28 films après...
Une orgie de films, des kilomètres d’images qui défilent sous les yeux, des histoires qui se télescopent, s’enchevêtrent et donne une vision composite du monde extérieur. Des pleurs et des rires, du sérieux et du futile, des factures soignées et des images sales… Une histoire du monde en train de se contracter.
Un thème récurrent se dégage, comme si tous les scénaristes de la planète films s’étaient tenus la main pour étirer à l’infini la cause des enfants. Enfants violés, adolescents serials killers, bambins causant l’explosion des structures familiales, drogués, menteurs, bourreaux et victimes à la fois d’un monde qui se convulse en assassinant son futur !
Chaque année on perçoit des thèmes qui surgissent du néant. Cette année, nos chères têtes blondes sont à l’honneur même si ce n’est pas toujours à leur avantage !
Outre le We ned to talk about Kevin de Lynne Ramsay ou la naissance d’un sérial killer, Blame de Michael Henry (Australie), une bande de jeunes en train de tenter de tuer un prof de musique, est pas mal dans l’horreur pieds nickelés, Martha Marcy may Marlène de Sean Durkin campe la fuite hors d’une secte d’une jeune fille rattrapée par son passé, Corpo Celeste de la Suisse Italienne Alice Rohrwacher confronte une adolescente au sentiment religieux dans une Italie du sud sous la férule de l’église, et bien sûr Beautiful Kate de Rachel Ward ou un inceste débouche sur l’éclatement de la famille et le suicide. Nombre de ces films sont réalisés par des femmes, peut-être faut-il y voir un lien de cause à effet avec le traitement du thème de l’enfance ?
Dans la série des implosions en vol, The Tree of Life de Terrence Malick, le si attendu mutique réalisateur des Moissons du ciel, compose une ode incompréhensible aux relents mystiques, sous-utilise un Sean Penn torturé à souhait, donne du commentaire sourd pour souligner des images flamboyantes totalement inutiles, planètes et cosmogonie des désarrois d’un scénariste en panne ! Tout cela pour ça ! Et dire qu’il faudra attendre encore 5 ans avant qu’il ne produise un nouvel opus, un chef-d’œuvre peut-être ! Il y a pire, L’Appollonide de Bertrand Bonello dévoile des corps inutiles dans une maison close, femmes au sein généreux dans le vide d’une existence que le film reflète un peu trop fidèlement !
Tout l’inverse du Melancholia de Lars Von Trier. Une comète fonce vers la Terre…Deux sœurs vont régler leur vie à l’aune de cette collision. Justine dans un mariage avorté pour aller avec sérénité vers une mort annoncée, Claire s’accrochant à la vie pour un enfant qui ne verra pas le jour se lever et un mari bardé de certitudes qui se suicidera avant l’échéance. C’est beau, puissant, terrifiant. Cela s’ouvre par 10 mn surréalistes d’images précieuses à couper le souffle, cela s’achève dans le tourbillon statique d’un holocauste cosmique. Entre les deux, la vie implose de toute part aux sons de la 9ème symphonie de Beethoven et le réalisateur balance des vannes stupides en conférence de presse pour se faire lourder du Festival. Au delà de la « provoc », si Lars est nazi, moi je suis Lénine !
Dans les pépites, The Artist de Michel Hazanavicius. Un film en noir et blanc, quasiment muet avec deux acteurs éblouissants. Le parlant arrive. La star du muet campée par Jean Dujardin rate son passage et se retrouve ruiné par la crise économique. Il va sombrer sous l’œil inquiet d’un ange gardien, la sublimissime nouvelle star du parlant incarnée par Bérénice Béjo. Le final en happy end, l’amour du cinéma que dégage cette mise en scène, la qualité technique en font un film jubilatoire, réjouissant, une porte ouverte sur le souvenir et l’amour éternel. Il sera dans le palmarès, c’est certain !
Le Havre de Aki Kaurismaki est une plongée décalée dans l’univers des petites gens, ceux qui sont ignorés par la grande histoire mais inventent la vraie vie des solidarités. Immigrés, clandestins, boutiquiers, cireurs de chaussures, ils survivent entre la misère et le bonheur, rattachés par des joies simples à l’amour et l’espoir. Des acteurs superbes, une lumière exceptionnelle, une caméra statique qui laisse le cadre vivre du mouvement des acteurs, c’est un cinéma légèrement « différent » pour une histoire de générosité aux résonances universelles. Une superbe page d’espoir à la mise en scène fascinante !
Les Neiges du Kilimandjaro est un authentique bijou. La bande à Guédiguian (Ariane Ascaride, Darroussin et Meylan), tous quinquagénaires proche de la retraite, combattants sociaux et politiques, est confrontée à la misère, au désespoir de jeunes qui n’ont plus de rêves. Un braquage chez eux pour dérober la cagnotte d’un voyage en Afrique, au Kilimandjaro va mal tourner. Leur agresseur derrière les barreaux, ils vont comprendre les raisons de leur échec et les racines du mal qui ronge la société. Un hymne à la vie et au combat pétri de générosité, d’altruisme et de respect ! A voir comme une thérapie à l’indigent La Conquête de Xavier Durringer, apologie à peine déguisée d’un Président en exercice utilisant toutes les ficelles les plus grossières pour détourner l’attention du présent !
Le Festival s’accélérant, une palette de films superbes viennent obscurcir ma capacité à voir le palmarès se dessiner !
La Piel che Habito de Pedro Almodovar est un grand Almodovar ! Va-t-on enfin se décider à lui remettre cette Palme pour en terminer avec sa saga de looser ? Ce serait presque dommage si cela devait tarir son imagination fertile, un univers si particulier, sa gestion des acteurs (Ah ! Banderas !), son scénario aux rebondissements incessants, cette frontière troublante qu’il dessine entre les sexes, les âges, cette photo découpée au laser avec des couleurs criardes. Vive Pedro et sa Palme d’Or.
Ichimeï de Takashi Miike nous offre une première : des lunettes en 3D pour une œuvre flamboyante sur les samouraïs. On peut douter de l’utilité de cette vision en profondeur (bien au contraire, parfois cela découpe les personnages de premiers plans en silhouettes sans chair !), mais le film est envoûtant, construit en puzzle avec retour en arrière, deux « ronins », samouraïs pauvres sans maîtres, vont être confrontés à la misère et à l’amour. L’un se fera « Hara-kiri » pour sauver son enfant, l’autre le vengera dans un combat terrible…Lutte du pauvre contre le riche, de l’amour contre les conventions, du serf contre le seigneur, une belle épopée admirablement mise en scène, jouée à la perfection, alternant les moments de tension et les instants de vie d’un bonheur frugal !
This must be the place de l’Italien Sorrentino permet à Sean Penn d’entrapercevoir le prix de l’interprétation masculine…à tort ! Son personnage de rock star transgenre dépressif à la recherche du bourreau nazi de son père est quand même too much ! Dommage, il y avait de belles idées, de belles images mais ce film se veut tellement mode qu’il en devient racoleur !
N’oublions pas un objet étonnant non identifié, Trabalhar Cansa de Juliana Rojas et Marco Dutr, deux Brésiliens qui osent dénoncer le cancer (le démon !) du travail et de la conception animale de la recherche d’un poste dans une parabole sur une supérette dans laquelle un monstre s’est niché ! Réjouissant et abominable !
Reste Polisse de Maïwenn. Une image un peu série télévisuelle ne gâche pas notre plaisir. Malgré un scénario quelque peu fourre tout (tous les cas de figures sont analysés), des acteurs incroyables de vérité avec un Joeystarr en équilibre entre les forces du bien et du mal, des femmes (Karin Viard, Marina Foïs) bouleversantes, des moments de tragédies, la force d’un groupe, les déchirements des individus, la proximité du mal qui ronge cette brigade des mineurs, font courir des frissons, du rire, des pleurs, renvoyant à l’inhumanité d’une société perplexe, désorientée et à la violence tant physique que morale. Un grand film à voir de toute urgence qui sera au Palmarès !
Voilà, il reste une poignée de films à visionner, quelques heures avant le palmarès et l’aventure s’achèvera dans les remugles d’une chambre d’hôtel new-yorkais offrant un scénario que nul écrivain n’osait imaginer ! La réalité de ces films est parfois bien voisine des cauchemars d’un présent asphyxiant !