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Inventaire avant destockage (7)

Publié le par Bernard Oheix

Hommage aux sans grades et vertu de l'absence. C'est dans le recueillement que l'ombre des mains s'estompe pour laisser le mirage s'instaurer.  Dans le spectacle, on connaît la violence de ce moment fugitif qui succède à des heures de mise en place...quand l'équipe multiple qui "monte" le spectacle disparaît pour laisser la magie s'installer ! C'était l'idée de base de cet éditorial de Paroles de RH. 
ParoleRH2.jpg
J'ai souvent inventé de "pseudos" aphorismes d'un Lao Tseu que je n'ai personnellement jamais fréquenté car nos calendriers ne correspondaient point...J'aurais aimé le programmer au Palais avec d'autres compagnons de route comme Jean-Paul Sartre ou Raymond Kopa. Celui-ci est particulièrement réussi, n'est-il pas ?

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De la Corse...et de quelques spectacles !

Publié le par Bernard Oheix

 

Période de grande densité culturelle, entre les spectacles accueillis à Cannes et ceux visionnés à Paris, Lyon et Nantes afin d’élaborer la saison prochaine, entre deux averses et des vagues gigantesques qui éperonnent le bord de mer en dévastant tout sur leur passage et une chute de flocons qui recouvrent la Croisette d’un manteau blanc étrange…plus de 20 ans qu’on avait pas vu un tel spectacle, il n’y a vraiment plus de saisons…J’ai suspendu mes baignades et je me calfeutre dans les salles en nourrissant ma tête de belles aventures.


boneige2.jpgBon, c'est vrai, il a neigé sur Cannes...Je crois que je vais cesser de me baigner pendant quelque temps !  La Croisette dans la semaine du blanc, je ne pensais pas que c'était possible, et pourtant !


Petite sélection des programmes vus (et à venir donc !)

 

Le Trio Esperanca, disparu depuis de longues années, se reforme sur Paris pour promouvoir leur nouvel opus. Les 3 sœurs brésiliennes restent belles, envoûtantes, elles sont inimitables même quand elles décident de rencontrer la musique classique avec leurs rythmes d’Amérique du Sud. Chaleur de la samba sur volutes de Bach. Cela reste naturel, juste une belle rencontre de sons qu’un musicien accompagne et orchestre. On sent le désir de renouer et de retrouver le public qui se laisse convaincre sans attendre et se met à tanguer de bonheur.

 

La Nuit des Rois. Comment Shakespeare a-t-il pu écrire une pièce aussi moderne, aussi impertinente, novatrice ? Ce ne sont qu’inversions, travestissements, amours homosexuels, ambiguïté permanente ! C’est divinement joué, tirant vers l’absurde les personnages décalés, induisant un vent de folie qui dérègle la mécanique des rapports humains. Un gâteau à la chantilly que l’on consommera à l’automne !

 

Thé à la menthe ou thé citron. Pièce culte, syndrome du Père Noël…On rit à cette pièce de boulevard qui se construit sous nos yeux, acteurs ringards (volontairement !), metteuse en scène à la dérive, texte inepte, gags incessants, dérèglement de mécanique annoncé…Je l’avais vu il y a 10 ans, elle sera à Cannes l’an prochain pour le meilleur de nos zygomatiques en folie !

 

Le kangourou de et avec Patrick Sébastien. J’y allais à reculons…il faut l’avouer. Mais la pièce, après une ouverture en fanfare au pire de ce que l’on peut imaginer, (une nana qui se fait sauter au cours d’un entretien d’embauche (!!) et qui obtient le job)…va dériver vers un univers à la Hellzapoppin. Délire entre la politique et monde des affaires, les rapports homme femme, puissance et séduction… Merveilleusement servie par deux comédiennes et un comédien qui entourent et protègent l’auteur qui navigue dans les hauts-fonds de l’indicible et du politiquement incorrect, la pièce s’achève sur un propos humaniste dans le meilleur des mondes. Une vraie réussite sur une odeur de soufre ! Rendez-vous à Cannes en janvier 2011.

 

Nilda Fernandez, le retour. Il n’avait plus produit de disque depuis quelques années, exilé aux confins de l’Europe dans une Russie qui lui tendait les bras. Il nous revient, voix inimitable, ressort ses tubes immémoriaux et présente ses derniers morceaux comme des bijoux ciselés dans l’or du temps. Nilda comme on l’aime !

 

On purge bébé. Cristiana Reali et Dominique Pinon. Si le texte reste à la limite du supportable dans son archétype d’un boulevard du XIX ème siècle, si les acteurs se démènent et en font des tonnes pour exister, si la mise en scène ne recule devant aucun effet surligné... c’est bien pour nous servir le plat brûlant d’une tranche d’histoire du théâtre de boulevard ! Et cela fonctionne, comme une madeleine encore odorante, le parfum suave d’une bourgeoisie insouciante en train d’ériger un monde en noir et blanc. A voir et à revoir.

 

Le mal de mère. Marthe Villalonga au zénith. Elle sort de ses rôles types pour endosser les habits plus sophistiqués d’une femme qui paye un psychiatre pour être entendue enfin. Elle trouve ainsi une profondeur et un propos plus riche que dans ses dernières créations. C’est une vraie belle réussite. Elle se métamorphose au cours de cette «thérapie» pendant que son thérapeute se liquéfie dans un processus d’inversion dont il sera la victime. Dommage que son partenaire (Bruno Madinier) souffre quelque peu de la comparaison et ne puisse maintenir son personnage au niveau de sa composition. Mais avec le temps, on peut espérer que Marthe soit moins seule à défendre son rôle et la pièce en sortira encore grandie.

 

Je passerai sur nombre de pièces ou concerts vus ou entrevus sur les planches parisiennes pour arriver aux programmes de notre saison actuelle à Cannes.

 

Un sublimissime ballet d’Antonio Gadès, (Fuenteovejuna), sans doute le chef-d’œuvre du chorégraphe, plein d’énergie et de passion, lecture d’une révolte paysanne aux sons du flamenco. La compagnie préserve de l’usure du temps, cette œuvre majeure de son patrimoine. Les rapports amoureux se confrontent aux rapports de classe dans un affrontement sans merci et la force la plus brutale ne peut enfermer la ferveur d’un peuple qui se soulève contre l’oppression pour sauvegarder son honneur et préserver l’amour. (C’est beau ce que je viens d’écrire, non ?). C’est biblique, c’est romantique et la fusion de l’inspiration flamenco et de l’art chorégraphique en fait un miracle d’équilibre et d’énergie !

 

Reste le week-end dernier, avec un Roland Giraud formidable dans Bonté Divine, la veille de l’annonce du suicide de Treiber. La pièce démarre comme une leçon de philosophie sur les religions, (un prêtre, un imam, un rabbin et un vénérable bouddhiste sont réunis pour une conférence). Par la suite, elle basculera dans une histoire (certes) tirée par les cheveux, support d’une comédie sérieuse où le (sou)rire le partage à la réflexion ! L’ensemble reste attachant, ouvert, intelligent, comme si le simple fait de parler ensemble pouvait bannir la haine et le rejet de l’autre. Communiquer sur ce qui différencie les êtres, c’est déjà accepter la différence ! C’est un manifeste pour la tolérance où l’objectif à atteindre permet d’accepter les quelques faiblesses de la mise en scène… sans états d’âme !

 

Une soirée corse, cela sent à priori, le figatelli grillé au coin du feu, une atmosphère bon enfant, la main sur l’oreille pendant le chant profond et l’accent inimitable de nos frères îliens. Nos amateurs d’exotisme en auront été pour leur frais tant cette soirée fut moderne, riche et particulièrement intense. De 51 Pégase, je ne dirai pas grand-chose tant j’ai déjà couvert d’éloges cette pièce tirée du livre de Marc Biancarelli, présent dans la salle. Beauté des mots et force des images, acteur superbe, mise en scène élégante de Jean-Pierre Lanfranchi… Parfois, quand on programme et que l’on sélectionne une oeuvre, on se pose des questions sur son adéquation dans un lieu et son public, sur la «prise de risques», sur les raisons profondes qui nous motivent. Point d’interrogations pour cette magistrale œuvre de théâtre contemporain présentée à Cannes. La crudité des situations décrites, la violence des propos, la rigueur austère s’effacent devant la beauté de ce moment de grâce absolue d’une introspection collective. C’est un théâtre branché sur le courant continu d’une création en prise directe avec l’écho de la réalité !

Et comme pour se sublimer, la soirée corse se clôturera avec un concert de l’Alba, un groupe de la 2ème génération, libéré des angoisses existentielles de leurs aînés focalisés sur la recherche d’une identité et de racines, s’épanouissant dans une musique instrumentale subtile, mixant les chants et la polyphonie, profane ou sacrée, mise en lumière ritualisée, instruments baroques, vent ouvert d’influence diverses orientales.

Voilà, n’en déplaise aux esprits chagrins, une soirée corse fait aussi appel à la modernité et à l’intelligence entre deux mastications de « lonzo » et de « salsiccia ».

 

Bientôt le Festival des jeux, Paris encore pour les derniers réglages d’une saison à venir. La vie continue même dans les frimas d’un hiver rude. Sortez, même couverts, mais sortez s’il vous plait, le monde à besoin de vous et de l’obscurité des salles de spectacle jaillira la lumière !

 

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Inventaire avant destockage (6)

Publié le par Bernard Oheix

Toujours mes petits billets en éditorial de Paroles de RH. J'ai un lectorat captif de 250 personnes (les permanents du Palais des Festivals) et d'une cinquantaine d'intermittents. Bon, c'est pas encore un best-seller... mais au moins, ils me lisent puisque ce bulletin leur est distribué avec la paye ! Et cela m'amuse toujours autant ! Alors même si je ne comprends pas tout ce que j'écris, je fonce et cherche un sens caché à ce que je suis !

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Inventaire avant destockage (5)

Publié le par Bernard Oheix

articleuneternelprintemps.jpgMais qui est donc Jean-Paul Icardi ?
C'est un des pseudos que j'utilise depuis de longues années. Paolo Icardi était mon grand-père, un Italien fier et toujours décalé, parlant une langue bizarre, un galimatia d'où émergeait un désespoir permanent d'avoir perdu son centre, sa culture, son pays. Emigré très jeune à Nice comme nombre de transalpins, il fit tous les boulots possibles, travailla d'arrache-pied, et vécut sans vraiment vivre en traversant 2 guerres. Je l'ai bien connu et je pense souvent à lui. 
Un jour que je devais écrire un texte dans une revue sous autre nom que le mien, j'eus l'impulsion de prendre le sien. Depuis, il me suit et je n'hésite jamais à parapher d'un fier Jean-Paul Icardi en espérant que je le fasse exister d'un souffle à chaque fois. Dans certains peuples, des hommes sont payés pour lancer les noms des défunts vers les cieux car tant que leurs noms résonnent, ils continuent d'exister au coeur de l'humanité ! C'est ma façon à moi de l'honorer et de faire perdurer son image.
Ce texte a été composé dans le cadre d'un supplément culturel réalisé pour la première saison culturelle que nous avons réalisée, en 1996-1997. Comme j'avais choisi les spectacles et que cela m'amusait d'écrire sur eux, je décidai d'utiliser mon pseudonyme afin de me dissimuler et d'avancer masqué !
A vous de juger !

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Inventaire avant destockage (4)

Publié le par Bernard Oheix

Il y a beaucoup d'écrits portant sur le Festival International des Jeux de Cannes... d'autres suivront ! Pour initier ce cycle, je vous ai exhumé un éditorial de mars 2001, année pendant laquelle nous avions réalisé un quotidien du Festival. J'avais manifestement abusé de belote en intraveineuse dans cet édito du numéro 4... Et dire que l'on me paye pour cela !

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A la revoyure pour de nouveaux textes...

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Inventaire avant destockage (3)

Publié le par Bernard Oheix

Chaque mois, est joint à notre fiche de paie, Paroles de RH, le bulletin d'information de notre Direction des Ressources Humaines du Palais des Festivals et des Congrès. La tradition est qu'un des directeurs réalise l'éditorial. J'en ai écrit quelques-uns. C'est toujours avec plaisir que je m'attelle à cet exercice. En voici un, daté de juillet 2006. Parfums suaves des étés passés qui remontent comme la Madeleine de Proust !

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A bientôt pour de nouvelles étapes de cet inventaire de bric et de broc !

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Inventaire avant destockage (2)

Publié le par Bernard Oheix

C'est l'an dernier que j'ai envoyé ces voeux aux abonnés et relais. L'Adjointe à la Culture de Saint Laurent du Var les a trouvés charmants et m'a demandé l'autorisation de les reproduire dans le Garoupiot, l'hebdomadaire du Groupe Scolaire de la gare... J'en ai été très honoré et même un peu fier. Le coup de "crise" et de "cerise", il fallait tout de même oser ! 


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Voilà, il y a d'autres rendez-vous prévus pour cet inventaire...A très bientôt !

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Inventaire avant destockage (1)

Publié le par Bernard Oheix

On est dans le mois des soldes...
Tous ces textes écrits dans l'urgence, par nécessité ou par plaisir, ces lettres et projets, ces articles publiés ou pas, j'ai décidé, dans une grande braderie consumatrice, de les exhumer et de vous les offrir. On va en profiter tous ensemble ! Certains valent peut-être le temps de lecture que vous y consacrerez, ayez de l'indulgence pour les autres, ils auront au moins le mérite de renvoyer vers le néant les essais fumeux de style si caractéristiques de mes délires !

Le texte qui suit a été écrit récemment et devait illustrer la carte de voeux électronique aux abonnés et clients de l'Evènementiel. On attend toujours la carte, je vous en offre le contenu !


 

Tout l'équipe de la Direction de l'Evénementiel et son Directeur, Bernard Oheix, vous adressent leurs meilleurs vœux pour 2010.


Où étiez-vous en décembre 1999 ?

Combien de spectacles pendant ces 10 dernières années, combien de pleurs devant la tirade enlevée d’un acteur porté par la magie des mots, de joie devant la sensualité d’un geste abouti, la grâce d’un danseur qui trouve l’équilibre impossible d’un instant d’éternité, le mystère profond d’un rire qui s’épanouit, l’interrogation gisant sous les apparences, la force et la beauté, le sublime et l’horrifique…

Et même si Internet devient une scène mondialisée, même si l’écran d’un ordinateur capture les rayons de la réalité, souvenez-vous… show must go on…

Alors, pour les 10 prochaines saisons culturelles, vivez et vibrez à l’infini, défoncez-vous à l’adrénaline d’une alchimie naturelle, gravez vos initiales dans le marbre de la Culture et soyez encore parmi nous pour que le spectacle vivant vive et que les idées de l’homme ne meurent point d’ennui et de désespoir.

Pour l’amour du geste parfait ! 

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meilleurs voeux 2010

Publié le par Bernard Oheix

Que serait une nouvelle année sans une baignade le 28 décembre...Vous pouvez vous poser la question, j'y réponds !
Alors avec ma carte de voeux électronique, cette photo, un peu pour vous narguer, beaucoup pour frimer, de ma plongée dans la mer fraîche en compagnie de Julien, mon fils !
La vie est belle  ! 

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Petit bain de Papa Noël, de la nouvelle année et même d’un anniversaire en cette fin décembre…Un bain qui annonce à la Une fraîche d’un Libé que des solutions sont possibles pour 2010.

 

La première des solutions est de se persuader que notre futur est bien entre nos mains.

La deuxième est de ne pas se prendre au sérieux, quitte à plonger en plein hiver dans la Méditerranée pour se rafraîchir les idées !

La troisième est de croire en l’amitié et de compter sur ses Amis pour éclairer 2010.

 

Alors pour ces raisons, et pour toutes les autres…

 

Meilleurs Vœux 2010

 

Que cette année vous soit belle et miséricordieuse.

Qu’elle nous procure le plaisir de vraies retrouvailles pour continuer d’espérer ensemble et de rire encore.

 

Amitié toujours !

 

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La mort de l'Ecriture (suite et fin)

Publié le par Bernard Oheix

Vous allez enfin savoir comment on devient écrivain. Mais retenez votre souffle, on ne sait jamais ce qui peut advenir quand on lit ! Livraison de la dernière partie de cette nouvelle donc...

              Mon premier manuscrit contait l’histoire d’une révolte, parcours initiatique d’un jeune révolutionnaire sur les terres d’une humanité qui se déchirait au son des canons. J’avais du style, des histoires à raconter, les moyens de prendre mon temps et je mis 3 ans à achever cette œuvre capitale pour comprendre une jeunesse qui réclamait son dû à ses anciens. Quand j’apposai le mot fin à la 384ème page de ce manuscrit de près d’un million de caractères, un sentiment de vide s’empara de moi. Enfin libéré, je le transmis à tous les éditeurs de la place Parisienne et attendit patiemment le résultat. C’est après plusieurs mois que j’ai commencé à recevoir quelques réponses, de celles qui blessent aussi sûrement que la lame d’un couteau qui s’enfonce dans la chair, de celles qui vous nient et vous renvoient vers la solitude. Salmigondis illisible, ego surdimensionné, aimable promenade dans le dilettantisme, sexe et drogue doivent cesser, rangez vos stylos et profitez de la vie, laissez l’écriture à ceux qui ont appris à écrire, pas un de mes correspondants ne daigna même me laisser entrevoir un espoir. Les médecins me firent hospitaliser et je passai le plus clair des trois mois suivants à dormir dans une clinique spécialisée.

 

Je suis sorti plus fort, plus convaincu que jamais de la nécessité d’être un écrivain, d’être publié, de voir mon nom sur la page d’un livre que j’aurais conçu et serait un objet de partage. Je rêvais de rencontrer à Brest un lecteur qui me confierait son émotion d’avoir communié à mes mots et  me suis attelé à la rédaction de mon deuxième roman. J’avais compris la leçon du premier et m’octroyais une plus grande liberté avec la réalité. J’ai conçu une histoire intemporelle, un subtil puzzle qui traversait les cultures et le temps  frisant avec le Fantastique. Une manière de me réconcilier avec mes futurs lecteurs. Ce n’était pas le réel qui importait mais ma capacité à les toucher dans leurs émotions premières, la possibilité de les prendre par la main et de cheminer vers la lumière de concert et j’étais déterminé à réussir cette nouvelle épreuve que je m’imposais.

J’ai mis de nouveau 5 ans à achever cette œuvre, Le pays des mille montagnes, 5 ans tous les jours devant mon ordinateur à taper sans cesse, gommer, recomposer, faire entrer dans le moule de mon imaginaire ces bouts de mots, ces phrases déterminantes, cette alchimie mystérieuse qui me menait vers la lumière et je sais que je l’ai réussi ce livre et qu’il justifiait en soit ma présence sur cette terre. C’était un livre magnifique, un OVNI dans un ciel trop bas, une vraie composition qui faisait honneur à son auteur…mais personne ne le saurait jamais !

Abscond, trop révolutionnaire, non inscrit dans la ligne éditoriale, impubliable, refus de me prendre au téléphone, de m’accorder un rendez-vous, comme si je n’existais pas. J’ai vraiment eu la haine alors, j’ai su alors que ma mission venait de changer d’orientation et que je ne reviendrai plus en arrière. Je me suis remis au travail, j’avais quelques idées sur la façon de procéder.


J’avais créé une petite fondation avec quelques miettes de l’argent que mon père m’avait légué qui, par le jeu mécanique de la bourse et des placements assurés par des conseillers financiers à la botte de ma fortune, continuait à croître sans que je m’en occupe, l’argent sécrétant l’argent pour enrichir toujours plus le riche. Dans un accès de faiblesse envers l’humanité souffrante j’avais décidé de consacrer quelques moyens pour aider des écrivains et chercheurs particulièrement méritants, c’était ma période altruiste et pleine de rêves ! C’est grâce à elle que j’avais rencontré le professeur Lanakowski, linguiste émérite et méconnu qui avait survécu au camp de la mort et vivotait trop occupé par ses recherches fondamentales pour s’intéresser aux biens matériels et à un destin personnel. Il devint rapidement l’unique bénéficiaire de ma fondation et sans aucun doute, le seul être vivant que je pouvais supporter. Il était fou, d’une vraie folie contagieuse et sa théorie tenait en une phrase : les mots sont des armes !

 

Sa culture encyclopédique prenait sa source dans les arcanes d’un cerveau flirtant avec les frontières de l’être humain, une ligne rouge sinuant entre la masse du savoir qu’il ingurgitait en autodidacte et les pulsions qui l’amenaient à transgresser en permanence les lois élémentaires édictées par le cerveau humain. J’ai pu quelquefois le suivre dans les méandres qui lui permettaient de connecter les pôles les plus invraisemblables de sa raison et tenter de m’immerger dans son univers.

Après deux maîtrises en linguistique et en mathématiques fondamentales, il s’était consacré à une thèse portant sur les implications physiques des phonèmes, découvrant au passage les travaux du professeur Rinko sur les embryons de langage chez les animaux.  C’est grâce à des expériences que ma fondation lui avait permis de mener sur des chiens qu’il avait affiné sa théorie des propriétés sous-jacentes de la dynamique des mots. Tournant le dos à l’axe sémantique traditionnel, il avait développé un paradoxe sur les vertus intrinsèques de la communication écrite et cherché à en décomposer la structure et les lignes de force.

 

Je ne peux vous expliquer sa vie de recherche en quelques phrases, mais un exemple peut vous aider à comprendre son cheminement. On sait que la puissance de la voix d’une cantatrice dans un contre-ut peut briser un verre de cristal. Imaginez que son travail et sa puissance l’autorise à affronter la matière spongieuse d’un cerveau humain… à partir de là, toute la gamme du possible s’ouvre en un vertige effrayant, l’arme ultime dans l’organe vocal, le potentiel destructeur effrayant que cela représente ! Allons plus loin encore, sur ses pas et cette frontière qu’il a franchie : ce qu’une voix peut enclencher comme désordre naturel, l’écriture le porte en germe et il suffit alors de creuser sous la surface du sens pour en définir la charge corrosive et la mettre à son service.

Il est mort trop tôt, rongé par un esprit qui lui faisait côtoyer les affres de la déraison  mais il m’a légué ses travaux et j’ai compris le sens de son message, j’ai poursuivi sur ce chemin tortueux, passant de la théorie à la pratique dans le seul but de prouver à tous ceux qui avaient méprisé mes œuvres que l’on pouvait se venger par les mots d’un silence dans lequel leur incompétence et leurs préjugés me plongeaient.

 

 

Je me suis attelé à la rédaction de cette nouvelle « les chants de l’infini » et il m’a fallu 10 ans pour terminer ses 5 pages d’écriture. 10 années d’un acharnement à gommer les aspérités des mots, à les faire s’imbriquer dans les interstices de leur structure, à procéder par tâtonnements avant de trouver l’exacte composante impliquée par le rythme capable de se fondre dans cette litanie obsédante d’un glissement vers le néant. Il fallait pouvoir saisir l’esprit du lecteur, l’enfermer dans un réseau de fils ténus en resserrant la prise jusqu’à le mener vers le point ultime de non-retour, cette déconnexion des fonctions intellectuelles et du savoir sur la vie lymphatique

J’ai souffert mille morts pour achever mon œuvre, l’unique texte à mon nom qui restera comme la signature finale d’un monde imparfait. J’ai tout brûlé de ces milliers de pages noircies pour rien, y compris les recherches de ce pauvre fou, mon maître Lanakowski, j’ai tout renvoyé dans un grand néant, ne faisant qu’anticiper ce que vous allez vivre car dans cette opération, il ne s’agissait aucunement de vous connecter au monde de l’infini mais bien de vous y transporter… physiquement, de vous enfermer dans ce néant d’un ailleurs  programmé, et si j’en juge par mes trois envois et par l’état de mes premiers lecteurs, j’ai enfin trouvé la clef pour vous empêcher de vous dérober à ma prose.

 

 

C’est cela que j’ai réussi et si vous ne me croyez point, pas de problème, je tiens à votre disposition une nouvelle de 5 pages, lisez-la, elle est très instructive ! J’ai d’ailleurs téléchargé cette nouvelle dans un fichier de plus de mille adresses de tous les médias disponibles et sur les principaux forums de discussion du net, j’attends le son de la sirène des policiers pour appuyer sur la touche envoi avec des ricochets potentiels tout azimut, une belle cacophonie en perspective et quelques surprises en prime. Un titre qui mute automatiquement et aléatoirement, avec la perspective pour ceux qui survivront à la première vague de ce glissement progressif vers le néant, chaque fois qu’ils se mettront à lire, de tomber sur mon texte et de nous quitter pour un monde inconnu. Sa capacité de s’infiltrer insidieusement dans tous les textes informatiques de tous les réseaux du monde et de s’afficher partout avec, je vous le signale quand même, le fait qu’il n’est pas nécessaire de comprendre le sens des mots pour les rendre efficaces. Il ne s’agit aucunement d’une sémantique banale mais bien plutôt d’une structure inhérente à l’architecture des phrases, un piège létal imparable quelque soit la langue du lecteur.

 

 

Voilà, si vous avez encore le courage de lire, c’est que vous aimez la roulette russe car derrière chaque texte, chaque information écrite, mon chant de l’infini vous guette et peut fondre sur vous à tout instant pour un voyage sans retour. Ne me maudissez pas, pensez à tous ces éditeurs, ces comités de lecture, ces comptables, ces professionnels bardés de certitude qui ont décidé depuis  la nuit des temps du sort de ceux qui avaient quelque chose à écrire, tous ceux qui ont vécu en privilégiés et ont pu disposer du devenir d’un texte, de la naissance d’un livre, ils vont enfin  devoir payer un prix pour continuer leur activité : ce prix est à l’aune de leur vie !

Moi, je vais vous quitter, je vais enfin me plonger dans mon texte, je vais le lire dans son intégralité pour faire le grand saut. Il fait nul doute que je vous attendrai en grande compagnie dans les champs dévastés de mon orgueil, on s’y sent enfin seul au milieu de la foule, si seul que le paradis devient inutile.

Rappelez-vous, il y a un texte qui rôde dans l’éther pour vous ouvrir les portes de l’infini et c’est le mien ! 

 

A bon entendendeur, salut ! Si vous avez encore envie de lire, c'est que vous êtes sacrément inconscient, n'est-ce pas ? Moi, je vais continuer d'écrire, j'ai un texte particulièrement complexe à polir, un texte que vous lirez un jour, sans aucun doute !
  En attendant, méfiez-vous donc de 2010 !

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