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De l'enfer au paradis musical

Publié le par Bernard Oheix

 

Vendredi 17 avril. Dernier week-end de musique, quasiment la fin d’une saison. Salle des Ambassadeurs. 2000 zombis débarquent de la planète « jeans-slim », mèches gominées, femmes enfants à tendance « cagolle », mecs androgynes au verbe trop haut et aux épaules tombantes… Ils sont là, bien présents, nos amateurs d’électro, une nuit si longue qui nous mènera jusqu’à 2h30 en compagnie de DJ’s impériaux derrière leurs machines en train de déclencher des vagues grasses d’un son puissant qui roulent comme des pierres sans mousse !

Objectif bar pour se noircir au plus vite, détour par le balcon pour s’enfumer à « donf », et passage devant la scène pour lever le bras et sauter en rythme, épousailles du vide et du trop plein, degré zéro de l’inutile !

Je l’avais tant espérée cette soirée confiée à David B, un ami programmateur d’une gentillesse extrême, compétence et sérieux, dynamique organisateur de manifestations électro sur la place de Cannes ! Des Pantiero, nous en avons partagées nombre, avec des moments de folie quand basculent les repères, sautent les verrous de la conscience. Cela peut devenir si beau la modernité !

Mais quand la bière est éventée, que le cadre magnifique de cette salle se gonfle d’outrecuidance, que les chiottes débordent d’une pisse nauséeuse, que chaque minute est le reflet déformé de la vanité d’ombres sans horizon, alors, l’électro devient une mauvaise soupe, une potion amère que rien ni personne ne peut sauver du néant !

C’était ainsi en ce 17 avril, une soirée dont la réussite quantitative (2000 personnes) s’est brisée sur l’écueil du vide, où le trouble intérieur d’une jeunesse sans illusion s’exprimait dans l’acidité d’un comportement sans appel. Clops sur la moquette, vomi sur le velours, toilettes dévastées, vendeurs de produits illicites, rien ne nous aura été épargné que l’espoir ne puisse sauver ! Il reste la désillusion et la certitude que nous n’avons pas à œuvrer pour cette fuite sans rêves ! A d’autres l’organisation des nuits Electro, vive la musique live !

Je passe mon tour !

 

Samedi 18 avril. Nous sommes encore plus près de la quille, une odeur suave de libération ! Avant-dernière soirée avant le Festival du Film. Cela sent furieusement le sable chaud, les seins nus des starlettes et la cure de 7ème Art ! Mais en attendant, je vais présenter une de ces petites pépites qui règnent dans mon cœur de programmateur même si elle peine à trouver son public. Voix Malgaches et Fado, mélange des genres cohérent par le biais de voix de femmes, mais aussi d’un lien subtil entre le Fado et le chant universel de l’Afrique, les marins portuguais se nourrissant de ces chants polyphoniques en remontant le long des côtes africaines, comme nous l'expliquait la sublime Mariza. 

Tiharea (La richesse) est un groupe de polyphonies composé de trois princesses. Ando aux formes plantureuses de « mama » africaine, Eliane, petit bout nerveux de chou noir comme du charbon, et rayonnante, Talike Gelle, femme au regard de braise, habitée par la passion de la vie, véritable star au pays des voix de femmes. Leurs tresses traditionnelles, les dokodokos, leur donnent une allure de guerrières sauvages, nous offrent un parfum d’exotisme. Le groupe est issu du pays Androy, une terre sèche et aride couverte d’épineux, où la pluie ne tombe que 10 jours dans l’année, peuplée d’Antandroy durs et volontaires, façonnés par des siècles de survie et de combats contre les diverses vagues d’envahisseurs. Talike est l’authentique petite-fille du dernier roi des Antandroy, Fagnisaha, qui lui contait les mystères de son pays et les légendes d’un peuple. Il l’a chargée à sa mort de devenir son ambassadrice afin que le feu ne puisse s’éteindre et la mémoire s’effacer !

S’aidant de percussions (colliers de clochettes, instruments traditionnels, djembé), en rythme, les trois voix vont sertir le silence religieux de la salle où 300 personnes attendent de s’embraser. Mélodies et « rimotse » (raclements de gorge, halètements, sons gutturaux) composent une colonne sonore envoûtante. Talike peut passer de l’aigu au grave, du rapide au lent, elle est la colonne vertébrale sur laquelle les deux autres voix fusionnent. De l’unisson au décalage, elles nous prennent par la main pour nous faire découvrir les rites séculaires, la douleur des femmes et par-dessus tout, l’espoir et le don de vie de ceux qui sont accrochés par un fil ténu à la réalité du monde. Survivre en chantant et chanter pour faire revivre des siècles d’histoire. Un concert magique qu’une ovation d’intensité saluait en hommage au courage et à la vertu de femmes ordinaires que la grâce des dieux a effleuré de ses ailes !

 

En deuxième partie, le noir se déchire sur une silhouette fantomatique, femme déhanchée, mains derrière le dos, dans un pinceau de lumière rouge, robe ample, cheveux en cascade sur un visage gracile. Katia Guerreiro, émouvante, accrochée à sa voix rauque exprimant la saudade de tout un peuple nous prend par le cœur pour ne plus nous lâcher ! En contrepoint, assis sur des chaises surélevées, trois musiciens (guitares portugaise, sèche et basse acoustique) aux doigts légers, à la stature figée par les siècles d’un pays tourné vers l’univers, marins parcourant les mers, soldats perdus d’un empire défunt, pliant sous le joug d’une histoire trop lourde pour l’individu que la musique rend à l’éternité.

Katia Guerreiro est un médecin des corps, elle pratique toujours son art de panser les imperfections de la nature et pour faire bonne mesure, sillonne les scènes du monde pour dispenser un message de tendresse aux âmes blessées.

La guitare se fait tendresse et sa voix s’accroche aux notes. Dans la grande tradition d’Amalia Rodriguez, elle module chaque phase musicale pour en tirer la quintessence de l’émotion brute. Le public se laisse aller, entre dans sa transe, épouse ses vocalises, du chuchotement à la plainte passionnée. Cérémonie religieuse dans le sens d’une technique sacrée, comme si la musique pouvait devenir un art universel au service de la beauté. C’est Katia Guerreiro, perdue dans un abyme du temps, une boucle infinie qui autorise de communier avec le surnaturel.

Un vieux complice de ma jeunesse cannoise, Portugais de son état, Joao da Fonseca, qui m’a aidé dans la promotion de ce concert, m’avait donné un texte pour sa présentation. Voici ce qu’il écrivait : 

« -Peu de gens ont cette voix, la voix du Fado. Elle vient de loin, des chants anciens, probablement bien avant que le mot fado soit prononcé !

Derrière la guitare portugaise, pleure ses peines d’amour, sa saudade. C’est la fusion limpide des cordes qui se promènent dans les rues de Lisbonne, où se respire la mélancolie aimable d’un peuple.

Tout cela existe, tout cela est triste, tout cela est fado…et tout cela rend heureux ! »

 

Alors nous avons été heureux en cette soirée du 18 avril, du côté du Théâtre de la Licorne, à La Bocca, dans une salle à visage humain, avec un public de gens normaux, d’ouvriers et de blacks, d’hommes et de femmes de tous âges, reflet d’or d’une humanité capable de pleurer pour la grandeur d’un monde sans frontières et de voix venues d’ailleurs pour instiller une parcelle de bonheur dans le quotidien.

C’est si beau le monde quand il chante à l’unisson.

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K
Bravo pour votre franchise pour le premier et le récit trés bien tourné  du second ou j'aurais bien eté si j'etais cannois et non pas à Nice    ! PS :Elle est incroyable cette photo d'Iggy en polo bleu ciel...bien loin de son image stoogienne..:-)
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