Revoir Paris... et revivre ! Mais sans Godard !
En 2014, jeune retraité, je me laisse porter par l'art de vivre au jour le jour, sans contraintes. Une rencontre sur une plage, une discussion amicale et me voilà embarqué dans le tournage d'un film dans une villa luxueuse du cap d'Antibes comme figurant durement rétribué pour les heures à attendre dans la fraicheur nocturne, un improbable "action", que la complexité du lieu (une villa avec piscine), une scène de baignade de nuit, le nombre de figurants et les acteurs (Matthias Schoenaerts et Diane Kruger) rendaient impossible. Il a fallu prendre son mal en patience en observant la jeune réalisatrice en train de s'évertuer à organiser le chaos avant de toucher le maigre chèque de son labeur.
Ce film était dirigé par Alice Winocour et sortira sous le titre de Maryland... mais ne me cherchez pas dans le flot des convives, même moi, je ne m'y suis pas retrouvé ! Et ce n'est pas pour cette raison, avouons-le qu'il ne marquera pas l'histoire du 7ème Art !
Photo volée entre deux attentes étirant le temps ! Bernard Oheix dans son costume de figurant et Diane Kruger se prêtant au jeu d'une photo souvenir non sans me faire remarquer que cela n'était pas très professionnel !
Je ne savais pas, à l'époque, derrière cette silhouette gesticulant devant les difficultés de tourner cette séquence nocturne pour crier le mot "fin", que la réalisatrice, 8 ans plus tard, me provoquerait un des électro-chocs les plus forts et étonnants que le cinéma m'ait donné de vivre au visionnement d'un film : quand l'usine à rêves rejoint la zone des cauchemars !
Une femme (Virginie Efira) esseulée, entre dans un restaurant branché. Elle contemple les gens et son regard est attiré par un homme (Benoit Magimel) à qui l'on fête son anniversaire. Elle se lève pour aller aux toilettes quand des détonations retentissent, des corps s'écroulent, elle rampe entre les victimes et le sort joue à la roulette russe entre ceux qui échapperont aux balles de la Kalachnikov et ceux qui, pour un gémissement, la vibration d'un téléphone où autres détails se font déchiqueter.
La scène est insoutenable, et cela d'autant plus, qu'elle est tournée avec pudeur, sans effets d'hémoglobine et de plans rapprochés soulignant et grossissant l'impact de cette fusillade d'un attentat jusqu'au noir de l'inconcience !
3 mois après, temps qu'il a fallu pour tenter de se reconstruire chez sa mère en province, elle revient vivre à Paris. Mais les cicatrices sont bien présentes. Elle passe devant le restaurant et est attirée comme par une force à laquelle elle ne peut s'opposer. Elle pénètre dans la salle, erre jusqu'à ce qu'un serveur comprenne qu'elle est une des nombreuses victimes revenant sur le lieu du crime. Il lui annonce qu'il y a des réunions pour les "gens comme elle" le matin et qu'elle peut y venir pour y rencontrer des survivants et des responsables...
Elle va alors entamer un processus de reconnexion avec la réalité, de réapropriation d'une mémoire qui a oblitéré les faits. Grâce à une psychologue qui suit le groupe, elle va tenter de renouer les fils de ce drame pour en faire la lumière. Elle a des bribes par flash, une main secourable, un tatouage sur un bras, un tablier de serveur, un homme qui l'aurait aidée.
L'homme qui fêtait son anniversaire, la jambe déchiquetée maintenue par des attelles, va croiser son histoire, lui apporter la certitude que tout cela était vrai et qu'ils sont des victimes, lui offrir un amour qui aurait pu être le produit de la paix mais se retrouve un lent chemin vers la guérison à deux.
La résilience est en marche et quand elle retrouvera le partenaire avec qui elle a survécut, elle recollera tous les morceaux du puzzle et pourra enfin accepter de vivre, plus tout a fait la même, mais enfin libre d'accepter un futur.
C'est un film éblouissant, sans pathos, qui éclaire de bonheur le drame d'une vie. Les acteurs sont merveilleux de justesse et derrière la face cachée d'un monstre froid, l'espoir demeure de pouvoir surmonter la douleur.
Bravo à toute l'équipe de réalisation et à Alice Winocour pour ce film salutaire dans un monde où l'on voit que les blessures profondes érigées des murs d'incompréhension peuvent aussi cicatriser et autoriser la vie à l'ombre de la barbarie !
Et pour terminer, pendant la correction de cet article, une nouvelle vient de tomber : Jean-Luc Godard est allé tourner un dernier film dans un paradis d'images parfaites qui doit bien l'insupporter ! L'homme qui a révolutionné le cinéma à la machette, aux sentences cinglantes, et fait rentrer l'Art Cinématographique dans la modernité n'a plus de voix pour faire entendre des sons nouveaux.
Même si, cinématographiquement, sa mort était depuis longtemps acquise, (cf mon article dans ce blog : "Crime de Lèse-Godardisme assumé !"), l'homme a tellement compté, est un tel repère, que pour les cinéphiles de ma génération, il restera l'éternel commencement d'un mouvement profond qui changera le regard et la perception du monde.
Jean-Luc Godard pendu avec François Truffaut aux rideaux rouges du Palais des Festivals de Cannes en mai 68 pour empêcher que le festival ne se déroule : c'était il y a plus d'un demi-siècle déjà !