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Lasers (toujours) à rien !

Publié le par Bernard Oheix

Un des épisodes le plus ridicule de toute ma carrière : il méritait bien un petit coup de rétro-projecteur !

Alors, si vous voulez vous moquer de moi, pas de problème, ce ne sera rien à côté de ce que j'ai vécu en cet été 1990 et comparé au souvenir cuisant de mon échec !

Le Laser, à ne pas mettre entre toutes les mains et à déguster à toutes petites doses !


Eté 1990. Une nouvelle municipalité s’est installée à Cannes avec Michel Mouillot à sa tête. Françoise Léadouze est une adjointe à la culture passionnée, mère Térésa des « sans culture », révolutionnaire humaniste persuadée qu’elle peut transformer la réalité à coups de rêve. Elle nous booste, bobo avant l’heure, et nous oblige à trouver du sens à notre action.
Nous sommes une équipe jeune, celle de l’Office de la Culture, Une dizaine de filles dont je suis le directeur-adjoint, chargées des manifestations. Elles sont issues de stages, de Tuc, de bric et de « broque », manquent cruellement d’expérience mais compensent avec une farouche volonté de bien faire, une capacité de se dépasser et d’accomplir des miracles. Elles sont jeunes et belles, et moi, moins jeune mais toujours rêveur ! 
Et justement, en ce mois de mars 1990, le miracle a eu lieu. Dans mon esprit torturé, mon imagination débordante a encore sévi. L’espoir fou de marquer l’histoire (de Cannes !) et de laisser une trace indélébile me provoque une acné tardive et entraîne toute mon équipe dans un de ces cauchemars récurrents dont je suis un grand spécialiste. 

Tout est venu, à ma décharge, d’une rencontre avec un Belge trop amateur de bière dont les effets néfastes sur son équilibre intellectuel le poussa à me proposer d’illuminer la rade de Cannes avec des lasers dont il faisait la promotion et la commercialisation. Il me dessina si bien le tableau de ce qui adviendrait, que je la voyais cette immense baie, éclatante de soleil de nuit, croulante sous les faisceaux se décomposant en myriades d’étoiles, découpée comme les remparts de Carcassonne, montagnes de lumières assemblées par un architecte divin. C’était moi, ce Dieu de l’impossible, j’allais montrer à quel point le désir est capable d’imposer sa loi à la réalité. 

Le projet consistait à illuminer la Croisette à l’aide de lasers, à l’entracte d’un concert qui se déroulait sur le parvis du Suquet, la colline qui surplombe Cannes de son clocher où se déroule un festival de musique classique. Pour corser l’affaire, nous avions récupéré l’écran géant du stade de foot (à l’époque, Cannes avait une bonne équipe… Zidane, Vieri, Micoud…etc.) pour l’installer sur le parvis du Palais des Festivals afin de retransmettre le concert en « direct live ». Il manquait juste une montgolfière pour y accrocher des miroirs réfléchissants qui renverraient les lasers vers les cieux cléments. Une bagatelle somme toute au vu de ce que nous envisagions. 

Je me souviens alors, de ces nuits de repérages au port Canto, à la pointe du Palm-Beach, des essais pour aligner les faisceaux sur les palaces, visant des disques minuscules qui permettaient de faire diffracter les pinceaux lumineux. Du phare du quai du vieux port pour cibler la pointe du Palais et même la colline du Suquet. Pour être honnête, j’avais l’impression très nette de ne rien voir mais vu les exclamations enthousiastes des techniciens belges, je mis sur le compte de ma fatigue et de mon inexpérience cette absence d’émotion…ce qui aurait dû m’alerter. 
Et puis, nous avions tant de choses à préparer. Trouver la montgolfière, organiser le transport de cet écran géant, obtenir les autorisations de la marine, de la sécurité, ceinturer le parvis du Palais, tirer des tracts dont le titre alléchant explosait en un : « illumination aux lasers de la Baie de Cannes » comme un vœu qui allait rapidement devenir pieux. 

Le soir du concert arrive, l’Orchestre de Vienne interprétant des valses, dirigé par un chef autrichien hilare devant le bordel ambiant. Inquiétude générale. Au dernier moment, les lasériens belges nous demandent un bateau pour étendre un rideau de fumée sur la mer trop étale et claire. Imaginez le ridicule d’une barcasse avec un enfant de Wallonie en tête de proue, le bras levé comme la Victoire de Samothrace, qui dégage à l’aide d’un fumigène un maigrelet trait de brouillard qui se fond dans la vastitude du plan d’eau. Qu’à cela ne tienne ! Il faut désormais boire jusqu’à « l’hallali » cette coupe frelatée de mes propres délires. 

Pendant la première partie du concert, le vent se lève et la nacelle de la montgolfière arrimée au bord de l’eau se couche sur l’eau, endommageant irréversiblement le matériel et faisant courir des frissons auprès des spectateurs inconscients qui batifolent autour du ballon secoué comme un prunier. Un effet à l’eau, déjà, et en l’occurrence, ce n’est pas qu’une image ! 

Le public, aussi bien dans l’enceinte du Suquet que sur le parvis, chaloupe et tangue dans la tempête qui se lève. Une nuit de soufre. A l’entracte, le maire de Cannes et les invités de marque se massent au bord du muret dans l’attente du flamboiement de la baie. Après quelques minutes d’intense attente, un filet vert s’échappe presque par hasard du port Canto. Frémissement dans la foule. Enfin le spectacle commence. Las, c’était l’effet final ! Deux doigts anémiques se courant l’un après l’autre, tentant vainement d’accrocher l’attention et de s’imposer devant le grand vide de la baie ouverte à mon désespoir. Je disparais derrière les buissons et me cache aux yeux de tous. Séparé des officiels par un rideau de buissons, j’entends les commentaires fuser, portant tout autant sur le ridicule des lasers que sur la température trop élevé de la coupe de champagne où sur les petits fours rances que le traiteur nous avait refourgués. Certains même se gaussent de moi et je ne peux les en blâmer, sincèrement, j’avais autant envie qu’eux de me moquer de moi. J’ai honte comme rarement un directeur peut avoir honte. Le voile rouge devant les yeux, la gorge nouée, c’est Sophie mon adjointe et Françoise Léadouze qui viennent me déloger de ma tanière. Elles tentent maladroitement de cautériser les plaies à vif de mon orgueil et ne réussissent qu’à me rendre ombre qui marche, zombie de la culture, pâle ectoplasme du pouvoir de faire.
La deuxième partie du concert fut un feu d’artifice (enfin) d’humour et de déraison. C’est comme si un vent de folie venait doubler les rafales qui soulevaient les tentures du Suquet. En bas, sur le parvis, des milliers de personnes valsaient en riant de cette fête impromptue et gratuite où le grain de la déraison dispensait ses vapeurs hilarantes. 
Pourtant, sur ma vespa, j’entendais, encore et toujours, rire des fameux lasers qui avaient inoculé une dose confortable de ridicule dans l’ego et les couleurs d’un directeur dérouté ! 
La conclusion. Le lendemain, Michel Mouillot m’attendait dans son bureau de maire. En entrant, dans mes petits souliers, je m’excusai platement…Eclats de rire ! J’ai rarement vu le maire de Cannes rire autant et si franchement. Il en avait les larmes aux yeux de me raconter son attente des lasers. Il doit s’en régaler encore et j’entends sa voix me glisser entre deux hoquets : « Oheix Bernard, il n’y a que les imbéciles qui ne se plantent pas… mais là, vous avez fait fort !!! Par contre si les huiles ont pâti d’être sur les hauteurs, mes électeurs étaient en bas et se sont bien amusés. Bon, avertissez-moi quand même si vous avez une autre idée de ce genre ! » 
Et la vie a continué… comme quoi, on survit au ridicule… même si, quand j’entends parler de lasers belges, je me mets à avoir des palpitations et que le rouge me monte au visage.

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Michèle, ma belle, sont des mots...

Publié le par Bernard Oheix

Situons l'affaire. Le service de la billetterie du Palais des Festivals est dirigé depuis plus de 20 ans par une personne haute en couleur, au caractère bien trempé. Michèle Gastaldi. L'âge de péremption, qui nous guette tous, arrivant à grand pas pour elle, son équipe décide de lui organiser une fête surprise et me charge de lui faire un discours pour son départ à la retraite. Ma réputation de "discoureur" n'étant plus à faire en ce lieu que j'ai hanté pendant plus de 20 années où je l'ai côtoyée au quotidien... Mission complexe !

J'ai donc entamé mes déambulations oratoires en l'invoquant, annonçant que, par ce fameux principe de l'arroseur arrosé, elle avait eu vent de l'affaire et m'avait contacté afin que je lise son propre discours. On n'est jamais si bien servi que par soi-même !

Et j'ai donc présenté ce qui était sensé être sa prose. Et elle a pleuré... même si les autres ont beaucoup rit...

 

 

Moi, Michèle Gastaldi, âgée de soixante et... (Bip), saine de corps et d’esprit, même si certains peuvent en douter, en mon âme et conscience, déclare faire don de moi-même et du reste d’ailleurs au Palais des Festivals de Cannes...

Car qui mieux que ma personne peut symboliser les dernières décennies de ce Palais des Folies de Cannes ?
Qui mieux que Michèle Gastaldi, peut vous replonger dans la préhistoire de la Semec, la Société d’Economie Mixte pour les Evénements Cannois. J’étais presque là quand ils ont créé le Festival du Film, (bon, j’exagère un peu quand même...), j’étais toujours là quand ils ont abattu le vieux Palais, j’étais une des premières à occuper un fauteuil dans le nouveau bâtiment ultra laid qu’ils ont érigé et qui portait bien son nom de bunker, je me suis lové dans ce bureau de la vente des billets avec la satisfaction d’avoir atteint mon but...C’était dans la décade avant la dernière décade du précédent millénaire... Vous suivez ?
Au début c’était dur, on attendait les clients comme le messie (pas le footballeur, j’ai jamais aimé les footballeurs même si leurs jambes musclées et fuselées parfois me le faisait regretter), faut avouer qu’on avait (presque rien) à vendre, Jean-Pierre Carriau ne venait qu’une fois par an avec sa Performance d'Acteurs, Bernard et Sophie n’étaient pas encore dans nos murs et ne programmaient pas ces concerts bizarre de nègres chanteurs ou de rappeurs hurleurs, ces cirques à moitié cinglés de déjantés, ces ballets modernes où l'on se trémousse sur la scène... Non, non, au début, j’avais pas de clients mais des vrais spectacles, du théâtre bien de ce soir, des danseuses en tutu de Ballets Russes, des chanteurs à voix de la variété française, des musiciens vraiment très classiques...enfin des choses normales, quoi !
Bon, c’est vrai que c’était pas facile techniquement. Tout était manuel. J’avais bien formé mon quarteron de filles à faire des beaux traits avec des belles couleurs sur des plans papiers des salles et je pouvais gommer et mettre qui je voulais ou je voulais...
Mais Michel Lefrancq, le Directeur fiancier de l'époque, m’a obligée à passer à l’informatique, et du coup, il a fallu que j’apprenne à pianoter sur l’écran, à maîtriser des codes, les listing si froids, les soldes jamais justes...avec le crayon, c’était plus facile, un coup de gomme et hop, l’opération s’équilibrait... Non, c’est dur de vivre la mutation...mais je l’ai fait !
Et puis il a fallu que je m’adapte aux cinglés de l'Evénementiel. Cela a été le plus difficile pour moi. Ils voulaient toujours avoir raison. Moi, je leur disais, faites moi des ballets russes le 31 décembre, et eux, ils programmaient de l’Opéra de Pékin avec plein de chinois et leurs couinements de sauvages qu’on a toujours l’impression qu’ils se coincent les roubignoles dans le sas du Grand Audit, ou même des rockers que je savais pas qu’ils étaient encore vivants, l’iguane, un mec qui se retrouve à poil sur la scène et éructe des mots que l’on ne comprend pas vu qu’ils sont couverts par la musique, et quand je dis musique ! Ou l’autre drogué de Pete Doherty que les filles lui envoyaient leur petite culotte, même que je me suis laissée emporter et que je lui ai envoyé ma culotte petit bateau... il n’en a pas voulu et me l’a renvoyée... Après ces soirées, c’est moi qui devait m’expliquer avec les abonnés, c’est à moi qu’ils confiaient leur désespoir...
Parce que pour bibi, c’est un service public que j’assumais. Les autres, la haut, ils avaient bien construit comme si c’était une révolution, un système d’abonnement et de réseau de relais... Mais qui les dorlotait individuellement, qui les coucounait, leur offrait un chocolat dans son bureau, qui donnait de sa personne pour les convaincre de résister et d’accepter que le monde change... Et Dieu sait s’il mutait ce monde incompréhensible !
J’ai été une mère poule (et celui qui dit mère maquerelle, je lui défonce la tronche !) de mes filles de la billetterie. Et que je te les formes à avoir un beau sourire, et que je choisisse leur soutien gorge, et que je te les manage pour monter des horaires à faire rêver un Philippe Lougarre, l'actuel Directeur Financier, obnubilé par l’idée de faire du chiffre, (...mais monsieur Lougarre, c’est pas moi qui programmait, hélas, c’est eux) , et que je m’occupe de leurs soucis, de leurs amours trahis, de leurs bobos...

Mais je suis fière de cette belle aventure. Je dois reconnaître, que j’ai même aimé quelques uns des spectacles des autres olibrius, que parfois, j’ai eu des compliments de la part de mes abonnés chéris, et que au fil du temps, j’ai eu la très nette impression que je pourrais rester éternellement derrière mon bureau, près de la cave, sans fenêtre, avec l’issue de secours où tous les jeunes drogués du coin venaient se soulager la vessie, à vendre pour l’éternité des spectacles qui n’étaient même pas Julien Clerc où Le Lac des Cygnes....

Et si je restais d’ailleurs, si je rempilais pour une petite décade ?
Quand Bernard O. est parti, pour être honnête, j’y ai sérieusement pensé... Je me disais, enfin, il se casse le pornocrate du Crazy Horse, on va enfin programmer des choses sérieuses... Mais quand j’ai vu que l’autre blondasse qui lui a succédé me faisaient un Lac des Cygnes avec des vrais cygnes qui chient partout sur la scène et des danseurs qui se vautrent dans des baignoires, ou un Benjamin Bioley qui est quand même le chanteur qui a le moins de voix de toute la planète, et qui est le dernier à se dire de gauche et à ne pas se tirer en Belgique, ou encore deux aveugles qui en plus sont noirs (est-ce que c’est une excuse, non mais !), je me suis dit, «-Ma Michèle, ils ne t’auront pas.. Passe la main, donne les clefs à Alexandrine, et part sur la route accrochée aux basques de ton motard, la route 66, mais sans Bob Dylan, siou plait, occupe-toi de toi-même, pense à toutes les années qui te restent pour faire ce que tu désires, ce que tu aimes... Je pourrais même militer de nouveau, avec les trotskistes cette fois-ci...ou ailleurs, aller à la pêche, faire du tricot, garder mes petits enfants (mais qu’est-ce ça hurle un chiard!), et peut-être qu’un jour, par erreur, sans le savoir, l‘Evénementiel programmera un bon théâtre avec des acteurs sympathiques comme je les aime, un Darry Cowl ou une Simon Valère (merde, c’est vrai, ils sont morts...) dans Mon cul sur la commode, ou un superbe Bolchoï (quoique depuis que Depardieu est Russe, je doute même de leurs opéras et de leurs ballets)... ou Michel Sardou que j’aime secrètement depuis que j’ai l’âge de regarder les garçons... Bon, il y en aura bien un de temps en temps de spectacle comme je les aime, c’est pas dieu possible...
Et ce jour là, je demanderai une invitation, je râlerai parce que l’on entend rien, je critiquerai les acteurs et le son trop fort, et la lumière qui aveugle, et je sortirai la première pour ne pas faire la queue au parking,...
Et je serai contente, cela me rappellera tout ce que j’ai subi pendant tant d’années en service commandé de la culture au Palais des Festivals de Cannes...
Et je rirai à gorge déployée...même si aujourd’hui, j’ai envie de pleurer parce que je vous quitte, un peu, beaucoup, passionnément...
La vie continue mes amies, je sais que à jamais, dans un fauteuil de ce Palais magnifique, il y aura toujours la forme de mes fesses pour vous narguer et vous obliger à penser à moi !
Je vous aime toutes et tous et merci de m’avoir supportée... toutes ces années de bonheur !


Bernard Oheix

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Belmondo, un rendez-vous raté !

Publié le par Bernard Oheix

 

Repas de Gala des 25 ans des Rencontres Cinématographiques de Cannes, l'autre Festival de Cinéma de Cannes, celui de décembre, de l'Art et Essai, des stages pour les jeunes désirant apprendre à écrire, des cinéphiles aux cheveux blanchis par les innombrables pellicules ingérées, de tous les amateurs en attente de la folie du mois de mai. Gérard Camy, le Président de Cannes Cinéma avait bien fait les choses, réunissant (presque) tous les directeurs qui au fil du temps avaient géré la manifestation, sur la scène du Palais Marriott et dans une belle salle d’un hôtel pour un dîner de gala avec des invités de prestige.

J’en faisais partie puisque pendant 2 éditions, j’ai eu le privilège d’en assurer la direction, juste au début de ma carrière au Palais des Festivals, il y a bien longtemps, quand j’étais presque jeune et que j’avais encore des cheveux bouclés !

C’est en voyant un des invités que je me suis levé afin de lui raconter une belle anecdote le concernant...

 

 

Assis, il porte bien son âge, prestance d’une icône du cinéma, l’homme qui révéla une nouvelle façon de filmer sous l’oeil de Godard, qui enchaîna les succès même si certains fleuraient par la suite un peu trop ce cinéma de comédies à la Française. Belmondo, un mythe à ma table, une personnalité attachante dont les déboires actuels n’en provoquent que plus d’attachement envers ce personnage si haut en couleur.

-Monsieur Belmondo, puis-je prendre quelques minutes pour vous narrer une histoire qui vous concerne directement....

Il a eu un grand sourire charmeur, à la Belmondo flamboyant, et m’a encouragé pendant que Daniel Prévost à ses côtés s'esclaffait...

-Figurez-vous que j’étais, jusqu’au mois de juillet, le Directeur de l'Evénementiel Cannois, et à ce titre, je programmais les saisons culturelles de Cannes. Un bon programmateur rêve dans sa vie de programmateur d’accueillir au moins une fois Bebel et Delon... Bon, Alain, c’est jamais facile, 3 fois j’ai failli mais à chaque tentative, il y avait annulation de la tournée et l'affaire capotait...

Me restait donc Jean-Paul Belmondo qui ne tournait plus au théâtre depuis de longues années sauf  qu’en 1999, pour la naissance du nouveau millénaire, j’apprends que vous partez en tournée avec Frédérick ou le boulevard du crime, une pièce d’Eric Emmanuel Schmitt qui avait obtenu un Molière, dans une mise en scène de Bernard Murat.

Imaginez... J’ai sauté sur l’occasion, elle trop belle la mariée. J’ai donc signé pour deux séances, les 7 et 8 janvier 2000 à la salle Debussy du Palais des Festivals de Cannes.

J’étais fier, Monsieur Belmondo, heureux, presque Dieu pendant quelques temps ! Pouvoir vous recevoir !

Les ventes de billets s’envolèrent jusqu’à solder même les strapontins, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Je me promenais chaque jour dans le Palais en sachant que mon jour de gloire se rapprochait, que votre venue coïnciderait avec l’extinction des lampions des fêtes de cette fin d’année exceptionnelle. Moi aussi, je m’étais hissé à la hauteur de l’an 2000 puisque je vous aurai en chair et en os sur les planches de Cannes !

Las ! Le 3 janvier 2000, un incendie se déclarait dans les cuisines du casino jouxtant la salle de théâtre rendant impraticable la réception du public et je dus, la mort dans l’âme, après avoir tout tenté, annuler les 2 représentations sans possibilité de les reporter, votre programme de tournée étant figé depuis bien longtemps et les autres salles de Cannes trop petites pour contenir votre décors..

Voilà Monsieur Belmondo, la triste histoire de la seule programmation de Jean-Paul Belmondo que j’ai effectué, un rendez-vous raté... et ce n’était ni de votre fait, ni du mien !

 

J’ai vu son visage s’illuminer, les convives rire et un zeste d’émotion traverser la table...

Jean-Paul, lui, m’a lancé un clin d’oeil amical, une oeillade complice. il ne m’a pas proposé de reprendre rendez-vous... Trop tard pour moi il fait nul doute, mais quand il s’est levé péniblement marchant vers la sortie, engoncé d’un corps malhabile qu’il ne maîtrise plus que partiellement, j’ai compris qu’il n’y aurait plus jamais son étoile sur les scènes de Cannes comme d’ailleurs. L’histoire a rendez-vous avec son passé, le futur de Belmondo s’écrit désormais au présent.

Merci Monsieur Belmondo de m’avoir écouter si gentiment et de m’avoir restitué un peu de cette magie dont un incendie stupide m’avait privé, il y a 12 ans !

 

BO-Bebel-Camy.JPGBerand Oheix, Gérard Camy et mon rendez-vous raté, jean-Paul Belmondo avec ce sourire si particulier que les années ne peuvent effacer !

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Lettre à Patrick Raynal, écrivain.

Publié le par Bernard Oheix

Il y a des rencontres fortes, des personnalités qui marquent et façonnent notre existence. Patrick Raynal fait parti de ces gens que je suis heureux d'avoir connus. On en a passé des heures à rêver ensemble d'un monde meilleur dans ce début des années 70 si riche en tension et en action. Et puis il a pris son envol, il est devenu écrivain, directeur de collection, sa vie a épousé les mots et il en a fait une longue et belle phrase. On ne s'est jamais perdu de vue même si les distances parfois entretenaient ce mystère du passage de la jeunesse au statut d'adulte affairé à se dépêtrer afin de construire sa propre vie, entre travail, famille, et un passé qui nous cheville au corps.

J'ai fait la mienne, heureuse, intense, mais toujours, un de ses livres me rappelait que nous avions partagé le même rêve d'écrire.

On vient de se retrouver, un peu plus, et comme si le temps n'avait rien effacé, nous nous sommes reconnus, encore et toujours.

Et puis il m'a offert son dernier opus et j'ai eu un vertige, l'émotion brute de savoir que derrière ses mots, il y a un peu de nous. C'est son talent qui donne un sens à des vies. Il vient, pour moi, de sortir de la littérature pour entrer de plein pied dans le monde beaucoup plus vaste des porteurs de lumière.

Ce livre est un éblouissement !

Lettre à ma grand-mère. novembre 2010. Flammarion

 

 

Cher Patrick,
je viens de terminer "Lettre à ma grand-mère".
J'ai toujours pensé que tu avais une vraie personnalité, du style, que tu savais y faire... trop parfois, un peu faiseur d'ailleurs, à l'image de ce héros de la révolution que tu incarnais
 dans notre jeunesse estudiantine niçoise, de ce Patrick Raynal truculent, espiègle, doté d'un sens de l'humour et d'une capacité d'observation hors du commun que j'ai connu. Tu avais juste ces quelques années de plus qui te donnaient l'expérience, qui t'autorisaient d'être devant moi comme un repère… 4 ans, c'est rien à 60, mais énorme, un fossé, à 20 ans. 
J'ai toujours été fier de ce lien ténu d'amitié, moi qui ai connu par mon métier, beaucoup de gens célèbres, j'avais eu cette chance de te connaître avant ton succès !
J'ai eu mes quart d'heure de gloire, plusieurs, mais ces mots dont je suis persuadé être apte à les dompter, je ne les ai pas suffisamment aimés pour leur donner une vie propre.
On pourrait aussi imaginer aussi que quand j'en avais le temps, je n'avais rien à dire, et que dès que j'ai eu beaucoup de choses à raconter, je n'ai plus eu le temps de les écrire.
Tu ne peux pas imaginer comme j'étais fier (et un peu jaloux !) de Very Nice et surtout d'Un tueur dans les arbres… Après, je m'y suis fait, tu étais un écrivain et moi non !
Un peu volontairement, j'ai coupé ce lien d'amitié, je voulais revenir, moi-aussi bardé de certitudes, un bon bouquin chaud sorti de presse comme passeport pour retrouver notre passé
et signifier qu'il s'était bien passé quelque chose dans cette ville atypique au coeur des années 70, que deux écrivains pouvaient par la magie du hasard naître en même temps, 
dans le même lieu.
Bon, il n'en a rien été, pire, tu m'infliges ce coup de génie de "Lettre à ma grand-mère". Tout ce que j'aime dans la littérature. Tout ce qui montre que derrière les mots, les phrases, il y 
a de la vie brute, du sentiment, de l'impudique, de la matière…
Tu touches si juste que tu prends tes lettres de noblesse à travers la vie de cette grand-mère héroïque. J'ai presque envie de dire que je suis jaloux de ta résistante aïeule, de ton Général Pfister, d'une saga familiale qui t'offre le vertige de plonger dans l'histoire, de ce qui se dessine à travers toi et te confère une dimension d'auteur à part entière.
Le texte de ta grand-mère est fort, dérangeant, situé dans un au delà de la littérature renvoyant à une horreur difficile à conceptualiser… mais le tien est une plongée déroutante et émouvante dans l'univers des mots, les vrais, ceux qui dévoilent la réalité et grandissent celui qui les structure et leur donne une existence, leur offre une vie propre, organise le chaos, transcende la matière.
Voilà mon Patrick ce que je voulais te dire…
Et le fait que j'ai pissé au lit jusqu'à 15 ans et qu'un psychiatre me "soigna" à coup de phénobarbital et de trimétadione en annonçant à mes parents que je ne ferais jamais d'études... n'est qu'une facette de l'étrange attirance que ton texte suscite en moi !
A la revoyure compadre !

 


 

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2012 versus 2013

Publié le par Bernard Oheix

2012 aura été une étrange année.

Entamée en roulant des pelles à n’en plus finir à 20 girls du Crazy Horse (sic), elle se sera achevée sous les oripeaux d’une rombière blonde aux gros seins en train de laver son «Linge Sale» applaudie par le public.

Entre ces deux évènements, tant d’heure et de moments si forts.

Les 6 deniers mois d’une vie d’un directeur comblé par sa vie professionnelle en un bouquet final. Concerts magique de Hubert-Felix Thiéfaine, enfin dans ma programmation après tant de tentatives infructueuses, recréation du Canto General de Mikis Théodorakis, moment sublime de ce chant de Pablo Néruda en hommage aux hommes en lutte dans une France en train de se déchirer entre les directs d’un Sarko «ultradroitisé» et la poussée d’un Hollandais apoplectique, mes vieux complices d’Huun Huur TU en train de «diphtoner» si loin de leur steppe, Ballaké Sissoko (même avec Vincent Segal !) nous emportant dans des zones musicales inexplorées et ce dernier concert des Voix Passions, avec mes amis d’A Filetta, mon complice Nilda Fernandez, mes potes du Corou de Berra, ma princesse malgache Taliké et même Julien (mon fils) et Sarah en train de m’offrir une aubade à faire pleurer mon coeur de tous les bonheurs de la vie.

Mais aussi Philippe Genty si loin des marionnettes et si proche des humains, ces «voyageurs immobiles» qui parcourent une histoire en raccourcie de l’homme. L’horreur viscérale des «Amis du placard» avec Romane Bohringer et Didier Benureau en train de s’inventer des amis dans une société qui ne sait plus regarder l’autre, avec en corollaire, «Le Repas des fauves» (3 Molières 2011) où la part d’humanité des individus s'éteint sous le joug de la peur et de l’égoïsme...

 

Et puis vint ce 1er juillet 2012, où comment et quand on peut arriver à la retraite dans le bonheur. Premier Directeur du Palais à partir effectivement à la retraite (mais que sont devenus les autres !), dans l’harmonie d’un départ maîtrisé, succession assurée avec Sophie Dupont, mon adjointe depuis des lustres qui se colle à la mission de régénérer et de donner un nouvel élan à la fonction de Directrice de l'Evènementiel (et Dieu sait comme elle réussit brillamment dans ce challenge pas évident !). Un président, David Lisnard et une Directrice Générale Martine Giuliani me tendant la main pour conclure ce beau parcours entamé au Palais des Festivals de Cannes il y a plus de 20 ans. Et même Bernard Brochand, le Maire de Cannes, décidant de m’offrir la Médaille d’Or de la Ville de Cannes, seule décoration que j’aurai glané dans ma carrière, mais ô combien symbolique et appréciée par l’iconoclaste que je suis resté tout au long de ces années.

Coeur de midinette, peut-être, mais tournant dans une existence, satisfaction du devoir accompli, libération des contraintes et possibilité d’entamer une dernière tranche de vie.

 

Cette année 2012 aura été aussi celle du voyage. La découverte enfin du continent Africain avec 3 semaines au Sénégal dont 8 jours en Casamance. Chaleur et amitié, plongé au coeur d'un peuple, dans une mission catholique de Thiais, entouré de prêtres à vous donner le désir de croire en un Dieu de miséricorde même pour un athée comme moi.

Et pour fêter cette retraite, la Crète en août, en famille avec enfants et conjoints, le pays de mon ami et associé Richard Stephant, producteur de spectacles, le soleil, la mer, des gens adorables plongés dans une crise qui dépasse l’homme mais n’altère en rien leur gentillesse !

 

Et puis le travail aussi puisqu’il y a une vie après la retraite. Une Direction Artistique des Nuits Musicales du Suquet avec des artistes magiques (Nigel Kennedy, Fazil Say, un Mozart visionnaire, Juliette et Sarah Nemtanu, William Sheller, Laure Favre-Kahn et Charles Berling), complet tous les soirs dans la ferveur d’un public séduit par leur talent et leur générosité...

Et comme un bonheur ne vient jamais seul, mon ami Gilbert Rozon qui me propose de monter avec son équipe un Mondial des Jeux à Montréal toiut comme la ville d’Atlantic City qui souhaite monter un Festival Pyrotechnique sur mon nouveau concept de «Battles»... même s’ils se font désirer et ne nous donnent toujours pas leur décision définitive !

Alors bonheur complet avec la reprise de la pièce de théâtre Linge sale en novembre pour 6 séances au Théâtre Francis Gag où j’ai vécu enfin la vie de ces comédiens que j’ai accueillis pendant des années de programmation intensive... Qualité humaine des comédiens professionnels talentueux que j’accompagnais dans un rôle taillé sur mesure pour moi par jean-Claude Grumberg, une blonde, une Martiniquaise et pour finir, un technicien de l’ombre mis en lumière !

Presque complet car le 22 novembre, dans la nuit de la dernière représentation, mon père disparaissait, jetant une note trouble dans ce qui était un parcours vers la plénitude.

Comme tu me manques.

 

Mais l’année 2013 se pointe. Elle est déjà là.

Et je sais que la vie est encore belle et que nous ferons encore des plans sur la comète. 

Je vous souhaite beaucoup de bonheur et mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année. Puisse-t-elle être chargée de tous les vents de l’amitié, de la rencontre, du partage et de l’émotion artistique si nécessaire à l’équilibre de l’être humain.

Oui, il y a une vie après le labeur et vive la retraite à 61 ans et six mois !

 

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Ciao Babbo !

Publié le par Bernard Oheix

J'avais écrit, confère le 28 aout 2010 dans ce blog, un article intitulé, "Devenir le père de son père..." je me souviens encore de son regard et du geste étrange qu'il avait eu en le lisant sur son ordinateur... C'était juste avant qu'il ne décroche et cesse toute activité intellectuelle. Il m'avait donné un coup de coude en me disant "-Toi alors, merci, ton article !"  Et nous n'en avons jamais reparlé... comme nous avons si peu communiqué avec ce père omniscient mais au corset enserrant ses sentiments si fortement qu'il ne pouvait les exprimer. Et puis avait suivi une longue glissade de deux années vers le renoncement jusqu'à ce mois de juillet 2012 où nous avons partagé un dernier repas dans un restaurant à la Bocca. En août, son état empira. En septembre, un mois d'hôpital puis 5 semaines de clinique et 3 jours d'une maison de retraite avant un déces annoncé. Il est parti le 22 novembre à 7h30. Brutalement, à l'image d'une vie taillée à la serpe, sans fioritures. 

Je devais me rendre à Montréal pour travailler sur un Mondial des Jeux et le lundi  26 je m'envolais malgré tout, avec l'accord de ma mère et de mes frères, emportant avec moi la certitude que plus rien ne serait comme avant. Le dernièr rempart qui me protégeait de ma propre mort venait de sauter.

les obsèques ont eu lieu le jeudi 29 novembre, sans moi. Mon frère Michel  composa et lu cette oraison funèbre devant la famille, le casque de pompier de mon père posé sur le cercueil, juste avant la crémation. J'aurais pu l'écrire, je n'aurai pas fait plus juste, j'aurais dû être présent...

Alors pour ceux qui ont entrevu ce père Oheix, où par mon entremise, connu des bribes de sa vie, juste une dernière fois, comme pour un "dernier avant la route", l'ultime signal d'une vie en train de s'achever. Père Oheix, Gérard le pompier, Une femme et 4 enfants, Ciao Babbo !

 

Texte lu par Michel Oheix devant le cercueil.

 

"C'est le moment pour dire quelques mots sur Gérard OHEIX avant qu'il nous quitte définitivement. 

L'enfance de Gérard, notre père, le mari de Paulette, le frère d'Ivan, l'oncle, l'ami, est lumineuse et obscure. On sait que jeune enfant, moins de deux ans, il est un enfant aimé d'un jeune et beau couple du début de siècle, on sait que la fatalité  lui enlève brutalement ses deux parents et que très tôt, avec son frère il devient orphelin, à cet âge où les parents et leur amour sont tout pour l'enfant. Suivent des années douloureuses, malgré l'affection fausse ou vrai de celles et ceux qui remplacent ce père et cette mère définitivement absents. L'enfance est alors celle des années trente: dure, difficile, laborieuse avec comme horizon un apprentissage de boulanger. Les études supérieures ne seront pas pour cette génération! Il apprendra dans  cet apprentissage les dures leçons d'une vie où les rapports peuvent être violents, comme celui, par exemple, où l'apprenti mange à la table des patrons, mais ne partage pas les plats ! la viande au patron, les légumes pour l'apprenti. Ce n'est pas du Zola, c'est la vie simple d'un adolescent des années trente.

 

Avec la grande adolescence et la nouvelle grande guerre viendra le temps de l'émancipation, le temps des jeunes qui s'enivrent de la libération, le temps aussi, faut il le dire où l'apprenti boulanger devenu galant, pourchassé par le maître boulanger jaloux  franchit la passerelle d'un cuirassier pour s'engager dans la Marine Nationale. 

Finie la Vendée, finie l'enfance, c'est l'horreur d'une nouvelle guerre en Indochine qui le rendra adulte. De ce temps de guerre, nous ne savons pas grand chose, si ce n'est des histoires de peur, de dégout. Cette guerre ne sera pas racontée. C'est un nouvel homme qui à Nice, lors d'une escale, où belle gueule et bon pied, c'était un danseur agile, séduit la jeune et belle Paulette et avec qui il va construire une famille, la sienne, la leur, la notre. Quatre enfants, tous garçons naîtront, de 1949 à 1957 : ce fut, nous le savons, une période encore difficile où malgré le travail, tous les travaux possibles, l'argent était insuffisant pour nourrir la marmaille! Puis vint au milieu des années cinquante l'embauche comme sapeur pompier à Cannes, le temps, pour les enfants que nous étions,  d'un père héros, au blouson lourd sentant le cuir, au casque brillant, aux bottes bien graissées. Le temps aussi des silences pesant lorsque le métier devenait dur (nous savons ce que veut dire pour un pompier d'intervenir lors des graves accidents, les suicides, les grands malheurs de la vie).

 

Gérard OHEIX fut un jeune gaulliste d'après guerre, porté par les idéaux de la Nation, de la République et sa rigueur morale : les idéaux dévoyés par un petit maréchal se retrouvaient si bien dans cette génération d'après guerre : Travail, Famille , Patrie! les années 68  en feront un homme de gauche, défendeur de nouveaux idéaux : solidarité, partage, tolérance, anti racisme. De toutes ces valeurs nous en fûmes, nous les enfants les premiers bénéficiaires. 

 

Gérard OHEIX a beaucoup sacrifié pour sa famille : ce ne fut pas un homme de bar, lui qui pourtant aimait bien.., il ne partait pas avec des amis pour de joyeuses bamboches, tout, finalement était réservé à la famille et à l'éducation. Mari absolument fidèle, il fut un père rigide dans son éducation mais choisissant, nous le disons plusieurs longues années plus tard, pour ses enfants les meilleurs principes : une morale rigoureuse, la scolarité prioritaire, l'éducation sportive. Sportif il le fut lui aussi, toujours. Il avait choisi un sport exigeant où on ne dépense pas d'argent mais où on souffre pour gagner son plaisir : le cyclisme! Si fier de ce sport, qu'à la fin de sa vie il affichait sur sa porte d'entré ses deux trésors : la grande reine Paulette, et son vélo, la petite reine. 

 

Cette rigueur dans l'éducation, parfois excessive, nous pouvons le dire, porta ses fruits. Il voulait que ses enfants réussissent leur scolarité, ce que, lui, la vie l'en avait  empêché : nous fûmes tous bacheliers, universitaires diplômés ou non, ce qui permit à chacun de ses enfants d'affronter leur vie d'adulte avec les meilleures armes, celles du savoir, de la connaissance. De cela, plus que tout autre chose nous lui sommes redevables et nous l'en remercions aujourd'hui, dans ce jour d'au revoir. Nous savons que c'est la plus grande fierté qu'il avait, celle d'avoir été un père qui avait donné à ses enfants l'éducation que lui n'avait pu avoir. Que sa mémoire sache aujourd'hui  que nous en sommes conscients et que nous le remercions. 

Gérard OHEIX ne fut pas un bavard, il était plutôt taiseux, ce ne fut pas un raconteur d'histoires, ce qui souvent nous manqua, il ne fut pas toujours souple, parfois trop rigide.

Il est mille fois pardonné pour ses défauts car ce que nous savons, dans notre intimité, c'est qu'il fut un mari aimant et fidèle et un père généreux et noble. 

 

Merci Gérard OHEIX, merci papa".   

 

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Dernière photo volée...quelques heures encore et il nous dira au revoir, pour toujours.

Ciao Babbo !

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Nono, Jones, Le Forestier et les autres

Publié le par Bernard Oheix

C'était la nuit de la guitare en hommage à Maxime Le Forestier. Une pléïade de musiciens exceptionnels réunis par le plaisir de jouer ensemble dans une soirée où tout était possible...même l'inconcevable !

La rythmique était assurée par trois instrumentistes hors classes, Dominique Di Piazza et Fred Vinquant à la basse et Franck Agulhon à la batterie, des métronomes donnant une sécurité absolue aux solistes, tendant un rideau de notes comme un filet de protection sur lesquelles il ne restait plus qu'à ourler des partitions enlevées. Ils tiendront tout le concert au bout de leurs doigts sans faillir.

Manu Galvin, nounours chaleureux qui donne du sens à l'idée même d'un phrasé musical, une sensibilité hors norme dans la maîtrise de son instrument se dévoile comme un conteur chaleureux. il est un interprète romantique, un toucher bien spécial, une façon si douce de se glisser dans les mélodies en ciselant le silence de ses perles serties de fulgurance.

Nelson Veras, un jeune Brésilien, éblouira par son jeu tout en retenue, d'une délicatesse et d'une puissance étrange, comme si les influences conjuguées de sa culture d'Amérique du Sud et celles d'un son plus européen produisait un musicien sans frontières, ivre de toutes les libertés.

 

Nono fait pleurer sa guitare. Revennu de tous les sommets et de toutes les aventures du show-biz, tutoyant les plus grands, il reste un incomparable instrumentiste au toucher sans égal. Il possède une aptitude à faire corps avec son instrument et à transformer la plus simple des mélodies en opéra sauvage, en hymne à la déraison, en tonnerre de sons où le chaos ne plie à sa volonté de l'orchestrer. C'est Nono, un homme de coeur, dans toute sa simplicité, un génie de la guitare qui s'avère un gentleman pétri d'humanité.  

Maxime était la star, celui pour qui cette constellation de musiciens s'était réunie. Il va jouer son rôle à la perfection, distribuant les temps d'exposition, permettant à chacun de s'exprimer, débridant le concert autour de ses chansons complexes, difficiles à  interpréter. Il n'avait pas choisi un répertoire facile, piochant dans son répertoire celles qu'il affectionnait, pas toujours celles qui avaient rencontré le grand succès. Voix au grain si particulier... Même si l'âge le rattrape, il est d'une jeunesse éternelle, comme certains de ses tubes qu'il offrira en rappel au public. Merci Monsieur Maxime Le Forestier de rester cette icône de toutes les révoltes qui échappe aux temps de la soumission et au conformisme ambiant.  

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 Norbert krief dit Nono                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               Maxime Le Forestier

 

Comment ne pas parler de mes deux complices. Jean-Claude Rapin, l'homme aux bottes rouge et à la crinière léonine. Avec lui, j'ai tout connu. Et avant tout l'amitié ! C'est un bluesman déjanté, qui peut introduire des distorsions dans toutes les mélodies les plus sophistiquées, toujours en rythme, apte à se mettre au service des autres, il part en vrille et explore des champs inconnues en cherchant à s'évader des contraintes dès que l'opportunité s'en fait sentir. C'est mon ami. C'est lui qui avait, à ma demande réuni ce panel de musiciens autour de Maxime Le Forestier. Un sans faute mon Jean-Claude. Bravo à toi.

Elève de Marcel Dadi et de Chet Atkins, Michel Haumont est le grans spécialiste du finger-style en France. il dévore des torrents de notes et distribue à la volée des cascades de sons si délicats que sa guitare chante sous les projecteurs. C'est un esthète serein, un magicien des cordes, un équilibriste de haut-vol et aussi un très vieux complice, depuis le début des années 90, du temps du Festival "Guitare Passion" qui nous a tant marqué.

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          Jean-Claude Rapin                                                                                                                                                                                                                                                             Michel Haumont

 

Reste Michael Jones. je l'ai programmé à de multiples reprises. Complice de JJ Goldman, il existe bien en dehors de son ombre tutélaire. Musicien sauvage, voix aux chaudes inflexions galloises, showman avéré, il est tout cela et bien plus encore. Il fait partie de ces leaders naturels qui s'imposent en douceur, par la puissance d'un riff, l'intonation d'un couplet qui touche le public au plexus, une façon d'être élégante et précise, d'accompagner et de prendre ses responsabilités quand la situation l'exige. Il est un grand de la musique... Il est aussi d'une simplicité et d'un abord chaleureux. C'est Michael Jones, le plus français des gallois, mon ami.    

 

 

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                                                             Michael Jones. photo d'Eric Dervaux

 

 

Et si vous n'étiez pas là au rendez-vous, si vous avez raté cette soirée au Palais des Festivals de Cannes, alors tant pis pour vous ! La prochaine fois, soyez attentifs, de tels moments sont volés à la logique du show-biz et du marketing, ils sont rares et uniques. Comme l'a déclaré Maxime Le Forestier sur scène, "des soirées comme celle-ci, nous en avons connu mais normalement, nous les partageons entre musiciens... sans le public, dans nos caves et pour l'amitié. Ce soir, vous étiez présents pour notre plus grand bonheur !"  

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Berling, Kennedy, Say, Sheller et Juliette

Publié le par Bernard Oheix

Retour sur le passé.... Mois de juillet, il fait beau. Des Nuits Musicales du Suquet Intenses, avec un public massivement présent ! Tous les soirs complets, le rêve d'un programmateur. Et surtout, des rencontres, de l'émotion, une certaine folie. Alors, pour le plaisir, retour en arrière, quelques minutes de bonheur !

 

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Charles Berling, Laure Favre Khan. Chopin sous les doigts de la sublime pianiste, Chopin dans ses mots, par ses lettres par la voix de l'acteur. Même si le spectacle manque encore un peu de réglages, ils nous emportent au coeur même de la création, dans une époque furieuse et dans les tourments d'un génie.

 

Numero-3 0827Deux êtres hors normes. Fazil Say, un pianiste éblouissant, un homme qui dompte le clavier, sans limites, hors de tout sentiers battus. Un être attachant,

turc en révolte contre tous les conformistes. 

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                                                                                  Nigel Kennedy. Bouffon superbe qui explose les codes. De Bach à Deep Purple, il n'y a qu'un pas qu'il franchit avec allègresse. Déroutant, histrion, clown céleste qui prouve que le classique est d'une modernité sans égale. Il va décoiffer une bonne partie du public qui lui réservera pourtant un triomphe à la romaine !

 

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Le moine et la titi parisienne. William Sheller en solo, ou le plus classique des modernes, un homme qui transforme son show en moment de bonheur et de confidences, en rapport direct avec le public, un homme qui a su devenir heureux....

Juliette ravira par sa gouaille et son humour ravageur. Elle s'impose dans ses chansons en osant tout, et ce d'autant plus que le frisson est bien réel quand elle chante son oeuvre si particulière entre la raison et l'absurde.

 

Tous les deux sont particulièrement contents de se retrouver dans un festival classique et nous transmettrons une bouffée de tendresse.

 

 

 

 

      Voilà, c'était il y a bien longtemps, une éternité déjà, mais ces moments si forts sont bien gravés dans la mémoire... pas seulement la mienne ! Ils sont aussi bien présents dans le coeur des spectateurs, parfois un peu déroutés, mais toujours en phase avec ces artistes qui dévoilent à l'évidence, que le classique est bien moderne et que l'art n'a pas de frontières quand il flirte avec les sommets....

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Marcelle Duval

Publié le par Bernard Oheix

 Une histoire à naître, entre la vérité et la fiction, avec si peu d'imagination à avoir... Ecouter ces cassettes endormies qui gisent dans une boîte de chaussures et partir sur les pas de cette petite vieille qui avait toujours été si vieille mais dont l'existence se confondait avec ma propre enfance, l'âge de tous les possibles, de l'innocence et de la cruauté. Rendre la vie à la mémoire afin de dévoiler les secrets d'un monde qui s'évanouit. Alors, ces quelques lignes pour ma fille, qui l'aura si peu connue, et pour l'humilité de ces femmes qui ont forgé la modernité de leurs larmes ! 

 

                                                     Chapitre I

 


 

 

J’étais très jeune, très belle et très naïve. Mais la  jeunesse s’est envolée si rapidement. A dix ans, je travaillais 14 heures par jour dans une blanchisserie dans la promiscuité des adultes, cela n’autorise pas les rêves. Un homme a croisé ma route, le premier, et dans ma chair, la conséquence d'un plaisir qui s’était refusé grandissait en chassant mes dernières illusions d’une enfance volée. La beauté, je la possédais dans ce corps que le miroir me renvoyait, dans le regard des hommes qui s’accrochait à ma silhouette. Je ne l’ai jamais vraiment comprise. Mon reflet me dévoilait une image qui me semblait étrangère. J’ai cherché à la déchiffrer, j’observais chaque grain de ma peau, chaque contour de mon visage mais je m’y suis perdue. Je n’ai pas su lire mon destin dans les courbes de mon corps. Et puis, je n’en voyais que les défauts, on m’a si peu appris à m’aimer. Il me restait la naïveté. Celle-là, elle m’a accompagnée tout au long de ce siècle, elle m’a permis de survivre, elle m’a protégée de moi-même, même si le prix à payer a été celui de ma vie avortée. Une vie pour rien, une vie au rabais, une vie comme tant d’autres plongés dans le siècle des horreurs et qui survécurent pour être la mémoire de la folie des hommes. C’est cela mon histoire, un rien entre tant d’événements qui ont permis à l’homme de s’émanciper de sa terre, d’aller dans l’espace, de conquérir la planète et d’oublier sa part d’humanité en forgeant son malheur. Je suis si vieille mon chéri, si usée, que la délivrance ne saurait tarder, désormais. Je n’ai pas peur de la mort, je l’attends sans impatience, j’ai tant soldé de vies que la mienne n’a plus d’importance. Mon parcours s’achève et je n’ai toujours pas compris pourquoi j’ai vécu si longtemps. Il y a tant de morts qui m’entourent que je ne suis plus vraiment vivante. Je leur appartiens déjà. 

 

J’ai coupé le magnétophone, retiré l’oreillette. Cette voix me poursuivait depuis des années, depuis la vision de ce visage figé par la mort dans un lit d’abandon, depuis que j’avais décidé d’enregistrer cette vieille dame qui avait été ma grand-mère pendant  les 40 ans de ma vie où je l’avais côtoyée. L’avais-je vraiment connue, l’avais-je suffisamment aimée pour lui offrir de survivre par-delà les nuages ? Qui était-elle, comment avait-elle survécu à deux guerres, à la maladie, à la misère, à l’amour  durant près d’un siècle ? J’étais la trace vivante de son acharnement à exister, le produit d’une chaîne qui la précédait depuis la nuit des temps, quand l’homme se redressait pour devenir le maître du monde, forgeait son langage, bâtissait des maisons et cultivait la terre afin d’assurer sa survie et celle de sa progéniture. Une somme gigantesque de pleurs et de rires, de drames et de quotidien, une parcelle vivante de cette humanité en marche forcée vers son destin. Elle en était l’apogée, née dans la boue de ce XXème siècle pour finir à l’aube du troisième millénaire.

 

Un iguane s’est rapproché en se dandinant. C’est un reptile saurien que l’on trouve en Amérique et à Madagascar. Sa queue traçait un sillon dans le sable blanc réfléchissant le soleil de la mer des caraïbes qui venait s’échouer sur la grève. Sa tête dodelinait, ses deux yeux observaient cet étrange animal que j’étais, allongé sur la plage naturelle d’un lagon à l’eau azur translucide. Il s’est arrêté à un mètre de moi. J’avais encore les inflexions de la voix de Marcelle Duval dans la tête, ces phrases qu’elle prononçait en chantant, la lucidité aiguë d’une vieille dame en équilibre sur le fil de la vie, contant à son petit-fils la grande histoire de la petite, la réalité que les livres d’histoire ne peuvent cerner, la vie quotidienne dans le ventre mou de ce siècle. Je venais de terminer les huit cassettes de deux heures et l’iguane émergeait de son taillis, enchevêtrement de cocotiers, de palmiers et de buissons épineux, sa crête dorsale érigée d’épines, des fanons en bourrelés autour de sa gorge. Il était le modèle réduit de nos cauchemars d’enfance, ces montres préhistoriques qui venaient perturber nos nuits en dérangeant nos certitudes. Il s’interrogeait sur ce monstre apparu dans son univers et derrière ses dards dressés sur son dos en une corolle menaçante, ses pattes recourbées, les mouvements lents de son torse, je me sentais le prédateur humain de cette nature que nous avions à jamais déflorée, je me percevais comme l’étranger en train de salir les derniers lambeaux d’une planète à l’abandon. Nous avions échoué à construire un monde harmonieux, nous allions réussir à condamner les derniers vestiges de cette planète, à en faire ce tas d’immondices définitives que nous lèguerions à nos enfants. Tout s’était déroulé en si peu de temps, un claquement de doigts, une fraction infinitésimale à l’échelle du monde et plus rien ne pouvait être réparé, plus rien. Le temps des illusions était bien terminé pour Marcelle Duval comme pour sa fille, pour ses petits enfants comme pour les enfants de ses petits enfants, pour tous ceux qui avaient espéré que le progrès offrirait un avenir radieux au monde des êtres humains. 

L’iguane s’est encore approché, j’ai ressenti son souffle inquiet, ses yeux fureteurs, il m’a touché la cuisse de sa queue battante et je n’ai pas eu peur, j’ai juste perçu le souffle de la vie monter de cette nuit soufrée dont il émergeait. J’ai communié avec le passé infini pour conjurer l’avenir trop précis. L’espoir refusait de mourir et j’ai décidé d’écrire cette vie de rien d’une femme commune. Loin des décorations, des ors et lumières, loin des mausolées, je me suis promis de hisser son oriflamme afin que sa mémoire trouve sa place dans les sillons de l’humanité. Elle existait bien malgré tout, malgré nous, tout autant que les puissants et les menteurs, ceux qui écrivent les pages dorées de l’histoire et ceux qui les réécrivent. Elle s’appelait Marcelle Duval, était née le 3 juillet 1905 par une nuit d’orage étouffant, dans les éclairs d’un ciel voilé, et avait décidé de vivre 100 ans de malheur et de solitude pour expier les fautes des autres. Ma grand-mère Marcelle Duval, aux yeux bleus délavés par toutes les larmes qu’elle avait versées qui auraient rempli un océan de son sel. L’iguane a geint comme un animal blessé. Il a ouvert sa gueule et ses dents insérées sur les bords internes des mâchoires ressemblaient à des crénelures menaçantes. Les pupilles de ses yeux roulaient dans leurs orbites. Sa langue est sortie de sa bouche et a léché ma hanche. J’étais immobile, pétrifié tel un roc. Nous avons communié, ensemble. Il a rompu le contact et s’est fondu dans la végétation, laissant un sillon derrière sa queue battante, m’invitant à suivre sa trace. Je me suis relevé, j’ai ressenti la brûlure sur ma peau des rayons du soleil, je me suis jeté à l’eau, une mer si chaude aux effluves salée, et j’ai nagé vers le catamaran qui m’attendait ancré paresseusement, dans l’anse de l’île de la …… Cuba flottait à l’horizon, des hommes buvaient du rhum, des femmes dansaient une salsa endiablée en remuant les fesses, le Che paradait sur tous les murs des bâtisses de l’île et je percevais maintenant le message qu’elle m’avait lancé dans ces nuits froides d’hiver, quand son crépuscule devenait tellement évident qu’elle se préparait à la mort comme elle avait toujours vécu : avec discrétion et sans haine, juste cette distance qu’elle avait toujours entretenue entre la clarté du jour et les ombres de la nuit. 

Cette vieille dame m’évoque irrésistiblement un ragoût de mouton mijotant dans un grand faitout de fonte, la buée qui perle, l’odeur qui monte dans cette vaste cuisine d’une maison accrochée aux pentes de Levens, un petit village de l’arrière pays niçois où elle avait élu domicile à la perte de son entreprise de broderie. En 1958, pour cause d’une cuti mal virée, elle m’avait accueilli pour 6 mois d’école au grand air de la montagne, cure indispensable pour m’armer contre la tuberculose et toutes les maladies qui guettent les enfants, une poignée d’années seulement après la fin de cette guerre dont les traces étaient encore visibles dans les yeux des adultes. Aller à Levens à cette époque était une vraie expédition aux yeux d’un gamin de sept ans. Le train à la vapeur noire en panaches de Cannes à Nice, le tram avec les éclairs du caténaire pour la gare routière et le bus grinçant et brinquebalant qui fonçait dans un nuage de poussière vers les gorges de Tourettes, accédait aux plateaux et venait finir au pied du village perché sur un piton rocheux avant de plonger vers la Vésubie en emportant sa cargaison de voyageurs et de colis.

Avec le recul, je m’aperçois qu’elle était jeune, à peine plus âgée que moi aujourd’hui, pourquoi donc en ai-je le souvenir d’une vieille dame, les cheveux blancs maintenus par un foulard noir, la peau ridée, les lunettes perchées sur le bout du nez ? La mémoire est traîtresse pour celui qui n’a pas d’âge et qui assiste à l’usure du temps sans  repères. C’est ainsi, une petite vieille s’acoquinant avec un petit-fils inconnu, qui partage les longues nuits sans télévision, l’après-midi des jeudis sans école, le dimanche de la toilette et des beaux habits pour une glace sur la place du village. Elle émergeait d’une opération du sein, un cancer traître qui la laissait mutilée, conséquence, il fait nul doute, d’une somme de malheurs et de drames qu’elle devait solder avec sa chair.

Je me perchais sur une grande chaise et je la regardais penchée sur sa machine, concentrée, ses pieds lançant le balancier pour entraîner le moteur, ornant des tissus blancs de macarons de couleurs, dessinant des symboles abstraits, mélangeant les fils chatoyants pour peindre des rosaces, des inscriptions ésotériques, des motifs qu’elle reproduisait à la chaîne pour l’entreprise Lauvergeon dont elle était une petite main exilée dans la montagne. Tâcheron attaché à sa machine à coudre, elle remplissait les heures du bruit chuintant de son aiguille perçant les étoffes. Parfois la nuit, je m’éveillais d’un cauchemar violent au balancer cadencé de ses jambes, au sifflement de l’aiguille argentée mordant le tissu qu’elle tournait avec ses doigts pour effectuer ses desseins abscons. C’était rassurant, la veilleuse du couloir, le bruit familier, je pouvais me rendormir alors et elle continuait des heures durant pour quelques sous le motif, afin de vivre, sans se poser de questions, comme si les choses les plus naturelles sont celles qui n’ont aucunes réponses. Je ne me rendais pas compte de cette solitude, je ne savais pas le prix de la vie, j’étais si jeune, ce n’est que bien plus tard que les évidences sont nées, trop tard.

 

C’est en 1995 que j’ai décidé de la faire parler de sa vie dans le but avoué d’écrire son histoire pour mes enfants, ses arrières-petits-enfants. Mon fils avait 17 ans et la connaissait suffisamment pour en conserver un souvenir précis. Par contre, ma fille, du haut de ses 11 ans, me laissait craindre que sa fin prochaine gommerait l’image de cette petite vieille enfermée dans son deux pièces du "Ranchito" à Ranguin, la banlieue de Cannes, qu’elle couperait ce lien ténu qui court de génération en génération et tisse des souvenirs que les adultes entassent dans les cases de leur mémoire, apparemment inutiles, mais si présents quand le besoin s’en fait sentir et qu’il s’agit de se raccrocher à une réalité qui nous dépasse. Etre au cœur pour ne pas avoir peur des marges, s’agripper aux racines pour ne pas se laisser emporter par la tourmente de la vie. Je sentais l’usure irrémédiable de cette femme qui avait borné mon horizon du plus loin que je me souvinsse. Je ne pouvais imaginer qu’elle se fonde dans le néant et qu’aucune trace ne nous resterait, que son propre passé s’évanouirait, que la fin d’une vie impliquait la fin d’une histoire. Je voulais qu’un jour, par la magie de ses mots volés, elle renaisse, même fugitivement, même artificiellement. Il me fallait ses mots pour le dire, sa musique comme partition.

Je lui ai expliqué ce que je voulais faire. Elle a eut l’air gêné, trop d’attentions sans aucun doute pour celle qui se noyait dans le paysage ambiant et n’apparaissait que fugitivement, le jour des anniversaires et des fêtes réunissant la famille, déjà presque momifiée dans ses souvenirs arrachés comme pour la faire exister malgré elle. Des moments de plus en plus rares, au fur et à mesure que le temps créait des vides entre les membres de la fratrie. Eloignements, ruptures, décès, compensés par quelques maigres naissances comptées parcimonieusement. La vie moderne de cette deuxième partie du XXème siècle faisait exploser tous les codes en vigueur, impitoyable logique d’une société aspirée par le mouvement, où tous les repères se brouillait dans la confusion et l’extrême frénésie d’une consommation à tout crin et d’un univers laborieux aux règles volant en éclats. Nous l’avions enfin dans les mains cet avenir pour lequel nous nous étions levés en masse, nous étions la génération soixante-huit et l’avenir nous appartenait. Mais à qui donc appartenait le passé, celui-là même devant lequel nous avions fuit avec tant de rage et de détermination ?

 

J’ai grimpé les deux étages qui l’empêchaient désormais de sortir. J’ai sonné au carillon et j’ai entendu sa voix qui annonçait son arrivée. Elle s’était pomponnée, robe gaie à motif de fleurs et collerette en dentelles, cheveux blancs bien tirés, lunettes sur le bout du nez. On percevait derrière les outrages imposés par les années, toute la noblesse de ce port altier, la vivacité de ses yeux. Elle avait une grâce naturelle, une élégance toujours évidente, la marque de cette distance qu’elle avait maintenue contre vents et marées et qui lui avait permis de dépasser les rides qui lui dévoraient le visage, un dos légèrement voûté, un ventre ballonnant. Elle avait tout cela aussi, et les yeux rougis, et un duvet sur la lèvre supérieure, mais elle restait belle même pour un inconnu. Elle pouvait représenter cette grand-mère que chacun gardait dans son cœur, enfermait dans ses souvenirs et refusait de voir disparaître. C’est ce que je venais accomplir.

 

J’ai sorti mon cahier à spirale, un 7 conquérant vert acheté pour l’occasion à la papeterie de La Bocca et j’ai posé, soigneusement alignés, un crayon et une gomme à côté. Puis j’ai branché le petit magnétophone à une prise du salon et installé le micro sur son trépied. Elle restait debout en me regardant. A ma grande surprise, elle était toute intimidée, se dandinant d’un pied sur l’autre.

 

-Tu sais, mon grand, j’en ai pas dormi de la nuit. J’ai peur de te décevoir. Tu penses vraiment qu’il faut le faire ?

-Mamy, je t’ai tout expliqué. Il faut juste que tu me racontes du plus loin que tu t’en souviennes, l’histoire de ta vie, les événements marquants, tes amours et tes peines, le travail, tes amis, les guerres que tu as traversées, des anecdotes aussi. Tu verras, cela va aller, il faut juste que tu te détendes, laisse-toi faire.

-Mais j’ai peur de ne pas me souvenir, de tout mélanger… Et puis cela ne peut intéresser personne, ma vie a eu si peu d’importance !

-Elle en a pour moi, elle en aura pour ta petite fille quand elle lira ta biographie. Tu as traversé tout le siècle. Tu es née en 1905, à l’aube du XXème, on est à son crépuscule. On va rentrer dans le XXIème avec toi, on le verra ensemble, je te le promets et tu verras ton arrière-petite-fille dévorer l’histoire de Marcelle Duval.

-Tu es gentil de me mentir. Je n’y crois pas, cinq ans, c’est une éternité à mon âge, mais bon, j’ai essayé, tu pourras toujours lui faire écouter les cassettes !

 

Elle s’est assise en face du micro et à ma grande surprise, a sorti un petit carnet de sa poche. Elle a vu mon étonnement et j’ai entendu ce trop rare rire cristallin, le regard en coin, qu’elle dispensait quand elle était particulièrement contente d’elle.

-Et alors, j’ai travaillé moi-aussi. Je note ce que je dois te dire depuis deux jours, au moins je ne tomberai pas en panne de souvenirs ! J’ai encore toute ma tête ! 

 

J’ai enclenché la touche d’enregistrement et c’est ainsi que tout a commencé. Nous avons réalisé 16 entretiens d’une heure à raison de deux par semaine. C’était largement suffisant pour ses forces déclinantes. Au bout d’une face de la cassette, je sentais sa tension, l’effort que lui imposait cette plongée dans sa mémoire. J’arrêtais systématiquement à la fin d’une face, quand bien même elle souhaitait continuer. Pendant que je rangeais le matériel, elle me préparait un verre bien frais de citronnade et en aparté, revenait sur certains des aspects qu’elle avait développés. Dire que ces moments furent magiques est une évidence. Elle se livrait totalement, sans affectation ni complaisance. Elle conservait une mémoire étonnante concernant les dates. Autant elle était capable de citer des jours précis, autant parfois, l’ordonnancement des événements se brouillait en elle. Nous reconstruisions alors patiemment, ensemble, grâce à mes notes, et je sentais son soulagement quand nous retombions enfin sur une cohérence qui la ravissait. Elle avait des sourires de petite fille en parlant de sa vie, elle aimait nos rencontres. Elle m’attendait à 17 heures et les rares fois où un retard quelconque me fit décaler ce rendez-vous rituel, je vis le soulagement se peindre sur son visage à l’ouverture de la porte.

Pendant deux mois, de mars à avril, nous avons partagé une complicité sans égal. Je n’étais plus si jeune pour m’illusionner, elle ne serait jamais assez vieille pour renoncer aux rêves. Tous les deux, nous cheminions sur ses traces, suivant sa mémoire fertile, au fil des années qui s’écoulaient en un accéléré avec des fondus au noir, des gros plans, des panoramiques, des personnages secondaires qui revenaient de séances en séances, des drames qui la plongeaient dans une langueur mélancolique, des fêtes et des bonheurs qui éclairaient son visage de sourires malicieux. J’aime à penser qu’elle se livra sans retenue, emporté par ce qui, d’un jeu, se transforma en  une course effrénée vers sa propre histoire. Je lui ai permis de renaître, d’aimer pour la première fois de nouveau, d’enfanter et de voir le monde à travers le prisme de sa mémoire. Ce fut mon cadeau d’adieu et je ne peux évoquer ses souvenirs sans ressentir un pincement au cœur, sans voir apparaître ce bout de femme tenace écartelée entre deux siècles, entre deux vies.

Les beaux jours sont revenus, le travail m’a aspiré, les notes reposaient dans le cahier vert à spirale, les cassettes dormaient en conservant cette voix chantante dans leur fibre, la vie continuait, éternelle, sans que rien ne semble pouvoir en perturber le déroulement. C’est la mort qui nous rappelle combien est fugitif le temps de l’espoir. Elle ne s’annonce pas, je le pressentais pourtant en entamant cette démarche, mais on ne vit pas avec elle, elle nous surprendra toujours, au détour d’une après-midi, quand rien ne doit déroger à l’ordre des choses et que tout paraît figé pour l’éternité. Il m’a fallut du temps pour le comprendre et tirer de ses mots cette histoire si vraie qu’elle en devient un chant, une ode à la mémoire retrouvée de ceux qui n’ont jamais eu de temps pour écrire leur histoire, de ceux qui ont vécu pour que les autres puissent continuer à espérer.

 

A suivre (?)

Alors, une histoire à naître ? Un récit à composer ? Pour qui d'abord ?
Les fils d'une histoire d'un siècle, du siècle de tous les paradoxes, de l'explosion de la science et de la technique à l'apogée de l'horreur et des crimes à grande échelle ? Pour quelle histoire donc, la grande des inconnus célébrés ou la petite d'une vie réelle anonyme ?
A vous de me le dire, à toi, Angela, de m'y inciter !

 

 

 

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La blonde va encore sévir !

Publié le par Bernard Oheix

Pour ceux ou celles qui auraient manqué le premier épisode du mois d'avril, sachez qu'une mystérieuse blonde aux gros seins et une non-moins curieuse martiniquaise sont en train de préparer leur come-back.

En effet, du 15 novembre au 21 novembre, au Théâtre Francis Gag à Nice, un metteur en scène illuminé Régis Braun, qui n'en est pas à sa première galéjade, a décidé de "remonter" Linge Sale de Jean Claude Grumberg avec une distribution de choix de jeunes comédiens portés par cette pièce complétement "barge" dont on ne peut dévoiler le dénouement sous peine d'être accusé de haute trahison envers la culture.

Dans cette distribution assez paradoxale, au milieu de ces professionnels confirmés, débarque une blonde, seule rivale avérée de la pédicure amoureuse du client surexcité de cette laverie tenue par un tenancier acariâtre. Il y aura bien un joggeur fou pour tenter d'apaiser le climat et une martiniquaise pour donner un peu d'exotisme... Las, cette production fera naufrage, il fait nul doute, afin que les spectateurs se gobergent du retour enflammé de la Belle Blonde au gros seins...

 

blonde tricotBon, c'est vrai que j'ai parfois l'impression de la connaître intimement et malgré moi, je ne peux m'ôter de l'esprit que je suis son grand frère (ou qu'elle est ma petite soeur !), que les comédiens sont là pour ses charmes ravageurs et que le public de théâtre (est-ce un effet pervers de la crise qui ronge la société ?) n'est présent que pour saliver aux galbes de ses longues jambes gainées de soie ! Oui mes amis lecteurs, mes frères de sens, mes complices en aventures esthétiques... courrez prendre votre billet, venez soutenir la création en région, le début d'une carrière éphémère et le crépuscule d'une montée sur les planches d'un jeune (!) comédien pétri de talent !

Et s'il en a pas, du talent, avouons que cette blonde a pour le moins, une sacrée paire de burnes pour oser se montrer sous ce jour peu amène dans sa ville natale, devant un parterre fleuri de sommités locales !

Alors pour la route, un dernier coup d'oeil...

Numero-3-0673.jpgEt bon courage !

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