Les Affres du Festivalier de base !
Cet article aurait dû sortir le 1er jour du festival... Problème avec mon blog aidant, le voici donc juste avant la fin du Festival...En attendant, 28 films après l'avoir écrit, il reste totalement d'actualité.
A bientôt donc !
Bon, d’accord, il pleut des trombes pour l’ouverture du 66ème Festival du Film. Mais c’est pas vraiment une surprise, il pleut à toutes les ouvertures ! Il pleut pendant le G20, il pleut toujours sur Cannes dès que les caméras du monde entier se pointent à l’horizon. A se demander comment nous pouvons conserver l’image d’une région où le soleil brille en permanence. Un micro-climat, peut-être, mais certainement pas pas quand les yeux de l’univers sont rivés sur nous. Dès que les caméras s’en retournent dans leurs pays pluvieux et venteux, alors soyez rassurés, nous on retrouve notre soleil !
Et la pluie, ce n’est pas vraiment pas le «top» pour le Festival du Film. En effet, le principe de base étant que pour un film visionné en salle, il faut passer un tiers du temps dans la queue qui est en extérieur pour y accéder, donc sous la pluie, (et sans parapluie pour ne pas avoir à le trimballer...), cela donne sur la base moyenne de 30 films d‘1H30 (ce qui est un film court dans l’esthétique médiane du Festival où le standard est de plus de 2H05 pour obtenir une palme), soit 30*30= 900 mn ou l’équivalent de 10 films sous des trombes d’eau ! De quoi être imbibé même si l’on sait qu’en général la pluie ne tombe que les jours d’ouverture et de clôture du Festival, juste pour ennuyer les organisateurs et permettre aux stars de brandir des parapluies pour affronter la montée des marches.
Il faut avouer que les marches, avec le tapis rouge, les caméras, les hallebardiers, cela en impose . Vous ne pouvez pas imaginer, les feux de la rampe éteints, combien sont déçus les touristes nippons qui déferlent en bus tout au long de l’année, en les contemplant. On les entend caqueter (en japonais) «-Comment cela, si petits ces escaliers ? pourtant, à la télé, ils sont grands, imposants, majestueux...» Et ils repartent au pays du Soleil Levant avec la certitude que l’Européen est hâbleur, menteur et fourbe, alors que l’on n’a même pas les yeux bridés, et nous taillent des croupières économiques pour se venger !
Bon, une fois dans la salle il faut trouver le bon siège. Ce n’est pas facile, les cinéphiles sont grégaires et cherchent toujours la bonne place, 1/3 de l’écran, légèrement décalé sur la gauche, meilleur angle de vision et balayage optimum de l’écran et des sous-titres dans une perception occidentale de lecture de la gauche vers la droite. Pour les arabes qui lisent de la droite vers la gauche nous conseillons d’inverser le positionnement en basculant vers la droite et pour les japonais qui lisent de haut vers le bas, de monter au balcon en central (cela uniquement s’il y a un balcon, bien naturellement). Bon, le problème c’est qu’il y a moins d’asiatiques et d’arabes que d’occidentaux et qu’on se retrouve tous dans la même zone à se battre pour ne pas être déporté vers les ailes de la salle de cinéma avec des angles de vision tellement latéraux que l’on a l’impression de voir le film à travers un prisme déformant.
Une fois que l’on est installé, on peut jouer sur son smartphone à Freecell, (mais discrètement en dissimulant l’écran, ce n’est pas toujours bien vu du vieux cinéphile de base qui est jaloux de ne pas maîtriser la technique !) même s’il est plutôt conseillé de se plonger dans les synopsis des films à venir, et cela jusqu’à ce que retentisse la musique du générique du Festival et que les lumières s’éteignent.
C’est là qu’il faut commencer à trouver une place pour ses genoux même si c’est une opération complexe et délicate. Dès que vous faites plus d‘1,72m, vous avez les genoux qui s’écrasent sur le dossier du spectateur qui vous précède. Il s’agit alors de caler vos articulations sur le fauteuil du devant pour basculer la tête sur votre propre dossier en infléchissant votre postérieur vers le rebord de votre propre siège. Il y a deux inconvénients majeur, si le spectateur qui est devant dépasse les 1,65, il occulte les sous-titres, ce qui est pénalisant pour les films Ouzbeck doublés en anglais. Le deuxième inconvénient est indépendant de la taille mais touche au volume et à la nature contondante des genoux. En général, ils font une pression sur le dos de celui qui vous précède qui a tendance à se retourner en grognant ce qui fait réagir les gens qui l’entourent, éructant des «-Chut» pour faire cesser ces bruits incongrus, ce qui entraîne tout le monde à réagir en un concert d’exclamations énervées sensées faire naître le silence... Et là, vous avez honte de votre taille et de vos genoux mal placés et contondants... De toute les façons, au bout de 20 mn, vous avez mal à vos articulations et serez dans l’obligation de changer de position, ce qui fait que tout le processus recommence et que la salle re-grogne a échéance régulière comme une bête agonisante !
Le spectateur est un étrange animal à sang chaud qui a tendance dès le 4ème jour du festival à s’endormir pendant le 3ème film de la journée (vers 15H35) sur un total moyen de 5 pellicules quotidiennes, (remarque : ce n’est pas mal, et démontre à l’évidence une résistance certaine). Il faut dire qu’un plan fixe Hongrois de 6mn32 après un pan-bagnat, c’est long. Cet assoupissement temporaire et la position inconfortable provoquent alors des ronflements intempestifs mais étrangement, même les plus sectaires des cinéphiles hésitent à réveiller un spectateur qui dort. Il y a des principes sacrés et le besoin de récupérer est une frontière que très peu s’autorisent à transgresser. Comme quoi, que vos propres genoux soit endoloris, tout le monde s’en fout, alors que les narines bruyantes du voisin n’offusquent pratiquement personne. C’est la dure réalité du festivalier.
Il y a, heureusement, la sortie du film pour reprendre ses esprits en parlant de l’oeuvre que vous avez presque vue en entier. De nombreuses méthodes vous permettront de passer à travers les gouttes d’un jugement initial toujours délicat. Imaginez que vous annonciez que le scénario est nul et que ce réalisateur est un «branquignol» (bon, c’est vrai, vous vous êtes assoupi pendant la moitié du film !) alors que tout le monde clame au génie et lui attribue d’office une Palme d’Or (c’est un sport national de décerner les Palmes d’Or à Cannes, à se demander pourquoi il y en a si peu à l’arrivée... c’est comme pour les dimensions des marches, une distorsion de l’espace-temps caractéristique de la déformation due à une consommation excessive d’écrans), et que les critiques (que l’on vomit par ailleurs), lui octroient plein de petites Palmes dans les journaux...
Bon, on a un thermomètre pour se situer intuitivement, les applaudissements ou sifflets à la fin de la projection, car à Cannes, on manifeste toujours à la fin du film et même pendant la projection, d’ailleurs.
A partir de là, vous pouvez adopter plusieurs attitudes. Soit aller à contre-courant et encenser ce que les autres ont hué, ce qui vous assure d’être au centre des débats intenses d’après projections (avec son corollaire où vous démolissez ceux que les autres ont adulé), soit vous vous inscrivez dans le droit fil de la foule et vous vous épargnez toutes arguties (cela dépend parfois du fait que vous avez faim ou envie de faire pipi, car la position assise récurrente est tyrannique pour la prostate des cinéphiles de plus de 60 ans). Dans tous les cas, vous pouvez utiliser deux ou trois fois pendant le Festival quelques arguments massues, tels la distanciation Brechtienne ou le rapport entre la forme et le fond, en veillant toutefois à ne pas systématiser ces apports sous peine d’être taxé de pédant ce qui est contradictoire avec l’image de l’intellectuel proche du peuple cinéphile que vous désirez incarner.
Il reste aussi l’attitude interrogative qui peut vous donner la stature de celui qui cherche et soupèse mais là aussi, il ne faut pas s’enferrer dans sa reproduction, car on pourrait assez rapidement vous taxer d’être incapable de juger les films et vous marginaliser dans les discussions.
Mais pour voir les films, il faut avoir des invitations... et à Cannes, ce n’est jamais gagné, même pour les plus grands. Activité principale du mois de mai, la recherche du sésame qui autorise la montée des marches s’apparente à un chemin de croix. Les badgés et les VIP ont bien une longueur d’avance mais la véritable démocratie festivalière (les places ne s’achètent pas et les puissants doivent courber l’échine devant les responsables des bureaux divers et variés qui répartissent les milliers d’invitations quotidiennes) fait que les compteurs sont régulièrement remis à zéro et que tout le monde se bat pour avoir le passeport béni. Avouons malgré tout, que dans cette démocratie, quelques commerçants Cannois de la rue d’Antibes ont une longueur d’avance sur le cinéphile de base.
Le problème malgré tout, c’est qu’une fois que vous avez obtenue, après une heure d’attente dans une file bigarrée, une invitation pour la séance qui débute deux heures après, vous refaites la queue pour accéder au film et que, c’est à ce moment précis, en général, qu’un cerbère vous bloque alors qu’il n’y a plus que douze personnes entre vous et l’entrée... car la salle est pleine ! Et parfois il pleut, en plus !
Mais Cannes, c’est Cannes et pendant quelques jours vous êtes au centre du monde, dans le temple de la cinéphilie, au coeur de toutes les tensions du monde médiatique. C’est vrai que vous ne pouvez plus circuler en ville (d’où l’utilité d’avoir une 650 bandit Suzuki vendue par des Japonais qui vous détestent parce que vous lui avez fait miroiter une montée des marches sans commune mesure avec la réalité !), que se garer (même avec un deux roues) est un cauchemar, et que vos interlocuteurs pendant ces deux semaines de folie se résumeront à des hordes de cerbères, gardiens du temple et autres forces de police qui vous imposent dans la plus grande des confusions de cheminer en dehors des clous, sur des voies qui empruntent plus à Kafka qu’à un plan de la Ville... Mais quand les marches rouges apparaissent sur l’écran de tous les désirs, que la musique (Haendel ? Water Music ?) du générique retentit et que le noir se fait complice, alors, vous pouvez vous laisser aller et entrer de plein pied dans le monde d’un imaginaire débordant, celui de tous les rêves du possible.
Et vous pourrez tout au long de l’année dire «-Oui, j’y étais au 66ème Festival du Film.» Oui, depuis 1969 et la première édition de la Quinzaine des Réalisateurs (Easy Rider et If), j’ai participé à quasiment toutes les éditions (à l’exception de mes six années d’exil Burgien). J’ai eu des badges divers, des invitations de raccroc, des entrées par les portes de sorties, des cartes de Directeur ou des fausses cartes de presse imprimées en Corse, j’ai visionné 30 à 40 films par édition même s’il y en a 400 de présentés (ce qui fait que le vrai étalon d’un Festival n’est pas le nombre de films que vous avez vus mais bien l’ensemble de ceux que vous avez ratés !), j’ai rencontré Polanski et j’ai fait les empreintes d’Antonioni, j’ai joué dans la cour des grands et subit toutes les avanies d’un cinéphile mordu par le désir d’embrasser cette fenêtre sur le monde des images. Oui j’ai discerné à chaque édition des thèmes transversaux qui, de Singapour à la Bolivie, du Niger à l’Islande, entraient en résonance pour mieux comprendre le monde, pour mieux le lire en nous rendant plus intelligent...
C’est mon Festival du Film, et il n’appartient à personne d’autre qu’à moi, et je suis heureux d’aller voir dans quelques heures le film d’ouverture, Gatsby le magnifique, même si je n’attend pas grand chose de Léonardo Di Caprio.
Alors, Vive le Cinema !