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La mort de l'Ecriture

Publié le par Bernard Oheix

De retour de mes pérégrinations, Womex de Copenhague, avec son horizon plat brisé par des cubes de verre et de métal illuminés, le sourire de ses blondes et les distances infinies à parcourir, l'exiguïté de ses chambres d'hôtels, debout entre deux concerts et la bruine froide qui colle à la peau, entre deux moritos consommés avec mes amis les frappadingues, Moscou où j'ai fait le zébre au Festival de Cinéma de L'Ange Rayonnant (cf., les articles !), Puis Paris avec son théâtre et des rencontres d'amitié, Nilda Fernandez, Yves Simon...juste une nouvelle, pour vous. J'ai aimé l"écrire. J'ose espérer que vous prendrez du plaisir à la lire...quoique au vu de son sujet, méfiez-vous quand même ! 


A Florence Demartino

 

 

 

 

L’article du journal s’étalait sous mes yeux avec son titre sur trois colonnes en lettres capitales. J’avais la nausée à la simple idée de lire ce papier grossier, à caresser de mes yeux cette encre grasse qui bavait, à tenter de suivre la prose informe de ce journaliste en mal de copie. Les mots avaient toujours été sacrés pour moi et il y a bien longtemps que mon rapport aux autres et à l’écriture se limitait au strict nécessaire. Il fallait pourtant que j’aille jusqu’au bout, que je sache enfin ce qu’il en était.

 

 

Malaise(s) dans le monde de l’édition.

Une étrange affaire remue le petit univers des faiseurs de livre de la capitale. Depuis quelques jours bruissent des rumeurs sur un mal qui semble frapper certains des responsables des maisons d’édition de la place Parisienne. Il apparaît que tout a commencé chez Milan De Giuglio, la belle et envoûtante directrice d’Idéal Livre, une boîte atypique dont la marque de fabrique est la découverte de nouveaux auteurs qui a lancé sur le marché le talentueux Bô Dukhan dont le prix Goncourt 2005 est venu récompenser sa vision paroxystique d’une société qui ploie sous le joug de la tyrannie de l’argent et des ambitions des puissants et porte un regard novateur sur les mutations des relations amoureuses de ce début du troisième  millénaire. D’après nos informations, sa secrétaire étonnée de ne pas la voir au bureau, s’est rendue chez elle et l’a trouvée dans un état de catatonie devant sa table de travail. Transportée à l’hôpital de Lariboisière, les médecins sont impuissants à définir le mal qui la plonge dans cette inconscience caractérisée par une déconnexion de la réalité. Non-réponse aux stimuli, électroencéphalogramme plat, fonctions réduites à la vie végétative, elle reste totalement coupée du monde extérieur telle un zombie dont seul le souffle attesterait qu’elle est encore de ce monde. Les médecins perplexes, malgré les examens les plus sophistiqués, ne comprennent pas la nature d’un mal dont aucune trace visible n’apparaît sur le corps. Ce qui pourrait n’être qu’un cas isolé, un de ces mystères récurrents de la médecine qui parsèment l’histoire de l’humanité, devient particulièrement troublant quand une série de faits similaires affectent plusieurs autres responsables du domaine de l’édition à Paris.

Un deuxième cas surprenant concerne Stéphane de la Poudrière, le fils particulièrement actif  de la pédégère des éditions du même nom. C’est à son bureau devant son ordinateur en marche qu’il a été découvert inconscient par sa mère éplorée. Transporté aux urgences, c’est le médecin de garde qui avait accueilli Milan de Giuglio qui l’a réceptionné et a averti immédiatement les services du ministère de la Santé de cette étrange coïncidence. L’auscultation de ces deux cas a fait penser à un syndrome nouveau, un cas atypique de maladie dont la source proviendrait d’un virus inconnu et une cellule de crise a été immédiatement constituée par le Ministre.

La troisième alerte est encore plus incroyable dans la mesure où elle touche l’ensemble du comité de lecture des Editions du Figuier réuni pour un « gueuloir », cette démarche si atypique de lecture publique impitoyable imposée par le directeur général afin de filtrer les textes de leurs scories et d’en déceler les lignes de force et les passages faibles. Les huit membres gisaient sur leur table, certains avaient chût dans des positions grotesques, d’autres, dans des attitudes montrant qu’ils avaient été saisis en plein mouvement, portaient les stigmates d’une surprise violente sur leurs traits, tous respiraient mais le présent semble s’être arrêté pour eux, comme si une scansion de notre espace-temps les figeait  dans une dimension parallèle à notre univers.

Au-delà des signes cliniques communs incompréhensibles par la médecine, une enquête est en cours pour tenter de dénouer cette sombre affaire qui a fait immédiatement plonger les actions boursières des sociétés liées à l’édition qui ont perdu entre 9 et 14% de leur valeur. A l’heure des rapprochements, de la reconstruction du paysage éditorial français, quand les grands groupes sont en train de conclure des cessions et des fusions afin de recomposer l’industrie du livre, cette affaire inquiète particulièrement les milieux financiers qui détestent les facteurs aléatoires d’un marché qui subit une crise structurelle.

Parallèlement, l’enquête policière progresse. De source sûre, il apparaîtrait qu’un lien unirait toutes ces victimes, en l’occurrence le texte d’un auteur inconnu des milieux de l’édition. Milan di Guiglio lisait apparemment cette nouvelle intitulée « les chants de l’infini », pour Stéphane de la Poudrière, elle était affichée sur l’écran de son ordinateur et dans le cas du comité de lecture, l’orateur de service en tenait un exemplaire dans sa main crispée. Coïncidence ? Les services de police se perdent en conjonctures et recherchent activement son auteur qui vivrait sur les bords de la Méditerranée, à proximité de la frontière italienne.

 

 

  J’ai posé le journal sur la table et j’ai laissé mon regard fuir vers l’horizon. Le ciel clair me permettait de voir la silhouette de la Corse se dessiner en ligne de fuite. Il est avéré que le vent qui chasse les nuages et la chaleur qui fait évaporer la mer permettent cet effet d’optique et rendent cette île si proche qu’elle semble suspendue dans l’éther. Ma maison perchée sur les hauteurs de Eze surplombait la baie de Villefranche et je pouvais embrasser la côte de Saint-Tropez à la riviera italienne. Le soleil tapait si dur et j’avais la nausée. Ainsi donc j’étais le responsable de cette épidémie, j’avais enfin réussi après tant d’années, je touchais désormais au but ultime. Il ne me restait plus qu’à passer à l’étape pandémique, juste un téléchargement de mon fichier et un coup d’index sur la touche envoi, 45 kilo-octects qui se diffuseraient dans les fils souterrains que l’homme avait tissé pour abolir les frontières, une minuscule portion de la mémoire collective qui allait déferler comme un tsunami et dévaster l’univers. J’avais réussi, il ne me restait plus qu’à attendre la venue de la police et à presser sur ce foutu bouton et j’aurai enfin accompli ma mission.

 

 

Que vous dire de ma vie ? Que ma mère s’est enfuie avec un danseur de tango en Argentine pour l’anniversaire de mes quatre ans. Elle s’est fondue dans les nuits moites de Buenos Aires dans les bras de son « gaucho » et je n’ai plus jamais entendu parler d’elle ! Que mon père, qu’elle a eu raison de quitter si ce n’est qu’elle aurait pu m’emmener, était un immigré dont le sang pulsait toutes les traces des croisements sauvages qui l’avaient mené de son Anatolie à une France occupée dans laquelle il  trouva un terrain d’expérimentation pour son inventivité et son absence de scrupules si caractéristiques de ceux que la faim et la peur du lendemain marquent de leur sceau. Que son commerce avec l’occupant nazi à qui il fournissait des métaux rares fut couvert à la libération par des aides soigneusement dispensées, échappant ainsi à l’épuration et pouvant accumuler des biens jamais en quantité suffisante tout au long de ces glorieuses années de la reconstruction ?  Il devint si riche que cela en était indécent et quand en Mai 68, il découvrit ma photo à la Une de Paris-Match en train de lancer un pavé vers les Gardes Mobiles encadré par les leaders de la révolution étudiante, il attrapa une attaque qui lui paralysa le flanc gauche et le laissa impotent le reste de sa triste vie. Il mourut quelques années après pendant que, jeune maoïste, je tentais d’apporter le souffle de la révolution culturelle dans une filature de Tourcoing aux masses opprimées si rétives  à se mettre en marche que notre élan se brisa sur leur inertie. Je ne l’avais pas revu depuis 4 ans et il me manquait si peu que sa mort fut aussi inutile que sa vie.

Il fit pourtant quelque chose dont je lui suis particulièrement gré. Il verrouilla si bien sa succession que je ne pus, comme je l’avais décidé, remettre l’intégralité de mon héritage au parti de la Gauche Prolétarienne en train de voler en éclats sur les aspérités de la réalité. J’ai dû conserver jusqu’à 30 ans l’usufruit confortable de son travail et ne rentra en possession de mon bien que trentenaire et bien décidé à conserver ce magot acquit à la sueur du front des exploités qui m’avaient si lâchement trahis. Le temps des rêves était bien terminé. J’ai voyagé pendant dix ans sur toutes les terres de cette planète en train de s’ouvrir, d’éliminer ses frontières et de se coucher devant l’art de vivre des anciens impérialistes. J’ai touché à toutes les formes de voyages et quand je plongeais dans les bras d’une femme d’un coin perdu d’un continent lointain, bourré de cachets ou de substances plus ou moins illicites, je me fuyais, je me détournais de moi-même, je refusais d’entendre cette voix qui s’imposait, me susurrant avec toujours plus de force et d’insistances que j’avais quelque chose à donner au monde, une trace à laisser, une œuvre à accomplir et qu’il était temps désormais de m’y consacrer. Je deviendrai donc écrivain pour accrocher mon nom aux étoiles, pour m’inscrire dans la réalité, pour fuir le présent et devenir immortel.

 


Bon, vous vous demandez quel est le rapport entre cet article initial qui parle d'une mystérieuse maladie et les textes à venir de cet écrivain ? Et bien, il faudra attendre la suite dans ma prochaine livraison....
A la semaine prochaine, juste avant la nouvelle année !

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photos et livres

Publié le par Bernard Oheix

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Hervé Koubi dans Bref séjour chez les vivants !

castafiore
L'enfant étrange des Castafiore...Des fleurs rouge vont lui pousser dans le cerveau !

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Les Betty Boop de Zoopsie Comedi ! Démultipliées à l'infini dans une comédie musicale déjantée !

Quelques photos du Festival de Danse réalisées par Eric Derveau...Pour se souvenir d'heures magiques !
Quand l'imaginaire des créateurs rencontre l'oeil du spectateur !


 

Quelques livres.

Trois femmes puissantes. Marie NDiaye.

Chaque année c’est avec une certaine émotion que l’on se plonge dans le Goncourt et les autres prix. Un rituel, passage obligé souvent convaincant pour comprendre l’état de la littérature en France. Non que ce soit les seuls livres à lire, mais bien la partie remarquée, visible, d’un iceberg qui parfois se confond avec le Titanic. Que dire du cru 2009 ?

Femme, noire, écrivaine, iconoclaste et libre, tout pour plaire à priori chez l’auteure !

Le livre est composé de 3 nouvelles vaguement reliées entres elles, très différentes les unes des autres. La première nous permet de suivre une femme avocate revenant sur son passé en retrouvant son père africain qui l’a appelée à la rescousse. Un plat à la sauce aigre douce, orange amère où affleurent les sentiments d’amour et de haine d’une fille délaissée se confrontant à la statue du commandeur. Comment vivre la déchéance de celui qui symbolisait la force dans toute sa brutalité ? D’autant plus forte qu’il l’a abandonnée !

La deuxième campe le paysage flou d’une femme en filigrane, vue à travers l’agonie d’un couple mixte déraciné, un authentique amour qui se brise sur les rivages impossibles d’une terre d’exil.

La troisième est la plus forte, la plus bouleversante, récit d’une tentative d’évasion vers cette terre d’exil, la longue agonie d’une femme brièvement entrevue dans la première nouvelle qui est contrainte de choisir la voie des clandestins pour atteindre l’oasis d’une Europe aux ventres pleins. Une tragédie terrifiante, choc salutaire pour ceux qui campent sur leurs certitudes dans la forteresse assiégée des pays développés. Comment ne pas entendre les cris de ceux qui ont faim et fermer les yeux devant ces scènes quotidiennes de barques échouées avec leur lot de cadavres gorgés d’illusions ? Comment continuer d’ignorer ceux qui n’ont rien, que la mort comme compagne et vivent sur le fil d’un rasoir ? Comment ne pas comprendre que la misère engendre le pire des systèmes où l’exploité est opprimé par ceux qui survivent sur la misère des autres en une chaîne ignoble d’asservissement et d’ignominie !

C’est un chant bouleversant avec des mots d’une beauté qui ne rend que plus dramatique l’horreur des situations.


Le club des incorrigibles optimistes
. Jean-Michel Ghénassia.

On rentre doucement dans cette histoire qui sinue dans une France qui naît pendant la guerre d’Algérie pour s’échouer aux prémices d’un 68 enfiévré. Des personnages étranges, diaspora des réfugiés politiques de l’empire soviétique sous le joug d’un Staline tortionnaire, se retrouvent dans l’annexe d’un restaurant de famille pour jouer aux échecs et partager des moments d’abandon. Ils sont des génies échappés aux drames de l’histoire, ont participé aux combats les plus terrifiants de cette moitié du XXème siècle, portent les cicatrices de la peur en eux mais n’ont pas renoncé à hurler leur désespoir. Chacun est une somme de science et de courage et leur phalanstère est un condensé de tous les espoirs trahis, de tous les reniements du possible.

Un adolescent va pénétrer dans leur cénacle, suivre leur parcours sans épouser leur cause, entrer à la lisière de leur univers sanglant pour grandir et se forger un devenir. Il va étrangement occuper une place centrale, miroir du désespoir, parce qu’il est un témoin sans passé, parce qu’il est le ferment d’un lendemain de mutation et parce qu’il ne juge pas. C’est l’histoire que l’on enterre dans les dernières convulsions de ce monde en train d’agoniser.

Il faudra bien qu’il grandisse et que l’on enterre Camus, Kessel et Sartre… et sur les ruines de ces passions, que l’histoire aboutisse à un grand pardon général dans le souffle apaisé de l’abandon.

C’est beau, tonique, effrayant et magique. Le Goncourt des lycéens est une immense ode à la liberté, celle qui est emprisonnée dans les mailles du passé et que seule la mort peut affranchir.


Pêle-mêle, car il n’y a pas que les prix dans la littérature, je suis tombé sur un petit bijou de Didier Daeninck, Camarades de classe. Un perdu de vue étrange, rapports épistolaires entre d’anciens élèves qui débouchent sur un coup de théâtre étonnant. C’est troublant, une confrontation entre les rêves du passé et le futur en marche, tranches de vie à l’épreuve du temps. Cela se lit avec plaisir et le retournement final est surprenant.

Plus étonnant encore, Vers les blancs de Philippe Djian. Quel écrivain ne s’est pas posé la question : « -et si j’écrivais un porno » ? Djian y répond en insérant à l’intérieur de son œuvre, une dimension purement érotique, une plongée dans les arcanes d’une sexualité débridée, les frontières s’estompant petit à petit jusqu’à produire un roman sulfureux, crépusculaire. A la différence de nombre de ses prédécesseurs, il réussit à conjuguer l’univers de la fiction et le trash crû de mots libérés. C’est à lire en s’accrochant aux racines de la raison !

Enfin, dernier petit livre (par la taille !), Bertina Henrichs nous propose avec La joueuse d’échecs, une énième variation sur ce jeu ancestral. Pourquoi ces figurines attirent-elles tant d’écrivain ? On peut se poser la question, mais elle y répond par un texte court, ciselé, sans fioriture ni aspérité. Une femme sans relief découvre par hasard, dans le vide de sa vie, ce jeu et les figures improbables d’un échiquier infini. Cela provoquera une transformation profonde, à la fois de sa perception du monde et de sa propre existence, pion dans une comédie ritualisée de la vie, reine par la grâce d’un mouvement stratégique d’une dame de bois. L’échiquier est bien le terrain fertile d’une vie rêvée et permet son émancipation.


Voici donc une livraison de commentaires sur quelques livres lus et à lire. Il y en a tant dans notre bibliothèque idéale, qu’il semble illusoire d’aborder la culture du monde avec des certitudes. Juste des mots alignés pour sanctifier ceux des autres et leurs ouvrir quelques portes. Les échecs, le sexe, les africaines opprimées et les réfugiés politiques forment une famille de cœur de mon bestiaire personnel, je vous les offre sans retenue !

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Festival de Danse 2009 (2)

Publié le par Bernard Oheix

Suite et fin de cette aventure dans le monde de la danse. Un Festival, c’est beaucoup de tensions, enchaînement de propositions diverses, une façon de découvrir les tendances qui parcourent la création et donnent le tempo du lendemain. C’est avant tout une aventure personnelle, une réflexion sur sa propre histoire et sa culture. Quelques mots pour vous en convaincre !


Lundi 30 novembre-18h

Compagnie Ando-Davy Brun

A contre danse

Deux hommes sautillent sur le battement sourd d’une machine. Cela dure longtemps. Vers la fin du spectacle, ils danseront… un peu ! Entre ces deux moments, ils nous imposent deux mannequins, une gestuelle compassée, des non-effets, pensum théâtralo-psychologique qui porte bien le nom de contre danse pour des contre-spectateurs ! Dommage, il y avait matière à créer quelque chose, mais quoi, déjà !


Mardi 1er décembre-20h30

Compagnie Pockemon Crew

La Faute idéale

Show 100% Hip-Hop Breakdance.

Un peu prétentieux nos breakeurs dans la première partie. La mort du faune, une comédienne, une danseuse, une chanteuse… théâtralisation de l’univers de la rue, quand les trottoirs de la contestation se mettent à penser et veulent devenir intelligent pour faire comme tout le monde. Bof ! C’est pas mal malgré tout, on a envie de les aimer nos petits beurs, même s’ils ne sont jamais meilleurs que lorsque on leur lâche la bride sur le corps et qu’ils exécutent ce qu’ils aiment, tourner sur la tête, bondir et jaillir en écartant les jambes, sauter et s’équilibrer sur les bras. Les jeunes du public, désarçonnés, leur ont offert un accessit malgré tout et c’est tant mieux.


Mercredi 2 décembre-18h

Compagnie Hervé Koubi.

Coppélia, une fiancée aux yeux d’émail

Les suprêmes.

Bref séjour chez les vivants.

Hervé Koubi est l’enfant du sérail, le prodige local, passé par l’école de Rosella, apprécié des institutionnels. Première sélection dans le Festival de Danse avec la pression qui en découle.

Coppélia en version courte. Deux femmes figées par des hauts talons, trois hommes amoureux de ces poupées. Parfois un peu brouillon, une belle proposition pas tout à fait achevée.

Les suprêmes ou l’univers autobiographique (cela sent le vécu !) d’un enfant qui n’aime pas le foot et découvrira dans une boîte de nuit, les émois d’un monde de moiteur. La qualité de l’instant est évidente, les danseurs donnent du mouvement mais cela semble parfois un brin naïf, une évocation trop surlignée de sens.

Bref séjour chez les vivants dévoile, dans un décor d’apocalypse, des morts-vivants, qui vont s’animer. La proposition est forte, introduit une véritable tension.

Dans ces trois pièces, Hervé Koubi démontre à l’évidence un sens du spectacle et de la scénographie. Pourtant, il semble que, paradoxalement, sa danse ne soit pas encore au niveau de sa vision et de son désir du « signifier ». Il lui manque un soupçon de maturité chorégraphique (de l’expérience ?) pour rendre cohérents sa perception de la scène et son désir de l’animer. Une séance comme celle du Festival devrait lui permettre d’aller plus loin et d’en tirer les fruits. Hervé Koubi est attachant, sensible et possède une marge de progression importante. A lui de nous prouver qu’il possède cette matière dansante enfouie dans son histoire et qu’elle ne demande qu’à éclore pour toucher le spectateur.


Mercredi 2 décembre-20h30

Zoopsie Comedi

Recréation d’une pièce des années 80 qui avait rencontré un beau succès dans les salles. Dominique Boivin (dont on avait apprécié l’Histoire de la Danse présentée dans le Festival, au siècle dernier, en 1999), Christian Lacroix aux costumes et les Castafiore au soutien artistique et au réglage chorégraphique de certains numéros…une belle proposition à priori, même si Télérama faisait paraître une critique très acidulée sur cette reprise d’une œuvre qui aurait mal vieilli !

Qu’importe ! Les spectateurs se sont plongés dans un petit bijou de danse jubilatoire, l’humour si rare en danse est bien présent, un spectacle tout fou, plein d’énergie et de décalages, entre Decouflé et les Monty Pythons avec un zeste de Tex Avery, de superbes moments de danse piochant largement dans l’univers des claquettes, du hip-hop, du jazz, de la comédie musicale…Les tenues extravagantes collent aux personnages, certains passages sont hilarants (le combat des cavaliers antiques en claquettes, les betty boop qui se multiplient, les danseurs poissons avec des palmes…).

Les deux héros sont de merveilleux danseurs qui viennent de la rue, à la fois chewing-gums et aciers, souples et dynamiques, étrange paradoxe si l’on pense au spectacle des Pockemon qui tentaient de se « nobiliser » alors c’est la comédie qui se « vulgarise » avec bonheur dans cette récréation de Dominique Boivin. « L’après-midi d’un faune » ne réussit pas à élever un spectacle de rue alors que les figures de la rue rendent jubilatoires une comédie musicale traditionnelle ! Beau pied de nez !

Zoopsie Comedi est une vraie réussite qui fait aimer la danse, une approche tout public, tout âge, toute culture. Ils tournent encore en France, précipitez-vous, on ne regrette pas cette plongée dans l’univers déraisonnable de ces déjantés de première classe !



Jeudi 3 décembre-20h30

Dumb Type

Voyage

On attendait énormément de ces japonais à la réputation sulfureuse qui éperonnent les codes, transgressent les frontières des arts et renvoient le spectateur à un inconfort motivant…trop peut-être !

En 1975, j’ai participé à un Concert Fluxus de Ben et des artistes de l’Ecole de Nice…le temps a passé. 35 ans après, la technique en plus et la vidéo en renfort, j’ai l’impression de me retrouver jeune étudiant m’ébaudissant d’une rupture radicale avec les codes de l’establishment ! Même non-discours, même relecture ampoulée chargée de provocations décalées, même étirement des images entrant en collision avec la réalité.

Certaines séquences sont plutôt réussies, quelques effets sont prenants… mais l’ensemble dégage une impression de vide dans des interstices sidéraux, comme si à force de s’interroger, les acteurs de cette pièce n’offraient qu’un regard dénué de toute énergie, de contradictions. Il y a un renoncement général en abysse, les cris ne percent plus les murs de l’indifférence. Chaque moment est trop long, chaque idée se retrouve étirée dans le temps et au bout du compte, il y a bien longtemps que l’on ne peut plus révolutionner la scène avec une non-histoire dans une palette d’images fabriquées pour une provocation sans fondement. On n’a même pas envie d’être en colère, juste de se dire, « -tout cela pour ça ! -»


Vendredi 4 novembre-18h

Jeune Création Italienne

Francesco Nappa. Backlash

Imperfect Dancers Compagnia Balletto 90. Luce Bianca – Bolero

Ils sont beaux nos jeunes italiens, et ils ont de l’énergie à revendre !

Sur la scène, inspiration jazz danse, danseurs énergiques, décors sophistiqués, c’est pas mal du tout cela ! Et en plus, ils sont vraiment italiens !


Vendredi 4 novembre-20h30

Ballet de l’Opéra de Lyon.

Giselle. Mats Ek. « Un chef-d’œuvre en mouvement »

Une trame éternelle. Une femme abusée par un homme, deux castes qui s’affrontent, la folie comme prix à payer d’une trahison et la rédemption avec le don d’une vie. Mats Ek détourne les codes de la danse classique en étant fidèle à la musique et à la structure générale. Il tire les personnages vers un naturalisme de synthèse pour mieux le détourner et symboliser au final la folie des hommes. Les vêtements sont très réalistes dans le 1er acte, habits des paysans ou de nobles, accessoires, danses de groupes renvoyant à des images simples, des rapports de force primaires entre deux blocs soudés par la haine. Dans le 2ème acte, il casse les figures de la rhétorique traditionnelle et introduit la folie des personnages dans la gestuelle mécanisée qui les anime, une succession de pas et d’attitudes reliant à l’enfermement des êtres dans une prison intérieure. Bouches ouvertes, soumission à un garde-chiourme, démarche grégaire d’un pas étrange qui fait peser le passé sur les épaules. Dans cette lecture « engagée » de l’œuvre Giselle, Mats Ek utilise tout un alphabet de la cassure, bras brisés, jambes en angles, têtes tournées, corps affaissés, démarches claudicantes afin de créer une parenthèse entre la vie des personnages et les émotions qu’ils ressentent. C’est magistral et éblouissant, à l’image de cette compagnie de l’Opéra de Lyon qui porte à la perfection l’expression d’un néoclassicisme inventant une danse éternelle. C’est une clôture en forme d’apothéose, un ballet qui ouvre les portes du paradis !



Voilà une nouvelle édition du Festival de Danse qui s’est achevée dans la sérénité. On aura eu beaucoup d’images, de la danse aussi pour cette édition en demi-teinte bien en phase avec la morosité de la scène vivante actuelle. Beaucoup de questions pour peu de réponses, exhumer quelques œuvres du passé, prévoir un arsenal de provocations (timides) pour marquer l’air du temps…reste le public qui a répondu présent pour une édition sans grandes têtes d’affiche, qui a suivi attentivement et a marqué son attachement au Festival malgré une crise réelle et une inflation de spectacles à venir dans une principauté voisine. Reste les coups de cœur des Castafiore, de Benjamin Millepied et du Ballet de l’Opéra de Lyon avec la Giselle de Mats Ek. Reste aussi et avant tout, la rencontre et les discussions autour de ces œuvres souvent inclassables…le talent n’a pas de frontières, les spectateurs ressortiront un peu plus intelligents de cette plongée dans l’univers du mouvement !

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Festival de Danse 2009 (1)

Publié le par Bernard Oheix

 

C’est parti pour la biennale 2009 qui, du vendredi 27 novembre au vendredi 4 décembre, nous a proposé 14 spectacles. La programmation est l’œuvre de Yorgos Loukos, Directeur du Ballet de l’Opéra de Lyon, un des meilleurs spécialistes de la Danse en France et dans le monde, personnage atypique et attachant, parfois irritant mais toujours passionnant… même si j’y ai apporté une petite touche avec entre autre, nos amis de la Castafiore ! Avec le temps, les aspérités s’émoussent et les relations se fluidifient. Revue d’effectif !

 

Vendredi 27 novembre. 20h30
Michèle Anne de Mey

Charleroi/Danses

Neige

Où et comment composer une scénographie magique tout en se loupant lamentablement sur la chorégraphie !

Dommage ! Un dispositif fascinant de neige artificielle, un tourbillon de flocons blancs qui noient la scène sous un manteau immaculé et composent un hymne à la nature, une mise en scène fabuleuse que les éclairages magnifient, l’intelligence d’une technique au service du cœur…Tout cela pour voir s’agiter quelques danseurs sans âme errant dans le paysage désertique d’une chorégraphe perdue. On appelle cela se « planter » ou je ne m’y connais pas ! Et on ne peut que le regretter !

 

Samedi 28 novembre. 18h
Système Castafiore

Stand Alone Zone

Pour tout savoir sur cette pièce, se reporter à mon article du mois de novembre. J’avais eu la chance de voir une première version… un mois après, c’est encore mieux, plus fou, soigné jusqu’au moindre détail, une fresque baroque futuriste. La chorégraphie de Marcia Barcellos habite l’espace torturé de Karl Biscuit, le virtuel flirte avec le réel, la réalité s’imbrique dans nos cauchemars. C’est une œuvre magistrale. Attention, chef-d’œuvre en marche à consommer sans modération et de toute urgence !

Une petite pensée pour le solo éblouissant de Monique Loudières, ex-étoile de l’Opéra de Paris qui fut la directrice de l’école de Rosella pendant ces dernières années. Clin d’œil particulièrement réussi, dans le décor en images de synthèse d’un opéra à la dérive, sa silhouette menue, évolue comme un fantôme de l’opéra, technique préservée, arabesques en boucle du temps.

 

Samedi 28 novembre. 20h30
CCN Ballet de Lorraine

White Feeling

Organic Beat

 

Une soirée autour de Paulo Ribeiro, jeune chorégraphe portugais avec la recréation de deux pièces de 2004 et 2008.

Mouvements et croisements, lignes brisées qui s’affrontent et créent l’harmonie dans un apparent chaos, corps qui tournent et tentent de s’affranchir de la pesanteur. Il y a, chez Paulo Ribeiro, une énergie sauvage, une dynamique débridée du groupe auquel les individus tentent vainement d’échapper, des moments d’unisson fragile (l’ensemble chorégraphié dans Organic Beat est de ce point de vue d’une force et d’une violence maîtrisées impressionnantes). Un grand corps de ballet (30 danseurs), des figures amples qui investissent l’espace, une utilisation de la musique live dans White Feeling ou de la vidéo qui fait basculer les repères dans Organic Beat, Le Ballet de Lorraine nous a présenté une belle soirée de danse, de la vraie danse qui prend les corps et touche les cœurs, quand la technique est au service du muscle.

 

Dimanche 29 novembre. 16h
Hommage à Rosella Hightower

 

Exercice toujours complexe que de rendre hommage à quelqu’un qui a disparu. Rosella a inventé la danse à Cannes. Ancienne étoile du Marquis de Cuevas, son école a formé des générations de danseurs et de chorégraphes. Figure de légende, on lui doit la création du Festival de Danse avec René Corbier, directeur des Affaires Culturelles à l’époque (et encore aujourd’hui d’ailleurs, belle marque de longévité que nous avons l’honneur de partager, tous les deux, ayant survécu à toutes les tempêtes cannoises de ce dernier quart de siècle !).

Une nouvelle directrice (Paola Cantalupo, ancienne danseuse des Ballets de Monaco), un statut d’Ecole Nationale difficile à maintenir dans une période non moins facile pour l’Art en général, des problèmes de finances mais toujours cette âme qui semble régner en maître au-dessus de l’Ecole, cette silhouette fragile d’une femme que j’ai connue et qui m’a fasciné. Je me souviens d’un voyage en voiture, retour d’une réunion où, en veine de confidences, elle répondit à mes interrogations sur sa famille indienne (des Etats-Unis, descendante d’authentiques Utes) se livrant sans affectation. Elle a tout connu de la vie, les plus belles scènes, les partenaires les plus incroyables, égérie et muse de génies, condensant sur une vie l’histoire d’un art du XXème siècle, entre ses mains si fines et un corps qui jusqu’à la dernière limite pouvait se plier à la souffrance d’une sculpture humaine. Je l’ai vue danser son dernier ballet (avec Jean Babilée en 1990), j’ai entrevu aussi la perte de contrôle des derniers instants  quand l’usure se faisait plus forte que l’acier de son caractère. J’ai eu le bonheur de croiser son chemin et ce fut une grande chance que d’avoir partagé quelques bribes de son histoire.

L’hommage organisé par sa fille fut à la hauteur de sa carrière, sobre, sans pathos, avec le Cannes Jeune Ballet dans de belles chorégraphies permettant de mettre en valeur le travail de formation de l’Ecole et quelques invités dont un couple du Ballet de Genève dirigé par un de ses anciens élèves dans un sublime duo aux seins nus. Rosella, c’était aussi et avant tout la modernité jusqu’à son dernier souffle et ce dernier spectacle lui a rendu justice ! Une grande Dame a disparu, vive la danse !

 

Dimanche 29 novembre. 20h30
Danses Concertantes-Benjamin Millepied

Closer

Whithout

Anima

 

La coqueluche des médias, le soliste du New York City Ballet, les danseurs de l’Américan Ballet Théâtre, odeur de soufre, vent d’attente sur l’événement du Festival 2009. Il n’a pas déçu le porteur de nos rêves dans ces 3 pièces dont la dernière était une création pour Cannes.

Closer est un duo de 2005 remonté, quand un couple cherche à bannir tout espace entre les corps et que les mouvements fusionnent afin d’éliminer les failles du hasard. Porté, glissé, agrippé, la femme et l’homme évoluent sans à-coups, fluidité de ces deux masses qui s’entremêlent, ne se séparent que pour mieux se retrouver. Sensualité et osmose, grâce infinie de la lenteur opposée à la vivacité de cette interpénétration physique. C’est beau et troublant.

La deuxième pièce voit des couples surgir de rideaux disposés en cadre de scène, sur la partition en live des études de Chopin. Ils virevoltent et donnent du mouvement aux notes, glissent et modèlent l’espace, se retrouvent et s’évanouissent. Un peu académique malgré tout, même si la qualité des danseurs permet au temps de s’étirer et à la beauté des attitudes de figer l’espace.

Restait la création 2009. Anima.

Musique de Bach, sons sourds de l’orgue, basses atonales qui écrasent la scène en un continuum angoissant. Un couple vêtu de longues robes noires asiatiques se cherche, bientôt rejoint par d’autres couples. Dans cette musique et ces décors en noir, seuls les glissandos des corps sont fluides, éclairs de chair qui trouent l’obscurité, masses physiques en perpétuelle évolution à la recherche d’une union impossible. C’est de la sculpture vivante, une ode à l’esprit des corps qui tentent de fusionner dans le mouvement. Autant la musique étire l’espace, autant les corps rétrécissent le temps. C’est haletant et majestueux, un rythme en contrepoint, comme le souffle d’une poésie sauvage, l’ivresse d’une plongée dans ce qui se dissimule sous la nature du vide.

Benjamin Millepied est un génie, l’histoire nous dira si ce génie trouvera le temps de devenir éternel !

 

 

Voilà, on en est à la moitié du Festival, encore des compagnies, des œuvres et des interprètes pour rêver, des images à n’en plus finir, des sons qui percent sous le froid qui envahit Cannes. On est en hiver, il reste les projecteurs des salles sombres pour illuminer l’espoir. C’est la Danse, un art du mouvement, l’occasion d’explorer les limites des corps humains et  l’esthétique de l’urgence des chorégraphes…Le rêve d’une réalité à façonner ! 

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Je suis l'Ange Rayonnant de Moscou !

Publié le par Bernard Oheix

La neige tombe en flocons tournoyant avant de recouvrir les voitures et les arbres d’un linceul immaculé. Les trottoirs deviennent glissants, on patine à la recherche d’un équilibre incertain, les yeux à moitié fermés, le corps déhanché. Les remparts du Kremlin sur ma gauche, je longe de grandes avenues illuminées où quelques silhouettes projettent des ombres vacillantes, traverse le pont qui surplombe l’eau noire de la Moscova aux reflets sombres. Une étoile rouge brille couronnant la flèche d’une église, des dômes  bulbeux vert et ocre découpent le ciel. Moscou dans la première  tempête  de l’hiver 2009, Moscou comme une invitation éternelle à découvrir l’âme slave.

Chaque fois que je viens dans cette ville, l’émotion m’étreint. Dix ans pour communier dans les mêmes langueurs tout en voyant se transformer et s’adapter le siège d’un empire moderne, magie intacte du passé, invocation subtile des âmes mortes, les vivants partagent leur présent avec ceux qui ont bâti de leur sang ce mythe qui perdure dans les nuits de cet hiver. Etranger, on ne peut comprendre toutes les subtilités de la Russie, tout au plus partager une étrange sensation de résonance. Aux certitudes de nos perceptions actuelles se greffe  le subtil arôme qu’évoque l’image trouble d’un Ivan le Terrible confluant aux traits d’un Lénine dont le mausolée cubique trône sur la Place Rouge.  C’est ainsi, l’alchimie d’une plongée dans l’hiver russe, sur les rives d’une histoire cruelle et magnifique, quand la réalité se fond dans l’imaginaire de tout un peuple.

La lettre n’offrait que peu d’échappatoires. La Direction des Programmes Internationaux qui organise le Festival de l’Art Russe à Cannes m’invitait à Moscou dans le jury d’un Festival de Cinéma se déroulant du 4 au 8 novembre. Je conjuguerais donc visionnement de films et organisation de la prochaine édition, m’épargnant mon voyage traditionnel de janvier, ce qui tombait parfaitement puisque devant me rendre sur le BIS de Nantes sur cette même période.

Le « Festival de L’Ange Rayonnant » étant produit par l’Eglise orthodoxe, les œuvres ont été sélectionnées avec des critères bannissant le sexe, la drogue et la violence et ce n’est qu’en arrivant que je découvris que 18 longs métrages et 6 courts, tous russes, attendaient mon jugement perspicace…J’avais 2 jours pour les visionner dans des versions originales non sous-titrées !

Sur la scène de l’Académie du Cinéma  trône un Ange Rayonnant, espèce de Vénus de Milo avec des ailes, statuette grandeur nature en matière translucide qui joue de la lumière des spots. Dans la salle, pour cette cérémonie inaugurale, de nombreux popes avec leurs curieux chapeaux qui s’évasent vers le haut et leurs toges noires où brille une grosse croix d’argent qui s’étale sur la poitrine. Ils ont de grandes barbes grises et sont présents avec l’ambition de défendre les valeurs les plus nobles de l’humanité. Un des popes, ne pouvant regarder les scènes païennes, se couvre les yeux d’un voile blanc et écoute attentivement. Plusieurs archiprêtres se succèdent au micro pour défendre l’idée que la qualité d’un film ne doit pas se mesurer à l’aune des scènes de violence et de sexe et qu’une autre voie de noblesse est possible pour atteindre le cœur de l’homme.

Après un chant consacré au Dieu des Miséricordes pendant lequel le public se lève pieusement, le film d’ouverture en compétition est lancé. Il s’agit du « Pope », le bien nommé, où un servant d’une l’église mise au ban de la société, apporte le réconfort à ses concitoyens sous le régime communiste, se dévoue pour son village pendant l’invasion nazi malgré leur tentative de séduction, pour se retrouver au goulag quand les rouges reviennent au pouvoir, accusé d’avoir collaboré avec l’occupant.  Le film a été tourné en bénéficiant de moyens importants. Pourtant, à l’image grossière des symboles assenés, dans l’onirisme clinquant d’un propos caricatural, ce mystique christ moderne ne peut émouvoir, engoncé dans un fatras de bonnes intentions. L’histoire est toujours écrite par les vainqueurs mais le cinéma ne peut se satisfaire des trames simplistes, il se nourrit d’ambiguïté et de tension, d’une lecture polymorphe, des failles et des rebondissements.

Au cours du cocktail qui suivra la projection, un archiprêtre viendra avec beaucoup de sagacité me soumettre à la question. Qu’avais-je pensé de ce film, pourquoi ne serait-il point sélectionné à Cannes, en quoi n’aurait-il point les faveurs d’un public étranger ? Autant de questions posées avec un regard clair, guettant mes réactions. Il était redoutablement intelligent mon hiérarque orthodoxe, une demi-heure à me cuisiner avec finesse pendant que des femmes venaient à intervalles réguliers lui baiser les mains.

Le lendemain, chez Eléna, mon interprète  depuis de longues années, plongée dans l’univers animé de la sélection officielle. Deux jours pour visionner les films avec le même rituel : les 10 premières minutes en accéléré à la vitesse 2, puis, passage en multiple 4, puis 8,  jusqu’à 16 suivant l’intérêt du film avec possible redescente aux sacro-saintes 24 images-seconde si le besoin s’en faisait ressentir. Et « pope » sait combien il y eut de mauvais films, de ridicules scénarii, d’images archinulles, de degré zéro du sens…Mais où est donc passé la magie du cinéma russe, cette prestigieuse école qui contribua à sa naissance en ce début du siècle dernier, inventa une nouvelle façon de filmer, fonda des théories et des styles diversifiés ?

Quelques films heureusement. « Une Guerre » de Glagoleva, subtile variation à la Buzzatti sur un poste aux confins de rien. Cinq femmes avec leurs enfants, emprisonnées de les avoir conçus avec l’ennemi allemand, qu’un officier meurtri vient encadrer, à quelques jours de la fin de la guerre avec la mission de les séparer. C’est un film rempli d’humanité et d’espoir,  magnifiquement filmé, bien rythmé avec des images superbes de cet îlot perdu dans la Baltique. « George » de Simma, ou l’histoire vraie d’un grand chanteur estonien obligé de trahir son premier amour et qui vivra avec ce mal en lui dans un après-guerre que la nomenclatura communiste rend absurde. « Le Miracle » aussi même si quelques longueurs apesantissent le rythme, quelques dialogues trop longs freinant cette histoire étrange d’une jeune femme qui se retrouve figée, une icône dans les bras, et que les communistes tentent d’expliquer rationnellement jusqu’à une mémorable scène avec un Kroutchev paroxystique  venant dénouer énergiquement la situation.

On peut aussi noter un court-métrage, « Le premier dégel » de Drozvovo, petit bijou iconoclaste. Des enfants construisent un bonhomme de neige et l’un des petits le déguise en Staline. Tout le quartier est paralysé, les communistes cherchent à comprendre s’il y a outrage, les services secrets interviennent, les habitants n’osent pas le démolir par peur des représailles, jusqu’à ce que les premiers rayons de soleil et la fonte des neiges règlent le problème au grand soulagement de tous !

Les délibérations seront rondement menées. Pope vainqueur pas KO technique,  Une Guerre et George se voyant attribuer les deux accessits, le miracle obtenant le prix spécial de la mise en scène, il ne restait alors qu’à distribuer quelques médailles en chocolat (notamment à un affreux « Gogol », un abscons Pierre sur la route dans un paysage céleste…

 Le patriarche Cyrill, le pape des orthodoxes, nous fera l’honneur de sa présence et d’une bénédiction accompagnée d’un discours sur les valeurs morales du cinéma. La première Dame de Russie m’accordera quelques minutes de son temps pour m’entretenir du Festival de l’Art Russe de Cannes et m’annoncer quelques propositions spectaculaires… Quelques vodkas avec l’équipe de la Fondation et l’heure du retour aura sonné…

Je ne sais pas si la fréquentation des popes m’a transformé en me rendant meilleur (je n’en suis pas certain, à vrai dire, même s’ils ont été d’une extrême discrétion et d’une serviabilité à toute épreuve), mais je suis persuadé que derrière les bonnes idées se dissimulent parfois d’étranges desseins. Il ne suffit point d’un scénario généreux et de présupposés éducatifs pour ériger une société meilleure. Le cinéma n’est plus un « art révolutionnaire » (Lénine) depuis longtemps et l’ont ne saurait opposer l’indigence et la vulgarité de certaines productions flattant les plus vils instincts aux idéaux désincarnés d’un monde qui gommerait, d’un coup de scénario magique, les drames d’une humanité en souffrance. La réalité ne s’enferme pas aussi aisément dans le corset de la pureté !

 

PS : Le 7 novembre est devenu le jour de la Fête Nationale, une obscure victoire sur la Pologne censée fonder le pays, nécessité politique faisant loi d’effacer les stigmates communistes et de se donner une perspective historique bannissant la prise de pouvoir par Lénine. Je tenterai bien d’accéder à la Place Rouge, mais sans le sésame indispensable, j’en serai réduit à me contenter de l’environnement, bouclage par les militaires, défilé au loin, voix martiale retransmise d’un discours, retour des régiments, et nec plus ultra, une contre-manifestation des nostalgiques du communisme brandissant leurs drapeaux rouges sous les remparts du Kremlin. Tintin au pays des Soviets !
Autour de la Place Rouge...

PPS : En conclusion, il faut l'avouer, un film sans drogue, sexe et violence est quand même un film qui a de grandes chances d'être un peu chiant !!! 

 

 

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Danish boy

Publié le par Bernard Oheix

 Cette année, le Womex a émigré. Des ors et décors de la perle sévillane, nous plongeons dans la froideur de la capitale danoise. Des ruelles animées et des bodegas à tapas aux grandes avenues et aux lumières rutilantes d’une ville qui refuse de sombrer dans la nuit. Contraste évident d’un sud orgueilleux et d’un nord pragmatique. Là où régnait un certain désordre, une bonhomie faconde, l’improvisation ibère, désormais s’installe l’efficacité d’un système qui tente de broyer l’aléatoire. D’immenses lieux fonctionnels, des salles prestigieuses, un service de sécurité particulièrement présent, ne peuvent faire oublier les distances qui séparent les concerts du congrès, les hôtels des restaurants, éclatement absurde qui impose des temps de transports interminables et un surcoût particulièrement obérant. La vie est chère, plus chère que dans le sud, les hôtels neufs, petits et ultra fonctionnels jusqu’à la déshumanisation. Logé dans un Cabin’in, (une chaîne qui est à l’hébergement ce que le MacDo est à la restauration, merci à Zone Franche de nous l’avoir conseillé !), par chance situé près de la gare des trains, pas trop loin du centre ville, j’ai dormi dans un lit étroit avec les bras et les pieds dépassant le cadre, comme si les Danois du haut de leur taille élevée pensaient que les touristes sont tous des nains de jardin, me douchant dans une alvéole réussissant l’exploit de rassembler chiotte, lavabo et douche dans le même mètre carré, me cognant dès mon lever dans les angles de cette chambre impossible ! Horizon plat pour pluie fine, nuages bas, canaux soigneusement délimités entre les constructions futuristes de verre et poutrelles d’acier qui parsèment la plaine, c’est une certaine idée du nord, propret et tiré au cordeau, avec d’authentiques blonds peuplant un univers aseptisé.
Il faudra bien s’y faire aux brumes nordiques…

Se rendre au Womex est toujours un moment particulier. Certitude de retrouver les acteurs principaux de la diffusion des Musiques du Monde, show-cases de groupes inconnus en espérant des coups de cœur, stars des scènes culturelles avec parfois des déceptions, ambiance si particulière de milliers de personnes qui se croisent et s’évaluent, tentent de se convaincre et de se séduire, rêvent de gagner le jackpot en obtenant la reconnaissance des programmateurs et, par leur intermédiaire, celle d’un public futur… En tant que Directeur de l’Evènementiel d’un établissement prestigieux, je suis bien sûr sollicité, nombreux rêvant qu’un passage sur une scène de notoriété internationale déclenche la mécanique du succès et de la reconnaissance. Moi, je sais qu’il n’en est rien, que cette scène n’est qu’un plateau comme les autres dans la vie d’un groupe et « qu’un coup de dés ne peut abolir le hasard », mais comment ne pas espérer quand la réalité vous attire vers les hauts-fonds du spectacle vivant, les écueils d’un monde du spectacle en train de muter à marche forcée vers l’aseptisation d’un show-biz conquérant ! 

Le Marché des Musiques du Monde est une grande loterie où beaucoup perdront mais où d’aucuns tirent encore leur épingle du jeu. L’alchimie de la réussite ne s’explique pas, elle se vit. Sabine Grenard, grâce à la prestation réussie des Corses d’A Filetta l’an dernier en show case, vit encore sur cette dynamique, avec des dizaines de contrats signés, des tournées au Brésil, dans les Etats Baltes… et des projets innombrables pour les saisons à venir. Il y a de nombreux exemples de cette roulette russe, d’artistes descendus en flamme à cause d’un médiocre concert ou d’un passage trop tardif, en concurrence avec un autre show…ou bien au contraire, montés au pinacle, effet de mode, discret « buzz », qualité intrinsèque ou survalorisée. L’histoire tranchera, le temps anoblira et les meilleurs survivront même si de nombreux groupes, qui auraient pu prétendre à la consécration, resteront encore dans l’ombre des coulisses en attendant que l’aile mystérieuse de la réussite les effleure !

Le péril rôde pourtant, à la mesure des enjeux d’un secteur en pleine expansion dans des économies exsangues prospectant toutes les niches porteuses de bénéfices. Le spectacle vivant est en train de muter dans sa recherche de profits maximums à court terme.  Laminé par les médias, le public se formate de plus en plus, perd l’essence même de son libre arbitre et de son goût de la découverte. Les scènes deviennent des lieux de méga-shows, des rassemblements où l’on communie avec ferveur à la gloire d’une idole païenne, où tout est conçu pour entretenir un lien de dépendance entre la masse anonyme de ceux qui viennent se recueillir et de celui qui capte la lumière des autres. De ce point de vue, avez-vous remarqué qu’il y a de moins en moins de groupes et de plus en plus de stars… comme s’il fallait mettre des noms sur des visages et rendre unique l’affection de celui qui révère. 

Ce n’est pas l’espace de liberté illusoire d’un Internet qui viendra combler les vides créés dans les réseaux de diffusion, bien au contraire. Loin d’une liberté chérie, ce no man’s land accentue l’individualisme et le repli identitaire, le comportement clanique et la fonction de bande mené par un illusoire leader d’autant plus présent qu’il n’existe pas concrètement, enfoui qu’il est dans un magma collectif informel. C’est à qui dénichera la perle rare, celle qui chante faux, joue grotesquement dans le ridicule qui ne tue plus et fait de la surenchère afin de faire résonner les trompettes de la renommée. Il devient le prolongement exacerbé de sa propre médiocrité, le reflet déformé d’une illusoire gloire. Combien survivront et trouveront leur place dans cet univers glacé géré désormais par des économistes sans mémoire ? Quand la rentabilité d’un artiste est l’aune de la réussite, le temps n’a plus d’espace…et c’est le temps qui construit la relation entre un artiste et son public, l’expérience renouvelée, la répétition vers l’excellence !

C’est le monde des arts de demain et je ne suis pas certain que nos enfants y retrouveront leurs billes. L’exception culturelle dont nous étions si fiers, nous Français, est en train de sombrer sous les uppercuts de l’égoïsme et du zapping. Mais c’est ainsi et ma génération est en train de disparaître, tant mieux, nous nous sommes suffisamment accrochés aux branches du pouvoir avec nos certitudes du savoir, pour devoir laisser la place aux autres…A charge pour eux de gérer le futur, nous, les soixante-huitards avons échoué à créer un monde meilleur, à vous de vous y coller mais attention, la charge est lourde et les échéances incertaines ! 

Et le Womex dans tout cela ? Quelques concerts intéressants, le Burkinabé Victor Demé, un petit vieux à la gouaille géniale dans une vraie musique africaine pleine de rythmes et de chaleur, Les Yeux Noirs, toujours fertiles, traversant le temps avec leur musique tsigane revisitée à la caf’conc,  Watcha Clan, entre l’électro et l’ethnique, des Marseillais à la croisée de tous les chemins en train de définir leur style chatoyant, un groupe éthiopien de fusion de virtuoses…Debba, de belles Comoriennes aux visages peints dans une cérémonie un brin lassante que l’on a pourtant envie de respecter et d’aimer.

La crise est bien là, même si Alpha Blondy, en off, dans le centre ville, nous rappelle que la musique cela se danse et s’éructe, cela se trémousse et se tord dans tous les sens, que cela se trompe et s’expérimente, que c’est un corps vivant destiné à toucher le cœur pour élever l’âme !

 

PS : Et mes « frappadingues » alors ? Dur dur de continuer la fête sévillane. Les lieux éclatés, les missions différentes, les hôtels inappropriés… tout cela malheureusement a nui aux retrouvailles de ce petit groupe d’amis. Il y aura bien la comète Aurélie débarquant d’on ne sait d’où, avec l’Emilie aux charmes si fins, la voix grave d’Ourida la rebelle et Sabine qui perd la sienne de recompter inlassablement ses contrats, les yeux clairs de Claire éblouie par son Alpha à l’oméga, il y aura aussi le rire caverneux de Laurent à l’humus délicieux ultime dépositaire d’un chapeau vert qui rejoindra les rives d’une côte hospitalière, la tendresse de François perdu dans un monde d’adultes et la pizza partagée avec Valentin dans le quartier rouge dans le rire de Soraya, il y aura plein d’autres tourneurs à tourner sans s’arrêter et des « moritos » pour tenir le coup, la fatigue dans les mollets compensée par les éclats de rire d’une nuit sans fond, les rencontres d’un moment d’éternité et les espoirs de lendemains sans chanter…Une fraternité éphémère, construite sur le désir de partager, de bannir les angoisses et de refuser la fatalité, de s’aimer et de rejoindre un paradis où tout ne serait qu’harmonie, musique et volupté, un monde idéal  que l’avenir nous dénie, nous le savons mais refusons de l’accepter et buvons à l’amitié pour le nier !

PPS : Je pense que 25% des opérateurs actuels des Musiques du Monde disparaîtront dans les 5 années à venir…Vous avez dit pessimiste ? Hélas, et si j’étais lucide ! Ce n’est pas de gaité de cœur… mais vous, dites-moi, quand donc vous êtes-vous rendus pour la dernière fois à un concert de Musique du Monde communier aux sons venus d’ailleurs ? Vous avez tort…C’est un des plus beaux partage possible ! La mémoire des autres est un livre ouvert dans lequel notre futur s’inscrit. Le jour où nous ne feuilletterons que les pages de notre propre histoire annonce la fermeture de l’horizon et le repliement sur un identitaire aveuglement. C’est faire le lit de l’égoïsme et forger les conflits de l’indifférence à venir !

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Back to Russie

Publié le par Bernard Oheix

En attendant les articles sur Copenhague (Womex) et Moscou (Jury au Festival de l'Ange Rayonnant) qui ne sauraient tarder, juste un petit clin d'oeil...
Mardi 10 novembre, le taxi vient me chercher à l'Assembléa Nikitskaïa, un hôtel à quelques pas de la Place Rouge dont on voit les remparts se découper dans la perspective de l'avenue. Il est 7 heures, la rue Arbat est plongée dans la nuit, la neige vient de fondre et la température affiche un -3° tonique...

Après 4 heures de vol, un décalage de 2 heures, je me retrouve au grand soleil d'une Côte d'Azur. Et moi, le soleil, la mer...cela me provoque d'étranges envies ! Résultat, avec mon fils Julien et son copain Ludovic, direction la plage (fameuse) des Rochers Rouges...
La preuve est là...ce tricot CCCP était encore emballé sur un étal la veille dans la Capitale russe et  j'ai déboursé une poignée de roubles pour l'acquérir !
Il lui aura fallu quelques milliers de kilomètres pour connaître la douceur azuréenne et découvrir les joies d'une baignade impromptue.
Julien au sortir du marathon Nice/Cannes plonge avec moi...Il paraît que le froid est bon pour le muscle tétanisé ! C'est dans la tête que tout se passe  et "all is relatif" même les kilomètres et les degrés qui séparent Moscou de Cannes la Bocca !

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Le système Castafiore

Publié le par Bernard Oheix

 

Il y a plus de 10 ans, Karl Biscuit et Marcia Barcellos faisaient le choix de s’implanter sur Grasse, dans les Alpes-Maritimes. Cette idée saugrenue fit sourire bien des opérateurs culturels à l’époque. Le choc de l’ancien, du provincial, d’une ville qui espère s’ouvrir à la modernité tout en plongeant ses racines dans l’arrière-pays, les champs de lavande en jachère d’une industrie de la parfumerie à l’agonie…confrontés à une des compagnies les plus créatrices de la danse, forgée aux expérimentations de Philippe Decouflé, de Dominique Boivin et aux collectifs des années 80 qui tentèrent d’importer un vent nouveau aux conformismes naissants d’une nouvelle danse en train de s’instituer comme la référence au bon goût !


Karl Biscuit à la scénographie et à la musique, Marcia Barcellos à la chorégraphie, tous les deux en phase sur l’essentiel : une vision follement décalée, étrange, entre la BD, l’humour et la danse au service de spectacles décapants illustrant des histoires impossibles dans des mondes improbables.

Leur dernière création Stand Alone Zone devant être créée pendant le Festival de Danse, ils ont proposé leur travail dans une série de « scolaires » afin de le rôder et de se présenter dans les meilleures conditions devant la presse et les professionnels en décembre. C’est ainsi qu’un jeudi, dans un théâtre rempli de jeunes excités (il faudra que l’on reparle de l’éducation du public qui, des jeunes aux séniors, devient de plus en plus méprisant et inconvenant en ne respectant plus la distance qui sépare la salle de la scène !), Karl et Marcia livrèrent une première mouture de leurs divagations épiques.

Le rideau s’ouvre sur un monde futuriste postapocalyptique né dans un imaginaire à la Bilal, un travail technique époustouflant avec des images de synthèse et une vision en 3D délimitant la scène. Le scénariste convoque Mélies pour dessiner des arbres volant dans des puits d’oxygène, un vaisseau spatial décollant pour un voyage infini, décors mêlant quelques rares éléments concrets et une luxuriance graphique dans les ruines d’une ville du futur. Ce qui est fascinant d’entrée, c’est la qualité de la fusion entre le réel et l’abstrait, des personnages évoluent parmi d’autres « fantômes » sans que les limites entre les deux soient bien clairement définies. Parfois, les deux dimensions s’enchevêtrent et un animal émerge du décor pour kidnapper une danseuse. Franju à la rescousse pour cette histoire surréaliste d’un bébé atteint d’une maladie (il lui pousse des fleurs dans le cerveau) qui ne peut être sauvé que par un remède qu’il faut dénicher derrière les neuf salles secrètes gardées par un colosse. Déambulations dans cette ville en lambeaux, entre la poésie et l’aventure, le rêve et le cauchemar, spectacle écologique et dynamisant, une immense bouffée d’oxygène rythmée par les compositions savantes de Marcia Barcellos qui calque la chorégraphie sur les états d’âme des protagonistes. Un combat de boxe hypnotique dans une salle qui tournoie sur 360°, une descente inversée dans un ascenseur qui s’enfonce dans les entrailles de la terre, des mouvements syncopés, découpés dans le silence, la frénésie qui s’empare des danseurs, tout est en suspens, bien plus authentique que cette nature qui enferme nos rêves. C’est une plongée hallucinée, hallucinante dans un univers fantasmatique qui nous paraît si proche qu’on peut le caresser des yeux. Les costumes très sophistiqués, la musique empruntant du classique au bruitage avec des plages en sourdine composant un requiem moderne, l’agencement des couleurs (du rouge, du noir et des pastels !), tout est soigné, peint à la palette de la perfection, une prouesse quand on connaît les moyens dont dispose la compagnie, une preuve si besoin est que le génie peut, parfois, compenser les contraintes matérielles. Les Castafiore sont libres parce que le monde se plie à leurs désirs.

Ils réussissent à introduire, telle une composante à part entière du spectacle, le regard d’une vidéo qui occupe l’espace, envahit l’action et devient partie intégrante de l’œil du spectateur.

Une prouesse due à la combinaison de la maîtrise technique et à l’inventivité d’une gestuelle qui entraîne la plongée dans un univers de mystère. C’est la magie ancienne appliquée au monde du lendemain, ou le passé à la rencontre du futur au service d’une esthétique de la déraison.


Bravo à toute l’équipe du Système Castafiore (costumier, décorateur, techniciens, danseurs) et rendez-vous le samedi 28 novembre à 18h, au Théâtre Croisette-Hôtel Palais Stéphanie à Cannes. Pour 14€, une place au paradis vous attend. Vive Marcia et sa grâce aérienne, vive Karl et son génie dévorant la réalité pour la façonner aux songes d’une nuit torturée.

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Toujours Paris...

Publié le par Bernard Oheix

 

Petite moisson sur les scènes parisiennes. Que le théâtre se porte mal est une évidence, mais l’indigence générale des propositions de cette rentrée 2009 inquiète. Depuis quelques saisons, l’on perçoit la vacuité de nombre textes, la pauvreté des décors et des mises en scène enchaînées par les mêmes stakhanovistes (des noms, des noms !). Pour quelques belles créations, combien de reprises poussives, de comédies ringardes, de pièces construites autour d’un casting improbable censé faire « événement » et drainer la foule…

Manifestement, la recette n’est pas au point, les salles plus souvent à moitié vides qu’à moitié pleines, les rangs abandonnés s’étalent dans le noir et nous permettent d’allonger nos jambes en fond de fauteuils d’orchestre.

 

En général, je « monte » sur Paris deux fois en automne et deux fois en hiver avec comme objectif de voir 4 à 5 pièces présélectionnées par les tourneurs et producteurs en vue de les programmer dans la saison d’après. Sur la vingtaine, j’en sélectionne une douzaine, la difficulté étant de faire coller les disponibilités des salles avec les dates et l’organisation des tournées… Un casse-tête chinois d’autant plus excitant quand les désirs sont forts, intenses portés par des pièces qui marquent…Mais quand ce n’est pas le cas ?

La première vers laquelle on m’aiguille, sélectionnée par un tourneur historique de la place de Paris, s’appelle Vie Privée avec une distribution alléchante. Las ! Un texte débilitant de Philip Barry sur un thème totalement inintéressant (l’ancien mari vient au remariage de sa femme pour la reconquérir), une Anne Brochet quasi absente (et ce n’était pas que du jeu !), des situations d’un vaudeville médiocre font de cette rentrée en matière, la matière d’un authentique désespoir. J’ai fini au Foota-Djalon devant un tilapia braisé (la tendre douceur des joues du poisson !), épicé à l’achéké, saucé de piments, seule possibilité à l’évidence de sauver cette soirée en la relevant de la saveur d’une Afrique éternelle !

Le lendemain, Théâtre Saint-Georges, un tandem efficace blanchi sous le harnais des planches de la Capitale. Eric Assous à l’écriture, Jean-Luc Moreau à la mise en scène. Une distribution de qualité. P H Gendron des « Avocats et Associés », Manuel Gelin…Sur une belle évidence, Les hommes préfèrent mentir, une comédie de boulevard (niveau rez-de-chaussée), voit un homme annoncer qu’il quitte sa femme pour sa maîtresse qui attend un enfant, puis quelques années après, au cours des retrouvailles, annoncer qu’il quitte son ancienne nouvelle pour la nouvelle ancienne femme de son ami (un peu compliqué non ?)…C’est lourd à souhait, poussif et ce n’est pas les quelques rires arrachés au temps qui passe qui peuvent sauver la pièce d’un naufrage parfois pesant !

Tout autre (enfin !) sont Les Autres, œuvres de jeunesse de Jean-Claude Grumberg, 3 pièces réunies par l’écriture libre d’une période (les années soixante) qui autorisait une grande liberté de ton et une charge sans merci des convenances. Si la première se situe sur le terrain d’un absurde à la Ionesco, les deux suivantes s’inspirent d’un ton « Charlie Hebdo », avec une « beaufitude » vécue de l’intérieur. Une famille française moyenne en vacances en Turquie égrène les poncifs du touriste insupportable de veulerie et de méchanceté. L’éducation des 2 enfants, les liens mari et femme, le rapport à l’étranger, le mépris profond des « autres » sont des constantes que nous avons tous, hélas, rencontrées chez nos congénères en goguette dans les pays exotiques. Honte sans vergogne, la médiocrité au crible des petites mesquineries, page peu glorieuse de notre passé de coloniaux où l’indigène n’est même pas l’ennemi, il est un néant qui ne compte pas, une quantité négligeable devant la fierté d’un nationalisme très Vème république. Reste l’ultime opus, un homme arrivant chez lui après une « petite » embrouille avec un « crouille », un « bicot », texte incendiaire sur le fascisme ordinaire, la peur des autres et la morgue du petit cadre pétri de certitudes et voyant chez tous les étrangers, la marque du diable et de l’horreur. Dans un récit dialogué d’une formidable méchanceté (Ah ! Liberté chérie de ton d’une époque où l’on pouvait tout dire pour montrer son contraire, qui oserait de nos jours écrire un tel texte, à ce niveau hallucinant de subversion par les mots, par les images, par les idées d’une France plongée dans le racisme quotidien ?).

Une belle leçon d’action civique en revers des convenances, une démonstration par l’absurde de la haine des « autres », portée par une Evelyne Buyle (femme soumise d’avant 68 et la révolution féministe!) et un Daniel Russo étonnant de force brute et de veulerie, petit Français moyen qui aurait dénoncé les juifs à la milice pour le Vel d’Hiv, envoyé des lettres anonymes à la kommandantur et continué à vivre sans états d’âme.

Dernière pièce de cette première série automnale, le Parole et Guérison tant attendu sur les rapports entre Freud et Jung. Sur un texte de Christopher Hampton, une mise en scène de Didier Long, Barbara Schutz (la première patiente de Jung sur laquelle il appliquera les méthodes révolutionnaires de Freud et qui deviendra après sa guérison une thérapeute) et Samuel le Bihan (Jung) portent la pièce avec brio. Barbar Schutz est éblouissante pleine de fureur et de passion, parfois, Le Bihan quelque peu empesé, un brin monolithique dans son personnage d’abord ami et fidèle, fils spirituel du père de la psychanalyse puis opposé à Freud. Leur « divorce » idéologique interviendra sur fond de désaccord entre l’orthodoxie freudienne et la volonté de son disciple, Jung, d’explorer des champs nouveaux (la religion) afin de permettre à la psychanalyse d’offrir un champ totalement nouveau et un outil pour façonner un homme moderne, complet.

C’est intelligent, le type de pièce qui vous donne l’impression de réfléchir et la certitude d’être un peu plus cultivé à la sortie qu’à l’entrée. Mais avouons-le, vaguement ennuyeux, légèrement poussif avec quelques « boucles » inutiles, une sensation subtile que la machine lancée sur son erre s’échouera naturellement sur les hauts-fonds d’un discours intellectualisant les passions humaines. Le goût du pouvoir autocrate de Freud est suggéré tout comme la volonté de Jung de rompre avec le dogme freudien en s’évadant de la contrainte du « père ». Il règne, sur le plateau, une certaine froideur surlignée par un dispositif scénique glacé. On est loin de la luxuriance d’un Hystéria ou de la tension d’un Caïman, deux pièces déjà présentées portant sur la psychanalyse. Reste un travail tout à fait honorable, un jeu d’acteurs plutôt cohérent, une finesse évidente du propos. Une belle soirée donc pour les amateurs d’intelligence !

 

Et voilà, Paris dans le froid et la pluie d’octobre. Quelques rencontres pour remplir les journées et les nuits, un Yves Simon attentionné avec qui nous sifflons une bonne bouteille de blanc à la Méditerranée en décortiquant le monde et en cherchant les points de rencontre de deux existences en parallèle…La famille et les amies dans nos périples nocturnes, la fête des vendanges à Montmartre un samedi, Valentin le tourneur et Laurence la manager pour des retrouvailles, les spectacles comme un trait d’union entre la vraie vie et le rêve…

PS : En rentrant de Paris, je suis allé courir au bord de ma mer jusqu'à La Napoule et je me suis baigné dans une eau translucide, fraîche sans être froide, salée...En ce 18 octobre, je suis redevenu un enfant du Sud, et c'était bon, j'étais chez moi !

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Los Frappa "Dinguos"

Publié le par Bernard Oheix

Ils sont là mes producteurs préférés, ceux qui ont répondu à mon invitation de partager 4 jours de musique sur Cannes et de nouer des liens indéfectibles de travail et d'amitié. Bref aperçu de leur chaleureuse présence !Chacun m'avait apporté une spécialité de sa région en cadeau...Un Tour de France des "gâteries", le Père Noël en septembre ! J'ai dû manger des trucs bizarres, d'Amiens, du Jura et d'ailleurs...Heureusement, il y avait un excellent Bordeaux pour faire digérer le tout !


Le monde de la culture en général et de la musique en particulier ne représente pas grand-chose en regard du poids économique de l’industrie, du commerce, des banques…Pourtant, dans une société en crise, quand l’emploi fond comme neige au soleil (les mines sont fermées depuis longtemps et c’est pas dans le textile ou l’automobile que l’on créera les centaines de milliers de salaires nécessaire !), quand les grandes crises artificielles (comme celle des banques !) tétanisent le corps social, que la spéculation l’emporte sur la création de richesse, que le « papy boom » débarque des retraités encore jeunes sur le marché de la consommation, alors, l’industrie culturelle devient un complément effectif de la vie économique, un réservoir d’emplois et de richesse qui, bien que modeste, a sa place entière dans la société du loisirs du XXIème siècle.

Notons que c’est dans ce domaine que l’esprit « capitaliste » originel est encore possible. Avec une mise de départ dérisoire, on peut toucher le jackpot, une voix faire couler des richesses, un texte, accumuler des biens. Esprit d’aventure, pas de règles, pas de normes…la culture est un Eldorado pour les aventuriers de l’esprit, les marginaux et ceux qui refusent une société trop formatée !

A l’intérieur de ce vaste domaine, on retrouve les clivages traditionnels de l’économie réelle. Il y a les gros producteurs et les grands artistes, indissolublement liés jusqu’à faire des couples solides qui trustent les entrées. Camus/Halliday, Coullier/ Polnareff, Drouot/Leonard Cohen…Les gros producteurs détiennent les grandes salles (Zéniths et autres Palais des Congrès), s’échangent les artistes « bancables », ne sécrètent que peu d’emplois, ayant recours aux statuts particuliers de ce secteur d’activité, privatisant les gains conséquents de ce secteur d’activité.

Il reste alors les autres, artistes en mal de cachets, techniciens subissant l’intermittence des intermittents, les promoteurs locaux qui œuvrent à 3% du chiffre d’affaires et sont tenus à des objectifs impossibles de remplissage de salles, les tourneurs et producteurs positionnés sur des niches tellement pointues que plus personne ne les trouvent, les responsables des structures exsangues, tétanisés par la raréfaction des subventions, l’augmentation des tarifs artistiques, la fuite du public …

Effectivement, dans ce constat amer, le public a démissionné de son rôle moteur. Il ne va pas toujours là où il devrait aller et ne cherche plus depuis longtemps. L’esprit d’aventure est en train de se perdre, la télé et les médias poussant à une banalisation et une consommation de plus en plus ciblée de produits formatés à des prix rédhibitoires. Tous les lieux et les acteurs trinquent alors devant ce rouleau compresseur sans âme dont le public est totalement complice. C’est l’ère des méga-shows et des foules de 50 000 personnes agglutinées dans des conditions indignes d’un spectacle vivant. Spectateurs robotisés, consommation et merchandising, fric es-tu là ?

Et mes « frappadingues » alors, me direz-vous ?

Dans cet univers de plus en plus aseptisé d’une industrie culturelle en marche forcée vers une productivité artificielle, il existe encore une armée du soleil, des hommes et femmes qui pensent la culture autrement, vivent l’artiste et le spectateur au quotidien, investissent leur temps avec passion afin de construire les bases d’une rencontre authentique entre le public et la scène. Ils sont des accoucheurs de bonheur, des praticiens de l’esthétique, panseurs de maux pour bonheurs éphémères…

On se rencontre au WOMEX (marché des Musiques du Monde, à Bab El Med, dans des concerts et des Festivals. Ils aiment la vie, rire, se défoncer et éperonner les conventions, être iconoclastes. Ils ont entre 25 et 40 ans, sont les cadres de demain, survivent difficilement dans cette jungle où les chausse-trappes sont nombreuses…Ils ne perçoivent que les miettes du festin de la culture mais en représentent les forces vives, régénérantes. Quand l’un d’entre eux sombre, il y en a toujours qui se lèvent afin de porter le flambeau de ceux qui marchent debout et perpétuent leurs espoirs. J’aimerais avoir leur âge, leur passion et leur insouciance, je les aime parce qu’ils sont fiers et beaux et qu’ils font exactement ce que je ferais à leur place si d’aventure, on m’enlevait une vingtaine d’années.

Moi, j’ai vécu les glorieuses années d’une culture rempart, frontière, bien que largement assistée, elle avait conquis son indépendance dans les luttes. Elle était apte à se revendiquer telle une citadelle inexpugnable. J’ai été Directeur de MJC, puis au Palais des Festivals de Cannes…Je ne savais pas que ce capital extraordinaire pouvait fondre et se dissoudre aussi rapidement dans l’indifférence, la montée des haines et l’ostracisme d’une société qui se contracte sur elle-même, soumise devant les idéaux religieux et le fanatisme, l’égoïsme et le mercantilisme.

C’est sans doute pour cela que je les apprécie encore plus mes « frappadingues » car ils me donnent la certitude que l’essence de l’art, la rencontre des univers multiples, des cultures différentes, des individus se fondant dans un groupe pour garder leur authenticité, tous ces gestes d’avenir ont encore des passeurs de rêves, mes amis remuant de la culture, cœur gros et plein d’espoir, les frappadingues de Séville !

Certaines et certains étaient à Cannes pour les Concerts de Septembre…Ourida Yaker (la femme forte d’un Maghreb ouvert, celle-là, c’est un roc, elle résiste à tout !) et Sabine Grenard (la douce et efficace spécialiste des voix…A Filetta, Sam Karpiena, Darko Rundec, c’est elle !), avec leur Band of Gnawa, superbe projet charnière entre un plan culture et le showbiz. La secrétaire du groupe informel de Séville, Aurélie Walfisz, administratrice du Festival d’Amiens, pétulante et hilarante, remplie de tendresse et capable d’autodérision jusqu’à en pleurer des larmes de joie. Elle sème le rire sans se départir de son air lunaire. Claire Henocque, la « big mama » du reggae (Alpha Blondy), une gamine élégante en pays de barbus fumeurs d’herbe qui a les yeux remplis de vie et sait utiliser sa fausse naîveté pour mieux cerner les autres. Laurence Samb, une métisse sénégalaise belle comme un soleil d’Afrique, perdue entre Berlin et le Niger, à moitié toujours ailleurs. Elle suit le groupe en prenant des chemins de traverse, appel de la solitude et recherche d'un équilibre intérieur, à la fois indépendante et fusionnelle…Et puis les mecs aussi. François Saubadu, grosse agence à Turin, qui fait des affaires sans oublier de vivre et cherche le geste juste, l’équilibre dans le désordre, toujours prêt à s'enthousiasmer pour un artiste et à passer du futile au sérieux. Valentin Langlois, visage d’ange absent, redoutable dans le décalage, toujours attentif derrière sa nonchalance affectée, il analyse son entourage sans en donner l'impression et possède l'art d'être juste où il faut comme s'il n'y était pas. Laurent Benhamou, de Crunk Production, féroce dans son humour et sa volonté de foncer à 100 à l’heure dans le fou rire et la passion de vivre. Il dérègle les codes, éperonne le consensus et lance des éclairs de génie qui laissent un sillon enflammé derrière lui ! 

Au départ, j’avais prévu de les héberger dans une résidence hôtelière et de leur offrir les spectacles. Ils se sont retrouvés au Gray d’Albion, 4*, plage privée, badges « all accès », mangeant au catering avec les artistes, copinant avec la sécurité, ils se sont fondus dans le Palais comme s’ils y avaient toujours trainé leurs guêtres, terminant tard dans la nuit, à la fermeture du Sun7 avec Thomas, le patron, qui les a adoptés en leur servant forces « morito » ou « Champagne-vodka ».
Sur la plage des Rochers Rouges, ma plage ! C'est là que l'on dispersera mes cendres dans quelques décennies. Un des rochers (celui que l'on entrevoit en arrière-plan), sera officiellement dénommé "Le Rocher de Bernard"). En attendant, ils ont fière allure ces Guevarra de la culture, à poser pour l'éternité en consommant les biens fort terrestres d'une Côte d'Azur hospitalière !


Ils ont eu droit à ma plage privée des « Rochers Rouges », à des baignades tous les jours avec un soleil estival, à des pâtes chez mon voisin « Di Giuglio » et nous avons ri en reconstruisant le monde comme si la vie pouvait se résumer à un grand pied de nez à la conformité et à la tristesse.

Les concerts furent fabuleux (cf. comptes rendus précédents) et je les aime toujours plus, mes « frappadingues », parce qu’ils sont une partie de mon passé et un morceau de cet avenir qui m’est dérobé. Ils me permettent d’exister encore et de rêver que la culture sera, demain, au centre du monde, une vraie fraternité basée sur l’harmonie universelle !  


Ils sont repartis. Au mur l'affiche montage qu'ils m'ont offerte et le chapeau vert mascotte qui fit toutes les scènes de Séville à Paris et se retrouva sur la tête le chanteur des Gnawas. J'ai une mission, le convoyer jusqu'à Copenhague où je les retrouverai pour la plupart  pour de nouvelles aventures  !

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