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Michèle, ma belle, sont des mots...

Publié le par Bernard Oheix

Situons l'affaire. Le service de la billetterie du Palais des Festivals est dirigé depuis plus de 20 ans par une personne haute en couleur, au caractère bien trempé. Michèle Gastaldi. L'âge de péremption, qui nous guette tous, arrivant à grand pas pour elle, son équipe décide de lui organiser une fête surprise et me charge de lui faire un discours pour son départ à la retraite. Ma réputation de "discoureur" n'étant plus à faire en ce lieu que j'ai hanté pendant plus de 20 années où je l'ai côtoyée au quotidien... Mission complexe !

J'ai donc entamé mes déambulations oratoires en l'invoquant, annonçant que, par ce fameux principe de l'arroseur arrosé, elle avait eu vent de l'affaire et m'avait contacté afin que je lise son propre discours. On n'est jamais si bien servi que par soi-même !

Et j'ai donc présenté ce qui était sensé être sa prose. Et elle a pleuré... même si les autres ont beaucoup rit...

 

 

Moi, Michèle Gastaldi, âgée de soixante et... (Bip), saine de corps et d’esprit, même si certains peuvent en douter, en mon âme et conscience, déclare faire don de moi-même et du reste d’ailleurs au Palais des Festivals de Cannes...

Car qui mieux que ma personne peut symboliser les dernières décennies de ce Palais des Folies de Cannes ?
Qui mieux que Michèle Gastaldi, peut vous replonger dans la préhistoire de la Semec, la Société d’Economie Mixte pour les Evénements Cannois. J’étais presque là quand ils ont créé le Festival du Film, (bon, j’exagère un peu quand même...), j’étais toujours là quand ils ont abattu le vieux Palais, j’étais une des premières à occuper un fauteuil dans le nouveau bâtiment ultra laid qu’ils ont érigé et qui portait bien son nom de bunker, je me suis lové dans ce bureau de la vente des billets avec la satisfaction d’avoir atteint mon but...C’était dans la décade avant la dernière décade du précédent millénaire... Vous suivez ?
Au début c’était dur, on attendait les clients comme le messie (pas le footballeur, j’ai jamais aimé les footballeurs même si leurs jambes musclées et fuselées parfois me le faisait regretter), faut avouer qu’on avait (presque rien) à vendre, Jean-Pierre Carriau ne venait qu’une fois par an avec sa Performance d'Acteurs, Bernard et Sophie n’étaient pas encore dans nos murs et ne programmaient pas ces concerts bizarre de nègres chanteurs ou de rappeurs hurleurs, ces cirques à moitié cinglés de déjantés, ces ballets modernes où l'on se trémousse sur la scène... Non, non, au début, j’avais pas de clients mais des vrais spectacles, du théâtre bien de ce soir, des danseuses en tutu de Ballets Russes, des chanteurs à voix de la variété française, des musiciens vraiment très classiques...enfin des choses normales, quoi !
Bon, c’est vrai que c’était pas facile techniquement. Tout était manuel. J’avais bien formé mon quarteron de filles à faire des beaux traits avec des belles couleurs sur des plans papiers des salles et je pouvais gommer et mettre qui je voulais ou je voulais...
Mais Michel Lefrancq, le Directeur fiancier de l'époque, m’a obligée à passer à l’informatique, et du coup, il a fallu que j’apprenne à pianoter sur l’écran, à maîtriser des codes, les listing si froids, les soldes jamais justes...avec le crayon, c’était plus facile, un coup de gomme et hop, l’opération s’équilibrait... Non, c’est dur de vivre la mutation...mais je l’ai fait !
Et puis il a fallu que je m’adapte aux cinglés de l'Evénementiel. Cela a été le plus difficile pour moi. Ils voulaient toujours avoir raison. Moi, je leur disais, faites moi des ballets russes le 31 décembre, et eux, ils programmaient de l’Opéra de Pékin avec plein de chinois et leurs couinements de sauvages qu’on a toujours l’impression qu’ils se coincent les roubignoles dans le sas du Grand Audit, ou même des rockers que je savais pas qu’ils étaient encore vivants, l’iguane, un mec qui se retrouve à poil sur la scène et éructe des mots que l’on ne comprend pas vu qu’ils sont couverts par la musique, et quand je dis musique ! Ou l’autre drogué de Pete Doherty que les filles lui envoyaient leur petite culotte, même que je me suis laissée emporter et que je lui ai envoyé ma culotte petit bateau... il n’en a pas voulu et me l’a renvoyée... Après ces soirées, c’est moi qui devait m’expliquer avec les abonnés, c’est à moi qu’ils confiaient leur désespoir...
Parce que pour bibi, c’est un service public que j’assumais. Les autres, la haut, ils avaient bien construit comme si c’était une révolution, un système d’abonnement et de réseau de relais... Mais qui les dorlotait individuellement, qui les coucounait, leur offrait un chocolat dans son bureau, qui donnait de sa personne pour les convaincre de résister et d’accepter que le monde change... Et Dieu sait s’il mutait ce monde incompréhensible !
J’ai été une mère poule (et celui qui dit mère maquerelle, je lui défonce la tronche !) de mes filles de la billetterie. Et que je te les formes à avoir un beau sourire, et que je choisisse leur soutien gorge, et que je te les manage pour monter des horaires à faire rêver un Philippe Lougarre, l'actuel Directeur Financier, obnubilé par l’idée de faire du chiffre, (...mais monsieur Lougarre, c’est pas moi qui programmait, hélas, c’est eux) , et que je m’occupe de leurs soucis, de leurs amours trahis, de leurs bobos...

Mais je suis fière de cette belle aventure. Je dois reconnaître, que j’ai même aimé quelques uns des spectacles des autres olibrius, que parfois, j’ai eu des compliments de la part de mes abonnés chéris, et que au fil du temps, j’ai eu la très nette impression que je pourrais rester éternellement derrière mon bureau, près de la cave, sans fenêtre, avec l’issue de secours où tous les jeunes drogués du coin venaient se soulager la vessie, à vendre pour l’éternité des spectacles qui n’étaient même pas Julien Clerc où Le Lac des Cygnes....

Et si je restais d’ailleurs, si je rempilais pour une petite décade ?
Quand Bernard O. est parti, pour être honnête, j’y ai sérieusement pensé... Je me disais, enfin, il se casse le pornocrate du Crazy Horse, on va enfin programmer des choses sérieuses... Mais quand j’ai vu que l’autre blondasse qui lui a succédé me faisaient un Lac des Cygnes avec des vrais cygnes qui chient partout sur la scène et des danseurs qui se vautrent dans des baignoires, ou un Benjamin Bioley qui est quand même le chanteur qui a le moins de voix de toute la planète, et qui est le dernier à se dire de gauche et à ne pas se tirer en Belgique, ou encore deux aveugles qui en plus sont noirs (est-ce que c’est une excuse, non mais !), je me suis dit, «-Ma Michèle, ils ne t’auront pas.. Passe la main, donne les clefs à Alexandrine, et part sur la route accrochée aux basques de ton motard, la route 66, mais sans Bob Dylan, siou plait, occupe-toi de toi-même, pense à toutes les années qui te restent pour faire ce que tu désires, ce que tu aimes... Je pourrais même militer de nouveau, avec les trotskistes cette fois-ci...ou ailleurs, aller à la pêche, faire du tricot, garder mes petits enfants (mais qu’est-ce ça hurle un chiard!), et peut-être qu’un jour, par erreur, sans le savoir, l‘Evénementiel programmera un bon théâtre avec des acteurs sympathiques comme je les aime, un Darry Cowl ou une Simon Valère (merde, c’est vrai, ils sont morts...) dans Mon cul sur la commode, ou un superbe Bolchoï (quoique depuis que Depardieu est Russe, je doute même de leurs opéras et de leurs ballets)... ou Michel Sardou que j’aime secrètement depuis que j’ai l’âge de regarder les garçons... Bon, il y en aura bien un de temps en temps de spectacle comme je les aime, c’est pas dieu possible...
Et ce jour là, je demanderai une invitation, je râlerai parce que l’on entend rien, je critiquerai les acteurs et le son trop fort, et la lumière qui aveugle, et je sortirai la première pour ne pas faire la queue au parking,...
Et je serai contente, cela me rappellera tout ce que j’ai subi pendant tant d’années en service commandé de la culture au Palais des Festivals de Cannes...
Et je rirai à gorge déployée...même si aujourd’hui, j’ai envie de pleurer parce que je vous quitte, un peu, beaucoup, passionnément...
La vie continue mes amies, je sais que à jamais, dans un fauteuil de ce Palais magnifique, il y aura toujours la forme de mes fesses pour vous narguer et vous obliger à penser à moi !
Je vous aime toutes et tous et merci de m’avoir supportée... toutes ces années de bonheur !


Bernard Oheix

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V
<br /> Le discours de Michèle est hilarant. Pas étonnant pour une personne adorable. Moi, à mon départ en 1991, on ne ma pas laissé le temps de faire un discours...<br /> <br /> <br /> souvenirs, souvenirs,<br /> <br /> <br /> Victor<br /> <br /> <br /> Victor<br />
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I
<br /> Du talent dans ce texte...! C'est beau de savoir se moquer gentiment  des autres et de soi avec ceux que l'on cotoie, ça permet de déminer tout ce qui gratte et de désosser  avec<br /> élegance les conflits potentiels  et les pb d'egos...Même si l'on est pas de cette histoire-là , ce texte est touchant et touche une fibre large d'humanité..<br />
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