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La Turquie et la Mort.

Publié le par Bernard Oheix

 

Retour de Turquie. La tête ivre d’images si belles, d’un peuple de civilité, d’une propreté à faire noircir les trottoirs de nos rues. Comment donc une telle image, tant de décalage entre leur histoire somptueuse et notre calque à faire des envies, comme si ce modèle occidental que nous portons ne pouvait qu’écraser leurs millénaires dorés. Entre l’Asie et l’Europe, à cheval sur le Bosphore, avec toutes les interrogations d’une religion qui a tant de peine à demeurer dans la sphère privée, j’ai rencontré des Turcs avenants, polis, se levant pour offrir leur place dans des tramways bondés, des commerçants aux sourires charmeurs, capables de cesser d’importuner quand le malaise monte, souriant devant le client potentiel sans l’agressivité de certains marchés plus tendus d’Orient.

Miracle des rencontres, une amie turque de ma tante nous invite à résider dans leur appartement de Bagcilar, un quartier excentré d’Istanbul à 45 minutes du centre historique, vie partagée avec une population de labeur, des voiles se confondant aux silhouettes de jeunes filles libres, comme si un équilibre fragile était encore possible entre une religion prosélyte et la modernité d’un peuple branché sur l’avenir. L’histoire nous dira si ce n’était encore qu’une illusion de plus, à l’heure vécue d’élections qui conforte le parti islamiste d’Erdogan sans lui octroyer malgré tout les pleins pouvoirs d’une majorité absolue. Attendre et espérer que religion et démocratie puissent enfin se conjuguer harmonieusement.

Le quartier est un gigantesque marché à ciel ouvert…Il nous  faudra plusieurs jours pour nous y reconnaître, plusieurs voyages à errer dans cette mégalopole de 13 millions d’habitants, sans savoir où nous nous trouvons, avec des prononciations impossibles à expurger, des rues qui se ressemblent et grimpent à l’assaut des collines sous un soleil de plomb. La vraie vie turque, avec Iskanders, concombres et salades et autres Kebabs croustillants, grignotés sur des tables basses à même la rue, dans la nuit transfigurée !

Que dire des musées, des monuments, du grand Bazar, des citernes…Rajoutez un de mes anciens étudiants de l’Université de Nice comme guide attentif. Tolga Oghuzan en découvreur de la rive asiatique qui nous offrira un coucher de soleil sur la Mer Noire à désirer rejoindre les cieux pour s’embraser…Qui nous fera déguster des poissons grillés les pieds dans l’eau !

Je ne sais pas si la Turquie doit rentrer dans L’Europe politique…voilà un débat bien complexe à appréhender, mais c’est sans aucun doute un pays qui peut donner des leçons à bien des démocraties occidentales et où le sort d’une certaine idée des relations humaines se joue. Que ce bastion de cultures sombre dans la barbarie et l’intégrisme serait un signal terrible pour ceux qui pensent que c’est en s’ouvrant que le monde se développera et s’harmonisera ! Cela donnerait raison à tant de gens frileux qui, dans chaque camp, fourbissent les armes de la division et de l’exclusion en rêvant d’un sang impur.

 

Ce sang a coulé à mon retour. La mort en instantané. 60 années dont 40 à travailler dur dans une fileterie, à tresser des câbles pour les chantiers d’une modernité qui dévore les matières et leurs servants, dans des conditions de vie naturellement pénibles et ignobles pour mon ami Hocine T.

Deux ans pour construire la maison de ses rêves comme une retraite bien méritée. Une femme, 4 enfants. Un marocain sans Maroc, un Maghrébin d’Europe, à ne plus savoir exactement d’où l’on vient mais à espérer savoir où l’on va ! 30 ans à se connaître, s’aimer, nos familles réunies par les enfants qui grandissent ensemble et jouent sans distinction de races, couleurs et cultures.

Et le moment fatidique où l’on installe son portail d’entrée, comme pour signifier au monde entier que l’on s’est libéré de toute contingence, que l’on peut goûter la sérénité d’un azur sans nuages.

Curieuse douleur que ces pointes de feu qui le transpercent et qu’il tait par pudeur, par refus de dire le mal, parce que les mots ne peuvent exprimer la souffrance et qu’il est préférable de taire l’indicible en une tentative désespérée de nier son futur.

En février dernier, le déchirement de ne plus pouvoir contenir ces miasmes et la réalité d’un cancer qui ronge. Je devais aller le voir en pèlerinage, parce que l’on connaît la destination finale et qu’il est bon d’emporter une dernière image du passé. La semaine d’après. Trop tard pour moi. Si tôt pour lui.

Emporté par la vague. C’est son corps que j’ai salué à mon retour de Turquie. Une enveloppe vide dont on ne percevait qu’un visage drapé de blanc sur lequel un étrange sourire semblait nous narguer.

Dans la mort d’un être aimé, il y a deux sentiments opposés qui se télescopent. Le premier est l’affection d’une absence irréversible, sentiment de trahison d’un départ inopiné. Il y a aussi en revers, comme un soulagement d’avoir échappé à ce mal insidieux qui nous guette et n’attend qu’un faux pas pour faire son œuvre de destruction. C’était lui, hier, demain se sera moi, mais j’ai gagné, bien malgré moi, quelques heures, quelques années de répit, et je veux les vivre, pour lui !

Comment ne pas accepter la mort de l’autre quand sa propre fin est si voisine qu’un rien peut nous faire basculer dans ses bras tentaculaires. Je vais donc survivre… toujours, mais jusqu’à quand ?

La cérémonie musulmane se déroulera dans le carré de ce cimetière lyonnais, tout de blanc vêtus, comme un moment de grâce, entre tristesse et une forme, sinon de gaieté, du moins de sérénité assurément parsemée de rires nerveux et de sourires complices.

Nous mangerons, partageant le pain et les souvenirs, nous rirons en évoquant des anecdotes mêlées, nous jouerons au poker, persuadés qu’il n’aurait vraiment pas aimé me voir miser de l’argent contre ses fils (j’ai gagné !). Nous l’avons fait revivre quelques minutes en sachant cette relativité d’une vie en creux. Et en rentrant de Lyon, dans ces heures d’autoroute qui nous ramenaient vers sa Méditerranée, un vide s’est rempli… une absence définitive n’est plus une béance, juste un lambeau d’espoir qui s’évanouit avant que la mort ne vienne sonner en mon propre jardin !

 

 

Commenter cet article
K
<br /> <br /> Merci pour ce partage d'humanité et cet oeil bien ouvert sur le Monde..<br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> merci pour tes commentaires toujours très pertinents...On bouffe ensemble un de ces jours ?<br /> <br /> <br /> <br />