Ô Sergio...mon ami !
Un de mes discours, encore...mais pas pour n'importe qui ! Un des êtres les plus adorables hérité de ma jeunesse, quelqu'un qui donne le désir de tendresse, l'envie de le protéger, de garder le lien ténu qui court sur plus de 35 ans parsemés de douleurs et de joies, d'échecs et de réussites, de grands moments futiles et de petits instants précieux, de bruits et de fureur...
La vie toute simple, quand, même les distances et les années ne peuvent abolir le sentiment d'appartenir à une famille de coeur. C'est cela Mon Sergio, et à l'occasion de ses 60 ans, il attendait ce discours avec impatience. Il a eu la larme à l'oeil, mais c'est normal, c'est un vrai tendre mon Pote !
A soixante ans, on est plus près de la fin de son siècle que de l’aube de l’humanité.
C’est ainsi Sergio, tu fais désormais partie des têtes grises, des cartes vermeil, du 3ème âge. Tu entreposes dans ton placard une provision de « couches confiance » et tu radotes déjà comme les petits vieux sur « l’avant qui était mieux », que les jeunes ne savent plus rien parce que l’école, c’est le foutoir, qu’ils n’ont plus de respect, que c’est une bonne guerre qui leur manque et que les communistes, c’est la honte... etc...etc
Serge, réveille-toi, ils ont disparu depuis longtemps les communistes, ils ne peuvent être responsables de tout !
Mon pauvre Sergio, si tu savais comme tu es normal, abominablement normal, normal jusqu’à la caricature, toi qui raconte que tes petits-enfants sont les plus beaux et les plus intelligents du monde… Sais-tu qu’ils vont aller à l’école pour ne rien apprendre, faire leur crise d’adolescence comme les autres, se révolter et se droguer, et peut-être même devenir des gens de gauche comme les enfants de tes collègues !
Pourtant, on t’a aussi connu jeune, dynamique, plein de rêves et de passions. Souviens-toi de Thérèse, qui a commencé par bousiller la portière de ta superbe 4L alors qu’elle attendait le bus et que Micheline, dans la même école d’infirmières, la remarquant, t’obligea à freiner pour la charger…
Une portière en moins et 35 années après, l’amitié est toujours présente et nous sommes réunis pour célébrer tes 60 piges pour le pire… et le meilleur !
Tu étais jeune et beau, tu sentais bon le sable chaud, mais surtout, tu gagnais plein d’argent. Tu étais le seul d’entre nous à travailler, étudiants, nous dépensions ce que tu épargnais. Tu avais une voiture, un boulot, une femme qui débarquait des îles avec son délicieux accent chantant, mais derrière tout cela, au fond de toi, c’est à l’Italie que tu pensais, rital tu l’étais, rital tu le restais et c’est devant l’hymne italien que tu te pâmais en regardant les shorts des joueurs transalpins mettre régulièrement la pâtée aux tricolores !
Tu es un fils de paysan, et tu es resté ce fils de paysan italien, toi qui petit à petit s’est élevé dans la société pour côtoyer les grands de ce monde. Du chemin tu en as fait. Travaillant dans des hôtels luxueux, des restaurants de charme à étoiles, t’égarant même fortuitement dans la création florale jusqu’à ce que ta route croise celle d’un baron pas rouge mais ô combien protecteur et salvateur pour le fils d’émigré que tu es.
Il a poli en toi ce trésor brut qui restait dans sa gangue, il t’a adopté et tu t’es rangé à son service comme en noviciat, consacrant ton talent à lui offrir la quiétude et l’ordre d’un monde d’harmonie. Tu es devenu son ombre et il t’a formé à voyager, de Courchevel au Maroc, de Saint-Tropez à Madrid. Il t’a initié à la chasse, t’a permis de passer sous le par et de putter en swinguant comme un talentueux golfeur que tu es devenu.
Tu as aussi accueilli des têtes couronnées, servi des fortunes de France et d’ailleurs, et même, paraît-il, quelques dictateurs en instance de déchéance…
Sergio, tu vis tellement dans le luxe que tu aurais pu oublier tes amis roturiers, anciens soixante-huitards, étudiants attardés, femelles langoureuses et autres chats errants… mais tu ne l’as pas fait !
Et eux aussi ne t’oublient pas. Ils savent que tu es resté notre Sergio, celui généreux et sympathique que nous avons aimé et qui est toujours présent pour affronter les coups durs de la vie, et qui peut rire d’un rien et pleurer pour beaucoup, apte à offrir son cœur et à énoncer n’importe quelle bêtise…
Et tu deviendras aussi un vieux acariâtre, sa canne à la main en train de maudire le monde entier même si tu es toujours comme une fleur bleue malgré ton âge.
Tu as le temps, Sergio, 60 ans, c’est le début d’une autre aventure, peut-être la part la plus belle de notre vie, quand on décide de ne plus avoir peur et d’être enfin soi-même.
Et nous, on t’aime comme tu es !
Et on t’aimera toujours comme cela !