Toujours Paris...
Petite moisson sur les scènes parisiennes. Que le théâtre se porte mal est une évidence, mais l’indigence générale des propositions de cette rentrée 2009 inquiète. Depuis quelques saisons, l’on perçoit la vacuité de nombre textes, la pauvreté des décors et des mises en scène enchaînées par les mêmes stakhanovistes (des noms, des noms !). Pour quelques belles créations, combien de reprises poussives, de comédies ringardes, de pièces construites autour d’un casting improbable censé faire « événement » et drainer la foule…
Manifestement, la recette n’est pas au point, les salles plus souvent à moitié vides qu’à moitié pleines, les rangs abandonnés s’étalent dans le noir et nous permettent d’allonger nos jambes en fond de fauteuils d’orchestre.
En général, je « monte » sur Paris deux fois en automne et deux fois en hiver avec comme objectif de voir 4 à 5 pièces présélectionnées par les tourneurs et producteurs en vue de les programmer dans la saison d’après. Sur la vingtaine, j’en sélectionne une douzaine, la difficulté étant de faire coller les disponibilités des salles avec les dates et l’organisation des tournées… Un casse-tête chinois d’autant plus excitant quand les désirs sont forts, intenses portés par des pièces qui marquent…Mais quand ce n’est pas le cas ?
La première vers laquelle on m’aiguille, sélectionnée par un tourneur historique de la place de Paris, s’appelle Vie Privée avec une distribution alléchante. Las ! Un texte débilitant de Philip Barry sur un thème totalement inintéressant (l’ancien mari vient au remariage de sa femme pour la reconquérir), une Anne Brochet quasi absente (et ce n’était pas que du jeu !), des situations d’un vaudeville médiocre font de cette rentrée en matière, la matière d’un authentique désespoir. J’ai fini au Foota-Djalon devant un tilapia braisé (la tendre douceur des joues du poisson !), épicé à l’achéké, saucé de piments, seule possibilité à l’évidence de sauver cette soirée en la relevant de la saveur d’une Afrique éternelle !
Le lendemain, Théâtre Saint-Georges, un tandem efficace blanchi sous le harnais des planches de la Capitale. Eric Assous à l’écriture, Jean-Luc Moreau à la mise en scène. Une distribution de qualité. P H Gendron des « Avocats et Associés », Manuel Gelin…Sur une belle évidence, Les hommes préfèrent mentir, une comédie de boulevard (niveau rez-de-chaussée), voit un homme annoncer qu’il quitte sa femme pour sa maîtresse qui attend un enfant, puis quelques années après, au cours des retrouvailles, annoncer qu’il quitte son ancienne nouvelle pour la nouvelle ancienne femme de son ami (un peu compliqué non ?)…C’est lourd à souhait, poussif et ce n’est pas les quelques rires arrachés au temps qui passe qui peuvent sauver la pièce d’un naufrage parfois pesant !
Tout autre (enfin !) sont Les Autres, œuvres de jeunesse de Jean-Claude Grumberg, 3 pièces réunies par l’écriture libre d’une période (les années soixante) qui autorisait une grande liberté de ton et une charge sans merci des convenances. Si la première se situe sur le terrain d’un absurde à la Ionesco, les deux suivantes s’inspirent d’un ton « Charlie Hebdo », avec une « beaufitude » vécue de l’intérieur. Une famille française moyenne en vacances en Turquie égrène les poncifs du touriste insupportable de veulerie et de méchanceté. L’éducation des 2 enfants, les liens mari et femme, le rapport à l’étranger, le mépris profond des « autres » sont des constantes que nous avons tous, hélas, rencontrées chez nos congénères en goguette dans les pays exotiques. Honte sans vergogne, la médiocrité au crible des petites mesquineries, page peu glorieuse de notre passé de coloniaux où l’indigène n’est même pas l’ennemi, il est un néant qui ne compte pas, une quantité négligeable devant la fierté d’un nationalisme très Vème république. Reste l’ultime opus, un homme arrivant chez lui après une « petite » embrouille avec un « crouille », un « bicot », texte incendiaire sur le fascisme ordinaire, la peur des autres et la morgue du petit cadre pétri de certitudes et voyant chez tous les étrangers, la marque du diable et de l’horreur. Dans un récit dialogué d’une formidable méchanceté (Ah ! Liberté chérie de ton d’une époque où l’on pouvait tout dire pour montrer son contraire, qui oserait de nos jours écrire un tel texte, à ce niveau hallucinant de subversion par les mots, par les images, par les idées d’une France plongée dans le racisme quotidien ?).
Une belle leçon d’action civique en revers des convenances, une démonstration par l’absurde de la haine des « autres », portée par une Evelyne Buyle (femme soumise d’avant 68 et la révolution féministe!) et un Daniel Russo étonnant de force brute et de veulerie, petit Français moyen qui aurait dénoncé les juifs à la milice pour le Vel d’Hiv, envoyé des lettres anonymes à la kommandantur et continué à vivre sans états d’âme.
Dernière pièce de cette première série automnale, le Parole et Guérison tant attendu sur les rapports entre Freud et Jung. Sur un texte de Christopher Hampton, une mise en scène de Didier Long, Barbara Schutz (la première patiente de Jung sur laquelle il appliquera les méthodes révolutionnaires de Freud et qui deviendra après sa guérison une thérapeute) et Samuel le Bihan (Jung) portent la pièce avec brio. Barbar Schutz est éblouissante pleine de fureur et de passion, parfois, Le Bihan quelque peu empesé, un brin monolithique dans son personnage d’abord ami et fidèle, fils spirituel du père de la psychanalyse puis opposé à Freud. Leur « divorce » idéologique interviendra sur fond de désaccord entre l’orthodoxie freudienne et la volonté de son disciple, Jung, d’explorer des champs nouveaux (la religion) afin de permettre à la psychanalyse d’offrir un champ totalement nouveau et un outil pour façonner un homme moderne, complet.
C’est intelligent, le type de pièce qui vous donne l’impression de réfléchir et la certitude d’être un peu plus cultivé à la sortie qu’à l’entrée. Mais avouons-le, vaguement ennuyeux, légèrement poussif avec quelques « boucles » inutiles, une sensation subtile que la machine lancée sur son erre s’échouera naturellement sur les hauts-fonds d’un discours intellectualisant les passions humaines. Le goût du pouvoir autocrate de Freud est suggéré tout comme la volonté de Jung de rompre avec le dogme freudien en s’évadant de la contrainte du « père ». Il règne, sur le plateau, une certaine froideur surlignée par un dispositif scénique glacé. On est loin de la luxuriance d’un Hystéria ou de la tension d’un Caïman, deux pièces déjà présentées portant sur la psychanalyse. Reste un travail tout à fait honorable, un jeu d’acteurs plutôt cohérent, une finesse évidente du propos. Une belle soirée donc pour les amateurs d’intelligence !
Et voilà, Paris dans le froid et la
pluie d’octobre. Quelques rencontres pour remplir les journées et les nuits, un Yves Simon attentionné avec qui nous sifflons une bonne bouteille de blanc à la Méditerranée en décortiquant le
monde et en cherchant les points de rencontre de deux existences en parallèle…La famille et les amies dans nos périples nocturnes, la fête des vendanges à Montmartre un samedi, Valentin le
tourneur et Laurence la manager pour des retrouvailles, les spectacles comme un trait d’union entre la vraie vie et le rêve…
PS : En rentrant de Paris, je suis allé courir au bord de ma mer jusqu'à La Napoule et je me suis baigné dans une eau translucide, fraîche sans être froide, salée...En ce 18 octobre, je suis
redevenu un enfant du Sud, et c'était bon, j'étais chez moi !