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Pantiero show

Publié le par Bernard Oheix

 

La grand-messe de l’électro s’ouvrait dans les tourmentes d’un vent à décorner tout être affublé d’une prothèse infamante sur la tête. Un vent méchant, sec, avec des rafales à 70km/h, un soleil étouffant à brûler la peau, dessécher la gorge, un climat à maudire n’importe quel Festival pour ceux qui y travaillent. Nous sommes sur le pont depuis un mois et la fatigue est là, insidieuse, permanente.

 

Vendredi 8 août.

The Invisible ouvre le bal. Voix fausse, notes dans le vent, que dire d’un groupe dont on a rien à dire ?

Mouse On Mars remplaçant au pied levé Ladytron, le groupe allemand composé d’une percussion, d’un clavier et d’un mix offre une version déchirée d’un électro saturant jusqu’à la transe. C’est plutôt fort, hypnotique avec un jeu de lumières particulièrement réussi, taches colorées, éclairs zébrant la scène, halos fantomatiques. C’est un son gras qui remue, univers post-Kraftwerk d’une société atomique où la répétition débouche sur la pulsion ravageuse. Vagues sans temps morts, des lambeaux de sons qui viennent s’échouer comme si une scie découpait l’espace concret de nos sens pour les mettre à vif.

Archie Bronson Outfit. On les attendait, ils sont repartis. Entre-temps, un set qui laisse insatisfait. L’explosif s’est muté en pétard mouillé. Faute d’un son pas à la hauteur ? Mauvais jour… on ne le saura jamais mais les chants étranglés étaient aphones, les riffs tombaient à côté et le cocktail détonant s’est transformé en brouillon insatisfaisant.

Metronomy. Enfin un coup de cœur. Un rock désuet sert de base qui va être éperonné en un décalage permanent. Voix claires en canon, ritournelles détournées, rythmes sautillants, sons trafiqués pour donner une grâce à l’ensemble. Musique aérienne qui capte par la profondeur de son assise. C’est un groupe à écouter qui trouve sa modernité dans un rock classique en pointillé miné par des trouvailles sonores qui le transcendent.

 

Samedi 9 août. Le vent est tombé, la chaleur transfigure la nuit. C’est la grande foule, plus de 2500 personnes escaladent les escaliers qui amènent à la terrasse du Palais. Il y a de l’impatience dans l’air.

Dan le Sac vs Scroobius Pip.

L’un sort des séquences de sons en mix et des chants poétiques sur lesquels l’autre enchaîne avec un rap de scansion, tous les deux produisent un curieux mélange et ressemblent à des bûcherons venus du grand nord du Québec. C’est plutôt intéressant et leur univers contrasté ouvre la soirée sur une curiosité.

Ratatat.

Trio composé d’une batterie, clavier et guitares avec quelques petites machines pour corser les sons. C’est un rock décapant, ouvert sur toutes les influences, aérien. La rythmique lourde permet toutes les audaces et ils vont emporter le public avec des morceaux qui arrachent. C’est une version ouverte d’un rock sans attaches, quelques belles plages mélodiques émergeant d’un univers de fureur. Une des découvertes à l’évidence de ce Festival.

Antipop Consortium.

On attendait beaucoup de ce groupe mythique de la scène alternative New-Yorkaise des années 90. Après s’être séparés, ils se reforment en annonçant la sortie d’un prochain album. Ils ont déçu. Un son brouillon dans une course effrénée pour rattraper le temps perdu. Leurs enchaînements manquent de cohésion, leur hip-hop manque cruellement d’originalité. On peut avoir été grand et perdre sa magie. A(u) revoir.

Birdy Nam Nam.

Une table avec 4 platines pour mixer. Les 4 acolytes sont alignés et démarrent une plongée dans les hauts fonds d’un son ravageur. Je suis parfois sceptique sur l’accumulation des mix’ mais là, chapeau bas. Les sons travaillés à l’infini deviennent voix, les voix découpées à l’extrême se transforment en son, le rythme est étourdissant, hypnotique, chacun des DJ’s joue son rôle à la perfection et sculpte la matière sonore. La scénographie est en phase avec la pulsation qui prend au corps. Jeux de lumières, effets optiques, la foule se met à tanguer, les corps sautent. Ils vont, dans un rappel hallucinant, clôturer la soirée en laissant chacun ivre de cette vibration qui ouvre les sens au désordre intérieur.

 

Dimanche 10 août. Petite brise fraîche. Corps fatigués. Les heures commencent à peser sérieusement. Trop de cigarettes, marcher sans cesse, boire aussi parce que c’est la fête et que les rencontres sont des moments d’échange.

Sébastien Tellier.

Ouvrir à 20 heures avec la vedette médiatique de la soirée, j’ai connu mieux comme idée originale. Mais bon, le Directeur Artistique en a décidé ainsi et malgré nos avertissements n’a pas voulu en démordre. Tant pis. Après une conférence de presse très sexe (il faut rouvrir les maisons closes pour les adultes et en chasser les maladies !), il monte donc sur scène dans les feux d’un soleil couchant devant une poignée de personnes rapidement renforcées par ses fans qui déboulent en force pour sauver la face.

Que dire de Sébastiern Tellier ? Si ce n’est que le personnage est autant « frappadingue » que ses mélodies sont belles. Deux claviers, un batteur et lui à la voix, au piano et à la guitare. Ritournelle en tête de gondole, sexe et autres thèmes de prédilection comme la drogue, le refus du conformisme, un décalage avec le bon sens. L’univers musical est de qualité, sa voix disparaît dans les plages sonores des claviers mais ce n’est pas grave, elle est un des éléments de son univers et c’est plus son attitude qui porte le sens profond qu’il veut transmettre que le contenu de ses mots, partie intégrante de la musique. C’est un beau set avec un électro-rock élégant qui sait porter des coups quand il est nécessaire. Ses interventions éclairent sa volonté de briser l’harmonie, c’est parfois limite dans le bon gout, mais cela sonne souvent juste pour ce personnage de déglingue qu’il incarne avec les trippes.

Yuksek.

Un DJ aux sons violents, jonglant avec des plages subtiles pour enchaîner avec des rythmes lourds et efficaces. C’est un de ces DJ’s dont on reparlera dans les années à venir, qui ira dans les grandes salles des messes de l’électro des boîtes branchées pour une jeunesse dorée et pleine de fric. Il fait parti de cette touche française qui sait en découdre avec les anglo-saxons et emmener son public à se mouvoir en phase avec ses reprises exacerbées.

The Presets.

Des Australiens stars dans leur « bush », débarquant en Europe pour conquérir la scène de l’électro-pop. Il fait nul doute qu’ils ont un beau chemin à parcourir. Un batteur fou, un chanteur préposé aux machines avec des bandes qui tournent pour enflammer le plateau, cela donne un concert nerveux, un vrai rock qui embrase, porté à bout de bras par deux musiciens complices se livrant sans retenue.

SebastiAn.

DJ hors pair, hors catégorie, dans la rubrique des extraterrestres. Moi qui avais quelques réserves sur la nature même du rôle du DJ et sa place dans la musique actuelle, après Birdy Nam Nam et SébastiAn, je dépose les armes, me rends au verdict des baffles, des oreilles en feu. Vraie création sonore, jouant sur les contrastes, dérivant dans des sons « exotiques » où percent des mélodies connues, des airs de notre culture musicale pour s’enflammer à coups de beats rageurs et syncopés qui entraînent la foule à sa suite. SébastiAn, le timide, le calme qui rugit sur scène pour jongler avec les rythmes et offrir un son tribal au public déchaîné. C’est une belle révélation, la preuve, si besoin était, que l’excellence transcende les genres et qu’un DJ remixant la musique des autres peut aussi être un créateur à part entière. C’est le talent qui fait la différence !

 

Lundi 11 août.

Poney Poney

Bof ! Petits jeunes sympathiques au rock basique. Pas grand-chose à en dire si ce n’est qu’il fallait bien qu’un groupe ouvre la soirée…

Midnight Juggernauts.

Comme leur nom ne l’indique pas, ils arrivent d’Australie. Leur CD Dystopia est un bijou. Leur concert fut à la hauteur de leur réputation grandissante. Un rock fin avec une voix bien présente, des chœurs en canon qui viennent étayer le soliste, une base rythmique composée de batterie, percussions et basse, les guitares et claviers assurent un volume d’élégance. Il y a quelque chose d’un Dépéche Mode au tempo spidé, un air rétro injecté de futur, actualisé, avec des voix qui gémissent éperonnées par des glissandos de clavier, des refrains où hommes et instruments se conjuguent dans la recherche d’un rythme qui laisse le public en déséquilibre. Il y a de l’hypnotisme dans ces morceaux qui s’effilochent en rebondissant sur les arêtes d’un clavier omniprésent et omnipotent. C’est une vraie révélation du Festival, un des groupes qui maîtrise le mieux son univers musical et la scène ouverte aux étoiles d’un ciel d’azur.

Goose.

Le vrai coup de cœur du Festival. Un groupe de Belges qui débarquent avec la rage au corps. Ils sont quatre et investissent le public avec la délectation de ceux qui vont tout dévaster. Imaginez un rock, un vrai pop-rock au format traditionnel bien saignant et greffez ce rock sur des nappes sanglantes de synthé syncopé. C’est comme deux étages que vous vous prendriez sur la gueule. Les fondations parlent à vos tripes, la superstructure à votre tête. Entre les deux, tout disparaît, s’évanouit dans la foule en train de sauter en rythme. Les voix sont claires, dominent les riffs de guitares rageuses, surnagent au-dessus d’une batterie en contrepoint, et toujours cette vague sombre qui occulte les interstices, gomme les silences. Le rythme est simple et efficace, il écrase toute velléité de s’échapper de leur univers, il nous capture pour nous enfermer dans ses boucles sans fin à la puissance dévastatrice. C’est fort et c’est si bon !

Simian Mobile Disco.

Bon, on annonçait un extraterrestre, je veux bien. Mais comparé à la prouesse d’un SébastiAn, à la force d’un Yuksek, Simian reste en-dedans, jongle efficacement avec les sons, casse les rythmes, introduit des ruptures avec un brio qui confine à la facilité… comme si c’était un jeu sans enjeu. Cela reste très superficiel, clin d’œil pour affidés convaincus de son talent.

 

Reste les « afters » jusqu’à 4 heures, quand l’aube pointe son nez, un volume de décibels encaissés  pendant 4 jours comme si un 40 tonnes vous martelait la tête sans arrêt, trop de bières et de cigarettes, des rencontres aussi, journalistes de Libé et de France Info, artistes, fans, public.

Une équipe exsangue de foncer dans la nuit en enchaînant les manifestations (Nuits Musicales du Suquet, Feux d’artifice, Fiesta Flamenca et maintenant la Pantiero…), soutenue par nos stagiaires efficaces, belles et si passionnées. Les corps las, les membres lourds, combien de kilomètres parcourus ? Des rêves toujours  parce que la vie est si belle quand les notes de musique l’éperonnent pour y insuffler un sens caché. C’est ma drogue, elle est dure mais on aime s’y accoutumer, sentir le souffle du vent, savoir que l’on est dans l’œil du cratère, qu’il n’y a plus de repères, juste à côté de l’avenir !

 

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Compadre Nilda Fernandez

Publié le par Bernard Oheix

Il y a des jours comme cela. Goran Brégovic qui nous avait offert un concert sublime, Nilda Fernandez en première partie... C'est comme une madeleine qui fond dans la bouche, dans la moiteur des nuits vençoises. Cela donne des reflets dorés, l'impression de plonger dans son passé, de sentir les rêves se briser sur la réalité. C'est aussi la magie des souvenirs à fleur de peau, quand rien n'était trop beau pour une génération en train de conquérir son espace. Qu'en avons-nous fait est une autre histoire ?  Peut-être qu'il vaut mieux fermer les yeux et se souvenir du temps enfui !

 

Backstage aux Nuits du Sud de Vence, le meilleur Festival estival de la Côte d’Azur. Une programmation de Musiques du Monde, des groupes qui se livrent sans retenue, un public regroupé en masse sur la place du village, des restaurants et de la bière. Ce Festival est géré par Thé Saavedra, un latino génial qui monte sur scène avec ses chemises bariolées pour faire rugir le public et honorer les artistes qu’il aime pardessus tout et Serge Kolpa, régisseur général compétent, attentif aux détails, un de mes amis dans ce métier où tout le monde se connaît et où beaucoup se jalousent. Avec Théo et Serge, c’est différent, un respect, une passion autour de la musique, une humanité profonde. Vence, c’est à la fois une manifestation populaire (places entre 10 et 17€), le rendez-vous branché de ceux qui aiment les sons du monde et un endroit où l’on rencontre ses amis.

Sur la vidéo de contrôle, les cuivres de Goran Brégovic traversent la foule pour accéder à la scène, la musique se fait bal populaire. J’ai la nette sensation que mon ami va me faire rater le show de Goran, mais ce n’est pas grave, celui-ci ne pourra être meilleur que le concert de folie qu’il m’a offert à Cannes, quelques mois auparavant. (cf article dans le blog du mois de février 2007). Une assistante vient nous demander si nous désirons une bière, Nilda opine, elle est fraîche et nous nous regardons. Un ange passe. C’est bon de se retrouver.

Il sort à peine de scène, une première partie osée, seul avec sa guitare, avant le déferlement de Brégovic et de ses 50 musiciens, fanfares, chœurs d’hommes, voix bulgares, groupes… Nilda est entré à 20h 30 dans la lumière déclinante du jour, il s’est assis sur un tabouret… Barcelone, Mes fiançailles, Mes yeux dans ton regard… des mots ciselés, des mélodies simples qu’il retransmet fidèlement avec son unique instrument. Le public arrive par vagues et il les accroche, il les tient au bout de sa voix, charmeur, jouant de son élégance et de sa décontraction. Il a toujours cette voix de tête inimitable, monte dans les aigus, un timbre féminin qui envoûte. C’est Nilda sans la pression d’un groupe, jouant et s’arrêtant, interpellant le public, reprenant des thèmes à sa guise, communicant jusqu’à laisser la musique envahir l’espace et le silence reculer devant son talent. C’est Nilda et c’est mon ami.

Je me souviens toujours.

Débarquant en septembre 1980 pour un premier poste dans cette grande petite ville bourgeoise agricole, « la plus au sud possible ! », jeune Directeur de MJC, j’avais 30 ans, aucune expérience et des rêves plein la tête. Des années mythiques où rien n’était impossible. Le choc d’un métier à apprendre en réalisant ses propres expérimentations. Mon accent du sud qui faisait rire le Maire, mon premier coup avec la nuit du polar où une actrice jouait le rôle d’une Myralène Bacall inventée, marraine de la manifestation arrivant des USA, kidnappée par des mafiosi la pourchassant à coups de révolver (à blanc !) dans une « studbaker » blanche à travers les rues de la ville, la nuit de l’horreur avec la MJC intégralement recouverte de tissu noir où le public devait présenter sa carte de groupe sanguin avant de pénétrer dans l’arène et cette porte découpée en direct avec une tronçonneuse pendant la poursuite finale de « massacre à la tronçonneuse ». Des années de rires et de passion, quand l’ « agit-prop » n’était pas enfermée dans un corset de règles et de peurs, quand les acteurs pouvaient investir la ville sans craindre les foudres d’une administration terrorisée par l’éventualité d’un accident, quand l’ordre public était une question de public avant d’être celle de l’ordre. Ces années furent si belles, vivantes, animées de rencontres et de passions.

En 1984, je produisais des disques, des spectacles et mobilisais mon équipe dans la création d’un organisme officiel de production artistique et de diffusion des jeunes artistes. A l’époque, 600 structures programmaient régulièrement des spectacles. L’hypothèse que j’avais réussi à « vendre » à la Fédération Française des MJC, au Ministère de la Jeunesse et des Sports et au Ministère de la Culture, était que si chacun sélectionnait 3 spectacles dans notre catalogue, nous campions sur un capital de 1800 concerts, assurant le développement de notre structure, des artistes en devenir, forgeant une nouvelle crédibilité au réseau associatif en pleine mutation avec l’arrivée de la gauche au pouvoir.

Rassurez-vous, n’est pas Don Quichotte qui veut et Zorro qui peut !  Je n’étais que Bernard O, et mon projet si séduisant vola en éclats sur les aspérités des égos des programmateurs et sur cette sacro-indépendance des MJC qui allaient faire leur lit dans cette période où la culture rencontrait de plein fouet le monde de l’économie.

En attendant mon échec, c’est grâce à cette expérience que je découvrais les jeunes artistes de cette région.

C’est dans un café-concert de Lyon que je l’ai entendu pour la première fois. Sa voix m’avait bouleversé, une voix d’androgyne, perçante dans les aigus, descendante dans les graves pour remonter en boucles tourbillonnantes, trilles brodant un univers particulier entre l’Espagne et la France. A l’époque, il tentait de se frotter au rock, à la chanson, à tout ce qui pouvait exciter son imagination fertile. Avec son frère à la guitare, une batterie et une basse en rythmique, il se lançait à l’assaut du public, cherchant à le convaincre de l’aimer.

Son histoire est de celles qui feraient rêver les apprentis de la Star’Ac. Un premier disque pressé par une major qui décide de l’enterrer vivant et ne sort pas le produit. Il m’en avait offert un, prénom bizarre de conformité (c’est avant qu’il ne le change comme on change de peau, pour se purifier d’une tare originelle, exit D…, bienvenue à Nilda !), déjà cette touche originale, atypique, sans doute trop pour une industrie du disque qui surfait sur les dernières vagues de la prospérité, avant que le CD ne pointe son nez et ne bouscule les équilibres de l’industrie culturelle balbutiante.

Nous avions sympathisé, une amitié naissante, faite d’éclairs et de passion. J’ai encore une lettre qu’il m’écrivit, dans les jardins du Luxembourg pour me confier son désarroi et son espoir que je lui offrirais cette renaissance pour une reconnaissance. Je l’intégrai dans mon catalogue de La Belle Bleue, le proposant pour 1400 francs de l’époque (1985/1986) dans des MJC qui acceptaient de jouer le jeu. Il y en avait si peu, même si je me souviens avoir décroché un contrat à Ranguin à Cannes, en 1986, grâce à un de ces Directeurs qui croyaient que nous pouvions changer l’histoire et renverser les montagnes. Le nord l’accueillit pour quelques dates aussi, dates refouloir de mes ambitions pour cette perle dont je ne savais que faire.

Il entra en studio pour enregistrer un nouveau single, j’assistais à cette genèse sans avoir les moyens de le produire. La Belle Bleue s’effondrait et moi avec, sombrant dans le paradis des bonnes idées sans avenir.

Le titre qui en sortit s’appelait Madrid, Madrid. Cruel paradoxe, je déposais mon bilan au moment précis où un de mes artistes perçait pour devenir une vedette médiatique. Je voyais le train de la réussite me filer sous le nez, lui décollant pour un premier CD qui allait faire exploser les ventes en le propulsant comme chanteur à succès.

J’ai rebondi tout naturellement. Directeur de la MPT des Campelières, puis Directeur-Adjoint de l’Office de la Culture de Cannes pour atterrir Directeur de l’Evènementiel Cannois au sein du Palais des Festivals.

Pourtant, nos chemins ont continué à se croiser. Dormant à la maison au cours de sa première tournée promotionnelle, puis, programmé au Palais devant 800 spectateurs enthousiastes. Nilda ne pouvait se contenter d’être un chanteur à succès, le temps passant, il se dérobait devant le chemin direct qui mène au showbiz et installe l’artiste dans une case prédéterminée.

Son expérience en roulotte, son cabotage vers Cuba, des disques toujours, et son installation en Russie où il acquit un statut ambigu de star, disparaissant de la scène française pour réapparaître par intermittence, brouillèrent son image dans le métier tout en lui assurant une liberté qu’il partageait avec son public. Je le vis ainsi dans plusieurs villes et Festivals comme les Musicales de Bastia, toujours avec plaisir, toujours ce sentiment d’un passé à fleur d’émotion.

Là, en cette nuit caniculaire, à Vence, nous nous sommes retrouvés avec plaisir. Chacun avait fait son chemin, chacun a roulé sa bosse et expérimenté la vie. On dépose les armes de nos échecs, on compose avec nos succès passés, on rêve encore d’un avenir de beauté. Un projet s’ébauche, entre la sortie de son prochain album et une programmation à Cannes. On reprend nos habitudes, mon humour grinçant, son ton décalé, les échanges fusent dans les chorus de mon ami Brégovic qui tente vainement de capter notre attention. Le temps s’écoule à la vitesse d’une amitié libérée.

Il décide de passer le lendemain manger à la maison, à Cannes, sur le chemin de Nîmes où il a un rendez-vous en fin d’après-midi.

Dans mon jardin, après un repas arrosé d'un bon rosé, Nilda et son pacte avec le diable qui l'empêche de vieillir.

C’est ainsi que dans mon jardin, à l’ombre de mes bananiers, on boira, on mangera, on parlera des choses intimes d’un être qui fait partie de sa vie, de légèreté aussi parce que la vie est surprise et que la plus belle des aventures se situe au niveau du cœur, dans l’amitié triomphante.

Et puis, il est reparti, vers Nîmes et on se retrouvera bientôt, pour chanter et faire la fête. Compadre Nilda, petit bout de mon histoire chargé d’émotions, celle du côté des ombres, quand sa gloire illuminait son chemin et que le mien se pavait de mes incertitudes. Même sous les spots, il reste mon ami, celui qui fait chanter les mots, pleurer les notes et ouvre des horizons nouveaux à ceux qui entendent les cris de la beauté.

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Cédric Oheix deviendra-t-il une star ?

Publié le par Bernard Oheix

Bernard O, Cédric Oheix et David L, le président du Palais, qui est le chanteur, qui est le politique et où suis-je ?

J'ai décidé de modifier le texte initial. A la relecture, il était quelque peu stupide et j'ai trop d'admiration pour l'engagement des artistes et la passion dont ils font preuve pour laisser en l'état un article qui était mauvais. Don't acte et désolé si j'ai pu blesser quelqu'un en général  et Cédric en particulier ! 

 

Une semaine avant la Fête de la Musique, Cédric m’appela, me demandant ce que je pouvais faire pour lui. Je lui proposai d’ouvrir le 21 juin avec 3 ou 4 morceaux en préambule d’un programme déjà fixé depuis de longs mois. Il accepta et le samedi  suivant, voilà enfin réuni la nouvelle tribu des Oheix Cannois. Il a un visage avenant de trentenaire costaud, des dents blanches et des cheveux noirs, visage carré, l’air sympa, un soupçon d’air oriental dans ses yeux pincés. On discute un moment après les balances. Je lui demande ce qu’il envisage, le retour à la SNCM sur son poste de capitaine en second ou le grand frisson de l’aventure musicale. Escale ou vent du large, risée ou bord sur bord… Il hésite avant de monter sur scène. 4 morceaux, des reprises, avec un guitariste qui l’accompagne. Il a une belle voix, mais a-t-il du talent ? Difficile de répondre. Tout est bien chez lui, sauf que le bien n’est pas une valeur refuge. Il y a quelque chose de trop lisse dans son attitude, une absence de mordant. Le talent se nourrit des failles, il les dissimule derrière une facilité qui ne trompe personne.

 

Ajoutons qu’en ce 21 juin 2008, Miro ouvrit la Fête de la Musique. Seul avec sa guitare, il éperonne le public avec délectation, voix éraillée, textes incisifs, personnalité évidente méritant nettement mieux que sa notoriété actuelle. Puis Habib Koité et Bamadas ont enchaîné avec une musique à danser, à faire chalouper les corps. Rythmes africains, voix claire d’un griot moderne, ambiance de fête. C’est un pays de soleil que le Mali nous envoie avec cet artiste généreux et attentif, dans la tradition des humanistes à la Ismaël Lo ou Salif Keïta. Un Grand barde à découvrir comme une passerelle entre les cultures.

Bernard O avec Habib Koité

Pour finir, Darko Rundek impose, avec son Cargo Orkestar, un univers atypique entre la musique des Balkans, les influences diverses puisées dans son exil à Paris et ses rencontres musicales détonantes. Darko est adorable, l’air décalé d’une star de l’ex-Yougoslavie revenu de l’enfer avec des yeux d’enfant émerveillé par la beauté d’un monde régénéré. Il commence doucement son set pour finir dans une explosion festive, musique délire bien dans l’esprit d’un Brégovic matinée d’ingrédients occidentaux.  Darko Rundek, retenez ce nom et n’hésitez pas à acheter un billet pour son concert s’il passe près de chez vous, son spectacle est un enchantement pour tous publics.

Une bien belle Fête de la Musique ! Mais au fait, où est passé mon cousin ? Avec sa guitare à la  main et ses rêves en bandoulière, il s’est fondu dans la nuit, à la recherche d’un futur de légende. Allez, petit cousin, à toi de choisir ton destin, la vie est belle pour les âmes généreuses. N’oublie pas de rester serein devant la folie d’une notoriété de circonstance, les adulateurs d’aujourd’hui sont les grands absents de demain et les notes, mêmes les plus belles, s’envolent toujours au gré du vent.

Salut donc à Cédric Oheix de la part de Bernard Oheix.

 

 

 

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La femme au visage d'ange

Publié le par Bernard Oheix


Bon, vous aviez oublié quel être pervers je suis, suppôt de mécréant, attiré par le mal, capable de se complaire dans la peinture du sordide en jouissant de la douleur des autres. Cela fait quelques temps que je ne vous ai pas présenté une nouvelle bien crade, glauque à souhait, avec du sang et du sexe, de la drogue et des coups...
Voilà donc l'histoire tragique d'un ange déchue, à vous de comprendre et de trouver le coupable. Et si c'était vous, le lecteur ! Et si c'était nous ?

Un visage au teint de pêche et deux yeux immenses à la prunelle d’un bleu translucide. La courbe de la joue, l’arc d’un sourcil et l’arête délicate du nez. Le front si lisse. La bouche en cœur découvre de petites dents à l’émail immaculé. Un casque doré de cheveux cendrés si fins que les pales du ventilateur les font bruisser dans le silence absolu qui règne, unique touche vivante de ce tableau d’une mort alanguie. Icône douloureuse, portrait d’ange déchu. C’est ainsi qu’elle m’est apparue pour la première fois, allongée sur la table d’autopsie, le corps dissimulé sous un linceul blanc. Elle reposait, la tête de guingois, elle respirait encore la sérénité d’une fin espérée, comme si ce bref passage d’un monde bien concret à un autre plus évanescent n’était que pure formalité, simple trait d’union entre la vie et la mort, entre l’horreur et le bonheur.

J’ai fait glisser le drap sur ses épaules, j’ai dévoilé sa nudité. Choc. Sa peau était marbrée, chaque centimètre arborant la marque de son calvaire. Teinte jaune en cercles concentriques, cœur marron, strates en auréoles d’un bleu sombre comme les nuits de son enfer. Tableau d’apocalypse des souffrances infligées. Calvaire au quotidien, des coups si profonds s’inscrivant à jamais dans sa chair pour écrire une partition abjecte. La peau était lacérée en plusieurs endroits, des blessures anciennes aux lèvres desséchées qui baillaient. Des marques de brûlures de cigarettes parsemaient sa poitrine maigre. J’ai observé ses bras. Des orifices purulents couraient le long de ses veines, chaque étape l’enfonçant toujours plus dans une dépendance à l’héroïne la plus dure, la plus sordide, d’une plongée dans l’enfer de son existence pour rien, pour le néant d’une vie sans illusion. Elle se piquait sans amour, sans considération pour une enveloppe charnelle qui ne lui importait plus, pour une coquille vide dont l’âme s’était depuis longtemps évanouie dans les affres de l’abomination. Il fallait suivre la géométrie de ses trous béants pour saisir les frontières de son désespoir. Des aiguilles sales qui injectaient un soupçon d’oubli en lui inoculant la force de survivre en la condamnant. Des infections à répétitions, germes de mort dans une chair déjà putride.

Le drap qui la recouvrait a chu sur le carrelage froid, dévoilant son ventre. Sa nudité incongrue parlait d’elle-même. Il n’y avait pas besoin de légende. Son pubis rasé surmontait un amas de chair informe. Cette alchimie mystérieuse d’un corps de femme se trouvait soudain confronté aux délires d’un tableau de la perversion. Un pilori lui avait labouré le sexe au fil d’heures sordides. Les lèvres écartées de son intimité n’étaient que crêtes racornies striées de traînées de sang séché. Son clitoris violacé se dressait comme un ergot racorni inutile, petit phare attirant la tempête, siège d’un plaisir qu’on lui avait dérobé, simple indication d’un corps brisé à qui l’on pouvait tout demander, sauf la jouissance, sauf la certitude d’exister. Plus profondément encore, une cicatrice verticale aux rives ourlées de scarifications, une ultime étape avant la plongée dans son enfer.

Elle avait 19 ans. Elle pesait 38 kg. C’est peu, même pour un petit bout de femme d’1,52 m. Malgré tout, c’est beaucoup pour une anorexique qui régurgite depuis de longues années tout ce qu’elle ingère et vomit par la bouche toute la haine accumulée dans des journées sans lumière. De ses ténèbres, le plus étrange est qu’elle ait conservé ce visage d’ange, comme pour rappeler aux hommes le poids de leurs crimes. On l’avait retrouvée dans la chambre d’un squat crasseux, à peine éteinte, brûlée au soleil d’une longue agonie, dans les déchets d’une humanité d’infortune. Elle s’appelait Rosemonde et sa destinée lui avait échappée, il y a bien longtemps, des siècles si l’on considère le poids de ses douleurs, quelques années seulement si l’on parle d’une femme qui aurait pu être une enfant malicieuse au regard dévorant la vie.

 

Rosemonde était née dans la banlieue de Paris, un petit cottage simple et nu, intermédiaire entre la cité où s’entassaient des peuples chassés par la misère de leur terre d’origine et la ville noyée de lumières qui flamboyait en bordant leur horizon. Un trait d’union traçant une frontière indélébile entre leur aspiration à être propriétaire en s’affranchissant de leur condition modeste et le cancer de cette zone promise à la fureur d’habitants sans espoir. On était en 1983 et l’union de la gauche se fondait dans la nuit. Sa mère avait voté Mitterrand, son père, militant communiste, vivait la trahison de ses idéaux comme un renoncement à un monde meilleur, plus juste, un monde où les hommes auraient regardé l’avenir avec confiance. Il prônait une radicalité et un alignement sur les vestiges d’un empire soviétique encore rassurant.

C’est une voiture volée qui vint le percuter au sortir d’une réunion de la cellule Maurice Thorez du Parti Communiste dont il était le secrétaire actif. Deux jeunes sans permis avec plus de 2 g d’alcool charriant la haine dans leur sang. Ils cherchaient à fuir la sirène hurlante d’un véhicule de la gendarmerie et à 120 Km à l’heure, éperonnèrent une silhouette flou. Il mourut sur le coup et sa fin fut le début du calvaire de Rosemonde.

On peut survivre à la disparition d’un être cher. Le temps a des vertus cicatrisantes et l’on apprend à vivre sans l’aimé. C’est ainsi depuis toujours, une loi de la nature qui protège ceux qui restent devant ceux que le destin appelle à se fondre dans le grand désert tout blanc. Au début, la douleur semble si violente qu’il apparaît que plus rien n’a d’importance et que les contours du monde s’estompent à jamais. Et puis les vagues de la réalité viennent submerger la douleur, offrir l’asile d’un oubli salvateur. L’absence au cœur, on peut se reconstruire et renaître à l’espoir. Il reste une épine dans la chair comme un rappel vivace de celui qui fut, mais la vie est plus forte que la mort. On fait avec. Et Rosemonde n’avait que 8 ans après tout.

Sa mère n’avait jamais travaillé, elle élevait cette fille trop vite née d’une union précoce. Elle était passée sans transition de l’état d’apprentie coiffeuse à celui de génitrice enfermée dans un pavillon trop étroit. C’était son mari qui tenait les fils de sa vie, elle fut abandonnée à elle-même. Sa peine se doublait d’une angoisse devant l’avenir. Elle dut se résoudre à vendre le pavillon trop tôt pour en tirer profit, l’essentiel de la vente couvrant le crédit qui courait sur 20 ans dont les intérêts dévorèrent le maigre pécule qu’elle put en tirer. Elle se retrouva dans cette cité qui bordait leur horizon et qu’elle avait tenté de fuir, seule et sans ressources.

Peut-on lui en vouloir de n’avoir su élever cette fille qu’elle comprenait si peu ? Elle trouva un travail de serveuse dans un bar de nuit, fréquenta quelques hommes pour rompre sa solitude et entendre des mots d’amour que plus personne ne pouvait lui susurrer sur l’oreiller de ses nuits blanches. Elle but, et prit l’habitude de se faire raccompagner chez elle. Au début elle fermait la porte et demandait à ses hôtes d’une nuit d’être silencieux. L’usure du temps, une proie si facile, l’ingestion d’alcool, elle était payée au rendement et au pourcentage, l’argent facile que lui octroyaient quelques clients, eurent rapidement raison de ses ultimes résistances.

C’est à l’âge de 12 ans que Rosemonde fut violée par deux clients ivres que sa mère avait eu l’imprudence de ramener chez elle. Elle s’abattit sur le canapé, terrassée par les nombreux verres ingérés, frappée d’un sommeil comateux sans rêves. En déambulant dans la maison, ils trouvèrent la chambre de l’enfant, une petite fille si belle et fragile au regard terrorisé. Elle était assise dans son lit, muette, et regardait la nuit se déchirer devant elle. Ils jouèrent à la poupée avec son corps sans défense. Leurs doigts sales parcourant sa peau si tendre et pinçaient avec violence son épiderme délicat. Elle serrait les dents et son corps se fermait devant l’assaut. Elle ne pleurait pas. Le premier la força de son sexe dur, de ses tissus déchirés un filet de sang s’écoula traçant un chemin d’ignominie sur le drap froissé. Le deuxième la retourna pour la sodomiser et elle s’évanouit en mordant l’oreiller, seule et unique révolte d’un jouet trop vivant dans les mains de ses bourreaux Ils lui dérobèrent les maigres restes d’humanité et d’amour qui restaient ancrés en elle. Rosemonde était prête à affronter son destin.

Sa mère refusa de voir le drame qui s’était joué sous son toit. Inconsciemment, sa culpabilité l’étouffait. Elle l’enferma dans un silence de complicité et rien ne pu s’exprimer qui aurait dû la libérer de ce qui l’oppressait. Elle cessa de parler pendant des mois avant de retrouver un semblant de vie normale. Ses études étaient mauvaises, sa vie sociale inexistante. Elle semblait incapable de suivre le cours d’une pensée, le raisonnement qui devait la mener d’un point à un autre. Il n’y avait plus de centre pour elle, plus de contours non plus, juste un grand vide délétère dans lequel elle s’enlisait de ne pouvoir enfin être la victime nommée des autres. Le silence était assourdissant.

A 14 ans, elle se prostitua pour la première fois, un homme lui tendit un billet de 100 francs pour qu’elle le suce dans la cave de son immeuble. Elle n’hésita pas, se retrouvant dans les hoquets de son dégoût, enfin en accord avec ce mal qui la rongeait insidieusement et qu’elle expurgeait en déglutissant le sperme de ce sexe enfourné entre ses lèvres fines. Elle était encore belle, un visage d’ange mais son cœur était noir, de la noirceur de ceux qui l’avait avilie à jamais. Son anorexie date de cette époque. Elle prit l’habitude de dégueuler tout ce qui tentait de pénétrer dans son corps. Elle était incapable de conserver la moindre parcelle de nourriture sans l’expulser avec rage. Il lui restait le sexe des hommes pour se remplir et bientôt, l’héroïne à s’injecter dans les veines pour se fuir.

Sa carrière de pute fut brève, intense et violente. Un concentré en quelques années de ce qui prend une vie d’avilissement chez la plupart des autres prostituées. Elle vivait en accéléré, comme un film dont la vitesse se serait déréglée, pantin aux gestes mécaniques. Elle brûlait les étapes de son chemin de croix.

Un petit loubard du quartier avait mis la main sur elle. Contre un peu d’argent, quelques joints ou une bouteille de gin, il l’offrait à qui la voulait dans la cité. Sa réputation grandissait, débordant largement les cages d’escaliers et les caves sombres et humides dans lesquelles elle se vautrait. Petites transactions marchandes insatisfaisantes. Il la céda pour 2000 balles, le prix d’une chaîne pour écouter sa musique, à un mac de Belleville qui l’installa dans un studio et elle reçut, pendant près de deux années, des clients plus fortunés, exigeants venant chercher leur content de sensations brutes. Elle apprit les gestes de l’amour tarifé, les codes en vigueur, se mettre à quatre pattes pour se faire enculer, se vêtir de cuir et fouetter des postérieurs gras et luisants, se faire uriner sur le visage et simuler des orgasmes avec sa voix de petite fille qu’elle conservait comme un trésor caché. Elle lavait les queues dures ou molles d’hommes qui ne la voyaient pas, elle s’occupait de leur vider leur tension en gros crachats saccadés de sperme d’une bite soudain folle, tétanisée. C’était une bonne gagneuse qui ne lésinait pas sur le travail et rapportait gros à ses protecteurs, un investissement rentable. Elle eut même son heure de gloire éphémère dans le monde de la nuit perverse.

C’est à cette période qu’elle se piqua pour la première fois, de l’héroïne pure et dure qu’un client s’injectait avant de se faire enfoncer un goulot de bouteille dans l’anus. Elle goûta aux paradis d’artifices. C’est là qu’elle sut avec certitude que son calvaire allait enfin cesser et qu’une voie pour échapper à son enfer se dessinait. Elle se piqua alors avec l’énergie du désespoir, attendant ces quelques minutes de rémission d’un fix avec la volupté d’un ange déchu. Tout son argent passait chez les dealers du quartier et elle perdit rapidement pied, n’eut plus goût à son travail, accomplit mécaniquement sa mission sans prendre garde à ses clients. Les réputations se font vite et se défont encore plus rapidement. Le mac, ne pouvant plus la contrôler malgré les coups qu’il lui assenait pour la faire rentrer dans le rang, se dépêcha de la revendre 20 000 francs à une bande de Croates qui tenait les trottoirs de Vitry. Il avait largement amorti son investissement dégageant même une plus value conséquente. Il savait, dans cette lie qui était son quotidien, que l’on ne peut lutter contre le désespoir absolu d’un être, même la peur est inopérante. Quand le fiel s’est installé, l’on ne peut que s’incliner. Le mac perdit ainsi un de ses meilleurs placements, les Croates misèrent sur du court terme.

Elle du faire de l’abattage par vents et par pluie, dans le froid, toutes les nuits de chaque semaine sans jamais un jour de repos, exposant ses formes faméliques sous des tenues de cuir, ombres sans visage qui lui défonçaient le cul sans capotes dans des voitures qui empestaient la bière et la sueur, à même le goudron et les immondices des impasses dans lesquelles les anonymes sans paroles venaient assouvir leur besoin pour quelques billets qu’on lui arrachait immédiatement. Elle devait rembourser sa dette, à ses souteneurs comme à la société, à ses clients comme à ses espoirs avortés. Il n’était pas question de rentrer avant d’avoir gagné 5000 francs en moyenne, entre 15 et 20 clients par nuit suivant leurs demandes spécifiques. Elle y arrivait difficilement, c’était si dur de se traîner sur ce carré de trottoir sale pendant des heures à attendre qu’un éclair de feu puisse de nouveau l’embraser en la projetant dans un ailleurs sans rémission. Il y avait les coups qui pleuvaient quand elle n’atteignait pas son objectif, des bâtes de baseball, des ceintures à bout clouté, du fil de téléphone pour la ligoter et jouer de son corps en d’interminables joutes horrifiques. Il existait tant d’autres moyens de faire plier sa volonté sans briser son désespoir. Et jamais elle ne mangeait, le mot obscène de nourriture la révulsait. Elle grignotait quelques miettes et se vidait à son tour dans un flot de bile noire comme son anéantissement.

Elle passa à des drogues moins chères et plus sordides, des cocktails coupés à la strychnine, des compositions artisanales incertaines qu’on lui fourguait parce qu’elle était connue désormais, que l’on savait que rien ne l’arrêterait dans sa chute, qu’elle pouvait tout ingérer, même les drogues qui font exploser la tête sans apporter de bleu à l’âme, sans soleil, juste des éclairs sauvages qui privent d’horizon et laissent pantois, la bouche sèche, le corps envahi d’amertume. Et plus elle consommait de son poison, plus elle devenait une poupée mécanique privée de sens, incapable d’assurer son service, rebut de la fange, pute de bas étage jetant l’opprobre sur cette corporation de matrones où toutes se côtoyaient, s’épiaient et se dénonçaient sans vergogne. Rosemonde puait la mort et rien n’indispose plus celui qui paye que ces relents putrides, quand plus rien n’a d’importance et que le jeu ne terrorise même plus. Il lui fallait descendre encore d’un étage dans la boue de l’humanité avant de s’en évader. Elle plongea alors vers son destin funèbre avec le détachement de ceux qui ne peuvent que tomber en se brisant les ailes.

Elle fut rétrocédée pour effacer une dette de poker à un Turc taillé dans la pierre. Un géant d’Anatolie aux muscles noueux, le front bas, la moustache noire et fournie. Il s’était fait une spécialité d’apporter du sexe à bon marché dans les foyers de travailleurs immigrés de la région parisienne. Zones de non droit tenues par des caïds locaux profitant de toutes les faiblesses de ceux que la solitude rongeait et qui s’abîmaient les mains à défoncer les rues et bâtir des maisons accueillantes aux fenêtres ajourées. Une aubaine pour des ventres sans tendresse. Son cerbère troquait une chambre contre un bon repas et une passe gratuite, redistribuait 5 francs par client au responsable du bâtiment et les résidents, avertis par quelques relais occultes, se présentaient avec leurs 50 francs à la main, faisant la queue dans le couloir à l’éclairage glauque. Une queue pour la queue. Ils disposaient de dix minutes pour satisfaire leur besoin. La pièce était plongée dans la pénombre tant son corps dénudé désormais inspirait du dégoût. C’est le Turc qui encaissait directement à l’entrée. Elle pouvait se faire, les bons jours, jusqu’à 80 clients à la chaîne. Près de 4000 balles en petites coupures même s’il fallait déduire les frais et entretenir Rosemonde en drogue.

Chacun entrait et dans la pénombre, malaxait son sexe afin d’entrer en érection et se frayait un chemin dans les replis de sa chatte déchirée, accentuant toujours plus le vide qui régnait en elle. A certaines aubes blafardes, son ventre dégoulinait de sperme, ruisselait sur ses jambes, s’écoulait sur le carrelage froid, formant une mare dans laquelle le Turc glissait en comptant les billets fatigués qu’il attachait avec un élastique. Elle n’était qu’une poupée froide en latex, presque morte. Un endroit où éjaculer à bas prix pour un salaire de l’horreur, l’antre noir de la mort rampante.

 

Qui est responsable ?

Elle ne se posait plus ce genre de questions depuis très longtemps, plus de ces interrogations inutiles qui font resurgir des mémoires enterrées, des bribes d’un passé en lambeaux. Le mac lui jetait quelques billets gluants sur le visage, lui donnait sa dope, et la raccompagnait dans un squat sous la garde d’un de ses cousins qui se faisait sucer pour passer le temps. Il fallait qu’elle tienne le plus longtemps possible, il avait encore tant de dettes de jeu, une malchance permanente aux cartes qui durait depuis de longs mois. Il savait que ce n’était qu’une mauvaise passe et que la fortune reviendrait pour lui sourire. En attendant, il honorait ses dettes grâce à l’abattage de Rosemonde, celle que tout le monde pouvait s’offrir tant son prix n’était plus une contrainte. Elle était 38 kg de viande avariée.

 Elle se couchait entre des draps sales, se piquait dans un endroit de sa peau encore accessible à la seringue crade qu’elle conservait à la tête de son grabat. Elle devait chercher sa veine et fouailler longuement avant de pouvoir pomper le venin dans son sang. Il en restait si peu. Alors, seulement, elle se laissait aller dans un coma bienfaiteur, dans cet état d’insensibilité pendant lequel elle n’avait plus faim, plus soif, le cerveau au ralenti incapable de fonctionner sur le temps. Elle s’accrochait à des images simples comme le bonheur. Un coin de rideau propre, la couleur pâle du ciel, l’éclair d’un rayon lumineux. Le vide aussi.

 

Un matin, il la retrouva le regard fixe, l’œil halluciné, le souffle court. Il décampa et disparut de la ville pendant quelque mois. Ce n’est qu’au bout de trois jours qu’un coup de fil anonyme informa les pompiers de sa présence dans l’immeuble sordide. Ils vinrent la chercher et l’ambulance la déposa à l’hôpital. Un dernier halo blanc au fond de sa rétine et elle s’éteignit comme une chandelle au souffle de la tourmente.

 

Qui est responsable ?  

Son père, qui aurait pu éviter cette voiture folle s’il avait un peu moins pensé à Staline et un peu plus à sa fille ? Sa mère, si seule et désemparée dans un monde où elle n’avait pas de place ? Ces deux monstres qui la forcèrent à des jeux d’adultes dans leur ivresse et souillèrent à jamais son corps meurtri en déchirant son horizon ? Son premier copain qui la refilait à des potes pour quelques cigarettes de shit ? Toute cette chaîne de souteneurs qui organisaient sa fuite dans l’indicible sans un regard pour sa douleur et son corps en lambeaux ? Celui qui lui fit découvrir l’héroïne et la fixa à jamais dans des territoires sans frontières ? Les Croates ? Les Turcs ? Les travailleurs immigrés qui abusaient de son corps pour 50 francs ?

 

Qui est responsable au fond de cette tragédie ?

Pas le manque de chance, il est si également partagé que l’on ne peut s’appuyer sur lui pour la juger. Pas son courage emporté comme un fétu de paille par les passions avides, elle était si démunie devant la force brutale de l’homme. Pas une fatalité morbide qui ferait que certains devraient payer à l’aune de leur sang afin que les autres puissent leur survivre. Non, il reste la pureté miraculeuse d’un visage d’ange étrangement épargné pour nous renvoyer aux miroirs de nos actes. Ne voulait-elle point, tout simplement, nous faire regretter par-delà les nuages de ne pas l’avoir protégée et par notre propre faiblesse, de l’avoir condamnée à une si brève vie de douleurs ? Tant de gens à la croiser sans la voir. A l’ignorer par dédain. A détourner les yeux. Tant d’autres à sortir des billets sales pour des plaisirs égoïstes. Tant d’appels pressants restés sans réponses.

Tant d’indifférence.

 

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La mariée des Anges

Publié le par Bernard Oheix

 

Un petit discours pour un grand départ au large. Marie-Ange depuis 11 ans dans cette équipe superbe de l'Evénementiel du Palais des Festivals de Cannes, qui travaille avec intelligence dans une harmonie étonnante. Il fallait bien que l'histoire nous rattrappe, que l'envol des autres précède des horizons si proches, annonce un futur de parenthèses... Oui, un petit discours à lire entre les lignes, qui a tiré quelques larmes des beaux yeux de "La Marie-Ange de l'ombre", la voix éternelle de l'Evénementiel.

Cette voix va cesser d'informer, mais elle nous en dit plus sur nous-mêmes que beaucoup d'autres bien inaudibles ! 

 

Tant d’années partagées…que le temps passé impose parfois sa dure sanction !

Tu vas nous quitter, Marie-Ange, tu vas entrer dans un monde nouveau, celui de la retraite, celui du temps retrouvé, de cette liberté à laquelle nous aspirons tous mais qui nous fait parfois si peur. Sauras-tu relever le challenge d’une nouvelle vie à construire, d’horizons mystérieux à découvrir, de rivages désertés de tes certitudes et de ce qui fait le quotidien de ta vie depuis tant d’années vécues de concert ?

J’ai eu l’occasion au cours des anniversaires qui parsèment la vie d’une équipe de travail, de faire des mots d’amour pour des collègues qui surfaient sur le cap des 30 ans avec leur beauté orgueilleuse, qui éperonnaient la montagne des 40 ans avec la certitude d’une vie de richesse, qui glissaient irréversiblement sur les pentes cinquantenaires avec l’angoisse au fond du cœur d’un crépuscule annoncé… Mais des départs en retraite de Russie, combien peu en avais-je fait ! Si je compte bien, hormis l’Eve en feu qui tricha quelque peu en anticipant son âge de révision finale, tu es la première à partir en retraite légale sous mon ère, annuités réalisées, satisfaction du devoir accompli, médaille en prévision au revers de ton décolleté discret.

Et oui, Marie-Ange, tu seras éternellement la première de ma longue carrière à renvoyer vers l’hypothèse de mon propre départ, vers la fin des mythes : je ne suis pas indestructible et coulé dans l’airain, tu ne seras plus ma collaboratrice dévouée et efficace et je te suis de bien près sur ton chemin de croix.

 Tu annonces ainsi la fin d’une époque, le début d’une mutation en profondeur, les changements nécessaires pour que la nature conserve ses droits : les vieux à la casse, place aux jeunes ! Je suis d’une extrême maturité, tu n’es plus toute jeunette, mais au fond, est-ce tellement important ? Les flacons ne sont-ils point porteurs d’ivresse !

Et puis, souvenons-nous de ces 11 ans passés en commun…quasiment le tiers de ta vie professionnelle en compagnie d’une horde culturelle affriolante, de ces gorgones gardiennes du temple piaillant comme des orfraies, de ces soubrettes de la culture avec un grand C comme Chaleur, Câlin, et autres Chiennes de Charme de Crime d’amour… même si quelques bouledogues traînaient au milieu en tentant de délimiter leur territoire, surtout quand les adorables Claudettes stagiaires de chic promenaient leur élégante silhouette dans les bureaux sombres du fond.

La moitié de ta vie dans ce beau Palais des Festivals, tu l’as passée à recoudre les boutons de la braguette de ton directeur, à pratiquer un massage shiatsu sur la nuque fatiguée dudit directeur, à apporter un succulent fourré au chocolat adoré par ton directeur, à concocter un café pour calmer sa langueur et à répondre accessoirement à des foultitudes d’âmes en peine en train de se poser la question du contenu d’une pièce de théâtre, de l’heure de fin d’un concert ou de la longueur des moustaches du capitaine. Tant d’heures au téléphone pour que le monde continue de tourner dans le bon axe, que les salles soient pleines et que la culture rayonne dans le firmament cannois.

Car disons-le tout net : tu as choisi de venir nous rejoindre en ton âme et confiance. Tu as décidé de venir te brûler au monde de la nuit. Au passage, tu as subi une diminution de salaire conséquente, preuve si besoin était, que tu n’étais plus vraiment consciente et que les vers de la sénilité devait agir déjà en prévision de cette heure fatidique où tu rejoindrais le monde des inactifs. .

Depuis, en plus de ton occupation annexe d’être la Mère Térésa de tous les paumés de la Culture, la matrone des stagiaires déboussolés devant cet univers iconoclaste, tu as glissé d’innombrables plaquettes dans autant d’innombrables enveloppes, boudiné de tes mains agiles des documents retors, assisté des invités en les faisant patienter pendant que le personnel de l’Evènementiel se gaussait et ripaillait de fraises Tagada et autres gâteries importées par Marie, Sophie et tous les autres.

Je me dis devant ce tableau noir, que j’aurais pu t’aider et t’offrir un peu de rêves. Mais je l’ai fait, mon Ange, dans ces soirées où tu t’immisçais afin de partager avec le public les rires d’un acteur, les larmes d’un auteur, l’autre émotion d’une salle communiant avec un spectacle magique.

Car tu en as vécu de belles soirées, tu t’es payée sur la bête humaine, notre culture, et je ne sais pas si tu as gagné une portion de paradis en travaillant avec nous, mais je reste persuadé que tu as obtenu, par ton action, le droit de revenir incessamment en deuxième semaine. Notre cadeau d’adieu est un passeport permanent pour les salles de spectacles… ce n’est que justice après tout que de pouvoir goûter enfin au plaisir qui t’a torturée de si longues années.

Je pourrais aussi te confier plein de choses émouvantes. Combien ton calme était précieux, comme ton charme opérait, toutes les nombreuses fois où les producteurs, les artistes, les tourneurs me confiaient à Séville, Essen où en Russie, la mission de saluer La Marie-Ange de la Miséricorde de leur part, même s’ils ne te connaissaient que par le biais d’un téléphone.

C’est ce téléphone que l’on te greffa pour le meilleur et pour le pire à ta naissance, qui t’accompagna tout au long de ta carrière et qui nous permettra de maintenir un lien permanent avec toi. Car tu n’en as pas fini avec nous. Il y aura bien un bouton de guêtre qui sautera, un concert à ne pas rater, quelques millions de tracts à encarter bénévolement en encadrant des stagiaires rétifs… Nous saurons t’appeler et te rappeler qu’il n’y a pas qu’être grand-mère qui compte dans la vie et que la verdeur du cœur et un cerveau en pleine activité restent le meilleur gage pour mourir en pleine forme…à l’âge de 100 ans ! Ces 40 années qui te restent à vivre ne seront pas de solitude puisque nous serons toujours là pour te dire : Marie-Ange, on t’aime, reste avec nous !

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Indignation

Publié le par Bernard Oheix

 

J’ai longuement hésité avant de publier ce texte. Mais ce blog est un espace de liberté, le mien avant tout, parce que je l’ai décidé et créé. C’est aussi le vôtre, parce que vous pouvez interrompre à tout moment votre présence en cliquant sur « end », voire répondre à mon texte dans la rubrique des commentaires. Je ne parle pas de politique, ou ce serait dans un sens si large que la grille de lecture ouvrirait sur des espaces infinis. Ce n’est pas une polémique autour de la libération d’Ingrid Betancourt qui m’a poussé à écrire ce texte, mais il s’agit bien d’humanisme, d’ouvrir les yeux sur la réalité, d’accepter nos imperfections pour remettre du sens dans la marche de l’humanité. Ma parole n’a de sens que parce que je décide d’ouvrir mon cœur, je vous livre donc mes états d’âme concernant cette indigestion d’une libération orchestrée par les dieux de la pub !

 

 

 

Voilà donc libérée la femme la plus célèbre des otages de la planète, on ne peut que s’en féliciter. Le sort d’une femme à qui l’on a dérobé six ans de sa vie ne peut que nous toucher.

Mais on va en bouffer des commentaires, des discours et des sourires béats. On peut être certain que cela va pleurer dans les chaumières, je vois déjà les yeux humides de la ménagère de 50 ans ! Qu’elle soit de la grande bourgeoisie, notable parmi les notables, avec une famille riche et des soutiens effectifs, des relais dans l’opinion, tant mieux ! Est-elle pour autant obligée de nous infliger une génuflexion et la prochaine bénédiction du Pape ? Pourquoi notre président campe-t-il comme un Artaban au siège de la victoire ? Cela a un fâcheux goût d’infirmières Bulgares, de récupération et d’autocongratulation. Oublié la pantalonnade de l’avion sanitaire, l’agitation vibrionnante d’un ministre Français des Affaires Etrangères, les discours de la méthode et les positions divergentes d’avec Alvaro Uribe, envolée la thèse de la négociation forcenée, de l’appui du sulfureux Chavez…Que la victoire est belle, surtout quand elle tombe si opportunément d’un ciel assombri par tant de nuages !

Reste un monde dans lequel on voudrait nous refourguer une nouvelle icône, une madone du courage, qu’elle est sans doute, mais dont l’utilisation sent la poudre aux yeux à plein nez !

Que fait-on pour les centaines, les milliers d’otages des Farc comme de toutes les autres organisations terroristes ou mafieuses qui restent derrière des barbelés et n’ont, comme défaut, que d’être pauvres et invisibles ? Que fait-on contre la forme la plus aboutie de l’esclavage moderne d’un ultralibéralisme qui conjugue l’oppression de l’homme au service de l’économie ? Ces millions de travailleurs immigrés qui triment 7 jours sur 7, dans des conditions indignes, sans aucune protection, bien au contraire, avec l’aval et sous la férule des autorités. Qu’ils soient Chinois, Pakistanais, Arabes, noirs, jaunes ou blancs, qu’ils viennent de quelques horizons que ce soit, ils sont des otages modernes, et eux, n’ont pas l’espoir d’une libération prochaine. C’est leur vie sur les chantiers des Emirats, dans les souks de l’Orient, dans les ruelles sordides de notre confort, qui est leur enfer quotidien !

Que fait-on pour les enfants soldats embrigadés dès leur plus jeune âge, à qui l’on apprend à tuer comme d’autres respirent ? Que fait-on pour les poupées Russe ou Moldave jetées sur les trottoirs de notre prostitution, otages de l’avilissement de la femme par l’homme pour une poignée d’€ ?

On a construit une société où les plus forts sont de plus en plus forts, où les riches sont de plus en plus riches, où ceux qui ont raison, ont raison contre tous les autres, et l’on voudrait nous fourguer une Jeanne d’Arc en barrage à la terreur !

C’est le monde qui est malade, malade d’égoïsme, malade de l’abus du pouvoir, de la perte de l’identité et des repères, de l’acculturation forcenée. Ce sont les mêmes qui sèment la mort par asphyxie à des populations entières en butte à la famine parce que la spéculation a gagné les cours des matières premières. Que les fonds de pension décapitent par leur exigence de rentabilité des pans entiers de l’économie, on trouve cela normal, c’est le capitalisme triomphant de ceux qui n’ont même plus en mains les rênes du travail, mais en possèdent les leviers pour se distribuer des dividendes. Que l’on massacre la planète en refusant d’ouvrir les yeux, que l’on ai créé les conditions des haines qui déciment des populations en Afrique, que le colonialisme se soit transformé en une oppression encore plus terrible dans des pays qui crèvent de faim pendant que leurs dirigeants corrompus croulent sous les richesses, que les flux avec les pays pauvres soient en défaveurs de ceux-ci, que la crise des « subprimes » soit soldée par les plus pauvres et pas par ceux qui en ont largement profitée et se sont constitués des trésors de guerre, à l’abri de toutes fluctuations…

Je ne peux avoir de commisération sélective, je ne peux imaginer que l’utilisation de la libération d’une Ingrid Bétancourt serve la juste cause des opprimés, des vrais, ceux qui sont nés pour être des esclaves et le resteront à jamais.

Alors désolé, Ingrid. Vos larmes sont touchantes mais n’assèchent que vos yeux, les miens sont ouverts sur des drames tellement plus terribles, où la vie n’a plus de valeur, où l’espoir ne peut renaître puisqu’il n’a jamais existé !

Et si nous décidions tous d’ouvrir les yeux, alors ce ne serait point des larmes qui en jailliraient, mais des rires, celui des enfants qui auraient enfin un avenir pour chasser leur passé de misère.

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La crème de Chantilly

Publié le par Bernard Oheix

 

 

Et s’il existait un authentique Festival de Feux d’Artifice intelligent… une manifestation qui servirait la cause d’un art trop méconnu, un lieu où l’on pourrait voir les plus grands concepteurs, échanger avec les artificiers dans un endroit chargé d’histoire qui vous provoque le syndrome de Stendhal rien qu’à  plonger dans ses ors, où l’on se retrouverait entre gens de bonne compagnie en train de ripailler avant de plonger le nez dans les étoiles pour oublier un monde qui brinquebale et tangue sous l’impact de bombes autrement meurtrières ?



 une partie du jury avec la présidente Marthe Villalonga égarée dans un couloir dérobé secret du Château de Chantilly.


Si ce lieu existait, je refuserais d’en parler ! Je nierais en bloc et attaquerais mon interlocuteur en parlant immédiatement du Festival Pyrotechnique de Cannes que j’organise. Je déclarerais que nous sommes avec Montréal le plus grand festival du monde, que la baie de Cannes est l’écran de tous les désirs des artificiers et que pour vaincre chez nous, il faut avoir du génie plus que du talent. J’ajouterais, sans mauvaise fois, qu’obtenir une Vestale d’Argent ou d’Or, c’est le Graal de tous ceux qui se consacrent à griffer le ciel de leur signature éphémère, c’est gagner un bout de son paradis, entrer dans la légende et marquer l’histoire d’une empreinte indélébile.

Je parlerais bien sûr des nuits étoilées, du sable blond dans lequel un jury d’exception se vautre pour méditer, de la douceur de nos nuits câlines, de cette immense baie meublée de couleurs et de bruits, de l’histoire de notre manifestation où les Panzera, Igual, Lacroix et tant d’autres historiques des feux ont inventé un art nouveau pour les jeunes générations.

Je pourrais même raconter des anecdotes succulentes, des histoires d’histoires, des pages non écrites… mais je n’en ferais rien !

Je ne vous parlerais point de mes angoisses existentielles concernant une manifestation qui draine 150 000 personnes à chaque feu. Je ne vous donnerais pas le montant des retombées économiques colossales de chaque soirée d’artifice sur la vie économique locale. Je n’aborderais même pas les contradictions d’un dossier perclus de rhumatismes, les audits techniques, la législation de plus en plus complexe, le sous financement chronique, le montage de nuit imposé, l’impossibilité actuelle de préparer l’avenir et d’apporter du sang nouveau à un colosse aux pieds d’argile.

Non, cela ne m’intéresse pas de vous parler du Festival Pyrotechnique de Cannes puisqu’il s’agit ici de faire le compte-rendu des Nuits de feu de Chantilly.

Et pourtant, vais-je enfin faire mon coming out ? Oserais-je vous dire l’attachement que j’ai pour cette manifestation et pour ceux qui  la conçoivent, l’élaborent, la gèrent avec tant de professionnalisme ? Oui ! Après tout, comment voulez-vous résister à 3 nuits dans un château prestigieux qui vit la naissance de l’Art Pyrotechnique moderne sous l’ère de Louis XIV ?

Imaginez-vous, sur les marches du grand escalier, en compagnie de Marthe Villalonga, Surya Bonaly, Bruno Masure et autres Jean-pierre Mocky, Jean-François Garaud, Aure Atika et Marie-Christine Barrault… La soirée commence par un cocktail à la Volière, dans le flamboiement des derniers rayons du soleil avec une Isabelle Dufresne, la directrice, virevoltante de grâce et d’élégance.

Hélène Thiebaut, agent d'artistes, une rencontre du 3ème type, des projets à venir !

Jean-Eric Ougier le directeur artistique nous propose alors un abécédaire de l’artifice. Démonstration in situ sur la nature des bombes et des effets recherchés, nous ressortons de cette séance avec quelques dizaines de milliers de spectateurs mieux armés pour comprendre les effets des artificiers. Sa firme, Fêtes et Feux, propose un tir d’ouverture qui met la barre très haut pour les concurrents qui suivront. 10 minutes de féerie pure dans un lieu qu’il maîtrise à la perfection, le traître.

Et nous enchaînons avec un Stephane Bern au micro pour la présentation des candidats au Bouquet d’Argent, six firmes sélectionnées sur projet qui vont avoir 14 minutes pour séduire les 50 000 personnes payantes qui garnissent les tribunes et la dizaine de membres du jury. Un feu de clôture par le vainqueur de la précédente édition termine l’embrasement du ciel vers minuit trente, nous laissant groggy, ivres de bruits et de fureur avant de siroter quelques bières en évoquant les destinées du Proche-Orient et la misère de l’ex-Nouvelle Philosophie Française au bar de l’organisation.

Et s’il n’y avait que cela ! Des conditions idyllique d’accueil dans un hôtel de luxe, des voituriers avec des limousines à 130 000€ aux sièges massants avec écran personnel, des visites au Parc d’Astérix, dans les châteaux et cathédrales alentours…

De plus, on fait des rencontres, agents d’artistes, journalistes, comédiens, en déjeunant de concert, avant de se précipiter dans la piscine pour un ballon prisonnier. Le matin viendra toujours assez tôt pour éliminer toutes ces mauvaises humeurs dans un Spa ouvert complaisamment aux muscles las des invités.

C’est dur, je le sais… mais nous sommes des professionnels malgré tout, il s’agit de résister ! Et puis, il y a quand même quelques bons côtés à l’affaire. Par exemple la température glacée et la pluie récurrente qui provoquent une inflation de rhumes, grippes et autres angines. Le merchandising est là pour proposer des polaires, des gilets doublé, des parapluies (sic) !  Les heures de transport pour les milliers de pauvres aficionados bloqués dans une nasse dont on ne peut échapper, l’inflation des prix avec des médailles à tout le monde, le manque de rigueur du jury qui fait n’importe quoi, n’importe comment, par manque de directives et de conditions de délibérations…Je le sais, j’en étais un des membres totalement inefficaces !

Mon coup de coeur de la semaine. Elle m'avait séduit avec ses arabesques sur la glace, elle me conquiert par sa gentillesse et sa finesse. Surya Bonaly, je t'aime d'amour !

Enfin, quoi, c’est Chantilly !  Et vous voudriez en plus aimer ? Et bien, d’accord, je l’avoue, je le crie, je le hurle à la face du monde… Vive Chantilly, Vive les Nuits de Feu, Vive tous ceux qui les font vivre ! Et tant pis pour Cannes !


PS : Bon, heureusement que cette manifestation est en biennale.  Cela nous donne deux années de repos avant de retrouver la corvée de se rendre à Chantilly pour une nouvelle édition du festival. Je ne veux rien dire, surtout pas en rajouter, mais à Cannes, c’est tous les ans que nous illuminons les cieux !


PPS ; Et puis, c’est vrai que nous n’avons pas la silhouette titubante de L…, ex-star d’un soir d’une piscine loftée. A Cannes, il est impossible de la délivrer des traîtresses portes d’un WC de location (haut de gamme les chiottes de Chantilly !) qui refusent de s’ouvrir et où elle restera bloquée pendant 20 minutes d’angoisse absolue pour le monde de l’art. Et comment avoir le Samu, les flics et les pompiers aussi rapidement qu’à Chantilly quand elle tentera de se suicider au petit matin avec le bord effilé d’une cuillère à café. Non, c’est triste, on ne peut lutter avec Chantilly !


PPPS : rassurez-vous, L… a survécu !

 

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Porte-folio : Archive again

Publié le par Bernard Oheix

Juste pour continuer encore à rêver, quelques photos pour se souvenir, comme un clin d'oeil, une façon de perpétuer le plaisir d'avoir aider à l'accouchement d'une oeuvre majeure de la musique. J'en suis persuadé... ce 6ème opus fera référence, il ne vous reste qu'à l'attendre avec impatience...




Dany Griffiths, Darius Keller et Pollard Bernier en pause.


Graham Preskett, le chef d'orchestre et Michel Sajn en grande discussion


Pourquoi je ne parle pas comme Shakespeare.... Bon, ce n'est pas grave, on arrive à communiquer !


Bernard O, l'age des Pink-Floyd, le coeur d'Archive !

PS : Horreur et Dame Nation... Ces photos impromptues, prises à la volée par un spécialiste des photos volées sont signées d'un nom qui claque comme la détente d'un appareil vengeur. Eh oui ! Il s'agit de mon ami Alain Hanel, photographe de mérite qui a couvert les saisons culturelles de Cannes depuis deux ans et réalisé une exposition qui restera tout l'été au sein du Palais. Accès libre. Venez nombreux, vous verrez des images dérobées d'artistes se livrant au public dans la crudité de leur art.
Voilà, mon pote Hanel sera content de ce rectificatif. Pourquoi donc les faiseurs d'images sont-ils toujours dans l'ombre ? Peut-être parce qu'ils sont derrière l'objectif !

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RE-ARCHIVAGE (Histoire vraie)

Publié le par Bernard Oheix

 

J’avais mis en ligne sur ce blog, un billet d’émotion en octobre 2OO7, après un concert d’exception au Palais des Festivals, le plus beau, le plus magique de toute ma carrière professionnelle. Une date blanche pour ce samedi 30 septembre 2007 noyé dans les volutes d’une musique céleste, fusion entre le rock progressif d’Archive et les violons de l’Orchestre Symphonique de Cannes. Une messe pour le temps présent. Une ode à la fureur de vivre et au désir de paix, subtil équilibre entre le pouvoir de la musique et les aspérités d’un monde imparfait. Pendant le concert, mon cœur pleurait dans la certitude d’atteindre par la grâce de cet événement, le paradis des organisateurs heureux. Vous pouvez toujours le relire, (tapez sur l’éphéméride, octobre 2007, colonne de droite), vous saisirez peut-être entre les lignes ce que les mots ont tant de peine à transcrire !

Rappelons-nous…Il ne s’agissait pas d’une simple programmation mais bien d’une production originale montée avec mon compère d’Image Publique, Michel Sajn !

Je pensais ainsi en avoir, hélas, terminé avec mon groupe fétiche, celui que je place au panthéon de ma musique, en compagnie des Pink Floyd, au nirvana des groupes. C’était sans compter sur le destin… Voici donc la suite de mes aventures avec Archive (prononcer Archaïve !).

 

 

Il a deux mois, un maïl de leur producteur Français, Salomon H. atterrissait sur mon écran. Becks, la « manageuse » d’Archive, l’interrogeait pour savoir si l’orchestre de Cannes serait intéressé  par l’enregistrement des cordes, cuivres et percussions de leur prochain album. Elle y évoquait le souvenir d’un concert magnifique, la qualité de l’Orchestre et le désir du groupe de continuer une relation entamée à Cannes en septembre 2007. La réponse du producteur signalait qu’au vu de la complexité du travail en France avec un orchestre symphonique et des coûts rédhibitoires des musiciens Français, l’opération lui paraissait impossible mais qu’il me transmettait le dossier... malgré tout !

A sa réception, je dois avouer être resté dubitatif. La logique anglo-saxonne contre la rigidité des syndicats français de musiciens, le bizness anglais versus l’immobilisme du monde classique… la partie semblait impossible, le challenge hors de portée ! Pourtant, peut-être à cause de cette difficulté, par fidélité à ces heures magiques passées, par inconscience aussi (on ne se refait pas !), moi qui n’avais strictement rien à gagner à priori dans une telle galère, que des coups à prendre pour un échec prévisible, ai-je décroché mon téléphone pour appeler Becks.

Archive avait prévu l’enregistrement à Bratislava, tout était prêt. Suite à une discussion avec le groupe, elle avait tenté une dernière manœuvre, comme une bouteille lancée à la mer, sans trop y croire. Dans mon anglais d’arrière-cour, je lui ai demandé de me laisser une semaine avant de confirmer Bratislava, juste pour tenter et voir !

J’ai donc fait le point avec mon complice en « Archivie », le Michel Sajn par qui tout était né. Celui qui m’avait apporté ce formidable cadeau, qui avait monté avec moi la production du concert de septembre en partageant ma passion pour ce groupe.

Le premier coup de fil au directeur administratif de l’Orchestre (Catherine M) fut tiède mais la porte restait ouverte. Le deuxième à David L, Président du Palais, me donnait un accord de principe… sous réserve, le troisième à Martine G, Directeur-Général du Palais des festivals permettait d’espérer. Montée d’adrénaline.

Même en calculant au plus juste, le coût dépassait  les objectifs du management d’Archive. La première tâche fut donc de rogner sur les conditions normales d’un enregistrement (réduction de l’indemnité repas, coût des transports, nombre de musiciens, supplémentaires à embaucher) et de trouver un financement complémentaire par le biais du Palais contre un retour en image sur la pochette du disque. 55OO€ furent ainsi débloqués par le Palais sur le budget de ma direction, une somme conséquente permettant d’espérer.

Michel Sajn se chargea de trouver un studio sur Nice, à la Victorine et leur ingénieur du son, co-réalisateur de l’album (Jérome L) vint le visiter. Son feu vert donnait un premier signe positif.

Pendant le Festival du Film, j’ai passé environ une vingtaine de maïl, répondant à chaque question du management anglais, argumentant sur chaque détail, expliquant et commentant tous les éléments, mettant en copie l’ensemble des décideurs et des partenaires. La Spédidam, une caisse typiquement française faillit faire capoter le projet, mais l’assurance que j’apportais que cela ne pénaliserait pas le producteur anglais permis de contourner l’obstacle. Les musiciens interprètes toucheraient une somme de cette caisse sans qu’elle soit répercutée sur la production anglaise.

Les dates de l’enregistrement se rapprochaient dangereusement. Les 5 et 6 juin se pointaient à l’horizon quand ce que je craignais depuis le début explosa avec fracas : le syndicat s’opposait à l’enregistrement. Le 6 juin au soir, l’Orchestre devait jouer à la fondation Maeght et le règlement interne imposait de ne pas avoir plus d’un service en sus d’un concert !

Discussion orageuse avec les responsables. Devant l’impossibilité de trouver un accord, je téléphone à Michel Sajn pour l’informer de la situation. Dans la foulée, je rédige un maïl à Becks l’informant de notre renoncement. Je l’ai encore en mémoire… honte d’être un fonctionnaire de la culture, de ne pouvoir conjuguer la créativité et les règles absurdes de bureaucrates qui assassinent l’Art. Au moment de l’envoyer, ce 19 mai à 16h50, un coup de fil de l’administratrice vint me confirmer que les miracles existent : une solution avait été trouvée  in extremis, le classement du concert en « exceptionnel » permettait aux musiciens de donner le feu vert à l’enregistrement. Cette magie fut possible grâce aux efforts de l’administratrice et du régisseur de l’Orchestre et surtout, il faut le dire, aux désirs des musiciens qui avaient dans leur grande majorité, adhéré à l’expérience de septembre et se souvenaient encore de l’ovation qu’ils avaient reçue ce soir-là !

Le contrat d’Archive refusé car écrit en Anglais, l’administratrice de l’Orchestre leur envoya une version rédigée en Français, qu’ils refusèrent. Une traduction leur fut  alors transmise et après une rafale de derniers messages « in the bottle », l’accord de toutes les parties obtenu, la confirmation tomba le 29 mai, il y aurait bien un enregistrement à Nice avec l’Orchestre…exit Bratislava !

 

Restait donc à vivre l’événement ! Comment raconter l’indicible ? En vacances sur les côtes normandes, rentré spécialement par Easyjet, je débarque au studio le 5 juin à 13h et file les retrouver à la cafétéria où ils se restaurent. Les leaders du groupe, Darius Keeler, Dany Griffiths et Pollard Berrier sont présents et mangent une entrecôte, Graham Preskett le chef d’orchestre s’active sur les partitions, Becks m’accueille avec un grand sourire. Ils m’embrassent tous et me remercient chaleureusement, sincèrement. C’est une première, tout le monde est tendu, le studio n’a pu être libéré que le matin même. Retard, sempiternels problèmes de câbles et de connexions, de cuisine informatique. L’orchestre doit arriver d’ici quelques minutes… Michel Sajn et Evelyne Pampini me rejoignent, trio reformé. Magie du spectacles, à 14H30 précise, les premières notes de violon viennent se greffer aux colonnes sonores que le groupe a enregistrées à Londres et viennent se fondre dans la table de mixage.

Nous avons le privilège d’une avant-première. C’est majestueux, impressionnant. Les reprises s’enchaînent et les morceaux défilent, tous plus beaux et somptueux les uns que les autres. L’ambiance est excellente, le chef manie l’humour, les musiciens jouent le jeu et l’archet. Archive est en train d’écrire sous nos yeux une nouvelle page de leur œuvre, la plus belle, la plus fascinante.

La rapidité d’exécution des musiciens de l’Orchestre qui découvrent les partitions en même temps qu’ils les exécutent, est étonnante et justifie l’attachement d’Archive de renouer avec eux. Il y a une vraie complicité, un échange permanent. Les deux sessions de 3 heures s’enchaînent jusqu’à l’épuisement. A 21 heures, 7 morceaux sur les 12 prévus sont en boîte. La partie est d’ores et déjà gagnée. Il reste 2 sessions de 3 heures pour les derniers morceaux, les cuivres et les percussions.

Nous partons donc avec le groupe qui nous invite pour le Safari, un restaurant typique de Nice  dont je vous conseille les calamars aux artichauts. L’ambiance est détendue, gaie, le chef d’orchestre lance des plaisanteries, les anglais racontent des histoires… il y a du rêve pour des années dans cette soirée surréaliste. Directeur et groupie, fan et organisateur, je bade heureux comme un enfant. Les projets se déclinent. Je conclus un accord. En septembre 2009, ils viendront rejouer au Palais avec l’Orchestre, ce disque que nous voyons s’ébaucher. Michel Sajn, éternel agitateur d’idées, lance l’hypothèse d’une série de concerts pour l’Europe dans les grandes capitales. Ils s’enflamment et nous terminons à 2 heures du matin, ivres de bonheur et de passion.

Le lendemain, les cordes sont terminées avant même la fin de la session du matin. Les cuivres ne sont qu’une formalité. Pendant ce temps, ils se prêtent avec gentillesse au jeu des journalistes, des photographes, signent des dédicaces.

Les percussions seront plus difficiles à enregistrer. Subtiles, complexes, elles s’inscrivent dans un schéma qui implique beaucoup de précision et de reprises. Le temps s’étire, ce sont les derniers réglages et à 18H30 le clap de fin retentit dans l’euphorie générale.

Un gâteau d’anniversaire pour les 38 ans de Danny Griffiths, une coupe de champagne et à 20 heures, nous déposons le groupe à l’aéroport de Nice, destination Londres avant d’entamer un mois de mixage à Paris

 

Alors que dire de plus ! Que ce disque sera un chef d’œuvre, j’en suis persuadé, un évènement pour sa sortie en février 2009, que nous avons passé un moment d’exception, de magie pure, que mon métier m’offre encore le privilège d’une telle expérience, que rien ne peut effacer les émotions ressenties en ces deux jours de passion… bien sûr et beaucoup plus encore !

J’ai rencontré d’innombrables artistes dans ma carrière, j’en ai vécu des rencontres impérissables, côtoyé des grands qui font rêver et des petits qui mériteraient de le faire… Mais en ces 5 et 6 juin 2008, j’ai été au cœur de la musique, un acteur de la création et j’en suis fier. Je sais que ce disque à venir contiendra éternellement une parcelle de ce que je suis et cela me remplit d’un vrai bonheur. Je ne me trompe pas, les créateurs sont autour de moi, mais en ce mois de juin 2008, j’ai réussi à conjuguer, par la force de mon inconscience, les impératifs de la production anglaise avec les contraintes d’un orchestre Français pour accoucher d’une œuvre maîtresse. La puissance des désirs conjugués reste incommensurable, l’histoire nous le prouve une nouvelle fois !

Vive Archive !

   

 

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Festival du Film (suite et fin)

Publié le par Bernard Oheix

Voilà donc la fin de mes aventures en terre cinéphilique. 35 films en 12 jours, une colonie d'Allemands, de Burgiens et de Corses investissant ma maison, quelques parties de cartes entre pellicules, beaucoup de parlottes et boustifailles, un temps entre parenthèses pour parcourir le monde des écrans avec des yeux d'enfants. Je n'ai pas désiré écrire sur tous les films visionnés, un zest de commisération pour m'empêcher d'exercer mes talents de polémiste sur les reliefs du grand banquet cannois du 7ème Art. Conservons intact le mythe d'une fête cinématographique permanente !
Bon, quelques jours de vacances bien mérités m'attendent... avant de vous retrouver pour de nouvelles aventures littéraires !


Delta
du Hongrois Kornél Mundruczo me posait à priori un problème complexe. Hongrois mutiques, dialogues au lance-pierre, mauvais bouche à oreille, critique réservée… J’ai décidé de tenter malgré tout l’immersion dans les flots du delta du Danube, avec, derrière moi, l’idée de retrouver les miens pour des spaghettis aux épinards succulents offerts par la Pasta... après une demi-heure de film ! Objectif largement tenu puisque je ne suis pas sorti de la salle avant le mot "fin". J’ai même pris un certain plaisir à ce film esthétisant, histoire glauque d’hommes frustres, mise à mort de l’innocence. C’est une belle fresque aux accents symboliques qui fonctionne parfaitement, n’en déplaise à tous les critiques chagrins qui l’ont descendue en flammes, ce qui pour une œuvre qui se passe à 80% dans l’eau, n’est pas vraiment mérité !

 

Choc. Johnny Mad Dog de Jean-Stephane Sauvaire aurait eu toute sa place dans la compétition officielle et offert un focus sur un drame actuel. Une bande d’enfants soldats manipulés par quelques adultes qui organisent un coup d’état dans un pays d’Afrique, le Libéria. Enrôlés de force à 10 ans, bourrés de drogue, maraboutés jusqu’à se croire invincibles, ils tuent comme ils respirent et sèment la mort tout au long de leur passage. Jeunes, vieux, femmes… personne n’est épargné dans cette foudre hallucinante qui s’abat sur les habitants, ces sourires d’enfants transformés en rictus de haine. Tout est violence absolue et prétexte à laisser la fureur se déchaîner. Le savoir, la religion, l’amour sont des obstacles qu’il faut balayer par les balles et le sang. C’est insoutenable et jamais voyeur, juste un constat mis en scène afin de déclencher une prise de conscience.

Une séquence pourrait rester en mémoire de notre lâcheté et de notre obstination à fermer les yeux devant les monstruosités engendrées. Le convoi de l’ONU quittant l’hôpital devant les enfants soldats qui vont pouvoir pénétrer dans ce mouroir pour achever les blessés, femmes et enfants. Dans ce convoi d’hommes puissamment armés qui s’effacent devant des enfants soldats, il y a toute l’ignominie des nations civilisées qui ne veulent pas ouvrir les yeux et acceptent la part inhumaine du mal. Le diable est dans le cœur de notre apathie et dans notre volonté de détourner le regard.

Notons que c’est Mathieu Kassowitz qui est coproducteur du film, il sauve un peu le cinéma français à la dérive en cette année 2008 à marquer d’une pierre noire !

 

Il divo de Paolo Sorrentino est un film sur les affres de la politique italienne des années 70/80, quand les gouvernements de Giulio Andreotti valsaient aux sons d’étranges compromissions avec la Maffia, que le pouvoir devenait le siège d’un théâtre où tous les coups étaient permis, et que la démocratie était la seule victime d’une mise sous tutelle de l’Etat au service d’intérêts privés. Dans une forme très moderne, le montage alterne un rythme fractionné, clip kaléidoscopique d’images chocs et de séances de violence, avec des séquences introspectives au déroulement plus lent. Le regard d’Andreotti tente l’autojustification, celui du réalisateur prend en charge les innombrables traces de sa collusion avec l’industrie du crime. Des images somptueuses, modernes, effets spéciaux, couleurs, musique agressive ou contemplative collent au déroulement et à la tension de la mise en accusation de l’homme politique le plus important de l’après-guerre.

Au final, il sera gracié, lavé, exonéré de toutes ces charges. La politique devra en payer le prix !

 

Tulpan réalisé par Sergeï Dvortsevoy, est le nom d’une jeune fille que l’on ne verra jamais, espoir de fonder un couple pour un jeune berger Kazakh qui la courtise en faisant son apprentissage de la vie sur ses terres plates et désolées où paissent les troupeaux de son clan. Il refuse l’idée de s’expatrier à la ville et de quitter cette terre qu’il aime. Il va sauver un agneau en train de naître et symboliquement décider de rester et d’affronter sa vie. Le désert est le personnage principal du film, un horizon plat qui laisse les sentiments s’emballer. Film expressionniste sur la nature, il y a du cinéma de cette période révolue du réalisme onirique des Dojvenko et Préobrajanskaïa dans cette peinture attachante d’un monde rural et pastoral refusant de disparaître. C’est une page sépia de l’histoire du cinéma qui s’entrouvre pour nous permettre de retrouver les émotions de notre passé. Film émouvant et attachant sur l’éternelle histoire du combat de l’homme pour son bonheur et sa survie.

 

My Magic du singapourien Eric Khoo est un film bizarre. Alcoolique, un ancien magicien tente de retrouver l’amour de son fils en s’engageant dans un cycle de spectacles et d’automutilations débouchant sur la mort. Une vie pour un rachat, pour sauver son enfant de la déchéance, pour retrouver celle qui est morte et qu’il aima à la déraison. Bricolé, de guingois, un grain sale comme la moiteur qui étouffe l’atmosphère, le film vaut surtout par cette problématique du corps comme objet que l’on maltraite, comme arène où les voyeurs viennent satisfaire leur goût morbide pour le sang et la violence. C’est un film dérangeant.

 


Dans ce supermarché incroyable de la pellicule foisonnant de lucarnes ouvertes sur la planète, l’objectif du cinéma national restera en berne ! Moi qui suis un fervent adepte du cinéma français et qui pense que notre 7ème Art vaut bien n’importe quel film américain de l’année, force m’est de constater la déroute du cinéma hexagonal. La french touch était fatiguée en cette édition 2008, les sophistications de ce nouveau cinéma se transforment en tics, les manières élégantes en maniérisme, les réparties tombe à plat, les scénarii convenus… comme si tout était déjà écrit, filmé, en boîte !  Un ton faussement ironique révèle le vulgaire, une barrière érigée de technique empêche toute expression et ressenti charnel, il n’y a qu’un jeu vide de sens qui tourne en rond à force de ne rien dire, rien filmer de la réalité. (passage écrit juste avant le dernier week-end !)

 

Et le sauveur tricolore fut… le dernier film de la sélection, le samedi 24 mai, veille du palmarès, dernier film programmé à la Licorne. Laurent Cantet dans un formidable Entre les murs, tiré du livre d’un enseignant François Begaudeau interprétant son rôle avec puissance et délicatesse au milieu d’un casting d’adolescents plus authentiques que nature. Film de la dernière heure du Festival, cette fiction investit la réalité en structurant l’image et le son comme pour un documentaire. C’est surprenant, plein d’humour, généreux, tendre, désespérant… c’est avant tout un vrai film de cinéma qui donne de l’espoir, qui offre une bouffée d’oxygène à ceux nombreux qui souffrent de voir le cinéma écartelé entre deux tendances : la fuite de la réalité ou son corollaire, le poids du sociétal comme horizon limite de la créativité.

Palme d’Or donc pour un film français après 21 années de disette. Palme d’Or surprise qui fera polémique…il fait nul doute mais attribuée à un vrai film de cinéma qui parle de la vraie vie pour des vrais spectateurs !

 

En forme de bilan de 12 jours de cinéma.

35 films pour se convaincre que le cinéma existe, une dizaine à éviter, une dizaine sur des problèmes de société par forcément très excitants, une dizaine de bons films qui font honneur au cinéma et au milieu, coulant telle une rivière de diamants, quelques bijoux à sertir d’avenir. Si je devais extraire les films qui me parlent le plus et qui rejoindront les pages glorieuses de mon 7ème Art, je citerais :

Walz with Bashir, le grand oublié du Palmarès à mes yeux.

L’Echange de Clint Eastwood.

Johnny Mad Dog de Jean-Stephane Sauvaire

Gomorra de Matteo Garrone

Le silence de Lorna des frères Dardenne.

Et bien sûr, la Palme d’Or Française Entre les murs de Laurent Cantet.

 

A cette liste, l’on pourrait ajouter tous les films dont je n’ai pas parlé, soldats inconnus à la flamme vacillante d’un art d’ombres et de lumières, projets s’échouant sur les rives de l’innocence, visions désordonnées de créateurs impuissants, manque d’idées comme manque de moyens, à-peu-près et facilité, laisser-aller et incapacité de contrôle… C’est la grandeur du cinéma de ne point être joué d’avance et de semer derrière chaque espérance, la grande incertitude du mystère de l’art. A la différence du sport, l’histoire ne retient pas seulement le vainqueur, elle conserve les traces de ceux qui échappent aux lois de la pesanteur pour rejoindre un paradis où les films s’épanouissent comme des fleurs d’enchantement.

 

Vive le cinéma donc, vive Manuel de Oliveira, son siècle et sa verdeur, le regard malicieux qu’il m’adressa au moment de signer la plaque d’argile où son empreinte s’était gravée. 1908/2008 inscrivit-il avec application en souriant du bon coup qu’il faisait au monde du cinéma. La jeunesse est éternelle pour ceux qui défient le temps avec l’arme de la création. Il restera sa mémoire comme pour nous rappeler que le temps est relatif et l’œuvre plus importante que son auteur. Elle échappe à tous les destins !

Et puis de ces nuits de partage, de ces heures blêmes, de ces paupières lourdes, de ces corps cassés, il restera comme un rappel à toutes les souffrances du monde, la magnificence des images volées à la monotonie et à l’ennui !

Vive le Festival 2009 !

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