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Le Festival 2022 : bilan avant clôture des feux

Publié le par Bernard Oheix

Que dire, après 25 films, de cette dizaine de jours consacrée à plonger dans les arcanes du 7ème Art ? Que le cinéma de papa, qui vit une crise structurelle sans précédent, peut encore être ce "reflet dans un oeil d'or" qui nous ouvre les portes de l'infini ! Qu'il reste, au moment où il se retrouve confronté à la mécanique engendrée par les confinements, les assauts des plateformes, les nouvelles habitudes des spectateurs, un art majeur nous offrant les portes d'une perception d'un monde bouleversé et bouleversant.

Le thème de cette édition sera donc l'universalité, la confrontation aux pages sombres de l'histoire de l'humanité, le sort des migrants dans un monde sans frontières qui se referme sur lui, les approches des différences (sexuelles, religieuses, sociales) se heurtant aux murs des indifférences.

Un monde sans avenir pour des humains sans espoirs... 

Symptomatiques les 5 premiers films digérés...

Tirailleurs, réalisé par Mathieu Vadepied, produit et avec Omar Sy, où des noirs capturés dans leur pays par l'armée française, après une vague formation militaire, vont servir de chair à canons dans les tranchées de la guerre 14/18 ou Les Harkis de Philippe Faucon, quand les supplétifs de la France sont lâchement abandonnés à leur sort dans un Algérie déchirée qui se libère dans la douleur des colonisateurs.

Rodéo de Lola Quivoron est un film gentiment raté, aboutissement des deux générations précédentes perdues, des jeunes sans illusions cabrent leurs motos dans des rodéos où ils s'inventent une vie de prestige... Bof !

Incroyable Harka de Lotfy Nathan, où un jeune tunisien, 10 ans après la révolte des jeunes, est confronté à un monde de corruption, géré par des incompétents tout puissants, et où sa colère va le porter à l'incandescence d'une révolte destructrice dont sa propre immolation sera l'aboutissement désespéré de la fin des illusions perdues.

Et pour achever cette série inaugurale, Boy from Heaven de Tarik Saleh, un chef d'oeuvre égyptien en compétition, que l'on devrait retrouver distingué dans le palmarès, où un jeune fils de pêcheur obtient une bourse pour étudier la religion à l'université Al-Azhar du Caire, épicentre de l'Islam sunnite, et se retrouve confronté aux luttes de pouvoir entre la dictature militaire et le pouvoir des religieux. À couper le souffle.

Ainsi donc les 5 premiers films de cette 75ème édition donne le tempo. Entre les migrations, les religions et les enfants perdus de ces générations condamnées, le gouffre d'un monde sans espoir, l'inhumanité de la désespérance.

Petit commentaire : imaginons (on en est pas passé très loin !) que Marine ou Éric aient été élus Présidents de la France et qu'ils viennent ouvrir le Festival du Film comme premier acte de leur mandature. Le choc du visionnage de ces 5 films ! Dur d'être un président d'extrême droite dans une France qui accueille le gratin du cinéma mondial !

Et le festival continue dans l'effervescence des bugs informatiques du système de réservation des places, les règles ineptes et les annonces au micro qui nous conteste le droit d'aller plus d'une fois aux toilettes pendant une séance (sic ! désolé les prostatiques !).

La vie s'organise dans la tribu cinéphilique qui s'est installée dans mon jardin. Le matin, tout le monde se retrouve sur son smartphone pour tenter d'accrocher des places dans la salle de la Licorne jamais pleine mais que des quotas cinéphiliques condamnent à ramer pour obtenir un sésame.

Et les perles continuent de s'enchâsser avec quelque scories. Un bouleversant film roumain, synthèse des 5 films précédents, RMN de Cristian Mungiu, Palme d'Or en 2007, qui résume à lui seul, la problématique du migrant dans un village perdu de Transylvanie. Les déchirements devant l'arrivée de 3 migrants dans la seule usine qui peine à recruter sur place, ou comment la pauvreté sécrète le rejet de l'autre et ou la différence devient un appel à la haine.

Je ne suis pas un grand fan des Amandiers de Valeria Bruni-Tedeschi, trop surfait et caricatural, surtout quand on peut voir, derrière, les Pires de Lise Akoka et Romane Gueret, tournage dans une cité de Boulogne d'un film sur la jeunesse perdue. Fort et poignant, authentique même si le final pêche par envie de trop bien faire et de donner des clefs. Ce tandem de cinéastes prouve à l'évidence qu'une génération se dresse pour prendre la réalité à bras le corps et tenter de la transformer.

Et pour couronner cette série en cours, Tori et Lokita, des doubles palmes d'or, les frères Dardenne. Deux jeunes qui ont décidé d'être frère et soeur, l'un avec des papiers l'autre sans, affrontent le monde impitoyable de la combine pour survivre, de la vente de drogue à la prostitution forcée, jusqu'à la fin tragique d'un rêve brisé. Bouleversant et incroyable, une leçon d'humanité pour un film qui porte les couleur de l'or éternel d'une Palme que je propose de leur attribuer à vie...

Il reste tant d'heures et de films que les journées et les nuits trop courtes. Les Nuits de Mashad, de Ali Abbasi, formidable enquête d'une journaliste iranienne sur des meurtres de prostituées commis au nom de la religion, Nostalgia de Mario Martone, où un napolitain exilé vient se confronter à son passé dans les ruelles d'une ville gangrené par la pègre, Joyland, de Saïm Sadiq, un pakistanais plongeant dans les affres intérieurs d'un couple déchiré, coincé entre les règles d'une vie patriarcale et les tourments intérieurs, l'espoir d'une liberté et le désir d'assumer une déviance. Extraordinaire film d'une précision chirurgicale dans la peinture d'une société figée dans les codes de l'honneur.

Bon, je ne vous parlerai pas des films ratés, de mes sorties furtives après une demi-heure de séance, des trop rares parties de rami avec mon beau frère corse, de l'absence de notre cinéphile germain Hartmut. Je pourrai aussi vous dire combien mon ami Hamid Benamra me colle avec sa caméra et me filme sous toutes les coutures, combien son objectif est obsédant.

Je pourrai vous parler des bressans venus en force et de mon oeil qui a tendance à s'enflammer avant même la projection d'un film... mais il reste 2 jours de festival, des spéculations sur les résultats et un grand repas d'adieu à faire avant de retrouver ce palmarès d'un festival riche en passions et en propositions sur l'avenir de l'humanité.

Et pendant ce temps, j'ai presque oublié que Poutine continue son entreprise de sabotage et sa guerre ignoble ! Et pendant ce temps, des enfants sont assassinés dans la réalité, quelque part dans un pays d'Amérique où rien ne tourne comme on l'espérait après la non-élection de Trump.

La vie réelle est bien un authentique scénario que les scénaristes du monde entier ont du mal à saisir dans sa globalité ! 

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