Chutes de riens (2)
De retour de vacances…Farniente, baignades et randonnée en mer à la réserve de la Scandola, eau pure et poissons de couleurs, plages désertes, côtes escarpées… la Corse si belle, si fière, si charnelle. Quelques jours à Porto, une semaine à Bastia. C’est 10 jours de rêve, un peu de repos et déjà la reprise avec ces concerts de septembre qui se pointent, 4 jours de musique comme un ouragan…les Tornado et Louis Bertignac and Band of Gnawas, DumDumBoys et Babyshambles (Pete Doherty sera là, bien sûr !), Enzo Avitabile et bottari plus Goran Bregovic, les Young Gods et pour finir les Archive dans leur dernier opus, celui qui fut coproduit par Cannes avec L’Orchestre de Bender… Plus qu’une reprise, une déflagration musicale, un festival feu d’artifices pour ouvrir la saison 2009/2010.
Alors, pour entamer ce nouveau cycle, quelques chutes de riens, épisode 2, textes qui vont rejoindre le néant et qui l’espace de quelques minutes, pourront exister gratuitement, sans espoirs d’avenir. No futur pour les chutes condamnées au grand silence, textes délétères en claquement de doigts.
Chut, les phrases qui vont mourir vous saluent !
Chutes de riens (2).
Mariage et sexe
Petite rubrique sur les chutes concernant le rapport au sexe. Dans le roman qui porte sur la vie d’une femme, je ne pouvais ignorer cet aspect de sa personnalité…De plus, j’ai découvert depuis de longues années que j’aimais écrire des scènes chaudes, le plaisir de la sensualité, tenter de décrire ce qui se trame entre l’émotion du cerveau et la sensation d’un physique en fusion, les gestes et les images. Petit lexique de séquences qui ont sauté en dernier relecture et se retrouvent donc orphelines de lecteurs.
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J’étais toujours vierge, je n’avais jamais perçu le moindre élancement dans mon ventre si ce n’est dans mes duos avec un public qu’une scène séparait de mes désirs. J’ignorais mon corps, ma vie me semblait si riche en émotions que les pulsions d’un physique endormi n’arrivaient pas à exprimer un manque.
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Il tentait de me séduire assidûment, toujours amoureux de sa métisse mais je ne pouvais accéder à son désir et repoussait ses tentatives avec le maximum d’égards. Un homme était bien la dernière préoccupation de mon existence. Je n’avais toujours connu qu’Aimé. Il m’avait initié à ce plaisir physique qui me manquait cruellement, mais en corollaire légué l’angoisse d’un compagnon. Je ne me résolvais point à ouvrir mes jambes pour accueillir un membre d’homme, j’avais si peur de l’après, quand l’homme du plaisir s’estompe pour laisser place à l’homme dominateur et sûr de lui, celui qui doit guider votre existence et devenir l’axe de votre mal.
On nous apprend à subir les hommes comme si la nature nous prédisposait à devenir leur exutoire.
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Je me félicitais chaque matin de le trouver dans mon lit, de sentir son odeur mâle, ses poils qui hérissaient ses joues et ripaient ma peau quand il m’embrassait en s’éveillant. Il était prévenant, me faisait l’amour doucement pour ne pas déranger ce nouveau petit bout d’homme en train de prendre ses aises dans mes entrailles. Il me faisait jouir en murmurant des phrases où il était question de ma beauté, de notre amour, de la douceur de mon ventre. Il me confiait qu’aucune femme n’avait compté dans sa vie et qu’il avait toujours pensé qu’il me rencontrerait un jour, que c’était inéluctable, écrit par les dieux dans le ciel de nos vies croisées. Qu’il avait attendu trop de temps avant que nos chemins convergent pour créer et donner la vie.
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La société se prémuni contre l’inceste. Les rites de la vie commune impliquent des règles très strictes pour lutter contre ce fléau, une mère ne peut dormir dans la même case que son garçon pubère, un père ne peut rester seul sous le toit familial si ses filles ont déjà eu leurs règles. Mais les frontières de la sexualité se bornent à ces interdictions. Rien n’empêche les adolescents de s’aimer.
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Le rapport au sexe différait de la prostitution classique de type européenne. L’aspect commercial pur, l’échange d’argent contre des faveurs codifiées étant largement noyé dans un mélange d’ensorcellement et de naturel qui excitait le client devenu roi d’un soir et d’un corps.
Dans cette dernière décennie d’un millénaire en train de s’achever, une part non négligeable des hommes qui débarquaient, était attirée part le tourisme sexuel. Contre quelques billets, un bijou ou même un repas dans un restaurant, on pouvait finir sa nuit avec une belle indigène, une femme prête à tout pour satisfaire les désirs de son hôte. Le sexe exotique trouvait des débouchés dans ce tourisme de masse confrontant la richesse des possédants à une permissivité naturelle. Le laxisme général et la pauvreté endémique formaient un terreau fertile pour ce tourisme de la chair qui commençait à faire des ravages avec le développement du sida dont les échos arrivaient bien faiblement encore sur ces terres éloignées. Notre catholicisme importé au XIXème siècle s’était dilué dans un animisme primitif et n’avait pu réaliser les ravages commis dans les civilisations occidentales mais cette liberté avait un prix dans notre culture malgache dont les femmes étaient trop souvent les victimes consentantes.
La vie sociale et la scène.
Vu que mon héroïne est une chanteuse née à Madagascar, de nombreux passages du roman portent sur la vie dans ce pays et sur son apprentissage de la scène et du chant. Quelques chutes donc pour évoquer la naissance d’une femme et d’une star !
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Les demandes en mariage sont des moments importants dans les villages, c’est l’occasion de rire de la vanité des hommes. Les prétendants sont encore fragiles à l’aube de fonder un nouveau foyer, leur rappeler la dérision de leurs certitudes fait partie du jeu. L’existence des êtres humains ne doit pas se calquer sur les rites des dieux, ils doivent beaucoup d’humilité à la nature souveraine. Mon grand-père savait tout cela. Il avait organisé la cérémonie avec beaucoup de soin, car même si la famille de mon père s’était installée depuis longtemps dans la région, ils étaient et resteraient des vazahas par leur culture et la couleur de leur peau, des blancs qui ne saisissaient pas toujours les extrêmes subtilités d’une demande en mariage.
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Une phrase me hantait, « je ne verrai plus mon grand-père » me répétais-je. Cette idée qu’une personne pouvait disparaître, s’évanouir et ne plus exister alors qu’elle avait guidée mes pas jusqu’à ce jour m’apparaissait intolérable, incongrue, particulièrement obscène. Comment imaginer cette voix absente ? Depuis ma plus tendre enfance, elle avait résonné à mes oreilles en me transmettant tant de secrets, des histoires d’un peuple dont il restait le dernier dépositaire, l’ultime roi. Imaginer cette source tarie ? « -Tu seras notre voix », me disait-il, mais comment assumer cette prédiction s’il me laissait orpheline de sa sagesse, de ses conseils assurés, de cette empreinte qui s’était gravée en moi et m’avait éclairée tout au long de ces années où j’avais grandi sous son aile.
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Sur la scène des bals et des boîtes, j’étais habillée intérieurement, reflet en miroir de ce que le public espérait, la technique me dissimulant derrière les pulsations de mon âme.
J’étais unique, la puissance de la voix est incommensurable devant le tangible, devant les biens terrestres qui encombrent nos existences et nous dissimulent la nature profonde des êtres.
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Cette fusion physique avec une foule d’ombres me contentait largement. Nul besoin d’aimer un être de chair et d’os quand l’abstraction la plus pure vous autorise toutes les folies. Je n’en étais que plus disponible pour l’amitié, pour les sorties et travaux en commun avec mes amis de l’université. Je refusais absolument toute promiscuité avec la clientèle du « Soleil de Minuit » où je me brûlais aux projecteurs d’une célébrité naissante. Il y avait une césure absolue entre mon monde de la nuit et celui de la journée. La nuit, c’était le chant et l’ivresse des sens, le bruit et la passion. La journée, l’enseignement et la tête, l’affection et l’absence de crainte. La vie était si sereine dans les rues de cette capitale que j’apprivoisais, une sérénité à laquelle j’aspirais depuis l’échec de mon couple avec Aimé, fondée sur une vie intense mais sans peur. Il n’y avait que la carence de ma famille et de Petit Pierre pour me faire regretter d’être au centre de ce monde.
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Je savais que mon histoire ne pouvait se résumer à cette expression de chants traditionnels pour un public qui m’avait vu grandir. Il devait bien y avoir un ailleurs qui m’attendait dans ce monde que l’horizon dérobait.
Je sais la mort des mots, mais qu'en est-il de la vie d'un texte ? Je continue d'écrire en espérant qu'un jour, dans la lumière, ces phrases que j'ai inventées, ces paragraphes à
qui j'ai insufflé un soupçon d'espoir, puissent s'épanouir comme des fleurs au soleil d'une renaissance.
Comment ? Là, il faudra m'expliquer les règles du jeu !