Lettre à Patrick Raynal, écrivain.
Il y a des rencontres fortes, des personnalités qui marquent et façonnent notre existence. Patrick Raynal fait parti de ces gens que je suis heureux d'avoir connus. On en a passé des heures à rêver ensemble d'un monde meilleur dans ce début des années 70 si riche en tension et en action. Et puis il a pris son envol, il est devenu écrivain, directeur de collection, sa vie a épousé les mots et il en a fait une longue et belle phrase. On ne s'est jamais perdu de vue même si les distances parfois entretenaient ce mystère du passage de la jeunesse au statut d'adulte affairé à se dépêtrer afin de construire sa propre vie, entre travail, famille, et un passé qui nous cheville au corps.
J'ai fait la mienne, heureuse, intense, mais toujours, un de ses livres me rappelait que nous avions partagé le même rêve d'écrire.
On vient de se retrouver, un peu plus, et comme si le temps n'avait rien effacé, nous nous sommes reconnus, encore et toujours.
Et puis il m'a offert son dernier opus et j'ai eu un vertige, l'émotion brute de savoir que derrière ses mots, il y a un peu de nous. C'est son talent qui donne un sens à des vies. Il vient, pour moi, de sortir de la littérature pour entrer de plein pied dans le monde beaucoup plus vaste des porteurs de lumière.
Ce livre est un éblouissement !
Lettre à ma grand-mère. novembre 2010. Flammarion
Cher Patrick,
je viens de terminer "Lettre à ma grand-mère".
J'ai toujours pensé que tu avais une vraie personnalité, du style, que tu savais y faire... trop parfois, un peu faiseur d'ailleurs, à
l'image de ce héros de la révolution que tu incarnais
dans notre jeunesse estudiantine niçoise, de ce Patrick Raynal truculent, espiègle, doté d'un sens de l'humour et d'une capacité
d'observation hors du commun que j'ai connu. Tu avais juste ces quelques années de plus qui te donnaient l'expérience, qui
t'autorisaient d'être devant moi comme un repère… 4 ans, c'est rien à 60, mais énorme, un fossé, à 20 ans.
J'ai toujours été fier de ce lien ténu d'amitié, moi qui ai connu par mon métier, beaucoup de gens célèbres, j'avais eu cette chance de te
connaître avant ton succès !
J'ai eu mes quart d'heure de gloire, plusieurs, mais ces mots dont je suis persuadé être apte à les dompter, je ne les ai pas suffisamment
aimés pour leur donner une vie propre.
On pourrait aussi imaginer aussi que quand j'en avais le temps, je n'avais rien à dire, et que dès que j'ai eu beaucoup de choses à
raconter, je n'ai plus eu le temps de les écrire.
Tu ne peux pas imaginer comme j'étais fier (et un peu jaloux !) de Very Nice et surtout d'Un tueur dans les arbres… Après, je m'y suis
fait, tu étais un écrivain et moi non !
Un peu volontairement, j'ai coupé ce lien d'amitié, je voulais revenir, moi-aussi bardé de certitudes, un bon bouquin chaud sorti de
presse comme passeport pour retrouver notre passé
et signifier qu'il s'était bien passé quelque chose dans cette ville atypique au coeur des années 70, que deux écrivains pouvaient par la
magie du hasard naître en même temps,
dans le même lieu.
Bon, il n'en a rien été, pire, tu m'infliges ce coup de génie de "Lettre à ma grand-mère". Tout ce que j'aime dans la littérature. Tout ce
qui montre que derrière les mots, les phrases, il y
a de la vie brute, du sentiment, de l'impudique, de la matière…
Tu touches si juste que tu prends tes lettres de noblesse à travers la vie de cette grand-mère héroïque. J'ai presque envie de dire que je
suis jaloux de ta résistante aïeule, de ton Général Pfister, d'une saga familiale qui t'offre le vertige de plonger dans
l'histoire, de ce qui se dessine à travers toi et te confère une dimension d'auteur à part entière.
Le texte de ta grand-mère est fort, dérangeant, situé dans un au delà de la littérature renvoyant à une horreur difficile à
conceptualiser… mais le tien est une plongée déroutante et émouvante dans l'univers des mots, les vrais, ceux qui dévoilent la
réalité et grandissent celui qui les structure et leur donne une existence, leur offre une vie propre, organise le chaos, transcende la matière.
Voilà mon Patrick ce que je voulais te dire…
Et le fait que j'ai pissé au lit jusqu'à 15 ans et qu'un psychiatre me "soigna" à coup de phénobarbital et de trimétadione en annonçant à
mes parents que je ne ferais jamais d'études... n'est qu'une facette de l'étrange attirance que ton texte suscite en moi
!
A la revoyure compadre !