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Danish boy

Publié le par Bernard Oheix

 Cette année, le Womex a émigré. Des ors et décors de la perle sévillane, nous plongeons dans la froideur de la capitale danoise. Des ruelles animées et des bodegas à tapas aux grandes avenues et aux lumières rutilantes d’une ville qui refuse de sombrer dans la nuit. Contraste évident d’un sud orgueilleux et d’un nord pragmatique. Là où régnait un certain désordre, une bonhomie faconde, l’improvisation ibère, désormais s’installe l’efficacité d’un système qui tente de broyer l’aléatoire. D’immenses lieux fonctionnels, des salles prestigieuses, un service de sécurité particulièrement présent, ne peuvent faire oublier les distances qui séparent les concerts du congrès, les hôtels des restaurants, éclatement absurde qui impose des temps de transports interminables et un surcoût particulièrement obérant. La vie est chère, plus chère que dans le sud, les hôtels neufs, petits et ultra fonctionnels jusqu’à la déshumanisation. Logé dans un Cabin’in, (une chaîne qui est à l’hébergement ce que le MacDo est à la restauration, merci à Zone Franche de nous l’avoir conseillé !), par chance situé près de la gare des trains, pas trop loin du centre ville, j’ai dormi dans un lit étroit avec les bras et les pieds dépassant le cadre, comme si les Danois du haut de leur taille élevée pensaient que les touristes sont tous des nains de jardin, me douchant dans une alvéole réussissant l’exploit de rassembler chiotte, lavabo et douche dans le même mètre carré, me cognant dès mon lever dans les angles de cette chambre impossible ! Horizon plat pour pluie fine, nuages bas, canaux soigneusement délimités entre les constructions futuristes de verre et poutrelles d’acier qui parsèment la plaine, c’est une certaine idée du nord, propret et tiré au cordeau, avec d’authentiques blonds peuplant un univers aseptisé.
Il faudra bien s’y faire aux brumes nordiques…

Se rendre au Womex est toujours un moment particulier. Certitude de retrouver les acteurs principaux de la diffusion des Musiques du Monde, show-cases de groupes inconnus en espérant des coups de cœur, stars des scènes culturelles avec parfois des déceptions, ambiance si particulière de milliers de personnes qui se croisent et s’évaluent, tentent de se convaincre et de se séduire, rêvent de gagner le jackpot en obtenant la reconnaissance des programmateurs et, par leur intermédiaire, celle d’un public futur… En tant que Directeur de l’Evènementiel d’un établissement prestigieux, je suis bien sûr sollicité, nombreux rêvant qu’un passage sur une scène de notoriété internationale déclenche la mécanique du succès et de la reconnaissance. Moi, je sais qu’il n’en est rien, que cette scène n’est qu’un plateau comme les autres dans la vie d’un groupe et « qu’un coup de dés ne peut abolir le hasard », mais comment ne pas espérer quand la réalité vous attire vers les hauts-fonds du spectacle vivant, les écueils d’un monde du spectacle en train de muter à marche forcée vers l’aseptisation d’un show-biz conquérant ! 

Le Marché des Musiques du Monde est une grande loterie où beaucoup perdront mais où d’aucuns tirent encore leur épingle du jeu. L’alchimie de la réussite ne s’explique pas, elle se vit. Sabine Grenard, grâce à la prestation réussie des Corses d’A Filetta l’an dernier en show case, vit encore sur cette dynamique, avec des dizaines de contrats signés, des tournées au Brésil, dans les Etats Baltes… et des projets innombrables pour les saisons à venir. Il y a de nombreux exemples de cette roulette russe, d’artistes descendus en flamme à cause d’un médiocre concert ou d’un passage trop tardif, en concurrence avec un autre show…ou bien au contraire, montés au pinacle, effet de mode, discret « buzz », qualité intrinsèque ou survalorisée. L’histoire tranchera, le temps anoblira et les meilleurs survivront même si de nombreux groupes, qui auraient pu prétendre à la consécration, resteront encore dans l’ombre des coulisses en attendant que l’aile mystérieuse de la réussite les effleure !

Le péril rôde pourtant, à la mesure des enjeux d’un secteur en pleine expansion dans des économies exsangues prospectant toutes les niches porteuses de bénéfices. Le spectacle vivant est en train de muter dans sa recherche de profits maximums à court terme.  Laminé par les médias, le public se formate de plus en plus, perd l’essence même de son libre arbitre et de son goût de la découverte. Les scènes deviennent des lieux de méga-shows, des rassemblements où l’on communie avec ferveur à la gloire d’une idole païenne, où tout est conçu pour entretenir un lien de dépendance entre la masse anonyme de ceux qui viennent se recueillir et de celui qui capte la lumière des autres. De ce point de vue, avez-vous remarqué qu’il y a de moins en moins de groupes et de plus en plus de stars… comme s’il fallait mettre des noms sur des visages et rendre unique l’affection de celui qui révère. 

Ce n’est pas l’espace de liberté illusoire d’un Internet qui viendra combler les vides créés dans les réseaux de diffusion, bien au contraire. Loin d’une liberté chérie, ce no man’s land accentue l’individualisme et le repli identitaire, le comportement clanique et la fonction de bande mené par un illusoire leader d’autant plus présent qu’il n’existe pas concrètement, enfoui qu’il est dans un magma collectif informel. C’est à qui dénichera la perle rare, celle qui chante faux, joue grotesquement dans le ridicule qui ne tue plus et fait de la surenchère afin de faire résonner les trompettes de la renommée. Il devient le prolongement exacerbé de sa propre médiocrité, le reflet déformé d’une illusoire gloire. Combien survivront et trouveront leur place dans cet univers glacé géré désormais par des économistes sans mémoire ? Quand la rentabilité d’un artiste est l’aune de la réussite, le temps n’a plus d’espace…et c’est le temps qui construit la relation entre un artiste et son public, l’expérience renouvelée, la répétition vers l’excellence !

C’est le monde des arts de demain et je ne suis pas certain que nos enfants y retrouveront leurs billes. L’exception culturelle dont nous étions si fiers, nous Français, est en train de sombrer sous les uppercuts de l’égoïsme et du zapping. Mais c’est ainsi et ma génération est en train de disparaître, tant mieux, nous nous sommes suffisamment accrochés aux branches du pouvoir avec nos certitudes du savoir, pour devoir laisser la place aux autres…A charge pour eux de gérer le futur, nous, les soixante-huitards avons échoué à créer un monde meilleur, à vous de vous y coller mais attention, la charge est lourde et les échéances incertaines ! 

Et le Womex dans tout cela ? Quelques concerts intéressants, le Burkinabé Victor Demé, un petit vieux à la gouaille géniale dans une vraie musique africaine pleine de rythmes et de chaleur, Les Yeux Noirs, toujours fertiles, traversant le temps avec leur musique tsigane revisitée à la caf’conc,  Watcha Clan, entre l’électro et l’ethnique, des Marseillais à la croisée de tous les chemins en train de définir leur style chatoyant, un groupe éthiopien de fusion de virtuoses…Debba, de belles Comoriennes aux visages peints dans une cérémonie un brin lassante que l’on a pourtant envie de respecter et d’aimer.

La crise est bien là, même si Alpha Blondy, en off, dans le centre ville, nous rappelle que la musique cela se danse et s’éructe, cela se trémousse et se tord dans tous les sens, que cela se trompe et s’expérimente, que c’est un corps vivant destiné à toucher le cœur pour élever l’âme !

 

PS : Et mes « frappadingues » alors ? Dur dur de continuer la fête sévillane. Les lieux éclatés, les missions différentes, les hôtels inappropriés… tout cela malheureusement a nui aux retrouvailles de ce petit groupe d’amis. Il y aura bien la comète Aurélie débarquant d’on ne sait d’où, avec l’Emilie aux charmes si fins, la voix grave d’Ourida la rebelle et Sabine qui perd la sienne de recompter inlassablement ses contrats, les yeux clairs de Claire éblouie par son Alpha à l’oméga, il y aura aussi le rire caverneux de Laurent à l’humus délicieux ultime dépositaire d’un chapeau vert qui rejoindra les rives d’une côte hospitalière, la tendresse de François perdu dans un monde d’adultes et la pizza partagée avec Valentin dans le quartier rouge dans le rire de Soraya, il y aura plein d’autres tourneurs à tourner sans s’arrêter et des « moritos » pour tenir le coup, la fatigue dans les mollets compensée par les éclats de rire d’une nuit sans fond, les rencontres d’un moment d’éternité et les espoirs de lendemains sans chanter…Une fraternité éphémère, construite sur le désir de partager, de bannir les angoisses et de refuser la fatalité, de s’aimer et de rejoindre un paradis où tout ne serait qu’harmonie, musique et volupté, un monde idéal  que l’avenir nous dénie, nous le savons mais refusons de l’accepter et buvons à l’amitié pour le nier !

PPS : Je pense que 25% des opérateurs actuels des Musiques du Monde disparaîtront dans les 5 années à venir…Vous avez dit pessimiste ? Hélas, et si j’étais lucide ! Ce n’est pas de gaité de cœur… mais vous, dites-moi, quand donc vous êtes-vous rendus pour la dernière fois à un concert de Musique du Monde communier aux sons venus d’ailleurs ? Vous avez tort…C’est un des plus beaux partage possible ! La mémoire des autres est un livre ouvert dans lequel notre futur s’inscrit. Le jour où nous ne feuilletterons que les pages de notre propre histoire annonce la fermeture de l’horizon et le repliement sur un identitaire aveuglement. C’est faire le lit de l’égoïsme et forger les conflits de l’indifférence à venir !

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