Italia per sempre !
C’était il y a plus d’un an, lors d’un voyage à Rome pour un projet de co-production du Canto General de Mikis Théodorakis. Monica Reggini, l’assistante du directeur de la Fondazione Parco della Musica, me remet en cadeaux, une série de CD produits par leur structure en guise de bienvenue. J’ai des centaines de CD's qui croupissent sur mes étagères, jamais ouverts, en attente du jour où j’aurais le temps de les glisser dans mon lecteur. Il faudra bien s'y atteler !
Dans la voiture, 3 semaines après, au cours d’un déplacement à Marseille pour visionner la dernière création de Frédéric Flamand, le Directeur du Ballet de Marseille et nouveau Directeur Artistique du Festival de la Danse. J’écoute distraitement quelques CD's, profitant de la route pour tenter de me mettre à jour. Entre un classique et un jazz, je glisse un objet étrange, L’Orchestra Popolare Italiana. Choc. J’arrête la voiture sur une aire d’autoroute et je vais ainsi m’écouter 30 mns d’une musique étrange sur ce titre « Taranta d’amore ». Secousse tellurique ! Attention...Révélation !
La Tarante est ainsi appelée, parce que lorsqu’une tarentule (l’araignée) vous pique, vous entrez en transe et l’écoute de cette musique du sud de l’Italie est censée vous provoquer ce même état d’abandon et de dissociation entre le corps et l’esprit. Cette transe, je l’ai réellement vécue du côté de Draguignan, entre quelques camions à l’arrêt et le flot ininterrompu de voitures fonçant sur l’A7.
De retour au bureau, je téléphone à Monica Reggini et lui demande si l’orchestre tourne et s’il est libre. Aussitôt dit, aussitôt fait, nous prenons rendez-vous pour la saison d’après, presque un an à attendre. J’obtiens la présence d’une star Italienne, Carmen Consoli, que j’avais déjà accueillie il y a 5 années, et qui interprétait un morceau sublime sur le CD Tarenta d’Amore et le temps passe. Pour corser la soirée, je rajoute une première partie, Sylvia Malagugini, et me voici doté d’une belle « Nuit Italienne » pour ma dernière saison à programmer, le jour de la Fête Nationale de l’Unité Italienne.
Arrive donc le 10 décembre 2011. Si le public n’a pas vraiment répondu (mais où sont donc les si nombreux italiens de la Côte ?), les 400 personnes dans la salle Debussy permettent de lancer la soirée dans de bonnes conditions. Sylvia Malagugini tente de s’imposer… Elle y arrive difficilement ! En effet, son spectacle étonnant, sa représentation exigeante se dilue sur cette grande scène jonchée des instruments de musique de l’OPI. Idéal pour une scène intimiste et pour un public en communion, ses vocalises et poèmes se perdent dans l’immensité du vide de la salle, caisse sans résonnance pour une artiste de proximité. C’est beau pourtant, élégant et fort, voix puissante, entre un tour de chant et un spectacle visuel mais c’est une erreur de casting qui ne sert, ni l’artiste, ni le public.
Don't acte !
Entracte.
Ambrogio Sparagna. Un leader branché sur une pile d'énergie. Dans une salle pas forcément acquise au départ, il va faire monter la température jusqu'à un point de fusion où tout le monde debout sera en communion avec le groupe !
Un musicien soufflant un son aigre dans une peau de mouton pénètre sur scène. C’est un « zampogne », sorte de cornemuse typique de la Sicile dans lequel il souffle à perdre haleine. Un immense barbu le rejoint et entonne un chant guttural en hymne d’ouverture. Voix basse et grave sur les sonorités acides du zampogne.
L’orchestre s’installe, une douzaine d’hommes et de femmes, jeunes, beaux. Dès les premières mesures du chant inaugural, on sent une force nous aspirer. Une vraie énergie en flots tumultueux envahit l’espace. Le leader, Ambrogio Sparagna, avec son accordéon, va impulser le rythme démoniaque d’une cérémonie païenne, une bacchanale où chacun danse, soliloque, et fusionne avec les autres. C’est un son puissant, qui évolue en boucles qui se resserrent, se confrontent et débouchent sur une explosion générale. Comme un boulet que l’on projette vers le spectateur et qui s'accélère au lieu de s’épuiser, qui prend son envol jusqu‘à percuter le public de plein fouet.
Avec son tambourin, elle va introduire un moment de pure poésie, une claque pour ceux qui pensent que la sophistication et la quantité de matériel sont indispensables pour créer l'émotion !
Des moments inoubliables vont se succéder dont un solo de tambourin à faire oublier la réalité de cet instrument. Variations infinies entre la percussion et une « base » de frottements qui sécrètent des sons étirés, véritable synthèse entre le coup et le « glissando », 10 minutes de jouissance. Tous vont chanter, de belles voix fortes qui tirent les sons, qui attirent les notes s’agrégeant en torrents qui peuplent le silence d’une mémoire ancestrale. Beaucoup danseront, sautillant sur scène dans des chorégraphies qui épousent les rythmes syncopés des mélodies.
C’est une formidable soirée où se conjuguent la tradition séculaire d’une Italie du Sud et la modernité d’une mise en scène sans concessions, sans facilités, tournée vers la communion et le partage avec le public.
Et quand Carmen Consoli entrera dans le cône de lumière, seule avec sa guitare et sa voix rauque, un frisson va courir dans la salle depuis longtemps conquise. Ambrogio Sparagna viendra la rejoindre pour un « chiami-rispondi » entre leurs voix et leurs instruments. En final, elle interprétera avec l’ensemble des musiciens, un morceau sublime de beauté, un opéra moderne, un bijou ciselé de toute l’humanité d’une soirée hors du commun.
La belle et troublante Carmen Consoli. Une voix à faire chavirer la salle. Nous sommes tous des Italiens !
Italien ou pas, en ce 10 décembre 2011, il fallait se trouver du côté de Cannes, dans un Palais des Festivals transformé en auditorium de toutes les cultures, de toutes les facettes de la magie musicale d’un art populaire authentique, quand la tradition bien comprise débouche sur la modernité et que le talent nous offre l’éternité !
PS : les photos sont de mon pote Eriiic Derveaux !