Linge Sale (1)
Mon jardin, toujours, lieu des grandes décisions de la programmation… C’est plus facile avec un bon rosé et des copains autour de la table de concevoir des projets ! Printemps 2011, Régis Braun, un metteur en scène ami. Ensemble, nous avons créé quelques belles pages de la culture Cannoise depuis 15 ans. Jusqu’au bout de la nuit de Rezvani, avec un pianiste perché dans les cintres, un étang sur scène (là, il avait fait fort, le bougre !), Schweik 2000, à la médiathèque de Cannes, libre interprétation de la pièce de Milan Kapel, déambulations dans les jardins luxuriants autour d’un homme qui devient le jouet des autres mais que son innocence protège de la méchanceté des autres et des institutions. Victor et les enfants au pouvoir, La fausse suivante de Marivaux et On purge Bébé de Feydeau complètent ce panorama d’un théâtre de réflexion et de divertissement dans un processus de création régionale et de productions autonomes.
Avec Régis B, on a souvent rêvé que nous transformions le monde (du théâtre), mangé des huîtres à Marseille en assistant à une trilogie d’Eschyle (ou d’un autre Grec… Je ne sais plus exactement !), imaginé des plans improbables, tenté de faire un Brecht (Je n’ai jamais, en 15 saisons pour près de 200 pièces, pu accueillir un Bertolt Brecht, sniff !). Alors, au crépuscule de mon ultime opus, toujours dans mon jardin, je lui propose une dernière wild-card pour avril 2012. Il acquiesce et m’assène débonnaire : « -OK, mais je choisis la pièce et il y aura un rôle pour toi ! ». C’est typiquement le genre de chiffon rouge auquel je ne peux résister. Il me connaît le bougre ! J’opine du bonnet en resservant une tournée de verres de rosé et on passe à autre chose tout aussi important, du style nature du dessert ou couleur du pousse-café !
Le temps s’écoule, le programme de la saison 2011/2012 « Donner du goût à vos sorties » sort avec Mon ami « Caramella fait son Cinéma » en ouverture, La Nuit de la Guitare avec tous mes potes, Le Crazy Horse, Huun Huur Tu, Hubert-Félix Thiéfaine (qui a l’obligeance de rafler 2 Victoires de la Musique un mois avant et par conséquent de me remplir le Grand Auditorium), et un mois d’avril final en apothéose avec Le Canto General (cf. mon article précédent), Linge Sale de Jean-Claude Grumberg dans une distribution comprenant Jean-Paul Icardi, (un des pseudos que j’utilise régulièrement quand je veux cacher certains aspects de ma vie secrète) et les Voix Passions, ultime concert produit par un certain Bernard Oheix qui aura été le Directeur de l’Evènementiel du Palais des Festivals de Cannes de février 1992 à avril 2012 !
C’est dans le courant de l’été (donc trop tard pour pouvoir intervenir !) que Sophie Dupont, mon adjointe et future remplaçante, me demande si j’ai vraiment lu la pièce et si je sais quel rôle je vais interpréter. Que nenni !
Et je me plonge dedans, découvrant avec horreur (et un zeste de fascination !), que je vais entrer en début de deuxième partie habillé en blonde patinée, pour revenir en Martiniquaise explosive, et finir en technicien de base désorienté ! Et ce sera ma dernière pièce en tant que Directeur de l’Evènementiel, le 20 avril 2012 ! Heureusement !
1ère lecture en décembre 2011 avec toute l’équipe au complet, une mise en bouche pour analyser les personnages, leur
donner du sens, tenter de saisir ce que Jean-Claude Grumberg, (9 Molières, plusieurs Césars, auteur de L’Atelier) a bien voulu imaginer dans cette œuvre complexe sous-titrée (par lui-même),
« une pièce sur le moins disant culturel ! ».
Mi-mars, les comédiens entament leur marathon au Théâtre Francis Gag de Nice où se déroulent les répétitions et je les rejoins fin mars pour travailler ma partie finale. Longues journées épuisantes, de 10h à 19h, lectures à l’ espagnole ou italiennes, filage. Apprentissage du texte aux forceps (mais comment font-ils pour l’ingérer, des pages entières à la virgule près), répétitions des gestes et déplacements…
Essayage des costumes, une blonde patinée aux gros seins, lunettes, bas, maquillage. Escapade en ville afin de trouver des chaussures à hauts talons (compensés !), tête des vendeuses devant mon 42 fillette… Confection de ma tenue Antillaise par une amie du Palais, elle-même Martiniquaise, avec bijoux, chapeau et apprentissage de la méthode pour se maquiller en noire voluptueuse (!!)… et toujours ces journées et soirées épuisantes à travailler, ressasser inlassablement des bouts de textes et des attitudes, des positionnements dans un décor qui prend forme petit à petit. La nuit, je réveille ma femme pour des lectures de textes, je lui impose des répétitions forcenées dès que nous roulons en voiture afin de mémoriser ces foutues 30 répliques rétives et ces 5 tirades un peu plus longues qui s’obstinent à me fuir au moindre problème de déplacement sur scène ou de stress…
La peur d’être ridicule, la voix haut perchée de mes premières interventions, les repas sandwichs et les crises de rire et tensions d’une microsociété soudée autour d’un projet mais qui vit sous l’œil des autres.
J’ai découvert, après 30 années à programmer des acteurs, chanteurs comédiens, « la vie d’artiste » de l’intérieur, les petits riens, échanges et autres réglages permanents, les breaks et le trac de chacun, même des plus aguerris, au moment de se livrer au public. La distribution particulièrement brillante, de talentueux comédiens me permettant dans ce rôle « exhibitionniste » de faire illusion sur ma nature d’amateur éclairé.
Enfin, la symbolique incroyable de terminer seul en scène (c’est dans la pièce originale !), moment jouissif renvoyant à la fin de ma carrière professionnelle, écho de 15 ans de programmations, de la création de ces « Saisons à Cannes » en 1997 avec Sophie Dupont, mon adjointe qui me succèdera au 1 juillet prochain.
2000 groupes, artistes, compagnies et troupes pour des heures de souvenirs grands ou petits, de triomphes et de bides, de pleurs et de rires…de prouesses et de ratés. Mais on y reviendra plus tard.
Pour l’heure, la blonde, la Martiniquaise et Henri, le technicien de base sont heureux de vous saluer !
Vive le théâtre !