La retraite en chantant !
Encore un départ dans mon équipe de l'événementiel du Palais des Festivals de Cannes, une retraite en bon ordre, la fuite !
C'est une équipe qui vieillit désormais, tous ces enfants du baby-boom en train de s'évanouir dans la nature, cela fait un peu cimetière d'éléphants ! Et je commence à sentir le vieux bouc, mon tour arrive, à l'évidence !
Bon en attendant, voici le discours prononcé lors du pot de son départ. Un discours de plus pour un salarié de moins.
On gagne une parcelle de son paradis chaque jour que Dieu a fait !
Qu’est-ce que la retraite ? On se pose tous cette question un jour ou l’autre… plutôt l’autre d’ailleurs !
60 ans…Hier seulement on commençait à travailler, on arrivait pour un premier poste, timide et impressionné… le temps passe si vite. Les mois, puis les années et bientôt les artères qui chauffent et les cheveux qui ont une fâcheuse tendance à tomber tout seul… et je ne vous parle pas du ventre qui tend la ceinture !
60 ans… On regarde tout autour de soi, il y a déjà nombre de nos amis tombés au champ d’honneur du labeur, mais on se sent encore si jeune dans la tête, on sait que chaque lendemain nous rapproche d’une drôle de frontière… mais elle est là pour nous tous, plus ou moins proche, juste au détour de quelques décades, années… ou même d’un lendemain de fête !
60 ans, mais j’ai l’expérience et je peux vous dire que… trop tard mon vieux…Tu n’as rien à dire… A la casse ! A recycler ! Prends tes cliques et ne claques pas !
C’est ainsi Daniel, qu’une carrière se termine et que la retraite se gagne ! Commencée dans l’enthousiasme des terrains de foot où tu brillas comme gardien de but en te niquant le genou au passage, très rapidement, tu délaissas les salves d’applaudissements des tribunes pour des tirs autrement concentrés, celui des artificiers qui tentaient d’illuminer le ciel cannois, et ce faisant, charmaient ton âme de grand enfant.
Penalty.
Car disons-le tout net, Daniel. Tu as oublié de grandir, tu es resté un gamin émerveillé par les feux de Bengale, les fusées rouges, les spermatozoïdes multicolores et les sifflantes stridentes qui déchirent la nuit du ciel. Au lieu de dormir, tes rêves avaient la puissance des cauchemars, de la nuit paisible, tu faisais un champ de tir pour des mines déconfites au matin.
De ton parcours professionnel, que retenir ? Tant de choses il est vrai !
Que tu envisageais avec délice de devenir un taxi-boy quand tu t’occupais des thés dansants ! Que tu t’activais au dîner des anciens en bisoutant toutes les mamies folles de ton corps ! Que tu plongeas dans les contrats en te noyant sous les chiffres ! Que tu flirtas même avec le jazz en payant Nina Simone de ton charme pour qu’elle joue le soir au festival… Et tant d’anecdotes, de gens qui sont passés et ont disparu, évanouis pendant que tu restais goguenard, gardien du temple, accroché à ton bureau et qu’un jour même peut-être, tu nous narreras tout cela dans un blog qui vaudra de l’or !
Mais cela n’est rien !
Car loin de faire une carrière, de construire une stratégie pour devenir quelque chose en étant quelqu’un, tu as joué avec constance comme un enfant, avec des pétards et des mèches, à celui qui avait la plus grosse, à sauter le plus longtemps et la plus jolie, à regarder d’un œil concupiscent les belles formes éclatées de tes copines les bombes !
Tu t’es marié parce qu’il fallait bien le faire et même plusieurs fois d’ailleurs… Tu as eu un enfant parce que la nature a voulu cela… Tu as fait semblant d’être un adulte responsable et sérieux… mais c’était du vent, Daniel Delesalle, une gigantesque escroquerie ! En effet, moi qui te connais bien, je sais que tu n’aimais rien tant que boire avec les potes en attendant le décisif 10ème coup d’horloge de la journée, le moment où les lumières de la Croisette s’éteignent et où tu levais la tête pour jouir de l’ivresse des paradis d’artifices.
Tu as croisé la route de ces grands anciens chamarrés de médailles, Panzera, mort pour l’internationale des feux, ton pote qui t’a initié à la poudre noire en te droguant à jamais, Lacroix, pas le peintre, l’autre, le shooté de la bombe qui t’a pris sous son aile en te faisant voir des mirages d’hallucinés, Igual l’Espagnol qui boit de la sangria en allumant sa mèche et rigole devant les explosions, et les Portugais, les Allemands, tes amis Québécois, et tout ce petit monde des artificiers, ces hommes virils et barbus qui mâchent la cordite en regardant péter le monde plus haut que notre cul… Ils sont une poignée, on aurait pu les enfermer aux îles et tu en aurais été le garde-chiourme averti et heureux… car ils sont ta vraie famille, ceux que tu aimas et qui t’offrirent asile en leur confrérie de l’inutile !
Tu pars à la retraite mais je sais que tu vas revenir goguenard nous narguer, entre deux croisières les pieds dans une eau de mer chaude, sirotant un dernier Morito pour nous observer en train de courir à perdre haleine derrière un temps qui t’a enfin rattrapé !
Et oui, les bombes c’est comme les hommes… même s’il faut longtemps pour les allumer, elles nous pètent tout de suite au nez en dégageant une odeur de soufre.
Reste alors à vivre tout simplement, et c’est ce que l’on te souhaite, Daniel. Profiter de la vie et mordre dans le gâteau de tous les plaisirs avec juste ce qu’il faut de pétards pour t’enivrer dans les étoiles !