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Nono, Jones, Le Forestier et les autres

Publié le par Bernard Oheix

C'était la nuit de la guitare en hommage à Maxime Le Forestier. Une pléïade de musiciens exceptionnels réunis par le plaisir de jouer ensemble dans une soirée où tout était possible...même l'inconcevable !

La rythmique était assurée par trois instrumentistes hors classes, Dominique Di Piazza et Fred Vinquant à la basse et Franck Agulhon à la batterie, des métronomes donnant une sécurité absolue aux solistes, tendant un rideau de notes comme un filet de protection sur lesquelles il ne restait plus qu'à ourler des partitions enlevées. Ils tiendront tout le concert au bout de leurs doigts sans faillir.

Manu Galvin, nounours chaleureux qui donne du sens à l'idée même d'un phrasé musical, une sensibilité hors norme dans la maîtrise de son instrument se dévoile comme un conteur chaleureux. il est un interprète romantique, un toucher bien spécial, une façon si douce de se glisser dans les mélodies en ciselant le silence de ses perles serties de fulgurance.

Nelson Veras, un jeune Brésilien, éblouira par son jeu tout en retenue, d'une délicatesse et d'une puissance étrange, comme si les influences conjuguées de sa culture d'Amérique du Sud et celles d'un son plus européen produisait un musicien sans frontières, ivre de toutes les libertés.

 

Nono fait pleurer sa guitare. Revennu de tous les sommets et de toutes les aventures du show-biz, tutoyant les plus grands, il reste un incomparable instrumentiste au toucher sans égal. Il possède une aptitude à faire corps avec son instrument et à transformer la plus simple des mélodies en opéra sauvage, en hymne à la déraison, en tonnerre de sons où le chaos ne plie à sa volonté de l'orchestrer. C'est Nono, un homme de coeur, dans toute sa simplicité, un génie de la guitare qui s'avère un gentleman pétri d'humanité.  

Maxime était la star, celui pour qui cette constellation de musiciens s'était réunie. Il va jouer son rôle à la perfection, distribuant les temps d'exposition, permettant à chacun de s'exprimer, débridant le concert autour de ses chansons complexes, difficiles à  interpréter. Il n'avait pas choisi un répertoire facile, piochant dans son répertoire celles qu'il affectionnait, pas toujours celles qui avaient rencontré le grand succès. Voix au grain si particulier... Même si l'âge le rattrape, il est d'une jeunesse éternelle, comme certains de ses tubes qu'il offrira en rappel au public. Merci Monsieur Maxime Le Forestier de rester cette icône de toutes les révoltes qui échappe aux temps de la soumission et au conformisme ambiant.  

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 Norbert krief dit Nono                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               Maxime Le Forestier

 

Comment ne pas parler de mes deux complices. Jean-Claude Rapin, l'homme aux bottes rouge et à la crinière léonine. Avec lui, j'ai tout connu. Et avant tout l'amitié ! C'est un bluesman déjanté, qui peut introduire des distorsions dans toutes les mélodies les plus sophistiquées, toujours en rythme, apte à se mettre au service des autres, il part en vrille et explore des champs inconnues en cherchant à s'évader des contraintes dès que l'opportunité s'en fait sentir. C'est mon ami. C'est lui qui avait, à ma demande réuni ce panel de musiciens autour de Maxime Le Forestier. Un sans faute mon Jean-Claude. Bravo à toi.

Elève de Marcel Dadi et de Chet Atkins, Michel Haumont est le grans spécialiste du finger-style en France. il dévore des torrents de notes et distribue à la volée des cascades de sons si délicats que sa guitare chante sous les projecteurs. C'est un esthète serein, un magicien des cordes, un équilibriste de haut-vol et aussi un très vieux complice, depuis le début des années 90, du temps du Festival "Guitare Passion" qui nous a tant marqué.

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          Jean-Claude Rapin                                                                                                                                                                                                                                                             Michel Haumont

 

Reste Michael Jones. je l'ai programmé à de multiples reprises. Complice de JJ Goldman, il existe bien en dehors de son ombre tutélaire. Musicien sauvage, voix aux chaudes inflexions galloises, showman avéré, il est tout cela et bien plus encore. Il fait partie de ces leaders naturels qui s'imposent en douceur, par la puissance d'un riff, l'intonation d'un couplet qui touche le public au plexus, une façon d'être élégante et précise, d'accompagner et de prendre ses responsabilités quand la situation l'exige. Il est un grand de la musique... Il est aussi d'une simplicité et d'un abord chaleureux. C'est Michael Jones, le plus français des gallois, mon ami.    

 

 

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                                                             Michael Jones. photo d'Eric Dervaux

 

 

Et si vous n'étiez pas là au rendez-vous, si vous avez raté cette soirée au Palais des Festivals de Cannes, alors tant pis pour vous ! La prochaine fois, soyez attentifs, de tels moments sont volés à la logique du show-biz et du marketing, ils sont rares et uniques. Comme l'a déclaré Maxime Le Forestier sur scène, "des soirées comme celle-ci, nous en avons connu mais normalement, nous les partageons entre musiciens... sans le public, dans nos caves et pour l'amitié. Ce soir, vous étiez présents pour notre plus grand bonheur !"  

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Berling, Kennedy, Say, Sheller et Juliette

Publié le par Bernard Oheix

Retour sur le passé.... Mois de juillet, il fait beau. Des Nuits Musicales du Suquet Intenses, avec un public massivement présent ! Tous les soirs complets, le rêve d'un programmateur. Et surtout, des rencontres, de l'émotion, une certaine folie. Alors, pour le plaisir, retour en arrière, quelques minutes de bonheur !

 

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Charles Berling, Laure Favre Khan. Chopin sous les doigts de la sublime pianiste, Chopin dans ses mots, par ses lettres par la voix de l'acteur. Même si le spectacle manque encore un peu de réglages, ils nous emportent au coeur même de la création, dans une époque furieuse et dans les tourments d'un génie.

 

Numero-3 0827Deux êtres hors normes. Fazil Say, un pianiste éblouissant, un homme qui dompte le clavier, sans limites, hors de tout sentiers battus. Un être attachant,

turc en révolte contre tous les conformistes. 

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                                                                                  Nigel Kennedy. Bouffon superbe qui explose les codes. De Bach à Deep Purple, il n'y a qu'un pas qu'il franchit avec allègresse. Déroutant, histrion, clown céleste qui prouve que le classique est d'une modernité sans égale. Il va décoiffer une bonne partie du public qui lui réservera pourtant un triomphe à la romaine !

 

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Le moine et la titi parisienne. William Sheller en solo, ou le plus classique des modernes, un homme qui transforme son show en moment de bonheur et de confidences, en rapport direct avec le public, un homme qui a su devenir heureux....

Juliette ravira par sa gouaille et son humour ravageur. Elle s'impose dans ses chansons en osant tout, et ce d'autant plus que le frisson est bien réel quand elle chante son oeuvre si particulière entre la raison et l'absurde.

 

Tous les deux sont particulièrement contents de se retrouver dans un festival classique et nous transmettrons une bouffée de tendresse.

 

 

 

 

      Voilà, c'était il y a bien longtemps, une éternité déjà, mais ces moments si forts sont bien gravés dans la mémoire... pas seulement la mienne ! Ils sont aussi bien présents dans le coeur des spectateurs, parfois un peu déroutés, mais toujours en phase avec ces artistes qui dévoilent à l'évidence, que le classique est bien moderne et que l'art n'a pas de frontières quand il flirte avec les sommets....

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Marcelle Duval

Publié le par Bernard Oheix

 Une histoire à naître, entre la vérité et la fiction, avec si peu d'imagination à avoir... Ecouter ces cassettes endormies qui gisent dans une boîte de chaussures et partir sur les pas de cette petite vieille qui avait toujours été si vieille mais dont l'existence se confondait avec ma propre enfance, l'âge de tous les possibles, de l'innocence et de la cruauté. Rendre la vie à la mémoire afin de dévoiler les secrets d'un monde qui s'évanouit. Alors, ces quelques lignes pour ma fille, qui l'aura si peu connue, et pour l'humilité de ces femmes qui ont forgé la modernité de leurs larmes ! 

 

                                                     Chapitre I

 


 

 

J’étais très jeune, très belle et très naïve. Mais la  jeunesse s’est envolée si rapidement. A dix ans, je travaillais 14 heures par jour dans une blanchisserie dans la promiscuité des adultes, cela n’autorise pas les rêves. Un homme a croisé ma route, le premier, et dans ma chair, la conséquence d'un plaisir qui s’était refusé grandissait en chassant mes dernières illusions d’une enfance volée. La beauté, je la possédais dans ce corps que le miroir me renvoyait, dans le regard des hommes qui s’accrochait à ma silhouette. Je ne l’ai jamais vraiment comprise. Mon reflet me dévoilait une image qui me semblait étrangère. J’ai cherché à la déchiffrer, j’observais chaque grain de ma peau, chaque contour de mon visage mais je m’y suis perdue. Je n’ai pas su lire mon destin dans les courbes de mon corps. Et puis, je n’en voyais que les défauts, on m’a si peu appris à m’aimer. Il me restait la naïveté. Celle-là, elle m’a accompagnée tout au long de ce siècle, elle m’a permis de survivre, elle m’a protégée de moi-même, même si le prix à payer a été celui de ma vie avortée. Une vie pour rien, une vie au rabais, une vie comme tant d’autres plongés dans le siècle des horreurs et qui survécurent pour être la mémoire de la folie des hommes. C’est cela mon histoire, un rien entre tant d’événements qui ont permis à l’homme de s’émanciper de sa terre, d’aller dans l’espace, de conquérir la planète et d’oublier sa part d’humanité en forgeant son malheur. Je suis si vieille mon chéri, si usée, que la délivrance ne saurait tarder, désormais. Je n’ai pas peur de la mort, je l’attends sans impatience, j’ai tant soldé de vies que la mienne n’a plus d’importance. Mon parcours s’achève et je n’ai toujours pas compris pourquoi j’ai vécu si longtemps. Il y a tant de morts qui m’entourent que je ne suis plus vraiment vivante. Je leur appartiens déjà. 

 

J’ai coupé le magnétophone, retiré l’oreillette. Cette voix me poursuivait depuis des années, depuis la vision de ce visage figé par la mort dans un lit d’abandon, depuis que j’avais décidé d’enregistrer cette vieille dame qui avait été ma grand-mère pendant  les 40 ans de ma vie où je l’avais côtoyée. L’avais-je vraiment connue, l’avais-je suffisamment aimée pour lui offrir de survivre par-delà les nuages ? Qui était-elle, comment avait-elle survécu à deux guerres, à la maladie, à la misère, à l’amour  durant près d’un siècle ? J’étais la trace vivante de son acharnement à exister, le produit d’une chaîne qui la précédait depuis la nuit des temps, quand l’homme se redressait pour devenir le maître du monde, forgeait son langage, bâtissait des maisons et cultivait la terre afin d’assurer sa survie et celle de sa progéniture. Une somme gigantesque de pleurs et de rires, de drames et de quotidien, une parcelle vivante de cette humanité en marche forcée vers son destin. Elle en était l’apogée, née dans la boue de ce XXème siècle pour finir à l’aube du troisième millénaire.

 

Un iguane s’est rapproché en se dandinant. C’est un reptile saurien que l’on trouve en Amérique et à Madagascar. Sa queue traçait un sillon dans le sable blanc réfléchissant le soleil de la mer des caraïbes qui venait s’échouer sur la grève. Sa tête dodelinait, ses deux yeux observaient cet étrange animal que j’étais, allongé sur la plage naturelle d’un lagon à l’eau azur translucide. Il s’est arrêté à un mètre de moi. J’avais encore les inflexions de la voix de Marcelle Duval dans la tête, ces phrases qu’elle prononçait en chantant, la lucidité aiguë d’une vieille dame en équilibre sur le fil de la vie, contant à son petit-fils la grande histoire de la petite, la réalité que les livres d’histoire ne peuvent cerner, la vie quotidienne dans le ventre mou de ce siècle. Je venais de terminer les huit cassettes de deux heures et l’iguane émergeait de son taillis, enchevêtrement de cocotiers, de palmiers et de buissons épineux, sa crête dorsale érigée d’épines, des fanons en bourrelés autour de sa gorge. Il était le modèle réduit de nos cauchemars d’enfance, ces montres préhistoriques qui venaient perturber nos nuits en dérangeant nos certitudes. Il s’interrogeait sur ce monstre apparu dans son univers et derrière ses dards dressés sur son dos en une corolle menaçante, ses pattes recourbées, les mouvements lents de son torse, je me sentais le prédateur humain de cette nature que nous avions à jamais déflorée, je me percevais comme l’étranger en train de salir les derniers lambeaux d’une planète à l’abandon. Nous avions échoué à construire un monde harmonieux, nous allions réussir à condamner les derniers vestiges de cette planète, à en faire ce tas d’immondices définitives que nous lèguerions à nos enfants. Tout s’était déroulé en si peu de temps, un claquement de doigts, une fraction infinitésimale à l’échelle du monde et plus rien ne pouvait être réparé, plus rien. Le temps des illusions était bien terminé pour Marcelle Duval comme pour sa fille, pour ses petits enfants comme pour les enfants de ses petits enfants, pour tous ceux qui avaient espéré que le progrès offrirait un avenir radieux au monde des êtres humains. 

L’iguane s’est encore approché, j’ai ressenti son souffle inquiet, ses yeux fureteurs, il m’a touché la cuisse de sa queue battante et je n’ai pas eu peur, j’ai juste perçu le souffle de la vie monter de cette nuit soufrée dont il émergeait. J’ai communié avec le passé infini pour conjurer l’avenir trop précis. L’espoir refusait de mourir et j’ai décidé d’écrire cette vie de rien d’une femme commune. Loin des décorations, des ors et lumières, loin des mausolées, je me suis promis de hisser son oriflamme afin que sa mémoire trouve sa place dans les sillons de l’humanité. Elle existait bien malgré tout, malgré nous, tout autant que les puissants et les menteurs, ceux qui écrivent les pages dorées de l’histoire et ceux qui les réécrivent. Elle s’appelait Marcelle Duval, était née le 3 juillet 1905 par une nuit d’orage étouffant, dans les éclairs d’un ciel voilé, et avait décidé de vivre 100 ans de malheur et de solitude pour expier les fautes des autres. Ma grand-mère Marcelle Duval, aux yeux bleus délavés par toutes les larmes qu’elle avait versées qui auraient rempli un océan de son sel. L’iguane a geint comme un animal blessé. Il a ouvert sa gueule et ses dents insérées sur les bords internes des mâchoires ressemblaient à des crénelures menaçantes. Les pupilles de ses yeux roulaient dans leurs orbites. Sa langue est sortie de sa bouche et a léché ma hanche. J’étais immobile, pétrifié tel un roc. Nous avons communié, ensemble. Il a rompu le contact et s’est fondu dans la végétation, laissant un sillon derrière sa queue battante, m’invitant à suivre sa trace. Je me suis relevé, j’ai ressenti la brûlure sur ma peau des rayons du soleil, je me suis jeté à l’eau, une mer si chaude aux effluves salée, et j’ai nagé vers le catamaran qui m’attendait ancré paresseusement, dans l’anse de l’île de la …… Cuba flottait à l’horizon, des hommes buvaient du rhum, des femmes dansaient une salsa endiablée en remuant les fesses, le Che paradait sur tous les murs des bâtisses de l’île et je percevais maintenant le message qu’elle m’avait lancé dans ces nuits froides d’hiver, quand son crépuscule devenait tellement évident qu’elle se préparait à la mort comme elle avait toujours vécu : avec discrétion et sans haine, juste cette distance qu’elle avait toujours entretenue entre la clarté du jour et les ombres de la nuit. 

Cette vieille dame m’évoque irrésistiblement un ragoût de mouton mijotant dans un grand faitout de fonte, la buée qui perle, l’odeur qui monte dans cette vaste cuisine d’une maison accrochée aux pentes de Levens, un petit village de l’arrière pays niçois où elle avait élu domicile à la perte de son entreprise de broderie. En 1958, pour cause d’une cuti mal virée, elle m’avait accueilli pour 6 mois d’école au grand air de la montagne, cure indispensable pour m’armer contre la tuberculose et toutes les maladies qui guettent les enfants, une poignée d’années seulement après la fin de cette guerre dont les traces étaient encore visibles dans les yeux des adultes. Aller à Levens à cette époque était une vraie expédition aux yeux d’un gamin de sept ans. Le train à la vapeur noire en panaches de Cannes à Nice, le tram avec les éclairs du caténaire pour la gare routière et le bus grinçant et brinquebalant qui fonçait dans un nuage de poussière vers les gorges de Tourettes, accédait aux plateaux et venait finir au pied du village perché sur un piton rocheux avant de plonger vers la Vésubie en emportant sa cargaison de voyageurs et de colis.

Avec le recul, je m’aperçois qu’elle était jeune, à peine plus âgée que moi aujourd’hui, pourquoi donc en ai-je le souvenir d’une vieille dame, les cheveux blancs maintenus par un foulard noir, la peau ridée, les lunettes perchées sur le bout du nez ? La mémoire est traîtresse pour celui qui n’a pas d’âge et qui assiste à l’usure du temps sans  repères. C’est ainsi, une petite vieille s’acoquinant avec un petit-fils inconnu, qui partage les longues nuits sans télévision, l’après-midi des jeudis sans école, le dimanche de la toilette et des beaux habits pour une glace sur la place du village. Elle émergeait d’une opération du sein, un cancer traître qui la laissait mutilée, conséquence, il fait nul doute, d’une somme de malheurs et de drames qu’elle devait solder avec sa chair.

Je me perchais sur une grande chaise et je la regardais penchée sur sa machine, concentrée, ses pieds lançant le balancier pour entraîner le moteur, ornant des tissus blancs de macarons de couleurs, dessinant des symboles abstraits, mélangeant les fils chatoyants pour peindre des rosaces, des inscriptions ésotériques, des motifs qu’elle reproduisait à la chaîne pour l’entreprise Lauvergeon dont elle était une petite main exilée dans la montagne. Tâcheron attaché à sa machine à coudre, elle remplissait les heures du bruit chuintant de son aiguille perçant les étoffes. Parfois la nuit, je m’éveillais d’un cauchemar violent au balancer cadencé de ses jambes, au sifflement de l’aiguille argentée mordant le tissu qu’elle tournait avec ses doigts pour effectuer ses desseins abscons. C’était rassurant, la veilleuse du couloir, le bruit familier, je pouvais me rendormir alors et elle continuait des heures durant pour quelques sous le motif, afin de vivre, sans se poser de questions, comme si les choses les plus naturelles sont celles qui n’ont aucunes réponses. Je ne me rendais pas compte de cette solitude, je ne savais pas le prix de la vie, j’étais si jeune, ce n’est que bien plus tard que les évidences sont nées, trop tard.

 

C’est en 1995 que j’ai décidé de la faire parler de sa vie dans le but avoué d’écrire son histoire pour mes enfants, ses arrières-petits-enfants. Mon fils avait 17 ans et la connaissait suffisamment pour en conserver un souvenir précis. Par contre, ma fille, du haut de ses 11 ans, me laissait craindre que sa fin prochaine gommerait l’image de cette petite vieille enfermée dans son deux pièces du "Ranchito" à Ranguin, la banlieue de Cannes, qu’elle couperait ce lien ténu qui court de génération en génération et tisse des souvenirs que les adultes entassent dans les cases de leur mémoire, apparemment inutiles, mais si présents quand le besoin s’en fait sentir et qu’il s’agit de se raccrocher à une réalité qui nous dépasse. Etre au cœur pour ne pas avoir peur des marges, s’agripper aux racines pour ne pas se laisser emporter par la tourmente de la vie. Je sentais l’usure irrémédiable de cette femme qui avait borné mon horizon du plus loin que je me souvinsse. Je ne pouvais imaginer qu’elle se fonde dans le néant et qu’aucune trace ne nous resterait, que son propre passé s’évanouirait, que la fin d’une vie impliquait la fin d’une histoire. Je voulais qu’un jour, par la magie de ses mots volés, elle renaisse, même fugitivement, même artificiellement. Il me fallait ses mots pour le dire, sa musique comme partition.

Je lui ai expliqué ce que je voulais faire. Elle a eut l’air gêné, trop d’attentions sans aucun doute pour celle qui se noyait dans le paysage ambiant et n’apparaissait que fugitivement, le jour des anniversaires et des fêtes réunissant la famille, déjà presque momifiée dans ses souvenirs arrachés comme pour la faire exister malgré elle. Des moments de plus en plus rares, au fur et à mesure que le temps créait des vides entre les membres de la fratrie. Eloignements, ruptures, décès, compensés par quelques maigres naissances comptées parcimonieusement. La vie moderne de cette deuxième partie du XXème siècle faisait exploser tous les codes en vigueur, impitoyable logique d’une société aspirée par le mouvement, où tous les repères se brouillait dans la confusion et l’extrême frénésie d’une consommation à tout crin et d’un univers laborieux aux règles volant en éclats. Nous l’avions enfin dans les mains cet avenir pour lequel nous nous étions levés en masse, nous étions la génération soixante-huit et l’avenir nous appartenait. Mais à qui donc appartenait le passé, celui-là même devant lequel nous avions fuit avec tant de rage et de détermination ?

 

J’ai grimpé les deux étages qui l’empêchaient désormais de sortir. J’ai sonné au carillon et j’ai entendu sa voix qui annonçait son arrivée. Elle s’était pomponnée, robe gaie à motif de fleurs et collerette en dentelles, cheveux blancs bien tirés, lunettes sur le bout du nez. On percevait derrière les outrages imposés par les années, toute la noblesse de ce port altier, la vivacité de ses yeux. Elle avait une grâce naturelle, une élégance toujours évidente, la marque de cette distance qu’elle avait maintenue contre vents et marées et qui lui avait permis de dépasser les rides qui lui dévoraient le visage, un dos légèrement voûté, un ventre ballonnant. Elle avait tout cela aussi, et les yeux rougis, et un duvet sur la lèvre supérieure, mais elle restait belle même pour un inconnu. Elle pouvait représenter cette grand-mère que chacun gardait dans son cœur, enfermait dans ses souvenirs et refusait de voir disparaître. C’est ce que je venais accomplir.

 

J’ai sorti mon cahier à spirale, un 7 conquérant vert acheté pour l’occasion à la papeterie de La Bocca et j’ai posé, soigneusement alignés, un crayon et une gomme à côté. Puis j’ai branché le petit magnétophone à une prise du salon et installé le micro sur son trépied. Elle restait debout en me regardant. A ma grande surprise, elle était toute intimidée, se dandinant d’un pied sur l’autre.

 

-Tu sais, mon grand, j’en ai pas dormi de la nuit. J’ai peur de te décevoir. Tu penses vraiment qu’il faut le faire ?

-Mamy, je t’ai tout expliqué. Il faut juste que tu me racontes du plus loin que tu t’en souviennes, l’histoire de ta vie, les événements marquants, tes amours et tes peines, le travail, tes amis, les guerres que tu as traversées, des anecdotes aussi. Tu verras, cela va aller, il faut juste que tu te détendes, laisse-toi faire.

-Mais j’ai peur de ne pas me souvenir, de tout mélanger… Et puis cela ne peut intéresser personne, ma vie a eu si peu d’importance !

-Elle en a pour moi, elle en aura pour ta petite fille quand elle lira ta biographie. Tu as traversé tout le siècle. Tu es née en 1905, à l’aube du XXème, on est à son crépuscule. On va rentrer dans le XXIème avec toi, on le verra ensemble, je te le promets et tu verras ton arrière-petite-fille dévorer l’histoire de Marcelle Duval.

-Tu es gentil de me mentir. Je n’y crois pas, cinq ans, c’est une éternité à mon âge, mais bon, j’ai essayé, tu pourras toujours lui faire écouter les cassettes !

 

Elle s’est assise en face du micro et à ma grande surprise, a sorti un petit carnet de sa poche. Elle a vu mon étonnement et j’ai entendu ce trop rare rire cristallin, le regard en coin, qu’elle dispensait quand elle était particulièrement contente d’elle.

-Et alors, j’ai travaillé moi-aussi. Je note ce que je dois te dire depuis deux jours, au moins je ne tomberai pas en panne de souvenirs ! J’ai encore toute ma tête ! 

 

J’ai enclenché la touche d’enregistrement et c’est ainsi que tout a commencé. Nous avons réalisé 16 entretiens d’une heure à raison de deux par semaine. C’était largement suffisant pour ses forces déclinantes. Au bout d’une face de la cassette, je sentais sa tension, l’effort que lui imposait cette plongée dans sa mémoire. J’arrêtais systématiquement à la fin d’une face, quand bien même elle souhaitait continuer. Pendant que je rangeais le matériel, elle me préparait un verre bien frais de citronnade et en aparté, revenait sur certains des aspects qu’elle avait développés. Dire que ces moments furent magiques est une évidence. Elle se livrait totalement, sans affectation ni complaisance. Elle conservait une mémoire étonnante concernant les dates. Autant elle était capable de citer des jours précis, autant parfois, l’ordonnancement des événements se brouillait en elle. Nous reconstruisions alors patiemment, ensemble, grâce à mes notes, et je sentais son soulagement quand nous retombions enfin sur une cohérence qui la ravissait. Elle avait des sourires de petite fille en parlant de sa vie, elle aimait nos rencontres. Elle m’attendait à 17 heures et les rares fois où un retard quelconque me fit décaler ce rendez-vous rituel, je vis le soulagement se peindre sur son visage à l’ouverture de la porte.

Pendant deux mois, de mars à avril, nous avons partagé une complicité sans égal. Je n’étais plus si jeune pour m’illusionner, elle ne serait jamais assez vieille pour renoncer aux rêves. Tous les deux, nous cheminions sur ses traces, suivant sa mémoire fertile, au fil des années qui s’écoulaient en un accéléré avec des fondus au noir, des gros plans, des panoramiques, des personnages secondaires qui revenaient de séances en séances, des drames qui la plongeaient dans une langueur mélancolique, des fêtes et des bonheurs qui éclairaient son visage de sourires malicieux. J’aime à penser qu’elle se livra sans retenue, emporté par ce qui, d’un jeu, se transforma en  une course effrénée vers sa propre histoire. Je lui ai permis de renaître, d’aimer pour la première fois de nouveau, d’enfanter et de voir le monde à travers le prisme de sa mémoire. Ce fut mon cadeau d’adieu et je ne peux évoquer ses souvenirs sans ressentir un pincement au cœur, sans voir apparaître ce bout de femme tenace écartelée entre deux siècles, entre deux vies.

Les beaux jours sont revenus, le travail m’a aspiré, les notes reposaient dans le cahier vert à spirale, les cassettes dormaient en conservant cette voix chantante dans leur fibre, la vie continuait, éternelle, sans que rien ne semble pouvoir en perturber le déroulement. C’est la mort qui nous rappelle combien est fugitif le temps de l’espoir. Elle ne s’annonce pas, je le pressentais pourtant en entamant cette démarche, mais on ne vit pas avec elle, elle nous surprendra toujours, au détour d’une après-midi, quand rien ne doit déroger à l’ordre des choses et que tout paraît figé pour l’éternité. Il m’a fallut du temps pour le comprendre et tirer de ses mots cette histoire si vraie qu’elle en devient un chant, une ode à la mémoire retrouvée de ceux qui n’ont jamais eu de temps pour écrire leur histoire, de ceux qui ont vécu pour que les autres puissent continuer à espérer.

 

A suivre (?)

Alors, une histoire à naître ? Un récit à composer ? Pour qui d'abord ?
Les fils d'une histoire d'un siècle, du siècle de tous les paradoxes, de l'explosion de la science et de la technique à l'apogée de l'horreur et des crimes à grande échelle ? Pour quelle histoire donc, la grande des inconnus célébrés ou la petite d'une vie réelle anonyme ?
A vous de me le dire, à toi, Angela, de m'y inciter !

 

 

 

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La blonde va encore sévir !

Publié le par Bernard Oheix

Pour ceux ou celles qui auraient manqué le premier épisode du mois d'avril, sachez qu'une mystérieuse blonde aux gros seins et une non-moins curieuse martiniquaise sont en train de préparer leur come-back.

En effet, du 15 novembre au 21 novembre, au Théâtre Francis Gag à Nice, un metteur en scène illuminé Régis Braun, qui n'en est pas à sa première galéjade, a décidé de "remonter" Linge Sale de Jean Claude Grumberg avec une distribution de choix de jeunes comédiens portés par cette pièce complétement "barge" dont on ne peut dévoiler le dénouement sous peine d'être accusé de haute trahison envers la culture.

Dans cette distribution assez paradoxale, au milieu de ces professionnels confirmés, débarque une blonde, seule rivale avérée de la pédicure amoureuse du client surexcité de cette laverie tenue par un tenancier acariâtre. Il y aura bien un joggeur fou pour tenter d'apaiser le climat et une martiniquaise pour donner un peu d'exotisme... Las, cette production fera naufrage, il fait nul doute, afin que les spectateurs se gobergent du retour enflammé de la Belle Blonde au gros seins...

 

blonde tricotBon, c'est vrai que j'ai parfois l'impression de la connaître intimement et malgré moi, je ne peux m'ôter de l'esprit que je suis son grand frère (ou qu'elle est ma petite soeur !), que les comédiens sont là pour ses charmes ravageurs et que le public de théâtre (est-ce un effet pervers de la crise qui ronge la société ?) n'est présent que pour saliver aux galbes de ses longues jambes gainées de soie ! Oui mes amis lecteurs, mes frères de sens, mes complices en aventures esthétiques... courrez prendre votre billet, venez soutenir la création en région, le début d'une carrière éphémère et le crépuscule d'une montée sur les planches d'un jeune (!) comédien pétri de talent !

Et s'il en a pas, du talent, avouons que cette blonde a pour le moins, une sacrée paire de burnes pour oser se montrer sous ce jour peu amène dans sa ville natale, devant un parterre fleuri de sommités locales !

Alors pour la route, un dernier coup d'oeil...

Numero-3-0673.jpgEt bon courage !

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Un Article de Nice-Matin

Publié le par Bernard Oheix

 

Ses mains ont la parole. Bernard Oheix, le directeur de l'événementiel du Palais des festivals, a la gestuelle expressive, mais pas au point de se mettre en avant. Bien que ! Ce soir, il a décidé de monter sur scène en tant qu'acteur (voir par ailleurs).

Une nouvelle aventure pour celui qui, durant 25 ans, a fait la pluie et le soleil de la programmation artistique de Cannes, en endossant le rôle envié de « mange-tout » du budget culturel de la SEMEC, la société mixte qui gère le palais et l'événementiel municipal.

Après beaucoup de tops et quelques flops (voir ci-dessous), ce Boccassien, originaire de Ranchito, va quitter, le 1er juillet, ce poste qui « lui a donné la chance d'avoir une vie professionnelle intense et de voir le gotha de la culture ».

Une énigmatique longévité ?

À 61 ans, Bernard Oheix reste un séducteur. Par son humour, sa décontraction, mais aussi son professionnalisme, son enthousiasme communicatif, il a su apprivoiser aussi bien le public, que les responsables politiques. Une gageure à Cannes !

Ces derniers se sont succédé, lui est resté. Mine de rien, il a su devenir indispensable à tous, sans s'imposer. Certains pourraient y voir un sens politique aigu et un courtisan hors pair. Lui estime que c'est aux « salles pleines, au succès des saisons » qu'il doit sa longévité. Plusieurs fois, on lui a annoncé sa mort professionnelle. Sans réel succès, apparemment.

« J'ai toujours été légaliste. Je ne représente pas un danger pour eux », explique-t-il en parlant des politiques.

Une confiance suffisante pour être libre ?

« J'ai eu une vraie liberté avec l'ensemble des maires et des directeurs,assure-t-il.Pas une liberté de complaisance, mais de combats », soulignant que la culture, « ce n'est pas le monde des Bisounours »« Mon activité n'est pas en dehors du monde. Si j'avais eu des salles vides, cela n'aurait pas été la même musique. Je crois que j'ai rempli ma mission d'agitateur, de bouffon du roi, de catalyseur. »

Peur de gaspiller l'argent

Mais alors, a-t-il été un « dépensier » incontrôlable ?

« J'ai toujours eu peur de gaspiller l'argent des autres. »

Référence à son enfance. Chez lui, on comptait. Un père sapeur-pompier, une mère au foyer et quatre garçons à nourrir. De quoi faire attention aux fins de mois.

Bernard Oheix prône une « dépense juste. Même si on est à Cannes, c'est l'argent de la ville, du contribuable. La culture doit être subventionnée, mais cela doit rejaillir sur la ville, son image et le plaisir du public ».

D'ailleurs, côté public, là aussi, le charmeur a sorti le grand jeu. Formé d'abord aux MJC de la Frayère (animateur) et de Bourg-en-Bresse (directeur), il a été l'éphémère responsable de « Label Bleu », l'agence artistique des MJC de France.

« Un échec, mais qui m'a permis d'être ce que je suis. »

Un passage à vide qui l'a fait rebondir à la « Maison pour tous » des Campelières avant d'être repéré par René Corbier, directeur des affaires culturelles de Cannes, et de recevoir en janvier 1992, des mains de Michel Mouillot, la direction de l'événementiel du palais.

Un éclectisme distingué

En 1997, grâce à Gilles Cima, il crée les « saisons » culturelles et relance le festival de feux d'artifice. Là, Bernard Oheix peut partir à la conquête du public cannois en ayant « l'art de proposer des choses que les gens avaient envie, étaient capables de voir. Pas la programmation de ce que j'aimais ».

Ses « saisons », au fil des ans, aboutissent à « un éclectisme distingué. Avec suffisamment de conformisme et un peu de provocation ».

Pour lui, le souci d'un choix artistique « n'est pas d'aimer soi, mais de respecter les goûts du public, qui est une alchimie assez bizarre entre un public cannois, très cultivé, conformiste, une jeunesse bouillonnante et fertile et ce croisement incessant de personnes qui viennent de partout ».

Pour capter les spectateurs, il a mis en place avec son équipe (1) une véritable stratégie sur le long terme, les « éduquant » en distillant de plus en plus des projets audacieux.

« Le public a besoin de s'ancrer sur des certitudes, avant de les compléter. Maintenant, on est suivi, surtout sur la danse et le théâtre. »

Bernard Oheix, qui ne veut « surtout pas faire la " saison de trop " » va laisser son bureau du palais, alors qu'il avoue qu'il n'a jamais autant « maîtrisé ce que je fais. Pour la première fois de ma vie, je n'ai plus peur de mal faire. Je sens une paix intérieure ».

Et d'ajouter que ces dix dernières années, avec la complicité de « David Lisnard, le président du palais et Martine Giuliani, la directrice » ont été les plus épanouissantes et, il l'espère, « bénéfiques pour la ville, dont l'offre culturelle est devenue un leader artistique, un moteur économique et un lieu de vie, d'amour et de tolérance ».

Séducteur, stratège et poète.

Gaëtan PEYREBESSE

(1) Composée de dix personnes, dont Sophie Dupont, son adjointe, avec qui il a créé « un couple de travail soudé » et qui va le remplacer en juillet.

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Mon ami Lili Boniche

Publié le par Bernard Oheix

Une des plus belles et étranges rencontre de ma carrière... Le désir de la repartager avec vous ! Lili Boniche, juste une autre époque, un temps évanoui mais dont les sons sombres et mélancholiques remontent malgré tout jusqu'à nous. Ecoutez Ana el Owerka et vous comprendrez mieux l'automne et ses feuilles qui tombent en enterrant nos espoirs. Lili, son sourire et sa voix chaude me manquent...je l'ai croisé, un souffle d'orient avec panache !

 

 

 

Lili Boniche la légende de la musique orientale. J'ai eu la chance, l'honneur, le plaisir de le rencontrer dans des conditions particulières. Il vient de mourir, ce 19 mars 2008. Il est une de mes plus surprenantes aventures culturelles, le produit d'une séries de coïncidences rares, la preuve que le hasard fait parfois bien les choses. C'est ce que je raconte dans ce texte.

Il me reste quelques inflexions de sa voix chaude, le regard pétillant d'un vieux monsieur toujours jeune, l'impression réelle d'avoir pressenti son come-back, mieux, d'avoir ajouté une pierre à sa légende. Je l'ai redécouvert à un tournant de sa vie, anticipant cette mode qui allait lui permettre de revenir pour une dernière apparition sous les feux de la rampe. Modestement, j'ai eu un peu flair et beaucoup de  chance en ce mois de juin 1998.

Et pour ceux qui douteraient du génie de cet homme, achetez son disque dans la collection "trésors de la chanson Judéo-Arabe", vous serez convaincus !

 

Le temps est une valeur relative. Quand on regarde derrière soi, on discerne cette fuite, ce fil discontinu qui nous éloigne toujours plus du passé mais que la force des émotions conserve intact. J'avais ouvert cette saison culturelle avec un concert d'exception de Lili Boniche, cette légende vivante des rapatriés d'Algérie qui, après une longue éclipse causée par son amour pour une comtesse russe, avait repris sa guitare à plus de 70 ans et, par un concours de circonstances particulièrement savoureux, s'était retrouvé sur la scène d'un Palais des Festivals comble. Un peu plus de cinq mois s'étaient écoulés depuis ce jour et il me semblait suivant l'optique avec lequel on le regardait, qu'une éternité nous en séparait ou, à contrario, qu'un simple claquement de doigts avait chassé ces innombrables spectacles que nous avions proposés, s’enchaînant sans répit, semaines après semaines, les week-end se télescopant dans la mémoire vive en un tourbillon de notes et d'images.

Ce concert était né dans des conditions étonnantes. Il y a  plus deux années, mon ami d'enfance Jean-Paul Bertrand, avec qui j'avais traversé une décennie universitaire et les fièvres des soubresauts qui agitaient le monde de l'après 68, m'avait apporté un supplément de Télérama, un CD des étoiles de la musique algérienne incluant toutes les stars de la chanson judéo arabe autour de Reinette l'Oranaise, Blond-Blond, Cheikh Zekri et autres légendes de Radio Alger. A l'écoute du disque, juste derrière le "A Vava Inouva" d'Idir, une plage m'avait envoyé un véritable électrochoc, une décharge rare, capable de secouer et de lancer des ondes de bonheur, un morceau de musique, "Ana el owerka", complainte qui déchirait l'air, hors du temps et de l'espace. Sur le thème d'une feuille morte tombée de sa branche que le vent emporte et que les gens piétinent, le chanteur,  avec une voix de gorge  particulière qui lui permettait des crescendo sur les couplets pour revenir à la rugosité de l'arabe sur le refrain, exhumait un chant enfanté dans l'ombre d'un pays de soleil. Accompagné par une base piano, violon tsigane et derbouka, accordéon en sourdine et guitare en contrepoint, la voix s'inscrivait dans un tissu de sons chauds, un étrange tango en glissando, variation subtile naissant dans les  bouges enfumés d'un Orient mystérieux pour parler du malheur et de la solitude de l'homme, de la fatalité et de la grâce intemporelle.

 L'interprète de "Ana el owerka", Lili Boniche est tout droit sorti d'un livre d'histoire. Né en 1921 dans la casbah d'Alger, descendant d'une famille modeste de juifs expulsés d'Espagne par Isabelle la Catholique, ses prédispositions musicales extraordinaires lui permettent d'être placé comme élève de Saoud l'Oranais, un des maîtres de l'Haouzi, dérivé populaire de la musique classique arabo-andalouse. A treize ans, il a assimilé ce répertoire et découvert les subtilités du luth, faisant vivre une nombreuse famille en jouant dans toutes les fêtes religieuses et profanes de la communauté juive ou arabe. C'est une star qui aura son émission sur Radio Alger et va entreprendre de moderniser son style en le confrontant aux rythmes modernes du jazz et des "afro-latins", débouchant même sur le "francarabe", un langage qui remonte aux sources des deux cultures et offre des pasos endiablés, des rumbas envoûtantes, des tangos exotiques qui font danser tout le Maghreb. C'est au cours de ses missions, au tout début des années cinquante, que François Mitterrand le découvre dans un cabaret d'Alger, venant tous les soirs à l'heure de son passage et lui donnant sa confiance et son amitié. Bien des années après, devenu Président de la République, il l'invitera régulièrement à donner des concerts privés, autour de la famille au rang de laquelle Roger Hanin, le beau-frère, le futur gardien de la mémoire, trônait dans sa masse imposante de géant débonnaire. La relative éclipse de Lili Boniche, due à une vie privée passionnée et à des choix professionnels parfois surprenants qui l'écartèrent des scènes et de la musique, n'entamera jamais son aura et le crédit de tous ceux qui l'ont connu et ont eu le privilège de communier à ses concerts.

J'ai bien trouvé un disque dans les rayons musiques du monde sur les trésors de la chanson judéo arabe à la FNAC, rencontré deux pieds-noirs qui connaissaient Lili Boniche et me parlèrent abondamment de lui et de leur jeunesse dans un Alger de soleil si loin des turbulences,  mais j'étais incapable de le situer et de trouver un agent, un producteur ou un tourneur qui m'auraient aiguillé vers cet homme entouré d'un mystère et d'un prestige qui, conjugués à ce morceau de musique que j'écoutais en boucle, me le rendait attirant et étrange. Dans les guides du show-biz, il brillait par son absence et je désespérais de réussir à nouer un contact quand mon ami Jean-Paul, celui même qui me l'avait fait découvrir, mit la main sur un article qui parlait de lui et d'un sondage qui classait une de ses chansons en numéro deux de Radio Alger, toutes époques confondues, et le situait vivant en reclus sur la Côte d'Azur. Après avoir pianoté sur le minitel, un Elie Boniche s'étalait sous mes yeux et l'adresse indiquée, à ma plus totale stupéfaction, portait le nom de ma rue, à cinquante numéros et quelques centaines de mètres de ma demeure, une villa accotée à une station service devant laquelle je passais tous les jours, dissimulées derrière une haie de cyprès, mélange pimpant de murs blancs avec des motifs bleus et jaunes qui lui donnaient un air coquet et méditerranéen.

Je n'ai fait que suivre mon instinct en sonnant à sa porte et j'attendais dans le tintinnabulement du carillon quand un vieux monsieur m'ouvrit et d'une voix qui chantait le Sud me demanda ce que je désirais.

-Excusez-moi, mais je cherche monsieur Boniche, Lili Boniche.

-C'est pourquoi ?

-Ecoutez, c'est un peu long à expliquer, mais je suis directeur au Palais des Festivals et je souhaiterais lui dire quelques mots à propos d'un disque que j'ai écouté et dans lequel il joue un morceau de musique qui s'appelle "Ana el owerka".

Un immense sourire a illuminé son visage parcheminé, une joie enfantine qui faisait briller ses yeux et le rajeunissait d'un seul coup, gommant des années d'usure, effaçant un lacis de rides et laissant sourdre une fierté qui l'irradiait.

-Entrez, venez, on va parler de tout cela.

 

Deux heures après, devant un énième pastis et des tonnes d'olives pimentées, dans la fumée des cigarettes qu'il consommait sans mesure, de sa voix rauque en s'accompagnant à la guitare, il me faisait découvrir ses dernières compositions, me racontant l'Algérie du soleil et de l'amour, les caves des rencontres musicales où les musiciens classiques juifs et musulmans enrichissaient la musique andalouse en se frottant aux rythmes d'un monde nouveau, les perpétuelles nuits de douceur d'une culture qui vivait son agonie et ne pressentait pas les convulsions qui la guettaient. Les douces sonorités du "chaâbi" allaient bientôt se fondre dans le fracas des explosions et du déchirement, les frères se haïr et se partager l'horreur en un tribut que plus rien n'effacerait. Lili Boniche, Juif et Arabe, Français et homme du monde, musicien de génie aux ailes rognées par le destin, m'offrait un concert exclusif, juste présent et attentif au temps des regrets, mélancolie des heures révolues.

 

-L'an prochain, si vous en êtes d'accord, vous m'ouvrirez la saison culturelle, je veux vraiment vous offrir une scène dans votre ville, un public, je veux vous partager avec les autres.

-Vous savez, pour les mariages, les bar-mitsva, les fêtes religieuses on m'appelle toujours, je joue au Japon, dans tous les pays du monde, partout où il se trouve une communauté algérienne, mais en France, il y a bien longtemps que je n'ai pas fait de concert sur une scène.

-Monsieur Boniche, on boit un dernier pastis, vous me contactez votre orchestre et l'an prochain, on remplit le Palais des Festivals en faisant la fête !

 

Il a fallu plus d'une année pour monter le projet, laps de temps pendant lequel, par un incroyable concours de circonstances, Lili Boniche avait retrouvé les faveurs du public. Il avait suffi du disque de Télérama, d'un extrait de ses chansons dans la bande musicale de "La vérité si je mens" et d'un passage au Printemps de Bourges par un directeur artistique de mes amis pour relancer sa carrière et en faire la coqueluche des programmateurs de musiques du monde et des salles jouant la carte du "revival" et de la nostalgie.

 

 

Le hasard en ricochet, comme une chaîne désarmante, une succession d'événements dont le premier induirait les autres, leur ôtant, par cela même, tout caractère aléatoire, les rendant inéluctables. Les cercles concentriques des ronds dans l'eau qui vont se perdre à l'infini et que l'on retrouve flottant à la surface tissant une toile infranchissable. Cette rencontre de l'impondérable, de l'écoute d'un disque à la découverte d'une adresse à quelques centaines de mètres de mon habitation, n'était que le prélude à un autre enchaînement, nouveau concours de circonstances, pied de nez aux arêtes de la réalité.

Je n'avais pas manqué de questionner Lili Boniche sur les amitiés supposées qu'il entretenait avec l'ex-Président de la République, François Mitterrand, sur la légende de ces soirées privées à l'Elysée que le musicien animait. Il était resté très pudique et réservé, opinant juste pour confirmer qu'il connaissait le futur président, depuis qu'un jeune ministre de la France d'Outre-mer de la IVème République avait débarqué en 1950, s'épuisant à passer ses nuits dans les boîtes d'Alger, amoureux de cette douceur langoureuse, des moiteurs orientales des cabarets du quartier sud et de la beauté des femmes qui dansaient sur les pistes. Devenu ministre de l'Afrique du Nord en 1953, il avait eu du temps à consacrer à cette ville qui le fascinait et venait terminer ses nuits dans les volutes de cigarettes américaines, les verres d'alcool et les sons plaintifs des guitares et des instruments orientaux. Ils avaient à peine plus de trente ans et le monde semblait leur appartenir. Le temps avait passé, les lumières de la célébrité l'avaient inondé d'une nappe crue mais Monsieur François lui était resté fidèle, lui conservant son estime, cette constance qu'il lui avait toujours manifestée.

Il se trouve que deux mois après ma rencontre avec Lili, j'accueillis une œuvre de Molière dont le Tartuffe était interprété par Roger Hanin dans une mise en scène qu'il signait. Je tenais à maintenir un classique dans ma saison théâtrale et, même si je n'avais pu visionner le spectacle qui était une création en tournée avant installation dans une salle de Paris, un moyen de roder et tester le spectacle avant d'affronter les critiques et la foule parisienne, je savais par contre m'assurer d'un succès commercial et financier par la présence dans la distribution de Roger Hanin. Il faut avouer que le voir déclamer du Molière avec son accent pied-noir sous-jacent n'était pas vraiment une réussite mais son talent évident par ailleurs et sa gentillesse réelle nous permettaient de tout lui pardonner, y compris quelques traîtrises envers le dieu du théâtre classique.

Dans sa loge encombrée de compatriotes, tous de "là-bas", évoquant leurs souvenirs et égrenant les morts qui parsemaient les allées de leur retour en métropole, j'ai pu dans un moment d'accalmie saluer Roger Hanin et lui parler.

 

-Monsieur Hanin si je vous dis Lili, vous pensez à qui ?

-Lili, mon ami Lili Boniche. Il est là, faites-le entrer tout de suite.

-Non, il n'est pas ici, mais je l'ai eu au téléphone et nous avons parlé de vous. Il ne pouvait pas se libérer ce soir, il m'a chargé de vous saluer de sa part.

-Je sais qu'il habite à Cannes. Cela fait un bon moment que je ne l'ai vu. Comment va-t-il ?

-Très bien, et d'ailleurs je vais ouvrir l'an prochain ma saison en lui offrant la scène de cette salle, au Palais des Festivals. Ce sera un grand concert de musique d'Algérie, une fête de famille. J’aimerai lui faire la surprise de votre présence.

De sa voix de basse chargée des couleurs du Maghreb, il a lancé à la cantonade.

-C'est sûr, je viendrai. Nous y serons tous. C'est vers quelle époque ? Octobre. Ah! Oui, juste après le tournage en Allemagne. Tenez, vous téléphonez à ma secrétaire mais je vous promets d'être là et après le concert  nous mangerons un bon couscous tous ensemble.

 

J'étais plus que circonspect sur cette proposition d’un artiste au sortir de la scène, attendant que les actes se concrétisent avant de lancer ma campagne de communication sur sa présence. Quelques mois après, sa secrétaire me confirmait sa venue avec une dizaine d'amis. Refusant de se faire inviter à l'hôtel, exigeant même de payer ses places de spectacle malgré mon insistance, tenant à régler le restaurant où nous devions finir la soirée, il fut à la hauteur de son personnage, chaleureux, humain, serviable, acceptant de se faire photographier avec les invités, accordant interviews sur dédicaces et lançant superbement ma saison  grâce à une photo en première page du quotidien Nice-Matin et à un petit discours improvisé sur scène pour parler de son ami Lili Boniche au bord des larmes en évoquant devant une salle subjuguée, quelques souvenirs du bon vieux temps. Je me rappellerai toujours, à son entrée, la foule des 1200 spectateurs se lever et applaudir à tout rompre en scandant "Navarro, Navarro" en une liesse communicative devant son sourire désarmant et la chaleur qu'il dégageait.

J'ai rempli la salle Debussy pour ce concert de la mémoire et j'ai vu des larmes dans les yeux du public, j'ai senti le souffle torride du Maghreb caresser nos visages, l'émotion trop contenue de ceux qui, l'espace d'une chanson, replongeaient dans le monde de leur jeunesse et activaient les souvenirs des temps heureux, quand l'insouciance et l'innocence qui les animaient leur permettaient de ne pas voir les nuages du futur et que la vie se conjuguait au présent.

 

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Ma médaille d'Or !

Publié le par Bernard Oheix

Bon, une Médaille d'Or, de chocolat peut-être... Mais il n'empêche... que la Ville de Cannes par son Maire Bernard Brochand, que le Palais des Festivals par son Président, David Lisnard et son Directeur Général, Martine Giuliani, que toute mon  (ancienne) équipe et que ma famille et mes amis soient réunis pour m'attribuer la Médaille d'Or de la Ville de Cannes m'a fait chaud au coeur. La certitude d'un beau final pour cette période de ma vie qui s'achève, d'avoir bien oeuvré pour cette ville dans laquelle j'ai grandi et de se voir récompenser par elle, avec des mots qui touchent, des moments si forts, quelques larmes...

Si on m'avait dit, adolescent, que je finirais Directeur de l'Evènementiel au Palais des Festivals !

J'ai improvisé un discours à la "Oheix", et, n'en doutons point, il fut à la hauteur des circonstances. Magie d'être aimé et regretté !

Bon, il faut désormais redescendre de son piédestal... mais la marche n'est pas si haute, ne nous illusionnons pas outre mesure !

J'ai tant de choses à rêver encore !

Et puis, il reste la médaille de platine à inventer et à donner le nom de "Rocher de Bernard" à un de mes pitons rouges en face de chez moi.... Tout un programme, même si ce n'est pas gagné !

 

medaille bo

 

 

Je n'écris pas trop en cette période si riche... problèmes d'ordinateur qui vont se régler très rapidement. Je vais retrouver l'inspiration et ce d'autant  que je suis en train de "monter" quelques opérations dont je vous parlerai prochainement. En attendant, à bientôt pour de nouvelles aventures !

 

PS : Je n'étais pas Directeur de l'Evénementiel depuis 1997 comme le souligne l'article, mais bien depuis 1992 soit 20 années de bons et loyaux services !

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Super Bingo !

Publié le par Bernard Oheix

A l'occasion de mon départ à la retraite, j'ai décidé de rééditer quelques articles de mon blog concernant ma vie professionnelle...Non pas en une tentative désespérée de recyclage, mais tel un éclairage nouveau, une façon de rendre les éloges dont je suis récipendiaire plus ambiguës, complexes. Derrière la statue du commandeur, il y a aussi les affres de la création !

Re-bonne lecture !

 

40 ans que je fais ce métier. J’en ai vécu des cas de figure, réussites, échecs, entre les deux. A chaque fois, on tente d’en tirer des leçons et de se rendre plus performants, de s’améliorer, de ne pas reproduire les erreurs passées…Mais parfois, même ce travail s’avère impossible, c’est ainsi, quelquefois, c’est arrivée à Cannes, un vendredi 13 !

 

Un parapluie d’une valeur de 15€ offert par le groupe L…B…, un bon pour une boisson non alcoolisée et un jeton de 5€ pour les machines à sous…5ème quine et la tempête gronde ! Nous allons jouer maintenant pour le carton plein, deux places pour le magnifique spectacle du Palais des Festivals, les Moines de Shaolin…Je ne sais pas pourquoi, mais c’est à ce moment que j’ai compris que nous étions dans la merde, une belle et énorme merde…Comment en étions-nous arrivés là ?

 

Tout a commencé il y a presque une année avec ma collaboratrice Nadine S, chargée du Festival International des Jeux. C’est une manifestation incroyable, titanesque qui se déroule pendant une semaine au mois de février. 150 000 visiteurs en train de jouer, 15 000 inscrits à des compétitions, le monde entier des jeux regroupé sur 30 000 m2, des champions et des amateurs, des hommes femmes, enfants, riches et pauvres s’évertuant à jouer à tous les jeux possibles et imaginables, des plus simples aux plus sophistiqués, bien français ou exotiques (Mah-jong, Go, Awalé…). 50 nationalités, un univers de règles et de règlements qui laissent une totale liberté aux individus, se confrontant aux autres pour mieux se connaître, s’affrontant pour découvrir ses propres limites.

Une tour de Babel ! C’est génial, émouvant, beau et terriblement chargé d’amitié et de respect. Pas une tension à l’horizon, la preuve, si besoin était, que l’on peut vivre à plusieurs, par milliers, avec ses différences, une belle leçon d’humanité chaque année pour beaucoup de responsables divers qui devraient plus traîner dans les travées du Palais à observer ce microcosme que dans les antichambres du pouvoir à rêver de transformer un monde qui ne demande rien !

 

Replongeons-nous quelques mois en arrière. Nadine me déclare, quelques restrictions budgétaires obligeant, que nous allons diminuer la partie spectacle du Festival (toujours onéreuse !), en profitant de l’aubaine d’un vendredi 13 opportunément glissé dans nos dates du Festival, pour réaliser une grande première : un loto ! Bingo !

Génial. J’ai la pratique de cet exercice, ayant animé à moult occasions les lotos du club de football de mon fils à l’époque glorieuse de ses exploits en short sur les terrains boueux de la région ! J’en ai pratiqué des tirages de numéros en glosant sur les chiffres, recherche de lots et autres saucisses frittes mayonnaise sur les tables des salles des sports où nous récupérions un peu d’argent pour les têtes blondes qui nous étaient chères !

C’est une bonne idée que nous validons par une recherche de partenaires, un grand casino du coin, une équipe de spécialiste des animations de jeux avec lesquels nous collaborons depuis de longues années (Destination J…)… Et c’est parti pour de nouvelles aventures !

Le temps passant, je me suis bien vaguement inquiété quelques jours avant.

-Alors ce loto ?

-Pas de problèmes, les lots sont beaux.

-Et c’est quoi ?

-Un séjour au Majestic (un palace), une console Nintendo, plein de trucs encore…

Je sais que c’est là que j’ai fait une erreur, dans le plein de trucs « encore », j’aurais dû me méfier, creuser le dossier, exiger de voir la liste des lots mais les garanties conjuguées de nos deux partenaires m’ont fait baisser la garde et oublier que ni Nadine S, ni Eurielle D, les deux responsables de mon équipe de ce dossier, n’avaient jamais assisté à un loto de leur vie !

Mal m’en pris. La litanie des parapluies a commencé devant 800 personnes ébahies, dont, il faut le dire, les 2/3 étaient des professionnels convaincus du Bingo, alléchés par la publicité d’un grand loto à Cannes avec des prix prestigieux (sic).

Les lazzis fusant au rythme des parapluies généreusement dispensés furent complétés par des stocks d’un jeu, le Deluxe Camping, qui nous restaient sur les bras et dont Nadine profitait de cette occasion inespérée pour les fourguer en quantité industrielle aux victimes du Loto. Ainsi donc, les participants ayant payé 3€ le carton, 10€ les 5 et 20€ les 10, pouvaient gagner de haute lutte, après des empoignades titanesques, des parapluies dans une ville où il ne pleut jamais (enfin presque !), et des jeux sur un camping dans une ville symbole du luxe et des palaces. Cherchez l’erreur !

Quand la vague de contestations s’est transformée en tsunami, j’ai compris que je me trouvais devant une alternative simple : me casser en me planquant ou rester et en prendre plein la gueule ! Les sourires anxieux d’Eurielle et de Nathalie, la stagiaire dont c’était le baptême du feu (...et quel baptême !) m’ont hélas contraint à puiser dans ma réserve en restant comme un capitaine à la barre de son navire en train de sombrer corps et biens. Fidèle au poste.

Dans un réflexe de survie, j’envoie Eurielle récupérer tout ce qu’elle peut dénicher dans nos réserves comme lots potentiels, dictionnaires, consoles vidéo, assortiment de jeux…je fais éditer 50 places de spectacles (Fame, Carolyn Carlson (les pauvres !), Cirque de Chine… et dans les hurlements du public, annonce une pause de 20 minutes. L’équipe des « professionnels » de Destination J flirte avec la crise de nerfs, l’animatrice fond en larmes et laisse sa place à un garçon…plus résistant. Au passage, attribuons-lui le crédit d’avoir réussi à annoncer un 98 devant la foule esbaudie, ce qui fait légèrement désordre, vu que c’est un numéro qui n’existe pas et qu’elle avait confondu avec le 86 ! Au bar, débordé et dévalisé, tenu par les joueurs de tarot stupéfaits, les hurlements montent pendant que nous rectifions le tir avec Eurielle et Nathalie en recomposant à vue les lots. On passe de 8 parties restantes à 4, on entasse dans les sacs des collections de parapluies, de bons divers non-alcoolisés, billets de spectacles, porte-clefs, jeux, consoles, séances gratuites de fitness…On force le rythme devant les yeux ébahis de 800 joueurs dont certains hilares couvrent de leurs rires les cris de colère d’une minorité d’acariâtres. On avance dans la nuit avec la certitude que le mur se profile à l’horizon et que l’on s’écrasera dessus sans rémission !

Les deux derniers cartons pleins tirent enfin quelques soupirs envieux de la masse des perdants et de timides applaudissements pour les quelques gagnants bienheureux. C’est la fin. Avec Eurielle, nous nous installons devant notre table et attendons la dernière salve et la ruée prévisible des mécontents avec, à la clef, notre exécution en place publique.

Et voici donc le bal qui s’ouvre avec une charmante dame aux yeux cruels, dénonçant à haute voix notre incompétence, cette parodie de « grand loto », l’incurie de l’équipe d’animation et l'extrême pauvreté des lots du Casino L…B…

Elle est là celle qui ouvre les hostilités..mais la meute attend dans l'ombre ! Vous apercevez les visages  tendus d'Eurielle et de Nathalie observant le désastre annoncé !

Je reste stoïque. J’abonde même, surenchérissant sur l’échec de la soirée et dans notre autocritique. Je me flagelle jusqu’à ce qu’elle en reste coite, désarmée…La deuxième vague arrive et j’en rajoute, effectue mon autocritique, me fouette avec délice, foule ma fierté jusqu’à ce qu’une « histrionne » de bas étage me traite de voleur, m’accusant de détourner l’argent du Loto. Là, je dois le dire, je vois rouge, craque et commence à insulter la moitié de la terre, les joueurs, leurs mères et pères, ancêtres et descendants…  Je leur parle du Festival des Jeux qui est gratuit, des 500 000€ que la ville consacre à les divertir pendant cette semaine, des efforts consentis pour leur offrir des conditions exceptionnelles de séjours et d’activités…Mon ton et mes yeux qui roulent comme des billes de loto épileptiques (les revoilà les numéros !) calment la foule et surnageant par-delà les récriminations, quelques encouragements solidaires me réchauffent (enfin !) le cœur en m’offrant un réconfort bienvenu ! Au moins, se trouvait-il dans cette salle immense, quelques joueurs qui, à défaut d’apprécier les parapluies et les boissons non-alcoolisées, m’accordèrent le crédit d’avoir tout tenté pour sauver du désastre ce qui devait être une fête et se transformait en Bérézina !

Humanité cruelle ! 10 ans que je n’avais vécu une telle galère !

Un loto, un vendredi 13, sincèrement, j’aurais dû me méfier….

 

Bon, une dizaine de lettres de réclamations, quelques coups de fil à la mairie, et la vie a repris son cours ! Quelques réponses s’adaptant au ton des récriminations et de mon humeur, une réunion avec les casinotiers partenaires (!!) pour débriefer cette soirée d’enfer avec une distribution de volée de bois vert où chacun en prit pour son grade (y compris votre serviteur par lui-même flagellé !), la facture divisée par deux pour nos partenaires professionnels du Loto…et le long fleuve tranquille s’est remis à couler, le mauvais temps s’est estompé à l’horizon jusqu’à rire des avatars de notre organisation particulièrement brillante ! C’est sûr, la prochaine fois qu’il y aura un vendredi 13 pendant le Festival des Jeux, je me débrouillerai quand même…pour me tirer aux Galápagos !

Et ne me parlez plus de Bingo !

 

 

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Sur le fil

Publié le par Bernard Oheix

Tiens, tiens...

Une nouvelle. Cela fait un bon moment que je ne vous en ai pas proposée. Alors, pendant que  je suis en Crête, en train de profiter du soleil et de la mer chez mon ami Richard Stephant, une nouvelle pour les amateurs de tendresse et d'un monde d'harmonie.

Bonne lecture

 

Naître entre le premier et le douzième tintement de la cloche de minuit, le 31 décembre 1999, fait-il de vous un être humain du 2ème millénaire agonisant ou  l’acteur d’un monde nouveau en train de s’ériger vers la conquête du troisième millénaire ? Cette question m’a longuement taraudée tant elle me semble symbolique de l’agitation et du désordre que mon corps véhicule. J’ai bien tenté d’en savoir plus, interrogeant sans répit ma mère et mon père, j’ai envoyé des courriels au médecin qui m’avait accouché et à tous ses collaborateurs, j’ai enquêté auprès de tous ceux et celles qui avaient assisté à cette parturition suffisamment dramatique pour marquer les esprits et laisser un souvenir indélébile aux présents qui affrontèrent les affres de ma naissance. Tous sont formels, au douzième coup de minuit, l’ensemble des témoins oculaires peuvent vous confirmer que mon torse et les deux bras étaient à l’air libre et que seul mon ventre et les jambes restaient emprisonnés dans le ventre de ma mère. Ma naissance est donc bien intervenue au moment précis où le siècle bascule et je fais fi des polémiques sur le début du millénaire. Je suis bien né  à 0 heure de l’an 2000.

Je glissais naturellement de ce cocon qui m’avait abrité pendant de si longs mois, personne ne se doutant de ce qui allait arriver, à commencer par ce médecin de garde qui s’était ramené en catastrophe à l’appel du service de garde et qui, les mains tremblantes, tentaient de me saisir au passage en dissimulant son état d’ébriété avancée.

Il est vrai que j’avais surpris tout le monde en avançant péremptoirement la date de ma délivrance, à commencer par ma mère qui ne comprenait pas mon acharnement à venir au monde si rapidement et qui en découvrirait bien assez tôt les raisons, et à fortiori, ce médecin de permanence qui  avait profité  de la proximité d’un nouveau millénaire pour le fêter en l’arrosant abondamment.

Désirant en finir au plus vite et n’ayant qu’une connaissance très intuitive de mon environnement, tirant toute mon énergie de ce placenta qui me nourrissait, j’avais dans l’urgence de ce temps qui filait déjà si rapidement pour moi, décidé d’en finir avec les préliminaires et de naître in petto. Las ! J’aurais dû prendre quelques précautions, observer et capter les signes du dérèglement ambiant, mais j’étais jeune à l’époque et mon impétuosité n’avait d’égale que cette frénésie de vie qui bouillonnait en moi. A ma décharge, notez que je n’avais vraiment pas une minute à perdre.

Le médecin ne tenait pas l’alcool, il le savait pourtant, et quand ma mère a perdu les eaux et que le travail a commencé à marche forcée, il était trop tard, le mal était fait. L’hôpital est un monde clos qui a ses propres règles, où les hiérarchies en place ne se contestent pas, où l’inexpérience d’un médecin commis d’office à ce réveillon de la Saint Sylvestre ne peut bousculer les rituels et les codes en vigueur. Il était l’accoucheur et le resterait pour mon malheur et celui de ma mère. Quand il m’a saisi pour me tirer de ma tanière, au douzième coup de minuit, ses mains tremblaient tellement qu’il m’a lâché et que j’ai ricoché sur le ventre de ma mère. J’ai commencé à glisser sur la peau rebondie et luisante de celle qui m’avait engendré au 1er avril précédent, réconciliation tardive de la sortie nocturne de mon père avec ses collègues du bureau et qui, en titubant, s’était fait pardonner ses infidélités en l’honorant mécaniquement après lui avoir juré de ne plus recommencer et de devenir enfin cet adulte qu’elle pensait épouser de longues années auparavant, quand elle rêvait encore d’un monde à construire dans lequel les femmes et les hommes regarderaient dans la même direction. N’imaginez point qu’elle était faible et inconsistante, mais elle était femme, elle pensait sincèrement que l’amour exonère des vilenies et qu’il suffit de si peu pour ériger le bonheur en art de vie.

Voilà donc que je ricoche sur ses genoux et que je bascule dans le vide. Je sais que je n’ai pas eu peur, juste étonné et perplexe de ces cris qui montaient et couvraient le mien. C’est le cordon qui m’a protégé, un lien ombilical si solide qu’il s’est tendu à se rompre et que j’ai commencé à me balancer, les pieds s’agitant furieusement à la recherche d’un point d’appui, le visage bleuissant sous l’effet d’une anorexie qui me gagnait du fait de ce lien qui s’était entortillé autour de mon cou et qui, tout en m’évitant une chute qui aurait pu être mortelle, m’étouffait inexorablement.

J’ai vu mes premières étoiles dans les éclairs blancs qui déchiraient ma nuit, j’ai entendu un concert d’exclamations et je peux vous assurer que j’ai eu la force de sourire quand le médecin s’est évanoui en régurgitant tout le champagne dont il avait abusé, en ce soir de veille, sur le carrelage de cette salle d’opération transformée en champ de combat, moi, me balançant en cadence dans les hurlements de ma mère, la tête à quelques centimètres des déjections qui jonchaient le pavé froid.

C’est une jeune stagiaire mignonne et délurée qui m’a sauvé en se saisissant d’un de mes pieds pour me brandir, tel un premier trophée accroché à sa future panoplie de sage-femme, tout en me dénouant du collet qui m’asphyxiait et en me frappant vigoureusement les fesses afin de permettre à la circulation sanguine de revenir baigner mes poumons. Je ne suis pas certain qu’elle ait eu raison et que sa promptitude à me sauver soit la meilleure chose qui me soit arrivé…mais que voulez-vous, elle pensait bien faire, elle était à l’orée de sa vie professionnelle. Elle ne savait pas encore, qu’en cette nuit de cauchemar, elle allait sauver un bébé et trouver un mari en la personne du médecin qui, au sortir du coma éthylique dont il était victime, lui fut tellement reconnaissant de son réflexe salvateur, qu’il l’épousa quelques mois après pour se faire pardonner, lui offrant une existence de confort et un statut envié auprès de toutes les élèves infirmières aspirant à trouver un mari dans les plus hauts strates de la hiérarchie médicale.

Mon père avait refusé d’assister à l’accouchement, et même s’il l’avait voulu, il serait arrivé en retard, buvant copieusement à cette occasion, dans une boîte de nuit en anticipation de ma naissance. Il enterrait pour la énième fois sa vie de garçon dans les bras d’une pute polonaise qui lui offrait son corps contre un peu de menue monnaie et la certitude de pouvoir oublier tout ce qui se tramait dans cette salle d’opération d’un hôpital de province qui le terrorisait. Il n’était pas vraiment doué, ce père, et même son spermatozoïde avait des faiblesses, bien qu’il faille reconnaître qu’il n’y était pour rien dans cette malédiction et ne pouvait la deviner. Il ne fait aucun doute qu’il eût mieux valu qu’il ne puisse fertiliser ma mère, en ce 1er avril où il m’offrit un beau cadeau, avec la fécondation réussie de l’ovule qui s’ouvrait aux coups de boutoir de son sexe. Il aurait mieux fait de rester, cette  nuit-là, avec une de ces prostituées qui lui permettaient de fuir son présent et de clore définitivement ses rêves d’adolescent troublé par les charmes d’une demoiselle qui partageait son temps entre le lycée et sa couche et qui m’enfanterait presque dix ans après, dans la douleur d’une fuite éperdue.

Voilà donc l’histoire authentique de ma naissance, pas celle de ma vie qui est encore plus éphémère, mais celle qui prélude à ma destinée tragique. Produit du coït insatisfaisant d’un couple désaccordé, surgi inopinément, une nuit qui fit basculer l’humanité dans un nouveau millénaire, dans les bourrasques d’un dérèglement dont mon horloge interne allait  être le cruel dépositaire, j’ai donc été amené à grandir…et cela je sais le faire !

Si vous calculez bien, j’ai  quatre années de vie civile derrière moi, un compte très facile à effectuer puisque nous sommes le 31 décembre 2004, et si je vous écris, c’est que dans ma tête, j’ai trente ans, la force de l’âge mental…même si mon enveloppe charnelle atteste que 60 années biologiques m’ont usé prématurément.

Vous ne me croyez pas ? Vous pensez à un de ces délires de mythomane pervers, aux élucubrations d’un fumeur de haschich ou pire, aux dérives d’un psychopathe en train d’échafauder ses plans tordus pour justifier l’innommable ! Allez donc demander à messieurs Hutchinson et Gilford, si vous les rencontrez ! Posez leur la question qui me taraude : pourquoi le chromosome 1 ? Pour quelle raison mon code génétique comporte-t-il une minuscule erreur, une simple faute d’orthographe sur la séquence LMNA ? Peut-être connaissez-vous cette monstruosité sous le nom de « progéria » (du grec geron qui signifie vieillard), ou plutôt sous sa terminologie populaire de vieillissement pathologique accéléré … Vous avez dû, sans aucun doute, en voir à la télévision les soirs de téléthon, d’étranges enfants au corps difforme, le cheveu rare, les muscles atrophiés, la peau tavelée et le cerveau si jeune dans cette cosse percluse que l’on détourne le regard pour ne point sonder leur vision du néant qui les guette comme un corbeau juché sur leurs épaules.

Je ne verrai pas la fin de ce millénaire, je ne serai pas centenaire, je n’ai fait qu’entrevoir une étape de la vie, et je ne sais pas si je dois le regretter !  Quelqu’un qui naît dans des conditions aussi rocambolesques a-t-il le droit de vivre pour se moquer des hommes et de leurs lois ? Peut-être ai-je un peu de compassion pour tous ceux qui m’ont connu et que j’aurais aimé remercier de leurs soins, ceux qui se sont accrochés à ma vie pour la rendre possible en un si court laps de temps que la tâche en était inhumaine et qu’ils doivent se sentir trahis que je les quitte déjà. Mais le film était en accéléré et l’opérateur n’avait plus le contrôle de ma destinée.

N’ayez pas peur, mon calvaire se termine. Chaque minute me rapproche encore plus de la vraie délivrance, et ce jour-là, je n’aurai pas de toubib ivre pour me laisser échapper, pas de mignonne infirmière nue sous sa blouse en provocation à l’ordre établi, pas de mère éplorée et de père bourré au bar du coin, non, je serai seul comme j’aspire à l’être, je serai libre comme vous ne l’avez jamais été, je serai moi, comme jamais je ne l’ai été.

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C'est quand les vacances ?

Publié le par Bernard Oheix

Bon, d'accord, c'est un peu provocateur pour quelqu'un qui, depuis le 1er juillet, est censé profiter du soleil et de siestes réparatrices et ne plus avoir, ni horaires, ni contraintes ! Le temps de la Liberté en quelque sorte, version paradisiaque et sociale de sous les pavés, la plage, 44 ans après !

 

Peut-être, mais c'était méconnaître le planning des Nuits Musicales du Suquet dont j'assume la Direction Artistique pour les 3 prochaines éditions. Le montage de Mozartissimo, un étrange OVNI réunissant 43 musiciens sous la férule de Philippe Bender de l'Orchestre Régional de Cannes Provence Côte d’Azur, 2 soprani sublimes (Amira Selim et Antonella Gozzoli) et une bande de techniciens sous la responsabilité de Paolo Micciché, le metteur en scène avec qui j'avais réalisé le Jugement Dernier/Requiem de Verdi, occupés à composer une ode visuelle aux ouverture et aria de Cosi Fan tutte, Don Giovanni et autres Flûte Enchantée… Compte tenu que c'était complet depuis 15 jours, que l'on a jonglé entre les plannings divers des uns et des autres, les aléas climatiques et la légendaire aptitude de la technique moderne à enfiler des  perles, un casse-tête pour nuits blanches ! Un triomphe pour le public !

Il y a aussi Sarah Nemtanu, l'authentique interprète de la musique du film Le Concert. A l'origine, elle devait inviter Mélanie Laurent, l'actrice aussi chanteuse pour une rencontre passionnante... Exit Mélanie en tournage avec quelque monstre sacré du cinéma américain et bienvenue à Juliette, son univers déjanté au service du classique dans un projet original... réconciliant tous les publics présents, classique comme moderne, enterrant toute querelle derrière le bon goût, l'élégance et l'humour !

Il y avait enfin un monstre sacré, ou sacré monstre, comme vous l'entendez...  Nigel Kennedy, avec son Bach qui se transforme en Deep Purple d'anthologie, smoke on water pour l'éternité, dégaine de clown triste mais passion extrême dans l'archet, errant sur tous les chemins de traverse d'une musique sans frontières !

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Le fou génial, le punk de la musique classique, l'homme qui fait voler les frontières en éclats... Nigel Kennedy, après le concert, tout heureux du tour qu'il a joué à ceux qui pensaient que la musique classique sentait la naphtaline !

 

Et notre curé national, William Sheller, voix miraculeuse pour une dialogue plein d'humour

entre sa musique, ses chansons en adresse au public... Deux heures à le séduire en communion, tout le monde debout pour une ovation finale à un homme qui n'a pas de raison de ne pas être heureux.

Restait Laure Favre-Khan, belle à la crinière blonde avec des doigts effilés et longs pour séduire l'assistance avec un Chopin que les mots de sa correspondance lus par Charles Berling rendaient tellement présent, comme si derrière le génie, la peur, la maladie, l'angoisse créatrice le rendaient si charnel que sa musique en devenait une lecture de sa vie.

Et pour finir, Fazil Say, un Turc habité, faisant chanter son piano, lui tirant des sons étranges en le faisant respirer. Tableaux d'une exposition... œuvre enchantée, quand la prouesse est au service de l'imagination, qu'elle prend le pouvoir pour nous entraîner dans un monde de perfection !

Si l’on rajoute les expériences de 19h dans la cour du Musée de la Castre, un jardin chantant avec des œuvres en bois sculptées dans des arbres, percussion/saxo, deux solistes russes et une magnifique création de Gilles Saissi autour du tango, méditation musicale et dansante en équilibre entre la voix de Carlos Gardel et les mélodies chaudes d’une Argentine moite par une équipe jeune de solistes sublimés !

6 soirées complètes, une programmation touchant plusieurs publics et rajeunissant l'assistance, un climat de sérénité et d'enthousiasme, comme si cette unité dans la diversité avait enfanté d'un monde un peu meilleur ! Je me souviendrai longtemps de cette édition, la première où je suis véritablement libre de programmer sans l'ombre tutélaire de son créateur, et des sourires heureux des 4000 personnes qui l'ont plébiscitée !

Alors à l'an prochain donc, pour une nouvelle aventure et en attendant, vive un début de retraite bien méritée en Crête  pour 3 semaines farniente à  l'ombre des verres d'uzo en fleurs ! 

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