Rokia Traoré : ma déclaration d'amour !
Rokia Traoré : déclaration d’amour.
Samedi 20 mars 2010, Théâtre de la Licorne. Après bien des vicissitudes, Rokia s’apprête à entrer sur scène. Il est 21 heures 15. Nous avons 45 minutes de retard, la salle initialement prévue ayant été récupérée pour un congrès, nous avons dû nous replier à la Licorne pleine à craquer, arrêter les ventes et mettre en place un système de navettes afin de rapatrier les égarés de La Croisette que nous n’avions pu informer. Le public s’impatiente. J’arrive de mon piquet de garde devant l’ex-lieu où j’ai fait la voiture-balai. J’ai hâte de retrouver une de ces chanteuses merveilleuses, une de celles qui font rêver et permettent de penser que la musique est bien un vecteur entre les cultures, un facteur de paix et d’amour. Elle me donne l’impression de faire quelque chose de bien en la programmant, de servir et d’être utile. J’ai déjà assisté à 2 de ses concerts et pour rien au monde je ne raterai celui que j’organise dans ma ville !
Elle est belle, étrangement belle d’ailleurs. En dehors de tous canons, Grande et filiforme, un visage étroit et plat, deux immenses yeux fureteurs, un corps maigre. Elle n’a pas de poitrine ni de fesses, une longue robe l’enveloppe, dissimulant sa finesse. Elle ressemble à une enfant gracile qui ouvrirait d’immenses yeux devant la beauté du monde.
Quand elle parle, un filet de voix discret s’échappe de sa bouche, comme si elle avait peur de ce micro ouvert qui l’oblige à meubler le silence et à se livrer au public. Elle veut partager, pas imposer et s’excuserait presque de ces feux qui l’illuminent dans un travail d’orfèvre. Pourtant elle habite la scène et quand la musique sculpte l’ombre, quand elle se met en mouvements devant ses musiciens dans un cône de lumière, alors, elle devient une reine, somptueuse de grâce, liane vivante habitée de toutes les passions, nerveuse, cadencée, vivant les notes comme si elle pouvait les incarner et donner de la chair à l’éphémère.
Et cette voix si fluette, quand elle décide de la projeter pour l’inscrire dans le rythme de ses musiciens, rien ne lui résiste. Elle franchit les barrières, casse les frontières, envahit chaque espace, devient l’incarnation de ces notes qui flamboient et dévastent tout sur leur passage.
Elle est à mi-chemin de toutes les cultures même si son essence africaine affleure à chaque instant. Sur la base d’une étrange guitare « ethnique » au son aigre, elle va évoluer en flirtant entre le blues et les rocks, sertissant de mélopées profondes d’autant plus belles que sa voix aiguë se glisse entre les instruments, batterie, basse et guitare en contrepoint, sa sœur en appoint de chœur pour relever le chant et lui permettre de dominer le son en l’épiçant de variations.
Dans son introduction musicale, elle va installer son univers, donner une atmosphère en tendant la main à son public, deux morceaux très lents et doux avant de prendre possession de la salle et d’attirer les spectateurs dans son univers si particulier de douceur et de fureur. Loin d’un Salif Keita ou d’un Ismael Lo, elle est en rupture d’une tradition et invente une musique de métissage originale, fusion de deux mondes qui communiqueront par son entremise pour mieux s’aimer. Elle est Princesse Africaine et donne son énergie pour que l’osmose ne soit pas seulement le tribut d’un concert mais bien au cœur d’une démarche où la vie prend toute sa valeur.
Ses interventions, toujours justes et mesurées, donnent une dimension humaniste à sa démarche, une compréhension de ce qui réunit les gens et gomme les différences sans les exclure. Elle est l’oriflamme derrière lequel nous avons le désir de nous rallier, pour la paix dans le monde, pour le partage.
Rokia, je t’aime d’amour, ton univers est le mien, tes gestes me fascinent, ta voix me transporte. Avec toi, je deviens « fan », je signe et persiste. On a besoin de toi parce que tu es une lumière dans la nuit et que derrière ton sourire humble, tes yeux qui rient, ton corps qui tangue, il y a la beauté de l’humanité, la ferveur d’une femme, le cri désespéré de ceux qui portent la paix et la tolérance au sein d’un monde si imparfait.
J’avais déjà écrit sur Rokia Traoré, (cf. mon blog, Musiques et spectacles en stock 1, juillet 2007). Après le concert, je me suis rendu dans sa loge pour la saluer et la remercier. Elle avait la tête ailleurs, ivre de sa prestation, décompressant. J’ai balbutié quelques mots et je l’ai serrée dans mes bras en me présentant. Elle a mis quelques secondes à redescendre sur terre et je lui ai sorti quelques tristes banalités de circonstance, sincères mais si pauvres ! Elle a souri et quand j’ai tourné les talons après avoir obtenu une dédicace sur mon programme, elle est rentrée dans sa loge. En m’éloignant dans le couloir, j’ai entendu « Bernard ». Elle était ressortie sur le seuil et m’a lancé « -Merci de m’avoir invitée, merci vraiment… », comme pour se rattraper d’une distance qu’elle n’aurait point désirée…J’ai été heureux, simplement, bêtement, de ce rappel, d’un merci sincère, sans affectation, comme rattrapé par une force qui cimente les passions, les gens de bonne volonté dans la crudité d’un couloir triste illuminé par sa présence.
Rokia, une grande Dame, une artiste d’exception, une femme de cœur !