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Pégase, le messager des Dieux

Publié le par Bernard Oheix

On connaît la qualité de l’accueil de nos amis Corses, on ne va pas épiloguer sur cet aspect de mon séjour ! Je vous avais déclaré ma flamme l’an dernier devant la richesse et l’originalité de la création théâtrale. « E Teatrale de Bastia » se veut un rassemblement, une vitrine, un marché potentiel, une réunion de famille, un thermomètre de l’activité artistique de l’île de Beauté. Tout ne fut pas parfait dans cette édition, mais c’est le propre de l’art vivant d’être sur le fil du rasoir, sans aucune certitude. Heureusement, il y eut de beaux moments de rencontres, des propositions pas toujours abouties mais porteuses d’espoir, une effervescence en dehors de la scène en gommant parfois ses faiblesses ! Il s’agit là de culture, pas de mathématiques. Il n’y a pas de martingale magique qui guiderait vers le succès, qui assurerait la perfection d’une œuvre et impliquerait la reconnaissance du public.

Pourtant, une pépite était dissimulée dans la veine bastiaise de 2008. Un vrai grand et beau texte, admirablement mis en scène, interprété à la perfection. Je vous livre un page sur cette aventure intellectuelle, moins une critique théâtrale qu’un écrit d’émotions. C’est ma façon à moi de rendre hommage à la perfection de ce travail.

 

51, Pégase ou La confession de la bête.

De Marc Biancarelli

Mise en scène Jean-Pierre Lanfranchi

Avec Christian Ruspini.

 

Un dispositif scénique qui ouvre sur le noir et des mouvements sombres, furtifs meublant le silence. Il y a de l’ordre du chaos dans l’air, à l’image des cubes qui jonchent l’aire de jeu qu’un comédien s’efforce de remettre en place. Mais de quel ordre s’agit-il ?

C’est bien cette question que nous pose l’auteur. C’est bien l’interrogation du metteur en scène. C’est ce que réussit à transmettre un acteur d’une qualité incroyable, Christian Ruspini seul en scène et pourtant habitant de multiples personnages qui vont illuminer le temps d’une réflexion, celle d’une terre et de ses éclairs de cruauté. Plongée dans un passé récent pour conjurer un avenir complexe, société qui se cherche une âme mais dont la barbarie qui a présidé sa naissance ne peut qu’entacher d’une tare irréversible.

Le texte est d’une richesse formelle sublime, avec des mots qui parlent des maux d’une histoire à construire. Il prouve que les Corses peuvent envahir l’espace d’une langue en cherchant un sens à leur réalité. Marc Biancarelli est un auteur corse qui revisite un passé de violence en dessinant un futur d’interrogations. Grâce à une machine qui permet de voyager dans le temps et l’espace, il va peindre le tableau composite d’une épopée à la fois sublime et sordide. D’Aléria aux cendres d’un terrorisme dévastateur et de luttes intestines, se tisse la « geste » d’une fiction dans le regard introspectif d’un homme qui a accouché de cette folie meurtrière. Le goût du sang comme matrice de toutes les volontés de puissance. Peut-on construire une société libre sur les ruines qui ont induit sa fondation ?

Une voix off introduit la problématique. Un écrivain s’est exilé, il revient dans une Corse libre pour régler ses comptes, ceux d’une utopie qui n’a engendré que des rêves brisés. Un de ses anciens élèves a créé une machine (Pégase 51) qui permet de s’évader dans un monde d’Héroïc Fantasy où la guerre est abstraite et le sang couleur de vie. Ces deux univers vont cohabiter. Celui des actes qu’il faut solder, comme celui des mythes que l’on a entretenus au mépris des hommes.

Certaines scènes font froid dans le dos. Celles du racket et de la coercition provoquant un plaisir malsain à son auteur qui s’interroge : comment a-t-il pu engendrer ce petit soldat de l’innommable ? Le rapport au sexe avec cette femme objet que des hommes utiliseront pour assouvir leurs instincts les plus vils dans une boîte où l’on parle de bâtir un monde nouveau dans les volutes d’alcool et les bassesses d’une misère sexuelle. La vaillance à l’aune de la violence la plus primitive.

Il y a des chants désespérés dans cette complainte, et l’on sait que ce sont les plus beaux, les plus déchirants. L’acteur au fil de ses pérégrinations recompose inlassablement son espace en utilisant ses cubes de formes diverses, jamais symétriques, noir d’une face, rouge de l’autre. Empilés, de guingois, se chevauchant où prenant la forme des dolmens de Filitosa, sur le fil d’un état d’âme où l’hystérie se conjugue à l’abattement.

Cette pièce est un chef-d’œuvre. Manifeste philosophique, acte politique, histoire sublime de la petite histoire, elle reste une pièce de théâtre qui fascine par la densité de son propos, la complexité des thèmes traités dans la simplicité d’une mise en forme limpide comme un discours qui toucherait à l’essentiel. Et si l’art au fond n’était que cet accouchement douloureux que nous partageons avec les auteurs de cette pièce ?

Une voix off finale va conclure la problématique. Il y a du renoncement dans ce constat que la machine à voyager dans le rêve est plus réelle que l’ensemble des actes qui nous ont amenés à transgresser notre humanité. L’homme est encore trop imparfait pour s’affranchir des pesanteurs de son étroitesse. Il reste le verbe alors pour espérer. C’est ce que Marc Biancarelli et Jean-pierre Lanfranchi ont réussi à nous faire croire, du côté de Bastia, dans une Corse bien vivante.

Les attentats continueront à égrainer leurs nuits bleues, la vie en rose prend sa source dans la sensibilité d’artistes qui redonnent au genre humain quelques lettres de noblesse. C’est toute la force et la magie des Théâtrales de Bastia de nous offrir cette vision d’une Corse capable de s’élever vers le monde des idées pour atteindre à l’universel d’un discours sur l’homme moderne.

 

PS : Une programmation à Cannes dans la saison 2008/2009 ? A étudier de toute urgence !

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Fin de partie...

Publié le par Bernard Oheix


Avec Abd Al Malik, une des personnalités attachantes que j'ai eu le plaisir de découvrir dans cette saison... En plus de sa gentillesse, un concert de magie !

J'ai envoyé ce texte à l'ensemble de l'équipe de l'Evènementiel au lendemain du dernier spectacle (Etienne Daho... magnifique show !) de la saison  "Sortir à Cannes 2007/2008". Une façon de communier brièvement autour du temps qui passe et des spectacles qui meublent notre quotidien pour s'évanouir dans les nuages. Une soirée chasse l'autre... reste des traces, des moments d'émotion, des bribes d'une histoire à écrire qui parlerait de ces visiteurs d'un soir ! 


Une saison vient de se terminer... Une de plus d'effectuée ! Une de moins à imaginer... pour vous, à réaliser !
Cette année 2007/2008 a été généreuse en belles images, en souvenirs, en événements majeurs.
Souvenons-nous... Les concerts de septembre avec Archive et l'orchestre de Bender (le plus beau et émouvant concert que j'aie jamais produit professionnellement), ces chanteurs que nous aimons, Mano Solo, Arno, Rachid Taha et surtout Stephan Eicher, Susheela Raman et Salif Keïta, Abd Al Malik, Gréco (un mythe qui nous a donné quelques émotions pures) et Daho pour clôturer en élégance... Une saison musique comme on en n'avait jamais réalisée par sa diversité et sa qualité !
Le Festival de Danse...de nouveau accessible où Sylvie Guillem et Russell Malliphant nous ont permis de rompre avec les lois de la pesanteur et qui nous a réconcilié avec Maguy Marin (sublime et tragique testament crépusculaire) et l'art du mouvement. Mayumana, le coup de cœur endiablé des fêtes de fin d'année en percussions, rythmes et humour. Marc Jolivet et les Chevaliers du rire avec fiel, l'humour de Boublil et de Benureau, les grands airs de La Traviata et de Nabucco, même les chœurs de l'Armée Rouge pour nous faire aimer les slaves...le théâtre en comédie (Toc-Toc, La valse des pingouins, Adultères...) !
Et le festival des jeux, avec ses 135 000 visiteurs/joueurs et sa belle soirée de remise des prix et ses nuits du OFF à étirer les heures jusqu'à l'aube.
Voilà donc une page de tournée, un livret à ranger dans l'armoire des souvenirs, au milieu des autres, dans le foutoir des images que nous conservons enfouies en nous et qui font que nous sommes différents. A force de tutoyer les muses, on récupère un peu de leurs rêves !
Je vous remercie du fond du cœur pour tous les efforts que vous avez consentis, pour la passion que vous démontrez au jour le jour au service de ceux qui créent l'émotion... C'est grâce à vous que le public peut communier, c'est par votre souci et votre précision que nous avons la fierté de réaliser des saisons pleines qui rencontrent le succès dans une période de crises et d'incertitudes.
J'associe à ces remerciements tous les stagiaires qui trouvent leur place dans notre petite entreprise et donnent leur soif d'apprendre en gage de leur investissement.
Il nous reste de beaux combats à mener, un été se profile, une nouvelle saison et toujours votre compétence et votre enthousiasme en fil conducteur de notre action au service du public et du Palais des Festivals de Cannes.
Merci à tous !

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Fin de voyage. La Transmed (5)

Publié le par Bernard Oheix

Voilà la ligne d'arrivée et nos rescapés sains et saufs, perdus dans l'agitation des côtes tunisiennes. Ils ont fière allure nos marins, et dans l'emballement de cette dernière nuit de navigation et des effluves orientales, notre responsable du journal de bord pète un plomb et se pose une couronne d'épines sur la tête. Bon, il faudra redescendre sur terre, c'est sûr, mais en attendant, quel pied !
Reste la transatlantique à effectuer l'an prochain et à survivre à la lecture de ce journal par mes amis marins d'opérette... 40 années d'amitié se brisant sur quelques envolées stylistiques à la brise océane, c'est dur d'être le rapporteur de service quand rien ne peut l'empêcher de faire un effet de style, une figure non imposée, un jeu de mots comme un acte gratuit !



10ème jour.
Fin de la grande traversée.

Je ne suis que l’humble plumitif chargé de rapporter dans ce livre d’or les événements qui se sont succédés sur ce fier voilier. Pourtant, aujourd’hui, en ce matin du 12 juin de l’an de grâce 2007, 10ème jour de notre expédition vers les terres d’Orient, j’aimerais posséder la science des mots, la magie du langage, le souffle à même de vous retranscrire le cours incroyable des aventures de cette nuit dantesque.

Nous sentions bien aux nuages chargés de soufre, aux éclairs d’une clarté sourde en train d’agoniser dans les abysses d’une ligne d’horizon, que cette nuit ne serait pas comme les autres, qu’il en allait de notre destin et que notre courage serait éprouvé. Las ! Nous ne croyions pas si bien penser !

C’est Captain Fifi dans son premier quart qui nous a tirés du sommeil avec des hurlements démoniaques. Malgré sa vigilance, nous nous sommes empêtrés dans les mailles d’algues tressées d’un filet dérivant. Notre quille ripant contre ce piège létal, frôlant la catastrophe d’une immobilisation définitive et d’une paralysie synonyme de mort assurée, notre capitaine a, au prix d’une manœuvre hardie, réussi à coucher le voilier afin de nous dégager de cette pieuvre qui tentait de nous tirer vers le fond. En se libérant, Captain Fifi arracha nos lignes de pêche, nous condamnant à vivre sur nos réserves jusqu’à la fin de cette expédition. L’heure était grave, quand, épuisés, nous avons décidé de tenter de récupérer en nous jetant sur nos grabats. Hervé maître-queue affronta alors un ballet de licornes. Ses cris nous rameutèrent. Sous nos yeux exorbités, une dizaine de gigantesques animaux préhistoriques traçaient une route parallèle à la nôtre. Immenses, hautes de plusieurs étages, éclairées par le diable et crachant une fumée noire dans le ciel sombre, elles vaguaient en musardant, cherchant quelques proies à dévorer, il fait nul doute. Fort heureusement, elles passèrent au loin sans s’occuper de nous. Le bruit ronflant de leurs narines portait jusqu’à nous. Nombre d’entre nous se sont signés dans l’obscurité, confiant leur destin à un Dieu tout-puissant, quémandant avec force qu’il nous permette d’échapper aux pièges de cette nuit d’enfer.

Vint mon tour de garde. Force Brutale mais si fragile au fond de moi. La première heure fut angoissante mais c’est lorsque je vis deux monstres marins en train de chercher l’affrontement en se précipitant sur nous que je perdis mes moyens. Je ressens encore cette terreur à la vision de leurs deux yeux énormes (un rouge et un vert) dévorant l’espace qui nous séparait. L’éclair jaillissant de leur gueule, mon désespoir à l’idée de cette dernière heure venue. J’avais tant de rêves encore à accomplir que j’ai hurlé en suppliant Captain Fifi de venir me sauver. Il a jailli, nu dans la brise, d’autorité s’est emparé des commandes et a imprimé un virage à 360° à notre esquif pendant que les deux monstres nous longeaient sous l’œil goguenard de marins tunisiens hilares. Il les a égarés dans l’immensité noire de cette nuit sans fin. Il avait fière allure notre capitaine dans le plus simple appareil, ses muscles découpés luisants dans la clarté blafarde d’une lune haut-perché.

Enfin le soleil s’est levé. L’odeur d’une terre chargée d’épices et de senteurs exotiques a précédé la vision d’un rivage hospitalier, chassant les derniers miasmes de nos peurs nocturnes. Nous préparons l’équipage à l’accostage. Captain Fifi, sévère mais juste, dans un accès de générosité, a éventré un coffre en nous autorisant à nous servir. J’ai récupéré deux colliers en verroterie, trois miroirs et un peigne, de ces babioles dont raffolent les indigènes et qui permettent les trocs le plus fructueux.

Déjà nous entendons les cris des mousmés, elles lancent des youyous en notre honneur et exhibent leurs poitrines généreuses. Elles dansent sur ce quai de fortune en dévoilant le diamant de leur nombril, prémices de tous les délices de la chair qui nous attendent. Ah ! La vie d’aventurier !

Nous allons débarquer dans quelques minutes. Ce sont les derniers mots que je jette sur les pages de ce carnet de bord. Il est prévu de s’en retourner après une semaine vers nos foyers, le temps de remplir nos cales de trésors et de ravitailler en eau fraîche, fruits et légumes.

Pourtant, je sens d’étranges langueurs. Saurai-je résister longtemps aux sourires éclatants des femmes abyssines ? Réussirai-je à contrôler cette pulsion d’une étreinte sauvage avec des corps animaux qui rugissent à nos sens exacerbés ? Leurs seins flamboient comme un appel à ma chair tourmentée par les stupres d’une vie de licence.

Une idée trotte dans ma tête, les germes d’un avenir grandiose. Et si je fondais un empire sur ces rivages primitifs peuplés d’indigènes accueillants ? Un empire dont je serais le maître, où Captain Fifi assurerait les responsabilités d’un amiral en chef d’une flotte de guerre à construire qui me ferait régner sur les côtes orientales de cette mer inconnue, où Hervé maître-queue deviendrait le superintendant de mes fortunes et gérerait les nombreuses femmes de mon harem qui assureraient ma descendance.

Je vais y réfléchir ! En attendant, les cris des femmes en rut montent dans l’azur et font vibrer en écho, la chair trop humaine de mes désirs. Je me souviens de cette pellicule cinématographique de ma jeunesse, « l’homme qui voulut être roi », et je respire l’ivresse d’un pouvoir à conquérir, d’un règne sur les sables du désert pour une cité fantôme érigée à la force de mes poignets, dans la sueur de mes esclaves.

Adieu ! Peut-être, sans doute ! Au revoir, que les flots vous entraînent jusqu’aux délices des portes du mystère.

Je vous ai aimés, il y a si longtemps me semble-t-il, dans une autre vie, un autre monde. L’inconnu m’appelle, les ombres s’épaississent, les mots s’effacent, vient le temps des actes, la mort ne pourra qu’attendre !

 

 Bernard O à Hammamet, harnaché pour le départ. Finalement, cette traversée ne laissera que peu de stigmates sur son corps d'athlète ! 

 

FIN


Il était temps que l'on arrive, pour nos santés communes comme pour l'équilibre mental du rapporteur.
Quelques jours à Tunis, l'avion de retour avec le Romulus ancré dans le port d'Hammamet sous bonne garde et la reprise du travail pour gagner son morceau de paradis... En attendant les cancers sont jugulés, la thyroïde s'est remise en marche, nos sens exacerbés revivent dans des physiques épanouis et l'avenir est devant nous...vive la Transmed 2007 !
 

 

 

 

 

 

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La Transmed (4)

Publié le par Bernard Oheix

Bon, encore un effort pour avoir l'étoffe d'un héros. Les aventuriers du voilier perdu sont en route pour leur grande traversée, celle de tous les dangers, de la Sardaigne à la Tunisie. Il va s'en passer des évènements pendant ces deux journées et ces deux nuits de "marinade".


8ème jour.

La grande traversée.

De Carloforte à Hammamet.

 

Philippe a préparé le plan des veilles des deux nuits qui nous attendent. Bernard est puni, les dieux ne sont pas toujours adorés. Je vais me coltiner les quarts de 20h à 22h et de 2h à 4h la première nuit et de minuit à 2h et 6h à 8h la deuxième nuit. Préparation du voilier et réunion briefing avec les équipages et l’organisation. Les évènements deviennent sérieux, il n’est plus temps de batifoler, l’aventure se présente au seuil de notre cabine !

Repas frugal, sucre lent pour emmagasiner des forces et à 13h, pression à son comble, nous appareillons. Bernard hisse les voiles, Bernard est fort, son corps s’est affermi, sa silhouette affinée, heureux tribut à ces heures passées sous les tropiques à user ses forces contre les éléments déchaînés.

Au sortir de la passe, Captain Fifi se sent prêt à fondre sur l’îlot du Toro qui ferme la baie. Captain Fifi est sévère mais juste. Il voit le vent mollir et la barre incapable de répondre aux sollicitations de sa main sûre. Calme plat, rien pour nous faire rugir et mordre les embruns. Qu’à cela ne tienne, nous avons du temps devant nous, il y en aura bien une, de ces tempêtes coutumières à faire hurler les drisses d’un Hollandais fantôme. En attendant, on met le moteur qui toussote et nous traîne vers cet objectif insaisissable.

Hervé maître-queue est content et heureux. Il arbore en permanence un beau sourire simple, de ceux que les naturels affichent sans affectation quand la quiétude règne dans leur cœur. Il est insouciant et glisse d’un bord à l’autre en produisant des petits rires qui égayent l’ambiance lourde de ce départ angoissant. Heureux les simples esprits, leur aptitude à saisir l’instant présent est la marque d’une grande adaptation et leur nonchalance, une force dans la traversée qui nous attend.














Bernard O et Hervé C guettant une pêche miraculeuse. Admirons leur peau boucanée



Nous cinglons lentement mais sûrement vers le large. La terre rapetisse derrière nous, le mystère écharpe l’horizon…mer, vagues, vent, écueils, filets dérivants, monstres… n’est-ce point trop pour nous ? N’est-ce point une mission impossible que nous nous infligeons ?

Heureusement, nous avons une confiance aveugle en notre capitaine. Droit à sa barre, le regard pointant l’horizon, il nous offre une vision d’un monde sans frontières où tout devient possible, même l’impossible voyage vers les abîmes de la civilisation.

La nuit tombe. La mer étale déroule son tapis bleu sombre. Le vent faible susurre à nos oreilles des complaintes morbides, nous avons tout à craindre de ce grand désert tout bleu où luit la liberté ravie (sic !).

C’est l’heure des solitudes, ces veilles où nos cerveaux enfiévrés scrutent le vide en attendant le pire. Chacun opère son quart. De 2h à 4h je vais fouiller l’obscurité à la recherche de mes peurs. Heureusement, mon baladeur aux oreilles m’instille les Pink Floyd, Placebo, Archive, Massive Attack afin de me donner du courage. J’ai l’impression d’avoir fumé un peu de cette herbe des indiens qui autorise le grand voyage, expérience inédite dans cet espace sans illusion d’un vide peuplé de nos peurs.

Dieu est grand dans la solitude des veilleurs de nuit, il invoque les esprits de la mer et donne du courage à ceux qui doutent dans l’ombre de son ombre.

 

 

9ème jour.

La grande traversée (suite)

 

Le soleil se lève et avec ses rayons, nos peurs s’évanouissent. Captain Fifi assure la barre d’une main ferme pendant que le moteur ronronne avec allégresse. Un voilier qui se traîne à la force des chevaux-vapeur dans l’immensité marine, c’est stupide, je sais, mais que faire contre la nature ?

Hervé décide d’abandonner sa défroque de cuistot et refuse d’assurer la pitance de l’équipage sous le prétexte fallacieux d’une grève sauvage. La révolte gronde à bord.

Captain Fifi, astucieusement, décide de calmer les hommes en leur imposant « l’épreuve de Poséidon ». Nu, chaque marin, attaché par une corde, est plongé à tour de rôle dans l’onde turquoise peuplée de requins mangeurs d’hommes. Il se fait traîner pendant que les squales rôdent autour de lui. Nous avons peur mais oublions nos terreurs dans ce dépassement physique inconscient qui expulse les miasmes des rancœurs d’un l’habitacle surpeuplé.

C’est moi, Force Brûtale qui battra le record de vitesse et de durée der ce défi à la raison. A plus de 7 nœuds, mon corps est violet quand on me hisse épuisé hors de la gangue salée.

Cette fuite salutaire aux frontières de notre vaillance a remis les têtes en place. Le maître des fourneaux, enfin rétabli de ses velléités de mutinerie, jongle avec les matières premières et une odeur délicieuse monte de ses marmites, envahit le carré, se répand comme un nuage odoriférant.

Par la senteur alléchée, un monstre marin s’accroche à la ligne de notre pêcheur afin de participer à nos agapes. Comprenant le traquenard dans lequel il s’échoue (n’exagérons pas sur la qualité de la nourriture terrestre de notre maître-queue !), dans une ruade dantesque, il se décroche de notre ligne appâtée et fonce vers la ligne d’horizon. Dépités, nous regardons notre garde-manger s’évanouir dans les vagues de la nostalgie.













Je suis parfois aussi inutile que je l'espère, juste une présence sur fond d'azur avec le marin Hervé en train de faire semblant de s'activer !


C’est alors qu’une nouvelle alerte vient commotionner l’ensemble des présents. La jauge du carburant baisse dramatiquement, nous risquons de nous retrouver en rade perdus au milieu de nulle part. Cela n’en finira-t-il jamais ? Pourquoi donc le sort s’acharne-t-il sur ce voilier ? Quel péché devons-nous expier qui concentre les feux de l’enfer sur notre frêle esquif ? Nous tentons la voile, maigre consolation d’une brise légère qui nous fait serpenter à la limite du surplace. Nous sommes désormais seuls, tous les autres concurrents ont disparu dans l’azur.

Le vent de l’échec nous mord la nuque, étreint nos entrailles. Avons-nous fait nos testaments ? Quand donc retrouveront-ils nos corps asséchés, momies de l’éternité marine, sans rêve ni espoir ?

Nous nous consolons avec les sempiternelles pâtes à la sauce bolognaise Carrefour mijotées par notre pousse plats. La nuit tombe. Les quarts vont reprendre avec leur cortège de solitude et d’angoisses. La journée est passée si vite !

L’abstinence commence à produire des effets mortifères. Nous entrevoyons des femmes nues, lascives, en train de suivre le sillage de notre voilier en nous invitant de leurs seins de feu. Mythe où réalité ? L’avenir nous le dira !

Allez, encore un texte et on vous libérera de cette mer obsédante et de ces 3 olibrius à la dérive des sentiments ! Vivement la ligne d'arrivée, surtout que....

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La transmed (3)

Publié le par Bernard Oheix

On continue sur les traces de nos aventuriers modernes. Bon, c'est pas parce que l'on a rien à dire que l'on va se priver du plaisir d'écrire. Et puis, on rentre sous des latitudes qui enflamment les esprits ! Attention, les derniers miles vont être redoutables !



6ème jour
De Aristano à Marina Sifredi.

Départ à 9 heures. Nous sommes déroutés par des manœuvres militaires. L’aviation, des corvettes, c’est beaucoup pour nous. Après avoir hissé le drapeau blanc, nous nous glissons entre les mailles du filet et retrouvons le grand large, toutes voiles hissées, cap à 180°, conditions idéales pour tester notre voilier, nous filons un 7 nœuds de belle allure.

Des dauphins viennent dans notre sillage. Ils batifolent, nous observent d’un œil moqueur. Ils sont beaux et majestueux et s’amusent en bandes à croiser notre chemin. Des oiseaux les suivent en piaillant, c’est émouvant.

Hervé maître-queue est chargé d’assurer la pitance. C’est le spécialiste de la pêche. Il entretient les lignes, fabrique les amorces, accroche les leurres et reste désespérément optimiste devant la vacuité de ses efforts. Le soir, en général, c’est la boîte de thon et les sardines à l’huile qui meublent notre ordinaire. Pourtant, en ce jour béni des dieux, un espadon suicidaire vient s’embrocher sur l’hameçon. Il réussit l’exploit de le tirer par hasard, cet envoyé miraculeux, et auréolé de son espadon de 1 mètre (sic), se rengorge comme un paon pendant que nous lançons l’information sur les ondes aux autres concurrents furieux.







C'est Hervé le pêcheur... mais sa photo est floue alors j'en profite...




Captain Fifi barre comme un chef. Il a ce petit rien qu’ont les grands au sommet de leur art. Quand il épouse le vent, se fond dans chaque risée afin de s’épanouir en synergie avec les éléments, quand il se donne au maximum, son corps en osmose avec le bâtiment qui trace sa route, il est Dieu, il est celui qui
nous guide, le grand timonier, l’ordonnateur des pompes célestes. Notre Romulus, sous sa poigne et malgré un handicap de taille, se maintient gaillardement dans le peloton de tête.













                                                                                      Captain Fifi, notre maître à tous !


L’entrée en fin de journée dans la marina s’avère délicate. Bernard Force Brutale s’améliore dans ses manœuvres sophistiquées. Haler, tirer, souquer, border, il voltige d’un bord à l’autre comme un marin chevronné, avec la maestria d’un loup de mer, défiant les lois de la pesanteur.

L’accostage s’effectue à cul, en douceur, avec un art consommé de notre capitaine très fier de sa prouesse. Nous aussi partageons sa joie et vénérons notre guide suprême. Hervé maître queue descend le premier sur le quai et d’un air négligent, son espadon à bout de bras, affecte de chercher un point d’eau, juste histoire d’exhiber son trophée de pêche. Les regards de convoitise convergent vers ce monstre marin qu’il prépare en fine lamelles crues baignant dans du citron. Goguenards, nous dégustons notre plat sur le roof avec la mine insouciante de ceux qu’une grande habitude protège des aléas de la faim.

Une petite cantine dans la vieille ville, un repas frugal (amuse-gueules à l’italienne, pâtes en 1er plat, poisson succulent, tiramisu et quelques « dolce »), juste de quoi se sustenter à un prix frisant le ridicule.

Il est temps, après une promenade au long du mail, de réintégrer nos couchettes. Il faut s’économiser car l’air du  large use et la ligne d’arrivée encore si loin.

Je m’endors sur un livre de Schlink. Grand moment !

 

7ème jour.
Journée à quai.

Ôde à Bernard.

Bernard va chercher le pain frais à l’aube et prépare le petit-déjeuner. Bernard est grand. Pendant que Philippe et Hervé badent sous des prétextes futiles, Bernard récure le bateau, nettoie les salissures d’une semaine de mer, il lave les ponts, frotte les cuivres, astique chaque recoin, récure les culottes de son capitaine et les tee-shirts du maître-queue, Bernard est très grand et altruiste.

Le voilier reluit comme un sou neuf, Bernard est un esclave moderne. Grâce à son action efficace et à sa force brutale, il attire les regards des touristes et surtout des jeunes et belles femmes qui cherchent l’aventure sur des quais de fortune, dans les bras robustes de marins boucanés aux vents du grand large. Bernard est si beau à la coupée de son fier destrier des océans.

Notre coursier au repos avant la grande traversée.

Hervé concocte, avec l’espadon, un plat que nous décidons de partager avec les équipiers du Lady Jane qui nous invitent à boire l’apéro. Sans aucun doute, veulent-ils percer les mystères de cet équipage hors norme que nous formons, de cette osmose qui lie comme les doigts d’une main, les gardiens du Romulus, les cerbères de la Méditerranée. Ils en seront pour leurs frais mais nous sortirons de leur pompeux catamaran, ivres comme des marins en bordée dans un bordel de Tanger.

Qu’à cela ne tienne. Une sieste réparatrice et nous repartons pour une visite de la cité lacustre de Carloforte, au milieu des badauds ebaudis. Nous sommes si fiers, les indigènes nous contemplent éblouis, nous sommes à l’égal des dieux, mieux, Bernard est Dieu.

Nous achevons notre soirée avec force gelati et limoncello. L’angoisse commence à monter, une tension perceptible à la seule idée de la grande traversée vers les rivages de l’Orient qui nous attend pour le lendemain.

Que le monde est étrange sous ses latitudes extrêmes.

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La Transmed (2)

Publié le par Bernard Oheix

Suite des aventures de nos marins d'eau douce en route vers Cipango, à  la recherche d'un impossible Eldorado. Ils sont fiers et orgueilleux nos héros d'une Méditerrannée en colère.


3ème jour.
Au long des côtes corses.

Je me lève à l’aube. Je réussis à prendre le zodiac, à l’allumer et à me guider jusqu’à la terre ferme afin de ramener aux membres de l’équipage, les croissants et les journaux, peut-être les derniers, auxquels nous aurons droit avant de plonger dans l’inconnu des mers australes.


Une nouvelle fois, je fais match nul dans la réalisation des mots croisés du Monde avec Captain Fifi... même s’il s’est fait aider par notre maître-queue et que j’étais seul, moi !

Au déjeuner, cailles sur canapé (sic), preuve si besoin était que nous avions raison d’embarquer notre cuistot, bien qu’il boive et fornique comme un suppôt du diable en train de vendre son âme.

Check-point à 13 heures.

Préparation du Romulus qui frémit d’aise et ronronne tel un coursier au moment de s’élancer. L’équipage est frénétique, rodé, notre légende est en marche.

Captain Fifi s’adressant à moi, me lance « -choque le bout de la drisse pour affaler… » ou quelque chose d’approchant. Après plusieurs explications, il convient que « tire sur la corde rouge » est moins seyant mais tout aussi efficace. J’ai conquis un espace de liberté en m'opposant à la terminologie marine, celui du langage et j’en suis fier !

Cap au sud/sud-ouest. Vent de force apparente de plus de 15 nœuds, vitesse de surface de 8 nœuds.

Exaltation. Le Romulus surfe sur une mer d’émeraude. Le vent cingle en rafales les voiles, le coursier se penche toutes voiles dehors. La nuit tombe sur un brelan magique, l’équipage du Romulus en train de naviguer par vent de trois-quarts arrière, la tête dans les nuages, ivre de la beauté du monde !


4ème jour.
Arrivée à Alghero. (Sardaigne)

La nuit fut épouvantable. Après un quart d’Hervé-maître-queue, à minuit, Philippe assure son tour. Las ! Une chute violente du niveau de la batterie ne permet plus d’utiliser le pilote automatique, pire, nous prive de GPS. Philippe nous réveille afin d’effectuer une manœuvre délicate, dans la nuit noire, sans repère si ce n’est quelques lumières de terre. Afin de se remettre dans l’axe, nous tirons un bord sur bord, cherchons notre voie au large d’Asinara et piquons le long de la côte déchiquetée en frôlant les abîmes.

Captain Fifi reste calme et impavide. Il nous renvoie nous coucher. Abruti par l’angoisse, je m’endors immédiatement en rêvant d’une île mystérieuse et de femmes nues. Captain Fifi va camper seul au mitan de son champ de ruines, barrant, la tête dans les étoiles, en se fiant à son instinct, commandant d’une terre de combat peuplée de nos cauchemars.

A 6 heures, il vient me réveiller en douceur par un coup de pied dans les flancs afin que je prenne mon quart et s’abat sur son grabat, ivre de fatigue. Je barre notre navire. La côte est somptueuse. Immenses pans de lave plongeant dans la mer, oiseaux frondeurs, torture des silhouettes découpées par le jour levant, sculptées dans la pierre marmoréenne. Ce rivage sarde est d’une beauté à couper le souffle. La brise est légère.

A 8heure 30, Hervé prend ma place mais je reste avec lui, à contempler le paysage. Arrivée à Algherto en fin de matinée où Captain Fifi effectue une manœuvre complexe pour arriver à s’amarrer en se glissant en arrière entre deux monstres à quai. Je choppe au passage deux cheveux blancs de plus.

Douche et rasage sont les bienvenus, nous commencions à puer le bouc et à ressembler à des chèvres corses.

Un réparateur vient nous secourir en nous délestant d’une poignée d’euros (350). Il s’agit du répartiteur, petite pièce stupide qui a été inventée uniquement pour nous emmerder pendant cette Transmed.

Nous sympathisons avec quelques concurrents même s’ils n’ont pas de femelles à bord. Nous décidons de faire la fête et traquons la Sarde dans la nuit étoilée. Mais la Sarde est sauvage et il n’est pas aisé d’en capturer avec les moyens du bord.

Nous nous consolons avec un repas somptueux au « Pavone » que je règle avec ma largesse coutumière de grand seigneur. Retour à minuit pour un sommeil réparateur. Je me glisse dans mon sarcophage cabine où je me cogne la tête au plafond chaque fois que j’ai un sursaut, c’est-à-dire, chaque fois que j’ai une idée lumineuse. Au matin, j’ai le front zébré de cicatrices !

 

5ème jour
De Alghero à Arizzano

Départ sans fanfare. Il n’y a pas de vent, la mer est calme et le soleil brille. Activités diversifiées. Bronzage intégral au grand dam de mes coéquipiers, lecture, mots croisés. Captain Fifi jette un « bout » à la mer et nous nous faisons tirer par le voilier à tour de rôle. Délice. L’eau nous submerge, impression d’avoir le plus grand jacuzzi du monde, massage intégral (mieux qu’une Thaïlandaise en forme), cela épuise malgré tout et nous sortons après quelques minutes le corps brisé, l’esprit reposé.


 

La côte que nous longeons est superbe, grandes plages de sable blanc parsemées de roches éventrées.

Nous arrivons dans la soirée dans une anse magnifique surplombée de vestiges romains. Le site archéologique est dominé par une tour génoise du XVIème. Mouillage forain au milieu de la flottille de voiliers. Après les formalités d’usage, nous débarquons et visitons les ruines. Le silence est impressionnant, une brise nous caresse le visage, les vagues chantent à nos oreilles une douce complainte. Les pierres parlent, la nature nous rappelle que l’homme n’a pas de prise sur le temps et que les siècles forgent des légendes aux artisans de l’éphémère. Nous nous sentons si petits dans ses vestiges d'un monde englouti !

Baignade dans les derniers feux du couchant.
Hervé-maître-queue nous concocte un délicieux repas. Soupe lyophilisée, omelette baveuse, haricots péteurs arrosés d’un petit rosé frais. Il justifie son amour pour la cuisine familiale en nous infligeant ses talents de bricoleur de génie.

Reste le whisky que nous dégustons sur le roof en philosophant sur les aspérités d’un monde cruel et la solitude des marins de fond. Couché à 10 heures. Le sommeil s’empare de moi.

PS : Philippe peine sur La citadelle du désir. Il attaque le 2ème chapitre en hoquetant et ses nuits sont peuplées de cauchemars… Y a-t-il un lien de cause à effet ?

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Journal de Bord de la Transmed (1)

Publié le par Bernard Oheix

Il faut resituer. Philippe C me convainc de participer à la Transméditérranéenne qui part de Saint-Raphael et arrive à Hammamet en Tunisie sur son voilier de 38 pieds et quelques pouces, le Romulus. Nous embarquons notre ami Hervé C dans l'aventure et vogue la galère... Philippe C, alias Captain Fifi est un personnage entier. Il sort d'une opération et cette traversée avec ses amis est une façon de renvoyer son mal aux enfers. Hervé C alias Hervé maître-queue, outre ses talents de cuisinier, a subi une opération très grave, lui aussi. De plus, il ne connait rien à la mer même s'il affecte d'être un grand pêcheur devant l'éternel. Moi, Force brûtale, je suis dans une phase de thyroïdite aiguë et n'ai jamais rien compris à un bateau même si ma plume s'avèrera fort utile pour graver la mémoire de cette expédition dans le marbre de la légende des marins !
Equipage d'enfer pour une course sans carotte, juste le plaisir d'être ensemble et de voir notre passé ricocher sur les vagues de l'avenir.
Je vous offre les aventures des pieds nickelés de la Méditerrannée, j'espère qu'elles vous séduiront comme nous avons aimé les vivre !


Les trois membres de l'expédition dans la tension du départ !


1er jour.

 

De Saint-Raphael à la Corse.

 Prise de contact de l’équipage. Le climat est tendu et la pression à son comble. Nous nous toisons du regard et mesurons notre aptitude à vivre dans des conditions extrêmes. C’est important la confiance envers ses camarades. Dans la tourmente qui se prépare, l'autre peut nous sauver demain, ou nous faire périr. La solidarité n’est pas un vain mot, perdus à des milles dans l’immensité marine, au cœur de la tempête qui se prépare. Nous nous connaissons seulement depuis 40 ans, notre amitié saura-t-elle résister aux aléas de la vie rude du marin et aux épreuves qu’indubitablement nous serons amenées à affronter ensemble ?

Après un repas frugal, sur le port, avec nos familles, l’heure du départ sonne. Nos épouses nous embrassent peut-être pour la dernière fois. Nous sentons leur émotion. Il fait nul doute, que si nous n’étions des mâles arrogants, habitués à jouer avec le danger, nous aurions, aussi, des larmes qui perleraient à la commissure de nos yeux. Mais c’est la vie d’aventuriers que nous avons choisie, il nous faut désormais assumer cette passion de la mer qui nous conduit vers ces horizons lointains. Même si nous devions échouer et périr glorieusement dans cette immense désert d’eau, nous savons que nous vivons pour cet instant précis où la gloire se conjugue avec le dérisoire. C’est la vie, c’est notre vie et elle n’a pas de prix !

Quand le canon a tonné, Capitaine Fifi a bondi vers la barre lançant des ordres auxquels l’équipage a répondu avec enthousiasme. Notre skipper s’impose d’entrée dans le peloton de tête. Pour le 1er challenge de cette Transméditerranéenne, nous avons failli créer la surprise. Arrivés 6ème sur les 15 premiers milles, malgré notre tirant d’eau et la masse de nos flancs chargés de victuailles et de biens de première nécessité… un exploit que nous célébrons dans la nuit tombante par une bordée de hourras adressés à notre valeureux capitaine. Nous savons que d’autres victoires se profileront à l’avenir, ce n’est que partie remise.

Enfin dans le vif du sujet. La mer toujours recommencée (c’est facile, je sais !). Elle roule et défait des montagnes liquides, le vent est soutenu, nous cinglons vers une page d’histoire, une ligne de légende dans cette épopée si riche de la marine. Le sel nous cuit la peau et pendant que la nuit tombe, nos cœurs vomissent les derniers restes de ce que qui nous rattachait à la terre ferme. Nous mangeons frugalement, le maître-coq est en train de dégueuler par-dessus la drisse, l’adaptation est difficile et le roulis pernicieux.

C’est la nuit et une « pétole » terrible nous encalmine. Je prends mon quart à une heure sous un ciel lourd. Je suis épuisé. Malgré le danger qui rôde, je vais sombrer dans un sommeil sans fond, par une nuit sans lune (Euh !). Je me réveille à 3h45, j’ai fait un double quart mais mon capitaine que je réveille me gronde. « Il ne faut pas t’épuiser d’entrée, me dit-il, la route sera longue et les dangers innombrables ». Je n’ose lui confier que j’ai dormi à la barre emmitouflé dans mon ciré comme un gros bébé, au mépris de toutes les consignes de sécurité. Il y a des choses que l’on ne peut avouer, même sous la torture.

Il fait le point, constate que notre côtre a reculé (sic, nous sommes sans aucun doute le seul bateau capable d’aller plus vite en arrière qu’en avant !) et reprend la direction des opérations. Une faible risée lui permet de rectifier le tir et de démontrer toute l’étendue de ses compétences. Il nous remet dans le sens de la marche et swingue avec les éléments pour nous permettre d’atteindre l’Ile de Beauté en évitant de justesse la dernière place et le ridicule d’un fanal rouge.

Hervé, notre maître-coq va mieux. Il est resté évanoui toute la nuit. Il nous promet un bon repas pour la soirée. Auparavant, il est indispensable d’effectuer toutes les manœuvres qui nous permettent un ancrage sécurisé dans la Baie de Sagone. Les autres concurrents ont hissé leur pavois en notre honneur. Quelques coups de canon retentissent… mais nous nous apercevons que ce ne sont que des autonomistes qui pratiquent leur activité favorite : la pêche au « pinsutu » par journée ensoleillée !

 

2ème jour.
Ancré dans la Baie de Sagone.

 

La journée se passe dans le calme. Repos bien mérité, je complète ma nuit par une sieste réparatrice. En fin d’après-midi, les autochtones conduits par le maire de Vico-Marine se réunissent sur la plage pour fêter les concurrents de la Transméditerranéenne. Nous découvrons enfin les visages des équipages ennemis. On ne parle pas énormément de nous au chapitre des prix et médailles mais indubitablement quelques femelles embarquées sur les coursiers adverses nous contemplent avec des regards concupiscents. Même sans la lumière des prix, nous faisons converger les feux de leurs pupilles dilatées sur notre fier équipage. Les marins furieux sentent bien que leurs épouses nous scrutent avec perversité et sont fous de rage. D’aucuns voudraient en découdre mais notre capitaine Fifi à l’intelligence de s’interposer. Nous évitons de justesse la violence d'une rixe qui aurait offert quelques corps en pâture aux poissons de la Corse.

 A bord, Hervé nous a concocté un succulent repas. Il fait montre d’un réel talent pour accommoder les nourritures frustres embarquées et nous offrir des mets de roi. Nous évoquons pendant un long un moment des questions sérieuses, la vie, l’amour, la mort... avant de voir plonger les derniers rayons de soleil dans l’immensité bleue sombre qui borne l’horizon.

Nous allons nous coucher. Capitaine Fifi décide d’entamer la lecture de « La citadelle du désir » de Bô Dukham. Nous l’entendons gerber quelques pages plus loin !
Nuit calme. Satisfaction du devoir accompli.


La suite au prochain numéro.

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Pourquoi Juliette Gréco ?

Publié le par Bernard Oheix

Beaucoup de spectacles en cette période où je termine la programmation de la saison 2008/2009.
Et bien sûr, Cali à Nice, avec cette énergie toujours aussi explosive. Un Cali plus revendicatif encore, moins tourné vers la description de ses états d'âme et de ses relations avec les femmes mais plus dans une dimension sociale de la lutte et des révoltes. Cela donne un cocktail sympathique, parfois un peu brouillon, toujours attachant. Ses musiciens hors pairs ( il faut noter l'époustouflante prestation scénique d'un Kolinka ex-Téléphone qui défit les années !) impriment un rythme d'enfer, les deux cuivres offrent cette touche "mexicano-hispanisante" bien dans l'air du temps, un dispositif astucieux qui leur permet de jouer au milieu du public... Une belle soirée !
Mais que dire de la programmation de Juliette Gréco au Palais des Festivals de Cannes, que dire sinon faire un article pour célébrer un grande Dame et ajouter quelques lignes à la page glorieuse d'un mythe vivant !

 

 

Parce que Juliette Gréco !
Une Dame immense drapée de noir, une ombre qui naît dans la nuit des cafés enfumés du boulevard Saint-Germain d’un après-guerre où Jean-Paul Sartre compose des chansons, Boris Vian pousse la trompette, les intellectuels s’offrent une icône au corps diaphane, à la silhouette mystérieuse de Javanaise, un sourire charmeur, la fiancée de tous ceux qui imaginent que le monde est en couleur et que l’avenir appartient à ceux qui éperonnent les archétypes d’une société figée au sortir d’une guerre de cauchemars. C’est l’existentialisme, les pavés gris des rues de la Capitale prêts à voler, une pulsion extraordinaire qui va faire fleurir des printemps échevelés, des cheveux longs qui poussent rebelles, en épis, une génération qui croise Brel, Brassens, Ferré, Gainsbourg et tant d’autres artistes, peintres, écrivains, philosophes qui transforment la fête en cénacle de pensées où les théories de l’an nouveau s’épanouissent.

Photo d'Alain Hanel, le réalisateur d'une exposition sur les spectacles des saisons de Cannes.

Juliette Gréco est née dans ce monde de bruit et de fureur, elle s’est déshabillée pour tous ceux qui l’aiment, offrant sa voix légèrement éraillée, profonde, ses inflexions suaves, son intelligence des textes qui collent si bien à cette période de tous les rêves.

Qu’elle soit un mythe est une évidence… mais les mythes ont en commun avec les phantasmes, que parfois il est préférable de les conserver inassouvis, dans les profondeurs d’un non-dit, non avenu, dans l’épaisseur qui sépare le monde virtuel de la réalité.

Avec la programmation de Juliette Gréco au Palais des Festivals de Cannes, mon passé refaisant surface, j’osais regarder le temps de ma jeunesse, celui de tous les espoirs perdus, celui aussi de tous les rêves d’un futur enchanteur.

C’est ainsi que je suis rentré de Marseille où le Bab el Med avait réuni tous les programmateurs, tourneurs et producteurs des Musiques du Monde pour cette Messe pour le Temps Passé. Bien m’en a pris ! Imaginez une conférence de presse exceptionnelle, donnée par une artiste qui a tout connu de la vie, même les chemins les plus tortueux et parle avec la liberté de celle qui n’a plus rien à prouver, plus rien à transmettre et qui peut d’autant plus s’exprimer. Imaginez le concert. La scène du Grand Auditorium dans une configuration d’une sobriété extrême, piano et accordéon légèrement décalés vers la gauche, îlot brillant sur cette scène si vide, si grande. Quelques éclairages sophistiqués par la discrétion et la finesse des découpes de l’espace. Le noir comme permanence avec son compère grisâtre, quelques tâches de blanc. Elle apparaît comme issue de la nuit des temps, intemporelle, évanescente. Sa voix n’a pas bougé d’un iota. Elle est Gréco.

Pendant 21 chansons, et quelques interventions d’une précision extrême, elle va nous envoûter, nous inviter à ses agapes célestes. Elle nous démontre combien elle s’est transformée en mythe vivant, les raisons qui expliquent qu’elle ait échappé aux griffes du temps et de l’usure. Elle est hors du temps, hors du monde, hors de toute contingence. Elle est abstraction. Elle est Gréco.

Des textes à faire pâlir n’importe quel amateur de langue par leur complexité immatérielle, leur formule si précise pour définir un peu de ce sel de la terre, l’agencement de ces mots comme les perles d’un collier de beauté… Carrière, Brel, Ferré, Roda-Gil, Leforestier… Des mélodies à tomber en pamoison, une gestuelle de tragédienne dans sa sobriété soulignant l’épure générale d’une soirée d’élégance.

Dix minutes d’ovation en un salut à la romaine pour la tragédienne grecque, des cris d’allégeance, toutes générations confondues, 1200 personnes déclamant leur dévotion à celle qui venait de vaincre les lois de la pesanteur. Merci Madame Gréco.


Plus tard, dans sa loge, seuls. J’ai invoqué mon droit à la bise à un mythe, elle me l’a accordée ! A la dédicace personnelle, à la photo (elle qui n’aime pas être prise en photo !), j’ai obtenu en sus quelques minutes d’intimité pour me persuader que j’étais bien celui par qui le scandale arrive, le vrai scandale, celui d’une beauté qui brûle, d’une vérité qui échappe à toute logique, d’un art qui n’a pas réussi à transformer le monde mais autorise tous les excès, même ceux que l’utopie engendre !

Merci Madame Gréco,

 

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La Divine Comédie

Publié le par Bernard Oheix

Lasciatte ogni speranze, voi ch'entrate...ce vers connu (je ne garantis pas l'italien, c'est de mémoire !) je l'ai reconnu dans une production pharaonique qui m'a conduit sur les rives du Trastevere à manger des spaghettis alle vongole à défaut d' alimenter mon esprit de nourritures plus spirituelles !
Bon !  On ne va pas regretter le voyage, il y a pire que de humer les effluves de la capitale transalpine et de retrouver ses amis. L'Italie, c'est la patrie de ma mère, ma deuxième culture, et sa langue est un chant qui porte au rêve.

 

Entreprise gigantesque s’il en est, la production romaine « Nova Ars » de La Divine Comédie s’est donnée les moyens de créer l’événement. Dans une période où l’Italie se cherche dans des joutes électorales impossibles, le travail sur l’œuvre de Dante, thème fondateur de l’Italie moderne, première œuvre capitale écrite en italien, étudiée avec permanence à l’école, est un signe de cette perplexité d’une élite qui cherche un sens à son futur dans les pages de son passé glorieux.

Construction d’une salle spécifique de 2500 places en périphérie de Rome, là où s’est déroulé le jubilé de l’an 2000, infrastructure ambitieuse, ligne de produits dérivés élégants et documents soignés, travail sur les scolaires dépassant largement les limites de la province, soutien d’un appareil d’église pour cette opération, temps de création et investissement dans les décors et le casting… A l’évidence, les objectifs étaient ambitieux et le produit fini est appelé à durer et à être exploité non seulement en Italie mais aussi en Europe. Les invitations lancées auprès d’un certain nombre de programmateurs allaient dans le sens de cette recherche ambitieuse d’un marché global et non limité aux frontières du pays.

Marco Fresina, un homme d’église qui a présidé à nombre d’évènements organisés par le Vatican a composé une musique d’excellente qualité, alternant les plages classiques avec des morceaux plus modernes, juxtaposant les ensembles (chœurs, interprètes et musique) et les soli des chanteurs dont on peut parfois regretter certaines facilités, un air clinquant plus comédie musicale qu’opéra moderne. Concession à la modernité des comédies musicales ?

C’est d’ailleurs un des reproches que l’on pourrait adresser à la production et qui semble encore plus apparent dans la deuxième partie : ne pas avoir réellement choisi entre un opéra moderne et une comédie musicale, avoir laissé une ambiguïté s’installer au détriment de la cohérence du projet artistique. Car si on peut affirmer que la tendance opéra moderne est plutôt une réussite, la dérive vers une comédie musicale est d’une facture plus faible et tire vers le bas l’ensemble du projet.

La distribution des chanteurs est d’une grande qualité. Des voix puissantes et des physiques agréables collant parfaitement aux rôles. Ils s’appuient sur un décor conçu pour partie avec des éléments concrets (une immense roue en bois qui tourne sur son axe sur laquelle les acteurs déambulent et qui symbolise le parcours de Dante), et des images de synthèse absolument extraordinaires conçues par Paolo Micccichè qui viennent enrichir les décors naturels. Ce travail de l’image est à l’évidence un des points forts du spectacle. Sur une série de « pendrillons » qui se positionnent en découpant l’espace sur plusieurs niveaux de profondeur et de hauteur, des images de synthèse vont accompagner les acteurs chanteurs en créant des illusions plus vraies que nature. L’enfer, la forêt pétrifiée, sont des réussites absolues. On ne peut que regretter alors l’assèchement créatif de la fin du voyage. Sans doute est-il plus difficile de camper le paradis et la sérénité que les affres des démons qui nous torturent. Il n’en est pas moins vrai que nous avons, dans ce final, la vague impression d’une rupture avec la fièvre créatrice du début, d’un laisser-aller coupable !

En ce qui concerne les costumes, on peut regretter que cela se transforme progressivement en carnaval de Nice, et qu’un manque de sobriété s’empare du créateur parti dans des rêves de cartons-pâtes !

Reste la danse. Las ! Chorégraphies mièvres, danseurs de bas de gamme, apportant une touche de modernité avec vieux modern-jazz sans saveur. Les danseurs occupent une place trop importante, restent visibles sans raison, s’agitent pour créer l’illusion d’un mouvement perpétuel. C’est tellement inutile que cela en devient pénible !

Même les acrobates, parfois émouvants dans les tableaux dans les airs, en perdent de leur superbe et leurs prouesses se transforment en mécanique froide pour cause d’outrances et de répétitions. C’est aussi ce qui déclenche ce glissement vers une comédie musicale plutôt vulgaire, un peu choc et toc, formatée télévision, en décalage avec la dimension initiale d’un opéra moderne.

A l’évidence, dans ce projet, il manque un vrai regard de metteur en scène. Juxtaposition et collage peuvent parfois donner l’illusion d’une énergie libératrice mais en l’occurrence, accroissent la sensation d’une dérive hiératique, d’un patchwork inconsistant. C’est regrettable, tant de qualité et de moyens qui s’échouent sur les rives d’un à-peu-près sans rémission !

La production l’avait pressenti, qui interrompit en décembre les représentations, embauchant un nouveau metteur en scène en complément de l’ancien pour un duo à deux têtes hybrides, chargé de remettre sur les rails du succès et de la cohérence cette Divine Comédie. Après avoir retravaillé et coupé dans la chair à vif, le résultat reste en deçà de ce que l’on peut légitimement attendre d’une production d’une telle ampleur. Si elle peut dans ces conditions réussir à capter le marché italien, elle semble totalement inadaptée à conquérir le public européen sans un travail de réécriture scénique indispensable. Sans cesse sur le métier, il faut remettre son ouvrage… et même si ce n’est pas un italien qui l’a dit, cela reste plus que jamais d’actualité !

A part cela, Rome, quelle ville, quelle beauté, quelle gentillesse. Vive l’Italie et les italiens !

 

 

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Hommage à Cannes

Publié le par Bernard Oheix

Cannes est ma ville, j'ai grandi entre ses murs, je suis allé au collège puis au lycée Carnot, j'ai fréquenté les adolescentes de Capron, j'ai plongé du haut des rochers rouges de La Bocca, j'y ai embrassé ma première fiancée, pris ma première cuite et suis devenu un garde rouge pendant le mois de mai 68 !
En hommage à ma ville, même si je suis né à Nice et reste un inconditionnel de OGCN, voici ces quelques lignes comme un reflet dans un oeil sombre, quand les années de jeunesse semblent si loin. 
En cette période d'élection, juste une image sépia de cette ville incomparable !


 La Ville de Cannes est si belle d'hiver comme d'été. Je longeais le quai de la Pantiéro qui donne sur le vieux port et ses pêcheurs en train de ravauder leurs filets avec un gros couteau à maillage. En levant la tête, on distingue la silhouette des Monts de l'Esterel, avec leurs calanques rouges qui plongent dans la mer turquoise. Au large, les îles de Lérins ceinturent l'horizon, l'île Sainte-Marguerite, avec son fort et sa prison au masque de fer et plus loin encore, Saint-Honorat, avec son monastère cistercien qui se dresse en sentinelle d'une civilisation évanouie, où ses moines cultivent le raisin et produisent la Lérina, un petit vin chargé des saveurs d'une terre gorgée de soleil et de sel marin. Plus loin le Cap d'Antibes dont le phare veille sur les embarcations qui sillonnent la Baie des Anges vers les pointes rocheuses qui enferment la Principauté de Monaco. Surplombant les Allées de la Liberté, la colline du Suquet et son église Notre-Dame de l'Espérance avec son clocher qui donne l'heure aux habitants et la tour carrée du Musée de la Castre où flotte, dans le vent, l'écusson bleu et blanc de la Ville de Cannes. Il y a un air de fête permanente dans cette petite cité les pieds dans l'eau, la couronne de palaces en arc de cercle le long de la Croisette, le Palais des Festivals comme un navire tourné vers le large et qui éperonne l'horizon du gris de son béton et des coursives qui courent le long des pans de murs vers le bleu de la mer avec son pendant du Palm Beach qui s'arc-boute sur la langue de terre qui pénètre dans la baie de Cannes. Plus haut encore, les Préalpes avec le plateau de Caussols qui ceint Grasse d'une couronne blanche et le Baou de Saint-Jeannet qui se dresse orgueilleux et fier dans la perspective des montagnes du Mercantour dont les sommets sont enneigés jusqu'au mois de Mai.
C'est un vrai paradis que des couchers de soleil somptueux embrasent à la tombée du jour, où une brise marine légère adoucit les chaleurs de l'été, où les fleurs poussent même pendant l'hiver parant les collines du jaune des mimosas, où chaque saison invente une symphonie de couleurs et des palettes de senteurs comme pour une invitation à la quiétude et à l'art de vie de tous ceux qui ont peuplé ses rivages et y ont construit leur abri.
Je suis né et j'ai grandi dans cette ville. Il m'a fallu quelques années d'absence de cette région pour comprendre la mer si calme au matin le long du boulevard du Midi que j'emprunte pour rejoindre mon bureau à moto, la ligne d'horizon si bleue avec son odeur salée, et le bruissement des vagues qui meurent sur les plages de sable fin.

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