, notons qu'être borgne en terre de cinéphilie est presque un privilège. Nonobstant cette moitié de l'écran aux abonnés absents, il vous reste quand même le privilège de tutoyer quelques légendes aux agapes du 7ème Art.
John Ford par exemple, n'avait qu'un oeil, mais quel oeil ! Et un bandeau noir sur l'oeil d'un truand ne l'empêche pas de faire Une Chevauchée Fantastique tout en appréciant Qu'elle était Verte sa Vallée pendant que La Garde Noire déclenche Une Révolte à Dublin et que Toute la Ville en Parle !
C'est comme Le Testament du Docteur Mabuse, de Fritz Lang. Avec lui, M le Maudit et Les Bourreaux meurent aussi du côté de Métropolis dans l'éclair Des 3 Lumières... et ce bien qu'il n'ai qu'un oeil valide !
Toujours avec un seul oeil, encore Un Sabotage à Berlin de Raoul Walsh, à la recherche du Voleur de Bagdad, certainement pas Au Service de la Gloire sur La Piste des Géants avec son Convoi vers la Russie bien de circonstances.
Et André de Toth, même son patronyme incite à la prudence. Et pourtant, pour un borgne, faire en 1944 None Shall Escape est bien prémonitoire. " En 1944, un Hongrois ayant fui le nazisme, prédit les procès de Nuremberg avec une acuité sans égale et avertit : ils n'y échapperont pas !" (Citation de Torreben)
Alors, en cette heure où tant d'aveuglement nous amène à nous poser des questions vitales pour l'avenir de nos enfants, de nos petits-enfants, quand le monde s'embrase comme si l'on n'avait rien retenu de l'histoire, quand un paranoïaque peut investir le champ de l'impossible et tient un bouton rouge dans sa main de dictateur assoiffé de son propre pouvoir... oui ma "borgnitude" n'est qu'un détail de l'histoire !
Ce "détail de l'histoire" dont l'auteur, Jean-Marie Le Pen, pourtant borgne, et sa progéniture, ne sont pas invités au banquet des êtres de lumière qui ont façonné des films comme s'il n'était pas indispensable de posséder deux yeux pour créer la beauté.
Et j'ai encore l'espoir de retrouver mon regard de braise afin de pouvoir contempler un monde d'harmonie où les hommes et les femmes de bonnes volontés pourront se prendre par la main et rêver aux lendemains qui chantent pendant que cette clique d'empêcheurs de vivre en paix croupiront dans les relents nauséabonds de leur propre ignominie !