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Dance me to the end of love (1)

Publié le par Bernard Oheix

Un titre en hommage à Léonard Cohen
 
Une programmation de Yorgos Loukos, le directeur artistique du Festival de Danse de Cannes est toujours une aventure culturelle intense ! Il y a deux ans, il nous avait asséné une série de spectacles particulièrement éprouvante pour l’organisateur… et le public ! Risque d’un décrochage, on lui avait demandé de tempérer ses ardeurs, la suite et vérification en commentaires !
 
Ouverture le 23 novembre 21h 00 avec le Ballet de Marseille
« Silent Collisions »
Dans ce 3ème volet d’une trilogie sur l’architecture, (les deux précédentes avaient été présentées au festival), Frédéric Flamand, trace sa voie dans la recherche de la place du corps humain dans l’espace urbain.  La première partie balbutie, une gesticulation archétypale qui n’apporte rien à sa recherche, mais l’utilisation (comme toujours chez lui) d’un décor ambitieux (une ville dont les formes se déglinguent au fil du spectacle) lui permet d’introduire une dynamique intéressante dans la seconde moitié. Quelques trouvailles scénographiques, un rythme plus en phase avec le propos, des danseurs un peu figés qui se laissent malgré tout envahir par la tension d’une machinerie sophistiquée…Somme toute, le public, en recherche d’une danse pas trop hermétique, y aura trouvé son compte. A noter, un fossé qui semble se creuser entre un corps de ballet hérité de directeurs néoclassiques (Roland Petit et Marie-Claude Pietragalla) et le style de Flamand qui apparait en inadéquation avec la qualité intrinsèque des danseurs ! Ce qu’a réussi Jean-Christophe Maillot à Monte-Carlo (la mutation d’un corps de ballet et son corollaire, l’évolution du public) semble plus complexe à réaliser dans la Ville de Marseille !
Samedi 24 novembre. 18h30
Compagnie Cave Canem « Dromos 1et 2 »
Chorégraphie Philippe Combes.
Cela commence magiquement. Un drap comme un écran sur un échafaudage, derrière, dans des filets de lumières, la forme d’une femme se dessine comme en filigrane, fantôme du désir. Elle évolue avec grâce, dans une obscurité complice, filigrane de son corps nu, traces d’une féminité qui se dérobe pour mieux s’exhiber. Il y a un jeu subtil sur les formes, le mouvement, l’impossibilité pour le spectateur de s’ancrer dans une logique de « reconnaissance ». C’est somptueux et délicieusement érotique, ambiguë, un rien pervers.
Et puis, patatras !
Le chorégraphe décide de crever l’écran et de faire apparaître la femme ! Las ! Parfois les choses vont tellement mieux sans le dire. Ce qui était magique se dévoile dans son à-peu-près. Elle s’est rhabillée, le mouvement d’hiératique devient ennuyeux, le geste étiré rend insupportable le silence. Chaque doigt, chaque mouvement de tête est une torture ! C’est Mozart qu’on assassine !
Tans pis, on aura vécu la moitié d’un très beau spectacle !
21h00.
Compagnie Israel Galvan.
« La edad de oro »
Déjà le Flamenco… En plus, quand c’est du Nuevo Flamenco !!! Il paraît, à ouïr la salle, que c’était génial, iconoclaste, fantastique… Moi, après 15 minutes, j’avais compris le spectacle et une certaine tendance inclinait mon chef vers le dossier du fauteuil confortable de la salle Debussy qui n’y pouvait rien. Un chant très beau mais on avait l’impression que ses doigts se prenaient dans la porte en permanence et que cela lui faisait vraiment très mal, un morceau de guitare très beau avec plein de notes qui jaillissaient drues, serrées, tellement compressées que cela donnait l’impression que c’était toujours la même chose... Et puis, le seigneur Galvan se lève, il agite ses petits pieds en faisant un maximum de bruit, remue ses petits bras en moulinant comme Sancho Panca, tressaute du derrière et pousse son bassin pour affoler les filles, pour finir par une virgule ironique avec la main à la fin à la dernière note de musique. Tout cela avec l’air d’avoir enterré sa mère au cimetière de La Bocca le matin de sa prestation et en ressemblant à Wladimir Poutine ! Bon, c’est vrai, les gens avaient l’air vraiment content, on aurait dit qu’ils avaient mangé une bonne paella et bu du vino tinto !
Dimanche 25 novembre. 21h00
Ballet Biarritz Thierry Malandain
« Les Créatures »
J’avais adoré son hommage aux Ballets Russes, j’attendais avec une certaine impatience ses « Créatures ». Le ballet est beau, les danseurs évoluent avec cette grâce d’un néoclassicisme qui s’assume. Superbe composition initiale, danseurs qui sautent en cassant les jambes, qui fusionnent sur la musique de Beethoven et nous entraînent dans un univers de mouvements et de silhouettes se fondant dans un noir et blanc austère.
Et puis la mécanique ripe, le propos (trop) ambitieux se perd dans l’agitation et la répétition, les costumes lassent. Quelques idées viendront ranimer la foi en deuxième mi-temps (!), une femme avec de grands voiles, une boule transparente… mais c’est déjà trop tard, Thierry Malandain a presque perdu la partie et n’a pu imposer ce style néoclassique si décrié et snobé par les critiques et les balletomanes branchés… Il a raté une occasion d’affirmer son leadership et d’anoblir le genre. Peut-être que le fardeau était trop lourd à porter ! Le public amateur aura passé une belle soirée… nous savons nous… que avons raté une grande soirée de danse. Tant pis, ce sera pour la prochaine fois !
Lundi 26 novembre. Toute la journée.
Installation performance du Collectif Loge 22-Michel Pomero.
Bon, des boîtes d’œufs que l’on empile et qui s ‘écroulent, des galets qui roulent et la mousse…des marcheurs qui déambulent le long des murs… j’ai fait cela en 70 avec Ben et ses concerts fluxus de l’Ecole de Nice ! Autant rendre à César ce qui lui appartient et laisser le temps opérer son œuvre sans nous ennuyer !
21h00
Compagnie Maguy Marin.
Turba/ coproduction Festival de Danse de Cannes.
Je suis entré à reculons dans la salle. Je craignais le pire étant de ceux que les agressions récentes de Maguy Marin et de Denis Mariotte épuisent. Où est donc passé la femme capable de créer Cendrillon, May B ? Assurément, elle n’est plus dans le monde d’une danse qu’elle enterre en grande pompe dans cette œuvre somptueusement mortuaire ! Mais la magie opère !
Un « danseur » définitivement comédien s’approche du front de scène, dans un écoulement d’eau qui ruisselle sur des tables… Il va se vêtir d’oripeaux et lire en latin des extraits « de  la nature » de Lucrèce….. C’est beau et bouleversant. La scène en noir et blanc va se meubler de couleurs au fur et à mesure que les danseurs viennent évoquer par petites saynètes, les œuvres de Maguy Marin. Chacun déclame en toute langue des extraits de ce livre brandi. Quand les couleurs gagneront sur le noir, une tempête va se lever et briser l’ordonnancement des choses. Ce sera alors la cacophonie d’une inspiration désespérée, un renoncement général que deux portés et un duo étiré au maximum vont définitivement sceller. Maguy Marin, son double, va revêtir une couronne et laisser sa place aux jeunes dans une mort symbolique de son flux créatif. Testament crépusculaire. En cela, elle est redevenue cette immense dame d’images, même s’il lui reste le plus difficile à faire : rompre avec la danse dans les faits, et pas seulement par l’imagination.
Merci Madame Marin pour nous avoir offert ce poème somptueux, cette mort au travail, cette agonie de tous les idéaux. Il y a chez vous le génie du contre-pied et de l’entrechat. Vous errez dans un monde si particulier que votre sincérité ne peut que toucher ceux qui se dressent contre vous !
Mardi 27 novembre. 18h30.
Compagnie Pockemon Crew.
« C’est ça la vie !? »
En gros, la vie c’est d’être riche, de voyager, de voir plein de pays, de rencontrer des meufs, de kiffer grave… de rester très humble comme Zizou tout en faisant savoir que c’est nous, les Pockemon Crew… quand même !
Bon pour le reste, une absence de mise en scène à la Star’Ac, le showbiz avec ses gros sabots en un marketing soigneux, le public (très) jeune qui hurle les prénoms à s’en casser la voix et, disons-le, des danseurs plein de fougue, bourrés d’énergie et de talent. Ils méritaient peut-être mieux… mais c’est ça la vie !
21h.00
Sylvie Guillem et Russell Maliphant.
« Push »
Comment dire la grâce absolue, l’imagination sans limite, les lois de la pesanteur niées. Cela commence par 3 soli. Russel Maliphant à la recherche de son double en ombre. Sylvie dans les trouées de lumières qui écharpent la musique flamenco. Et « two », hallucinant, où la danseuse tente d’échapper à un cône de lumière, par la répétition et l’accélération, de briser sa prison dorée par le mouvement rythmé sur une musique électro envoûtante.
Et puis il y a « Push », un duo de 32 minutes qui amène le spectateur à un point de rupture introduisant la danse dans une dimension parallèle. Cela nous permet de gommer les lois élémentaires de la nature, de défier les normes et les alphabets. Imaginez le noir de la scène. Un rai de lumière vient lécher le corps d’une Sylvie Guillem perchée sur les épaules de son partenaire. Elle va glisser en s’enroulant autour de lui, attirée vers le sol. Quand elle y arrivera : noir. Quelques secondes et la lumière revient l’épingler dans un autre coin de la scène, toujours portée par Russell Maliphant. Et toujours, elle glisse vers le plancher, et toujours ses formes sont fières, droites, sans déroger à l’harmonie, quelle que soit l’orientation, la hauteur, le sens du mouvement des deux corps unis. C’est bouleversant et magique !
J’ai rarement, dans ma carrière de programmateur, pu ressentir un tel degré de perfection, une osmose aussi totale entre deux danseurs et le public, un environnement où rien ne semble déroger à l’harmonie des courbes, à la rigueur des lignes, à la tension des silhouettes, à la plastique des formes. Un corps théorique vers l’astre de la nuit. Le chemin d’un couronnement.
Merci Russell Maliphant pour ces chorégraphies et ces « portés » offerts à une déesse intemporelle, merci aux techniciens, merci au public… et merci avant tout à Sylvie Guillem d’exister et d’être la plus grande danseuse du monde ! J’étais le 27 novembre 2007 dans la salle Louis Lumière du Palais des Festivals, à Cannes, je peux vous le confirmer !
 
Voilà, la suite au prochain numéro…dans quelques jours. Vous aurez encore beaucoup de spectacles de danse à vous mettre sous la dent, encore de belles surprises et quelques « plantades » mémorables !. Juste un peu de patience et je les mets en ligne !
 
 
 
 

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Comment gérer l'impossible ?

Publié le par Bernard Oheix

 Le contexte. Une fête d'équipe pour célébrer un certain nombre d'évènements. La Pasta, restaurant à La Bocca, 30 personnes, la direction au complet, des conjoints et des enfants. Repas de sucres lents, de bonnes pâtes qui soutiennent après le festival de la Danse. Une façon de terminer l'année et surtout, d'honorer le départ de Séverine G, après 8 années passées au sein de notre équipe.
Je me devais de faire un discours. j'ai eu, comme disait Andy Warhol, mon quart d'heure de gloire ! Même si le contexte est un petit peu particulier, il est suffisamment provocant pour que je vous le livre en pâture. 
Bonne lecture et sachez lire entre les lignes....

Vous êtes tranquillement assis à votre bureau et Marie vous pourchasse, traque vos gestes, vous met la pression avec cette antienne… Bernard, les textes, Bernard, écris donc, il est temps de t’y mettre, de passer aux actes…Il faut pondre et produire comme si j’étais une tireuse électrique au pis d’une imagination féconde. Non ! Mais ! La création, ne se commande point quand même ! Ce n’est pas une mécanique sans à-coups, un simple robinet que l’on ouvre et qui voit s’écouler une crème fouettée. J’entends encore la litanie de Marie à mes oreilles sifflantes… Tu comprends Bernard, il y a les 50 ans de Nadine, il y a les 30 ans d’Eurielle, il y a le départ de Romain… Et puis il faut que tu penses à Nitya, à l’arrivée d’Aurélie, et puis il faut aussi…la nouvelle année, indispensable de la caser, et nos excellents résultats, tu avais dit que tu en parlerais…Et puis qui déjà ? Ah ! Oui ! Fais un beau discours pour Séverine, surtout ne l’oublie pas, elle !
Mais bien sûr que je veux tout oublier ! Et puis quoi encore ! Elle se casse, elle m’abandonne et je vais pleurer sur son sort… Et les deux autres qui vieillissent, vous pensez que c’est agréable à regarder les rides, les pattes-d’oie et peut-être même les seins qui tombent…Et la nouvelle année qui me rapproche de la tombe cela vous donne envie de rire de voir que je suis obligé de consommer du viagra pour ne pas m’endormir pendant les spectacles de danse ? Les bons résultats de nos spectacles, parlons-en ! 204 billets pour Rachid Taha… c’est parce que c’est un Arabe, sans doute ! 788 spectateurs payants pour un Suisse de merde qui avait soi-disant toutes les nanas de l’Evènementiel dans sa poche (dixit la directrice-adjointe) et Axelle Red à 400, cela vous chante aux oreilles… c’est à se demander qui s’occupe des relais et de la commercialisation…
Alors où en est-on ? De qui dois-je parler ?
Romain un jeune voyou qui a sans doute couché pour avoir sa mention presque très bien. Il nous nargue avec sa jeunesse, son sourire enjôleur et ses ronds de jambe à faire glousser les minettes de la direction. Il n’est jamais fatigué, se balade entre Barcelone et Cannes et à tous les coups va se trouver un job où il gagnera plein de tunes pour faire la movida !
Parlons d’Aurélie qui babille tellement qu’on ne s’aperçoit qu’en fin de journée qu’elle est là depuis l’aube à bosser sur les jeux et que la cinquantenaire exploite comme une esclave moderne. Elle courbe son joli cou devant l’écran de son ordi. Aurélie est certaine que nous sommes des intellectuels, mais c’est juste parce qu’elle vient d’arriver et qu’elle ne comprend pas grand-chose. Le temps se chargera de la décevoir.  
Nitya, l’ex-stagiaire persuadée qu’elle a tiré le gros lot en venant travailler dans ce Palais des misères et qui imagine que sa vie est devenue un gigantesque Festival de Danse. Fais le grand écart ma chérie et effectue quelques jetées, cela te permettra de retomber sur terre, l’attraction y est plus forte que tes désirs. Tu verras quand tu devras assumer la Belle de Cadix ! Tu en as pris pour 40 ans de galères dans ce bateau ivre.
Nadine, la cinquantenaire flamboyante, l’impératrice des jeux ! Dans vingt ans, elle comptera encore les stands à 92€ de jeunes créateurs aux âges canoniques et à la barbe blanche dont tout le monde se fout complètement et qui présentent des jeux stupides n’ayant strictement aucune chance de percer au vu du désert de leur intelligence. Pour se consoler, elle mangera des chocolats russes périmés en roulant les « r » comme Tatiana.
C’est pas grave, avec ses 20 printemps de moins, y a Eurielle la douce trentenaire qui est en train de galoper sur ses petites jambes dans les immenses couloirs du Palais à la recherche des résultats du scrabble perdu. Elle expliquera encore, quand les neiges auront fondu dans les glaciers des Alpes, à des musiciens anglo-saxons sélectionnés pour la Pantiero que le E204 n’est pas une drogue pour forniquer mais un formulaire de la sécurité sociale pour jouer sur une scène française. Elle entendra peut-être la douce musique de ses rêves lui murmurer qu’elle s’est plantée de chaîne et qu’elle aurait du zapper !
Vous trouvez que je force le trait, vous pensez que je regarde à travers le mauvais bout de la lorgnette. OK, si vous le dites. Mais regardez ce que vous allez devenir… Sophie qui entre en religion SEMEC en décidant de confier son destin à un olibrius… Résultat, après 19 années de douleurs, elle n’ose plus embrasser Stéphan Eicher après son show tellement elle est brisée par la fréquentation des directeurs artistiques. Pourtant, elle y croit dur comme fer à sa place de directrice-adjointe occupée à refaire des affichettes de couleuret des sempiternelles pubs qui n’ont jamais fait vendre la moindre place !
 Florence, ex-tuquette, condamnée à faire un enfant pour fuir son travail et qui attrape des boutons dès qu’elle lit une fiche de catering ou qu’on lui parle d’horaires de trains.
Marie qui se met à faire des fautes tellement elle corrige celles des autres et dont les 15 ans de boîte se résument à ce qu’elle soit devenue une experte en débourrage de photocopieur.
Jean-Marc, c’était un sportif, un footballeur, maintenant, devant sa télévision ce sont des ballons de pinard qu’il ingurgite pour oublier ses misères. Il se complet dans le noir et l’on voit sa tête émerger derrière son écran pour annoncer des catastrophes et déclamer des coûts exorbitants pour une technique qui ne fonctionnera jamais.
Hervé, il avait déjà le képi, désormais, il régente le vide des stands en moulinant des bras dans un Festival des jeux où la populace foule ses belles moquettes multicolores. Et quand il prend l’air, c’est les chiottes du Suquet qui se bouchent et empuantissent l’atmosphère.
Cynthia la stagiaire permanente, celle-là, on ne se rappelle plus quand elle est arrivée et on ne saura jamais quand elle doit partir. Une belle affaire, elle ne peut pas faire un pas dans le Palais sans recevoir des déclarations d’amour enflammées et se retrouver chez les keufs qui en repassent une couche !
Daniel, n’en parlons pas, c’est l’homme qui a tellement pris de pétards dans la gueule que quand il débarque à Montréal, on l’envoie directement à l’hosto pour se soigner et éviter la contagion ! Cela a du lui dérégler quelques neurones !
Et les filles de la presse, parlons-en ! Toujours à l’heure, ponctuelles et précises, investies de la grande mission de faire parler du programme de l’Evènementiel. Bernard, il nous faut une vedette pour faire une photo avec Nice-Matin, pour la conférence de presse avec nos 4 journalistes locaux et ces 8 radios que personne n’écoute. Comment tu n’as pas John Lennon, ou Alain Delon, c’est bizarre, pourquoi ?  Est quand donc programmes-tu un vrai artiste, par exemple, Sting ou à la rigueur Johnny Hallyday !
Marie-Ange, avec son nom de demi-ange, c’est la seule qui entrevoit son paradis. Elle nous quittera bientôt, elle l’a mérité sa rosette en chocolat à force de susurrer des conneries et de mentir effrontément au téléphone pour vendre des spectacles débiles comme si c’était des œuvres d’art, des huîtres perlières, des hommages à l’illustre Jean Sablon que tout le monde a oublié et dont tout le monde se contrefiche !
Bon, rassurez-vous, il reste encore quelqu’un qui doit en prendre plein la gueule… le Directeur ! Alors lui, c’est le pompon ! Il nous fait le coup du jeune qui s’y connaît et parle d’électro, de branché et d’ « in » comme s’il ne pouvait sentir son haleine fétide de vieux corrupteur, de pantin de la culture, de clown ridicule sans recul. Ah ! La noblesse du monde des idées, il nous en a parlé, et seriné, et même qu’à un moment j’ai failli le croire. Les utopies, le rôle indispensable de la Culture… avec un grand C… comme connerie plutôt !
Car maintenant, il faut que je vous le dise, moi qui ai passé 8 ans à vous supporter. Je me casse ! Je me tire ailleurs ! Je voulais être danseuse ! Travailler dans l’harmonie, sentir les bonnes vibrations. C’est ce qu’il m’avait promis le bougre quand il est venu me chercher à la FAC, ce subordonneur, qu’il m’a attirée dans ses rets. J’étais si jeune, pleine d’espoir. Je ne dis pas qu’au début je n’ai pas été sensible à son verbiage… comme à son ramage. Il savait y faire pour confier le boulot aux autres et nous donner l’impression que nous comptions, que nous avions une place privilégiée et que notre mission était capitale ! Alors vas-y ma petite Sève avec ton petit programme pour faire mumuse dans les écoles de petits pendant que je me prélasse dans des palaces en Chine, que je fais le cake dans des lacs gelés en Russie, que je danse des sévillanes en bouffant des paellas… le petit personnel bosse, trime, s’use à parcourir des kilomètres pour convaincre des ignares de prendre des billets pour des pièces de théâtre usées, de la danse vétuste… même pas programmer Françoise Murcia, il a voulu !
Et si encore j’avais pu le haïr !
Mais je vous le déclare, j’ai presque de la peine de vous quitter. Partir, c’est mourir un peu, non… beaucoup dans mon cas.
Je peux tout vous confier désormais. Malgré tout, j’ai aimé ce poste, j’ai aimé travailler avec vous, j’ai aimé apporter ma petite pierre à ce bel édifice, et si j’ai pu quelquefois, avoir, ne serait-ce qu’une légère influence pour que l’on n’oublie pas que la culture ce n’est pas seulement les grosses armadas, les machines sirupeuses, si j’ai pu attirer quelques mômes aux spectacles, et si j’ai pu vendre quelques places et faire rêver… alors je ne serai pas restée pour rien avec vous ! Et ma peine de me séparer de cette équipe en est quelque peu allégée.
Alors voilà, c’est l’heure de tirer le rideau. Pour moi, de m’engager dans un vrai pari, de casser mon confort et d’oser me retrouver avec un challenge sur les bras qui n’est pas piqué des vers. Pour vous de continuer, d’aller de l’avant et de maintenir, tant que vous le pourrez, une lucarne de culture au sein de ce beau palace clinquant qui résonne de toutes les convoitises.
Je vous laisse Nitya en cadeau d’adieu, je sais qu’elle saura se donner avec la même générosité que moi, je sais que le temps va passer mais j’aurai une vraie tendresse pour ces années passées à vos côtés. J’ai fait ce que j’ai pu, ce que j’ai pensé juste et si je m’envole vers d’autres cieux, c’est avec la certitude que vous êtes ma vraie famille !
Alors certainement pas un adieu… mais un au revoir et à toujours !
2007 va mourir, que vive 2008 !

Fin du discours. Au début les rires cascadaient. A la fin, le silence régnait et chacun avait l'émotion au coeur. 3 des filles pleuraient (je ne donnerai pas les noms !) et il faut reconnaître que c'est un de mes meilleurs scores. 

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Mon Maurice Béjart à moi.

Publié le par Bernard Oheix

 
Décéder la veille de l’ouverture du Festival de Danse de Cannes est d’une extrême élégance, comme s’il voulait se rappeler à mon souvenir pour un dernier pied de nez bien dans la nature du personnage.
Cela a été un vrai choc, parce que Béjart pour les danseurs, c’est comme le pape pour les chrétiens ou Zizou pour les « footeux », un personnage incontournable, un phare dans la nuit. Sa lumière s’est éteinte, il reste la mémoire.

Mon histoire avec lui n’a pas commencé à Cannes en l’accueillant au sein du Palais des Festivals, Il faut remonter bien plus loin, vers l’été 1969…
Juillet arrive, il fait chaud en cet été et la vie est belle. Je viens de passer mon bac, j’ai couché avec une nana, je suis devenu un grand promis à l’université et surtout, je vais partir du home familial pour intégrer une résidence universitaire en septembre, destination la fac d’histoire et une maîtrise de cinéma en perspective.
Comme chaque été, je dois travailler pour assurer mon année. Le salaire de ma sueur est donné à mon père, il m’entretiendra tout au long des mois d’études, complété par une bourse d’étudiant et un job que j’ai déniché pour octobre, pigiste à Nice-Matin, responsable de la couverture du handball… tout un programme universitaire qui me permettra, entre autre, d’être le premier des Oheix à avoir son véhicule, une 2CV d’occasion flambante, rutilante, et multicolore à l’automne ! C’est dans une librairie que j’ai trouvé un travail pour août et septembre. Juillet et pour moi, rien que pour moi, mon bac en poche, je sens le vent du large et le souffle de la liberté m’embraser. Je rêve de route, d’ « auto-stop », de rencontres et d’étreintes chaudes comme mes nuits étouffantes.
Sur un coup de tête, je décide de me rendre au Festival d’Avignon. Souvenons-nous, Mai 68 vient à peine de se terminer, la fièvre est dans les rues, dans nos têtes, nous brandissons des panaches rouges comme l’espoir qui bouillonne dans nos veines. Un an déjà…un an seulement, le temps de reprendre ses études, d’avoir passé le bac et de devenir un homme !
Avec un peu d’argent, j’obtiens (à ma surprise, dois-je l’avouer !), l’autorisation de mon père (à l’époque, la majorité était à 21 ans !!!) et me voilà le pouce levé au ciel sur une N7 écrasée de soleil, en route vers l’aventure.
Avignon, c’est la Mecque de la contre-culture, le Living Theater, l’agit-prop, un souk invraisemblable, les fumeurs de joints, les affiches qui grillent au soleil, les parades des saltimbanques qui tentent d’attirer les spectateurs, des lieux de spectacles improbables, une place de l’horloge qui esquisse ce que pourrait devenir cette France qui s’est levée avec le poing dressé et affirme que le monde doit changer.
C’est le paradis. Un duvet, un sac à dos et l’ivresse de la liberté. Je me souviens encore de cette avenue qui monte vers le Palais des Papes que je découvre en une fin de soirée, au milieu d’une faune invraisemblable, dans les couleurs d’un ciel déchiré, au milieu des cracheurs de feu et des clowns qui animent le parvis.
Tout cela pour arriver à ce Béjart que je vais rencontrer pendant ces 10 jours qui vont ébranler mon monde.
Cela a commencé par de gigantesques graffitis barrant les routes, sur les murs, à même les sols. Je crois que c’est la première fois que j’entendais ce nom aux consonances si douces, un nom que je connaissais par Molière (sa femme ?) mais dont j’étais bien en peine de dire ce qu’il recouvrait : « Béjart fait la pute sur les trottoirs de la contestation ». Une formule choc pour des questions sans réponses.
Après des discussions avec des festivaliers sur les combines pour arriver à dormir et manger sans frais, je suis allé nicher à la belle étoile, dans l’île de la Barthelasse, roulé dans un sac de couchage, prendre des douches en cachette dans le camping qui jouxtait. J’ai dégoté (ce fameux bouche à oreille) la Pyramide, gigantesque cantine pour marginaux où l’on tentait d’ingérer des steaks minuscules et durs comme les sabots d’un cheval accompagnés par des frites infâmes dégoulinantes d’huile pour 3 francs. Il y avait les spectacles surtout, le off où l’on pouvait toujours pleurer pour entrer au dernier moment suivant les places disponibles. Souvenez-vous, on est en 1969, Jean Vilar est dans toutes les pensées, c’est le début de l’Avignon moderne des années 80. Il y a encore de la poésie dans l’air !
Sympathisant avec des Belges de rencontre, ils me parlent du « in » et du Ballet du XXème siècle de Bruxelles qui présentent deux créations de Maurice Béjart. Ils ont une place en trop et je casse ma tirelire afin de pouvoir assister dans la cour d’honneur à un « vrai » spectacle plus pour être en leur compagnie que pour l’attrait d’un nom qui restait flou dans mes repères culturels.
Première dans la cour du Palais des Papes. Les gradins, le vent (c’est vrai), les bières que nous buvons, eux, spécialistes de la danse venus pour cet événement, moi, déjà apte à faire semblant de connaître et capable de parler de tout et de rien. Cela a toujours été une de mes grandes spécialités, l’avenir le prouvera !
Jorge Donn, Paolo Bortoluzzi, Hitomi Hasakawa… dans Roméo et Juliette, excusez du peu ! Une première partie poussive, dans la tempête, (je me souviens même d’un Bortoluzzi trébuchant au moment de sauter sur une estrade symbolisant le décor), et soudain, alchimie mystérieuse du spectacle vivant, comme par enchantement, les gestes deviennent grâce, les corps trouvent leur équilibre, les chorégraphies épousent la partition musicale et le bonheur envahit l’enceinte pour une ovation finale comme j’en ai rarement entendue ! Extase pour ce premier ballet d’une culture que je désire acquérir plus que tout ! Félicité de comprendre que la danse n’est pas un art poussiéreux mais bien la magie du mouvement. Cela me restera à jamais. C’est Béjart bien malgré lui qui m’a ouvert les portes de la perception, qui a instillé ce trouble bonheur de découvrir, d’ouvrir yeux et oreilles, de rester émerveillé dans l’attente d’un voile inconnu qui se lève !
Le lendemain, nous continuerons l’aventure et avec « Histoire de… », classe en recherche d’harmonie à la barre, et en 2ème partie, une pièce sublime avec Maria Casares (Bakti ?). Même si le souvenir est sépia et s’est fondu dans les milliers de spectacles que j’ingérerai par la suite, je retrouve à cette évocation, sa silhouette gracile, la fragilité d’un bras tendu, la pose hiératique de cette confrontation entre le théâtre et la danse. C’est si loin mais l’intensité demeure, comme un flash qui brûle la rétine et que l’on gardera à jamais inscrit dans ses neurones.
J’en ressors envoûté, définitivement adepte d’un Béjart dont le vinyle « Messe pour le temps présent » va devenir le signe de ralliement d’une jeunesse en soif de culture et d’idéaux. Il savait coller au mouvement des idées et proposer des codes à la révolte des sentiments, révolutionner l’Art de la Danse en la travestissant des oripeaux de la modernité, jeans déchirés, tee-shirts délavés, dégaine de moines combattant pour des idéaux indéfinis.
Pendant de longues années, je me suis servi de Béjart en traçant ma route. Narrer ma découverte pour frimer, quitte à l’enjoliver (nous n’étions pas si nombreux à l’avoir vu en vrai !), draguer les filles, affirmer une vision originale du monde, rêver à un destin hors du commun… je l’ai mis à toutes les sauces mon Béjart, tiré aux quatre coins de ma planète intérieure, intégré dans tous mes schémas, sans jamais recroiser sa route jusqu’à la fin des années 80, date à laquelle j’ai pu assister au Palais à la programmation de son Boléro avec Jorge Donn. Somptueuse cérémonie, cercle envoûtant où il trônait, quelques années avant de disparaître emporté par la maladie du siècle. 
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Bien plus tard, en 1995, Yorgos Loukos, le directeur artistique du Festival de Danse de Cannes se décidera à le programmer enfin…(j’ai particulièrement insisté pour cela !) pour présenter plusieurs de ses œuvres. Il s’agira en l’occurrence de « Ce que l’amour me dit » (l’art du pas de 2-deux) le 22 mars et de « Journal » (1er chapitre, Igor et moi), « trois pièces pour violon » et « l’Oiseau de feu » le 23 mars.
Pour la première fois de ma vie je vais donc approcher le Maître, parler avec lui, l’écouter. Son corps blessé par l’usure du temps peine à le supporter, mais sa voix est intacte, le bleu de ses yeux malicieux garde une puissance inentamée, son bouc taillé au cordeau en signal de reconnaissance, telle une signature indélébile. Je vais le suivre pendant trois jours, à distance respectueuse, l’approchant pour qu’il signe le Livre d’Or, me dédicace un programme et pour quelques photos volées à un photographe amateur. C’est largement suffisant pour emplir une case de ma mémoire. « L’Oiseau de feu » restait une œuvre majeure, sa première chorégraphie réalisée à Stockholm chez Birgitt Cullberg, les autres œuvres présentées ne me semblaient pas appartenir à cette catégorie, même si sa compagnie savait transformer la boue en grâce, donner de la fluidité à une mécanique du mouvement, introduire la beauté dans le désordre. Même les cadavres pourraient danser au couchant de son talent et de cette touche inimitable. Et puis il est reparti et ma boucle semblait bouclée. Depuis 1969, il m’avait déjà tout donné !
Pourtant, en 1997, des amis producteurs (Gilbert Melkonian et Kate K…) me proposèrent une coproduction avec le Palais des Festivals autour du Béjart Ballet Lausanne pour la représentation de l’œuvre majeure de son répertoire, celle qui a marqué l’histoire de la danse et de la musique : « Messe pour le temps présent » ou la cérémonie en neuf épisodes à la mémoire de Jean Vilar, avec cette bande sonore d’un Pierre Henry dont l’hermétisme allait trouver les chemins d’une vulgarisation exceptionnelle et d’une résonance universelle. Béjart déjà bien malade n’était pas présent, c’est Gil Roman qui assurait la direction artistique en son absence.
Ce fut l’acmé, le zénith, le point ultime d’une aventure culturelle initiée sur les rives du Rhône, sous l’aile d’un pont de guingois, de remparts crénelés, 30 ans auparavant. Voir et entendre la « Messe », celle qui avait symboliquement divinisé l’homme moderne dans l’art chorégraphique, en avait fait le pivot de la rencontre entre un public d’amateurs et d’initiés, qui avait ouvert une voie de modernité dans cet art considéré comme élitiste et poussiéreux. Bien sûr, il n’a pas transformé le monde, naturellement, il ne fut pas un sauveur, évidemment d’autres créateurs représentant la jeune création française s’engouffrèrent dans cette brèche et apportèrent leur pierre à un édifice qui allait vivre un âge d’or dans les années 80.
Béjart a disparu. La danse s’est transformée irréversiblement avec lui. Son œuvre, les traces de son travail, les apports d’un esprit libre, la transmission et la formation du Danseur sont désormais libérées de sa présence tutélaire. Elles survivront, car c’est déjà dans les pages d’histoire qu’il s’était inscrit de son vivant. En ce qui me concerne, Béjart fait partie de ceux qui m’ont donné l’ivresse du savoir et de la découverte. Il n’était pas le seul, il en fut un des principaux vecteurs. Merci monsieur Maurice Béjart, je vous retrouverai dans quelques années dans le champ vert de vos passions en train de faire valser les nuages au rythme d’une douce complainte, celle des hommes frondeurs qui jouent avec la lumière des Dieux.

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La galère de Lutéce

Publié le par Bernard Oheix

 
Se rendre à Paris afin de visionner des pièces de théâtre pendant la semaine des grandes grèves était une proposition stupide… j’en conviens ! On ne se refait pas, attiré par l’odeur de soufre, les foules en colère, une France en décomposition, les patrons à l’agonie, un pouvoir d’achat qui ne baisse que pour les pauvres. Mon Dieu, mais (re)deviendrais-je un révolutionnaire luttant contre l’ordre juste, (excusez-moi, je mélange tout !), un anarchiste foulant au nom de ses idéaux utopiques la bonne marche d’une société dans laquelle chacun et chacune doivent savoir tenir sa place et rien que sa place !
 
Bof ! Ce que je sais, c’est que Paris en grève est une ville étrange, climat délétère, gens tendus mais résignés, froid perçant qui se glisse dans chaque encoignure, « vélibs » pris d’assaut (j’ai fait mon baptême et je vous assure que je préfère les Alpes entre Venise et Gdansk aux pavés luisants des rues parisiennes !), taxis introuvables, métros condamnés, bus aléatoires… et des kilomètres à pied à n’en plus finir, dans le bruit et la fureur d’une circulation multipliée, à regarder les numéros et les noms des rues comme si le salut éternel de mon âme en dépendait, à scruter une carte illisible afin de se retrouver dans le dédale d’une toile d’araignée qui nous étouffe. Vive Paris, vive le spectacle !
Tout cela pour une semaine très mitigée disons-le. Une vraie crise du spectacle avec des salles à moitié vides (en plus avec les grèves !) mais aussi une crise de la création et des propositions pas toujours intéressantes. Le monde du spectacle vit un séisme, un dérèglement réel qui va ensanglanter certaines planches de nombreuses scènes dans les années à venir.  Quant au public, il faudra bien que je vous livre un jour ce que j’en pense !
Victor et les enfants au pouvoir avec Lorant Deutsch pourrait faire illusion mais sonne presque « désuètement », comme si ce langage et ces situations venaient en écho d’un monde rêvé, il y a bien longtemps, par les surréalistes. Biographie sans Antoinette avec Lhermitte et Testud sur un texte de Max Frisch et une mise en scène de Hans Petter Cloos est un admirable exercice de style très convaincant, tant sur la forme que sur le fond. Un homme se voit proposé par un metteur en scène (Dieu !) de refaire sa biographie. Il va vouloir chasser une femme de sa vie mais elle reviendra, encore et toujours, parce que l’on ne peut gommer la vérité de son existence. C’est brillant, intelligent… mais cette pièce sera à Nice, au théâtre l’an prochain, donc pas à Cannes.
Et puis cela se gâte. Happy Hanouka, était présenté comme la comédie à la mode, son humour juif écrit par un dialoguiste avec les pieds en grève de talent, elle s’échoue sur les rives d’une vulgarité sans rémission. La vie devant soi, avec Myriam Boyer, tirée du roman d’Emile Ajar, nous donne l’envie irrépressible d’achever l’actrice afin de lui épargner le long calvaire d’une existence pour rien… et certainement pas pour l’attrait du spectateur. Les Chaussettes avec Desarthe et Galabru s’étirent en longueur et offrent quelques trous. La problématique est alléchante (théâtre de création et théâtre de comédie, public et privé, réunis en une création ultime par deux vieilles gloires dans leur genre respectif, à la recherche de leur prestige éteint), mais la pièce manque de finesse, les articulations sont trop évidentes et le jeu de Galabru (même en sourdine !) tonitrue à nos oreilles à la limite du supportable. Une occasion ratée malgré des efforts évidents pour parler à la tête !
Quelques lueurs d’espoir avec les monologues du vagin. Pièce devenue culte, à juste titre, les trois femmes (dont Nicole Croisille), nous entraînent dans un tourbillon de rires et d’émotions. L’homme rit aussi devant ces vagins abandonnés, trop sollicités, fiers, couards et c’est une admirable leçon d’histoire naturelle qui nous est dispensée avec « doigté » mais sans rien cacher. Vive les vagins monologuant !
Enfin pour la fine bouche, Bruno Solo dans un formidable Système Ribadier. Une histoire débile d’homme qui endort son épouse pour aller la tromper, d’ami amoureux transi de la femme qui la réveille volontairement, des quiproquos, chassés-croisés et autres variations, emmenés avec rythme, joués à la perfection, un vrai bol d’air d’un Feydeau monté sans temps morts, avec efficacité.
Ouf ! Il était temps de tenter de rentrer, à pied, à cheval, en TGV… mais dans la douleur toujours retrouver sa Côte d’Azur… sous les flots !
Et pendant ce temps, Stephan Eicher enchantait des hordes de femmes échevelées dans le Grand Auditorium du Palais des Festivals. Et son show était sublime d’après les quelques oreilles ennemies qui traînaient dans la salle. Et je n’étais même pas là ! Un conseil, achetez son dernier CD, il est génial !
La galère de Lutèce.
 
 

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Ah ! Rachid

Publié le par Bernard Oheix

Avant de partir à Paris, je tenais à vous mettre en ligne mes impressions sur un concert hors norme, un de ceux qui vous laisse pantois, désarçonné, plein de passion, écorché de musique. Rachid Taha, un maître, un grand, quelqu'un qui sait parler aux notes et les rendre vivantes !
Voilà, le mardi 13, je vais tenter de rallier Paris envers et malgré les grèves, histoire d'aller faire mon marché théâtral. Rendez-vous dans quelques jours pour un compte-rendu sur l'actualité théâtrale.
 
Oui, mon cher, tu ne ressembles pas à grand-chose quand la lumière vient t’enfermer dans sa cage dorée. Une grande pelisse dont les rabats trainent sur la scène, une « chapka » à étoile rouge sur la tête (qu’il ressortira sur « camarade », fièrement) laissant échapper une touffe de cheveux noir ébouriffés, petit et pas rasé, un informe sarouel rouge à carreaux et cette allure inimitable, entre l’aisance et l’abandon, la nonchalance et le je-m’en-foutisme, un côté décalé soigneusement entretenu qui va exploser dès que le groupe se mettra en branle.
J’avais eu le plaisir de le programmer en 2001 dans la première édition d’une Pantiero qui voyait Mathmata, Sinsémilia et d’autres, apporter un souffle d’air nouveau dans les programmations trop conformistes qui étaient mon lot quotidien de programmateur cannois. J’avais modestement ouvert un créneau sur les musiques du monde mais toujours reculé devant la jeune scène iconoclaste française. Il était temps de me lâcher et les élections m’avaient ouvert cette lucarne tant attendue. Début d’une aventure qui nous verra prendre des risques et ouvrir grand les portes de la nouveauté. Je me souviens d’un des plus beaux concerts qu’il m’ait été donné de voir. C’était dans la tournée d’un Made in Médina décapant. Je vous conseille ce disque, il doit nécessairement faire partie de toute discothèque intelligente !
Depuis, je savais que nos chemins se recroiseraient. Il avait été ébahi de jouer dans ce cadre magique, dans cette ville si décalée par rapport à son univers habituel. Il me l’avait dit dans un sourire en coin, entre deux verres en penchant sa tête sur le côté. Cannes, sa Croisette, ses petits vieux et leurs chiens en laisse… mais aussi Rachid Taha, l’enfant d’une douce France qui retrouvait ses racines pour inventer un rock nerveux, tribal, électro-ethnique, parfait exemple d’une mixité où le meilleur des deux cultures entrait en fusion.
Pour la petite histoire, c’est à ce concert du 14 août 2001 que j’ai vécu mon unique « baston » de toutes les soirées que j’ai pu organiser. Un public particulièrement chaud, une sécurité à fleur de peau et l’inévitable scène d’affrontement de coqs en colère, tee-shirts déchirés, hurlements et vagues du public partagé entre la violence des sons qui grimpaient au zénith et la bousculade et les coups qui pleuvaient.
Samedi 10 novembre. Il fait un temps superbe, l’équipe de Taha débarque de Strasbourg en bus. Ils sont sympas et décontractés, prennent possession de la salle et installent la technique. Rachid est à l’hôtel, dérangement gastrique à la clef.
Les réservations ne sont pas bonnes (150 ventes !) mais j’espère en la dernière vague, ceux qui ne réservent pas, vont au concert sans prendre leur billet ! Disons-le tout de suite, cela fera chou blanc, l’assistance remplira la salle de la Licorne pour un 320 qui permettra au concert de se dérouler dans de bonnes conditions (la capacité est de 450) mais qui m’empêchera de rêver à une recette miracle ! Encore un concert largement déficitaire, tout comme celui d’Arno. Il va falloir tenter de remédier à ce problème endémique d’objectifs non atteints sur la musique afin de conserver cette liberté de choix dont je dispose actuellement ! On sait bien que seule la réussite et le remplissage des salles empêchent l’effraction de pressions extérieures ! Mais bon, pour le moment, j’ai encore un répit grâce à quelques superbes réussites comme Brégovic, Archive et autres Migenes…
Sur le concert que dire ? Génial, superbe, fantastique et autres qualificatifs…Quelques morceaux de légende de ses précédents disques parsèment son show. Barra barra, Garab, Ala Jalkoum, Hey Anta et le sublime Médina. Tous des morceaux qui obéissent à une logique de monté vers la transe rock en une série de paliers qui font grimper l’intensité. Batterie, basse et clavier installent une rythmique, la guitare brode et cisèle les interstices, les articulations permettent un basculement et déclenchent la fusion. Rock in the Casba et de nouveaux morceaux tirés de Diwan 2 complètent le set, soutenu par une derbouka et une mandoline qui apportent des sonorités orientalisantes à ce rock progressif. Tous les musiciens qui l’accompagnent (à parité entre européens et arabes) sont en phase totale avec leur leader qui tient la scène et tangue. Sa voix éraillée de basse, rauque, déchire les pans de musique et vient se heurter aux instruments en soli. C’est un grand Rachid Taha qui opère en ce soir du 10 novembre 2007 pour un public définitivement acquis. Merci Rachid. En loge, goguenard, la bouche en coin, tu sais que tu a réussi ton coup, que tu as mis les spectateurs dans ta poche et que le métier a encore parlé. Tu reviendras, mon Ami, la scène cannoise  ne peut tolérer trop longtemps une aussi longue absence.
Bon, le bilan, même s’il est mitigé question nombre de billets vendus, reste exceptionnel quand à la qualité de ces concerts de la rentrée 2007/2008. Avoir accueilli Grand Corps Malade, Mano Solo, Archive, Arno et Taha…et en attendant Eicher, tout cela en un mois, nous donne la certitude d’avoir œuvré pour ceux qui cherchent à atteindre un pan de paradis et à fuir la morosité ambiante, nous rend heureux et persuadés d’avoir autorisé quelques moments de rêves pour ceux qui aiment la musique, la vraie, celle de toutes les passions, celle qui n’a pas de frontières et transgresse les normes.
Vive la musique des cœurs vaillants !
 

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Dansons la Sévillane

Publié le par Bernard Oheix

Enchaîner Montréal et Séville, c'était travailler dans le contraste ! Voilà donc le compte-rendu de cette manifestation. Il ne sert à rien de se voiler la face, la lumière est trop belle dans cette ville pour être filtrée. Alors, rendez-vous à l'année prochaîne pour de nouvelles aventures... 

C’est la 2ème édition du Womex, le marché des musiques du monde, qui se déroule dans la belle ville de Séville. Je loge dans un appartement au rez-de-chaussée d’une ruelle pavée dans le quartier historique de Santa-Cruz, la vieille ville adossée à la cathédrale. L’an dernier je n’avais presque rien vu d’une Séville éventrée par les travaux du tram, étant excentré dans la zone des expositions et n’investissant les murs que pour des restaurants de nuit. Dès la descente de l’avion, les effluves d’un air chargé de senteurs vous emplissent d’un bonheur trouble, suavité d’un ciel azur, le temps est magnifique, équivalent à un mois de juin de chez nous, petit tee-shirt, soleil dans les yeux. Les Sévillanes sont belles à croquer, elles parlent comme des moulins à paroles, à toute vitesse, arpentant en groupe les trottoirs pavés des rues piétonnières, les vêtements estivaux laissent entrapercevoir une peau dorée par un soleil qui règne en maître sur la ville et impose ses contrastes de lumière. Elles sont désirables et le savent, vêtues de chemisiers de couleur vive, si brunes, les traits fins, cheveux de jais, le regard en panache. Je n’avais décidément rien perçu de la beauté de cette ville en 2006. Je la découvre dans les yeux noirs de ces jeunes Ibères qui chantent leur bonheur sur les pierres ocre patinées par des siècles d’histoire.
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Je n’avais surtout pas remarqué les jardins innombrables, l’ombre immense des ficus, les encorbellements des fenêtres dégorgeant de fleurs et de verdure, les entrées ouvertes sur des patios brillants, la propreté luisante de la ville au clair de lune. Dédale enfanté par un architecte tortueux résonnant des sons des guitares et des chants d’un flamenco dégorgeant des bars à tapas. Séville est si belle, si touchante dans ses vestiges d’un passé flamboyant, les marques d’un temps préservé, cette place d’Espagne où trône un château gigantesque enserrant entre ses deux ailes recroquevillées, les tentes où se déroulent les show cases, passages obligés de 45 minutes en live pour tout groupe désirant atteindre à la notoriété du monde des musiques du monde, confronté au 2800 congressistes cherchant cette pépite que tout organisateur rêve de déterrer pour assurer sa clairvoyance. Etre le premier, sentir le succès du lendemain, offrir la certitude d’un événement… c’est d’autant plus grisant qu’à Séville, au Womex, nous sommes le public, le juge suprême, déconnecté de toutes les contingences.

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Juan Carmona et Trilok Gurtu, les plus beaux sourires du Womex
La World-Music n’est plus seulement le reflet d’une tradition figée. Elle est aussi ancrée dans la modernité, dans le choc des cultures induit par une mondialisation de l’art et de la communication, par l’irruption des sons électroniques sur des instruments ancestraux. C’est sans doute une des principales constatations qu’il faut tirer des dernières éditions de ce marché, un mouvement d’accélération évident s’emparant des créateurs et leur autorisant de mixer leurs sons aux sons venus d’ailleurs, d’inventer un langage universel qui parlerait à tous, qui, d’une région reculée de notre planète, réussirait ce « cross over » pour séduire les spectateurs de tous les pays, de toutes les races, de toutes les cultures.
Au-delà de ces restaurants où l’on se réunit la nuit venue, de ces tapas, passage obligé d’une gastronomie effrénée, de ces bières à 2€ que l’on boit accoudé au bar du festival, de cette boîte à ciel ouvert où l’on se retrouve jusqu’à l’aube pour parler d’une internationale de la musique et du spectacle, il y a la magie des concerts, la puissance phénoménale d’un groupe se livrant pour 45 minutes d’un combat sans merci aux désirs d’un public de professionnels.
Auparavant, dans des séances de déambulations permanentes, les rencontres avec les acteurs de la vie des groupes, producteurs, managers, tourneurs, acheteurs de spectacles, organisateurs de festivals, rythment la journée dans les halls du Palais des Congrès de Séville. Ils sont tous là ceux qui sont des voix de téléphone tout au long de l’année, qui m’informent et me conseillent, me guident et ouvrent mon horizon. Grande famille informelle, ils composent une fratrie bizarre que le lien de la musique cimente, que les espoirs de découvertes enrichissent, longs palabres où la réalité du terrain refait irruption. Ce n’est pas tant la qualité des groupes qui est en jeu mais bien la capacité à trouver un public trop souvent formaté par une télé décérébrante. Mais de cela, il sera toujours temps d’en parler de retour dans nos lieux respectifs. Pour l’heure, vive la folie de l’abstraction et le refus des contraintes.
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Bertrand D, Annie R après boissons !
Et que vivent les concerts !
Jeudi 25 octobre :
Toumast L(Niger/France). Aminatou a des yeux de velours, la guitare en bandoulière, elle lance des « youyous » stridents qui couvrent les riffs sanglants de berbères aux tenues chamarées. Entremêlant les sons plaintifs d’une Afrique saharienne qui se révolte aux sons basiques d’un rock sanglant, la musique oscille avec énergie entre deux cultures, deux mondes ouverts. C’est beau et pur, une vraie fusion. Ils seront cet été sur le parvis du Palais pour étrenner un cycle « découvertes du Womex » et apporteront un peu de ce vent chaud qui fait miroiter le sable du désert.
Les Albanais de la Fanfare de Tirana et les Russes de l’ensemble Altaikai déroulent leur set propre avant une des révélations absolues de ce festival.
Les Balkan Beat Box, (Israël/USA) prennent alors le public à bras le corps. Ils rentrent sur scène comme des fauves, balancent leur musique des Balkans à la gueule du public, y greffent des ordinateurs qui « scratchent » et arrosent largement d’une sauce aux cuivres en survoltant la scène. Leur jeu outrancier fait mouche, les sons montent vers un diapason ultime et ce set ébouriffant décoiffe les présents ébahis d’une telle décharge de violence. Ce sont les BBB, retenez ce nom, ils vont recroiser ma route et finiront leurs hurlements dans la fosse d’un concert cannois, c’est sûr !
Et pour finir, une extraterrestre, Tanya Tagaq (Canada), une Inuite déjantée encensée par Bjork. Robe échancrée sur des cuisses d’haltérophile et des épaules de déménageurs, Tatouages apparents, col de fourrure dans la moiteur de la salle, elle est accompagnée d’un ordinateur lancinant et d’un violoncelle pleureur. Elle éructe, gémit, sanglote, rit et plus si affinité pendant deux morceaux interminables de 20 minutes devant un public abasourdi. Parfois l’émotion est perceptible, souvent elle s’agite comme un animal ferré dans un piège létal et se débat dans un vide austère, souvenir des grandes plaines verglacées de son pays, il fait nul doute ! Elle donne le vertige, une impression de décalage intolérable entre son projet inabouti et notre capacité d’acceptation pourtant plutôt large. Il nous faudra bien quelques verres pour se remettre en état de fonctionnement !
Vendredi 26 octobre.
Mamani Keïta et Nicolas Repac (Mali/France) La fusion est douce entre les harmonies Africaines et les apports du guitariste et du batteur Français. Une belle musique au cœur d’un projet de rencontre. La voix de Mamani Keïta est chaude, elle est belle comme une reine d’Afrique et convainc aisément le public sous le charme.
Je passerai sur la Shica (une Espagnole exhibitionniste qui épuise son public) et sur les Mono Blanco (un énième orchestre de Mexicains basanés avec des sombreros qui hurlent comme si leurs doigts s’étaient coincés dans les cordes des mandolines !). Plus étonnant le Melingo d’Argentine, où un clone de Pierre Arditi va interpréter des tangos en y apportant une touche d’un humour décalé. Il jette ses chaussures en l’air, improvise des contorsions, crache sur scène, (on ne comprend pas toujours pourquoi !) afin d’endosser un habit de clown blanc que sa crinière argentée souligne d’un trait de désespoir. Enfin, l’orchestre était vraiment bon, à part cela !
Et avant de plonger vers le comptoir pour l’anniversaire de ma copine Cendryne R, Un Kuti de derrière les fagots, dans la famille Anikulapo, je voudrais le fils Seun avec ses guerriers aux maquillages tribaux, les peaux de lions et les regards noirs, les choristes callipyges bien en chair qui ondulent et les innombrables cuivres qui tanguent sur scène. C’est la 3ème fois que je les vois, c’est toujours aussi efficace, un afro-rock bourré de vitamines, destiné à faire danser le bassin et à oublier les fatigues de la journée.
Samedi 27 octobre.
3canal (Trinidad et Tobago) Inaudible pour cause de sono récalcitrante et mal réglée. Leur salsa avec 3 voix et un jeu de scène dynamique s’épuise sur la bouillie sonore qui se dégage. Cherchez l’erreur !
Mayra Andrade (Cap Vert) est belle comme une déesse, sensuelle, elle se démarque d’une Cesaria Evora, icone de cette île perdue dans les vents de l’Atlantique, et trouve un compromis entre les sons de son univers et des complaintes plus personnelles attachantes. Elle a du rythme et sait jouer de toutes les fibres de sa séduction pour nous chanter au cœur l’espoir et la joie de vivre. Une belle rencontre d’une future très grande dame de la chanson sans frontières.
Arrive le Caravan Palace. Deuxième choc de ce Womex. A l’image des BBB, ils déboulent sur scène avec la faim au ventre. Sur des musiques tsiganes, la chanteuse décoiffe ses partenaires et les entraîne dans un show tout aussi ébouriffant que leurs collègues des Balkans. Les ordinateurs rugissent, les chanteurs se donnent, le violon grince et l’ensemble assure une somptueuse frénésie bourrée de surprises et d’enthousiasme. Dans ma tête se dessine une soirée avec les Balkan Beat Box et le Caravan Palace et je vois le public sortir les cheveux dressés, la mine réjouie et les oreilles bourdonnantes. Le « Caravan » passe, le public aboie, rendez-vous à Cannes à l’automne 2008 !
Et nous terminerons sur notre Cor de la Plana d’un Marseille émouvant. A la polyphonie originelle, les percussions des talons et des mains, des tambourins et des cymbales, syncopent les airs lancinants de voix qui s’enchâssent. Belle mise en espace du chœur aligné en demi-cercle, un final en apothéose qui cingle le vent du large et résonne dans la plus primitive des musiques, celles des voix sans artifices d’une ville de Marseille, port de toutes les angoisses et de la mixité où s’échouent les rêves d’un monde meilleur.BatzenOheix.jpg
Batzen et Oheix en discussions animées...
 
Il est temps de conclure sur ces soirées chaudes et de rentrer à l’aube, faire les valises sur un dernier soupir, d’engranger quelques espoirs dans des yeux de compassion, de rêver d’un monde d’étrangeté où le public se ruerait sur ces programmations d’un lendemain d’utopie, d’accorder un dernier crédit à l’humanité qui se cherche et ne se trouve que si rarement. Et si demain les pavés de la scène dévoilaient un sable de douceur et d’amour. Hardi, camarades !, encore un effort pour être révolutionnaire !
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Magali L et son équipe à l'aéroport de Séville. Notre avion est annulé pour cause de grève !
 

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Du déplacement outre-Atlantique.

Publié le par Bernard Oheix

Il fallait bien que je vous narre mes aventures en pays de caribous, la gentillesse des Québécois, le monde étrange des artificiers et les longues soirées arrosées de bières. Il n'est pas toujours facile de représenter la France ! Alors bonne lecture.

Québec my love : du 15 au 21 octobre 2007
 
Comment ne pas détester ce système à l’américaine qui fait que le prix affiché n’est jamais celui que vous payez ! Dans un restaurant, sur un plat annoncé à 20$, on applique une 1ère taxe nationale, puis une 2ème régionale et pour finir, il faut rajouter l’équivalent en pourboire « obligatoire »…soit en gros 27$. Que les patrons s’exonèrent du salaire de leurs serveurs en escomptant leurs clients obligés de régler « volontairement » ces 10%, le rapport insupportable que cela induit entre l’acheteur et le serveur, cette forme d’esclavage capitaliste moderne, tout cela m’insupporte…mais bon, je ne vais pas faire la fine bouche, je suis ici pour un congrès de la pyrotechnie, je viens retrouver des amis et accessoirement jouer à la baby-sitter au pays des caribous et de la poutine !
En effet, ce voyage s’est déclenché à l’impromptu, le chargé des feux d’artifice de l’évènementiel affichant une forme peu reluisante, j’ai du me décider à l’accompagner afin de veiller au grain... et bien m’en a pris !
Départ de Nice le lundi 15 octobre à 9h30, transit à Paris pour 7 heures d’avion, un bon film (Dialogues avec mon jardinier), deux autres moyens (Pur week-end et Waitress), un soduku du monde (expert !), deux mots croisés (Libé et le Monde) et je débarque à Montréal Dorval, début d’après-midi, beau temps, la tête dans le sac. Pour moi, biologiquement, il est déjà l’heure d’aller se coucher. Je passe au congrès au Queen Elizabeth, rencontre Martine G, mon amie organisatrice du festival de Montréal des feux d’artifice (le plus grand du monde avant Cannes !) et Maria-Grazia G, mon ange gardien, la responsable de Panzera, une des firmes les plus importantes de la planète artifice, fabricant et concepteur de feux de Turin, père spirituel du festival de Cannes. On s’embrasse et je demande des nouvelles de Daniel D, mon collaborateur arrivé depuis deux jours. Inquiètes, elles m’annoncent qu’il a disparu depuis la veille et que sa chambre ne répond pas.
Je constate qu’aucun de mes deux téléphones ne fonctionne, une histoire de bandes (3 au lieu de 2 !) et découvre le cauchemar de se retrouver isolé, sans cet appareil greffé directement à l’oreille, sans la possibilité de joindre immédiatement quiconque se trouve sur cette planète et à besoin d’entendre ma voix. Et dire qu’il y a seulement une décennie que cet appareil a envahi le monde ! Je décide d’aller m’installer à mon hôtel et nous nous donnons rendez-vous pour 20 heures au restaurant panoramique du Delta Centre-ville.
Après avoir défait ma valise, pris une douche, je décide de m’allonger quelques minutes afin de récupérer. Par précaution, je règle le réveil sur 19h30 et glisse imperceptiblement vers un sommeil léger… Sonneries stridentes. Je me précipite sur ce « putain » de radio-réveil et tente de l’arrêter… avant de m’apercevoir qu’il s’agit du téléphone de la chambre. Je cours vers lui trébuche dans le noir sur un tabouret et décroche pour entendre le silence obsédant qui grésille dans l’écouteur. Trop tard ! Horreur, il est 22 h ! Je bondis vers la sortie, en m’habillant, attrape un taxi au vol pour le Delta. Il me dépose, je cours vers l’accueil en demandant le restaurant panoramique. Sourire de la sémillante employée. Je me suis trompé de Delta. Je fonce de nouveau dans la nuit, guette un taxi, et me fait déposer au pied du bon Delta. 24 étages plus haut, aucune tablée franco-italo-québécoise pour me rassurer dans cette salle qui domine le Saint-Laurent majestueux et nous fait découvrir les lumières de la ville. Désespéré, sans téléphone, incapable de joindre quiconque, perdu et abandonné avec des écharpes de brume dans le cerveau, je me rends au bar de l’hôtel du rez-de-chaussée afin de me réconforter avec une bière et tombe par hasard sur toute l’équipe…moins Martine G. Elle est à l’hôpital, aux urgences pour accompagner mon collaborateur trouvé à moitié inconscient dans sa chambre !
Cela plombe quelque peu l’ambiance de nos retrouvailles ! But the show must be gone, comme l’on dit, et je termine le plateau-repas de Martine G en compagnie de Mélanie, la fille du concepteur de Féérie qui gagna la Vestale d’Or en 2006 à Cannes, de Paul, le régisseur de Montréal et de Maria-Grazia stoïque et mystérieuse comme à l’habitude. 

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La Slovène et la Québécoise, un duo de charme pour les longues nuits de l'hiver polaire !




Après une telle entame, que vous dire du séjour ? Que les artificiers sont des êtres étonnants ! Il y avait réuni la crème des Japonais et des Américains, qu’un repas avec une légende comme Eric Tucker est une aventure en un pays ésotérique qui s’illumine de traits de feux, que Alberto Navarro qui vit dans les montagnes du côté de Seattle en concevant ses feux en trois dimensions avec l’ordinateur est un monstre d’intelligence et un personnage de roman, que le représentant de Marutamaya, la légende nippone est un jeune qui semble tout droit sortir d’un film de Kitano et que son sourire chaleureux ouvre les portes d’une Asie insondable, que Khan le Russe Mongol de Kaléningrad va enfin tirer à Cannes et que j’en tremble déjà même s’il a une fille adorable aux yeux en amande… Tant d’images, tant de repas et de discussions s’achevant vers 3 heures du matin, dans des bouis-bouis de la rue Sainte-Catherine animés comme les nuits d’un été indien, buvant (trop) de gin tonic en refaisant le monde d’une internationale de bombes pacifiques. 

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Eric Charbonier, le Canada dans toute sa simplicité et sa chaleur

Il y a le sourire désarmant d’Eric Charbonier, un Québécois adorable pétri de sensibilité même s’il s’est « planté » en beauté sur Cannes cet été (feu du 14 juillet), Mélanie Cagnon, une Canadienne au sourire enjôleur, vivant au Portugal et travaillant chez Luso (un des plus beaux spectacles jamais tiré à Cannes !), mélangeant les cultures et brassant les océans, une colonie de belles Slovènes postulant à la reconnaissance de l’Europe des feux, des Anglais, Espagnols, Italiens… tous ont tiré à Cannes ou rêvent de le faire, tous rient de la vie dans ce moment unique où rien ne vient ternir le plaisir de débrider son imagination.
Je m’attire une certaine réputation au cours d’un repas en demandant à Georges A. quelle firme il représente…Sa réponse est légèrement sarcastique :-celle qui a gagné chez vous, à Cannes, cet été, Wéco de l’Allemagne ! Ma répartie fuse…-Cela tombe bien, j’ai beaucoup aimé votre spectacle ! 

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Mon copain Allemand Georges A. de Wéco, celui qui a gagné cette année à Cannes  ne m'en veut pas, faut dire que j'ai du me faire pardonner avec quelques bières !
Le lendemain, je demande à Footie l’Australien s’il veut venir tirer à Cannes et il me répond qu’il l’a fait il y a deux ans ! Tête de Jean-Eric Ougier, le responsable des Nuits de feux de Chantilly, un ami persuadé que je suis quelqu’un de bien, il y en a encore ! Cela me coûte une bouteille de vin pour éteindre les rires !
Le vendredi 19 octobre, soirée de gala au homard bouilli et au vin aigrelet dans l’arène majestueuse de la Ronde, dans la tourmente d’une pluie diluvienne, 4 concurrents offrent des feux gigantesques pour 50 minutes de rêve, démonstration de force, exposition de produits originaux, savoir-faire dans le cadre enchanteur d’une île du Saint-Laurent où se situe le parc d’attraction de la Ronde. Vers 2 heures du matin, dans une rue adjacente de Sainte-Catherine, nous nous finirons à la bière en parlant projets, symposium des feux à Cannes en 2010, (c’est en bonne voie !), et dans les rires d’une bande d’artificiers à la bonne humeur contagieuse, nous nous souhaiterons un au revoir et prendrons congé en attendant 2009 et le Mexique où se déroulera la prochaine édition de ce rassemblement d’extraterrestres.

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Tucker l'Américain et Navarro l'apatride...deux pages de l'histoire des feux !

Et pendant ce temps, Daniel D gît sur un lit d’hôpital, dans une salle d’urgence tirée directement d’un feuilleton américain, entouré de malades, des tubes souples enfoncés dans le bras, l’oxygène dans le nez, relié à un lit de douleurs pour la modique somme de 3650$ par jour que les assurances et mutuelles vont régler en se battant à coups de téléphone entre le Palais des Festivals et l’hôpital Saint-Luc. Le samedi, son avion partira sans lui et je réussirai à le faire sortir le lundi pour embarquer en ma compagnie, assumant mon rôle de baby-sitter jusqu’au bout !
Pour la petite histoire, une assistance médicale le prendra en charge à Paris pour son transfert dans l’avion de Nice qu’il ratera à cause d’une alerte à la bombe ! Désolé Daniel D, ce n’était pas ta semaine !

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Arno, la revanche, suite et fin (?!)

Publié le par Bernard Oheix

Quelques problèmes techniques me font publier ce texte avec un léger retard, qu'importe que je sois au Québec...mais ce sera une autre histoire, en attendant vive les moules frites !
 
Impossible de partir à Montréal lundi matin15 octobre sans vous informer des derniers potins concernant Arno le Belge. Il devait venir un 13 octobre 2007 afin de conclure une histoire d’amour entamée il y a près de 10 ans… et il est venu, il a chanté, mais pas sans mal, reconnaissons-le !
 
Tout semblait donc parfait. Les ventes sont plutôt satisfaisantes, malgré Jean-Louis Aubert en concurrence directe à la salle de La Palestre à 5 Kms, malgré un France Angleterre en rugby à la réputation très usurpée qui plombera des millions de téléspectateurs devant un écran vide de talent. Quand donc oserons-nous dire que le sélectionneur français est un gland, qu’avec une des meilleures générations de joueurs de toute notre histoire, il n’a jamais rien gagné, qu’il est incapable de changer de stratégie et que ce n’est pas parce que l’on a de petites lunettes que l’on est un intellectuel. Ce Laporte qui a perdu contre l’Argentine, nous a mis dans une situation impossible avec un tableau sanglant et s’échoue lamentablement encore une fois à la porte du paradis. Va faire de la politique, et tant pis pour le gouvernement dans lequel tu vas officier !
Mais je m’égare, excusez-moi.
 
La veille, ils ont joué aux musicales de Bastia de mon ami Raoul Locatelli, l’équipe technique débarquant par le ferry vers 15h à Nice, lui et ses musiciens par avion vers 16h. Tout est au beau fixe. Jean-Marc, le régisseur de l’événementiel est aux petits soins pour tout le monde, les lights sont en place et la sono branchée. Pendant une parodie de match de football qui voit la France se ridiculiser dans une confrontation qui n’en est pas une, aux îles Féroé, tout ce petit monde s’installe. A 18h30, je débarque à nouveau dans la salle, confiant. Les sourires sont crispés. Arno est avachi dans un fauteuil, les yeux clos, le clavier tente de faire sortir des sons, des couacs sanglotent des machines rutilantes, 5 techniciens affichent des mines patibulaires. Le sonorisateur d’Arno vient s’installer à côté de lui et j’entends leur échange comme dans un cauchemar.
-Qu’est-ce qui se passe encore ? (voix rocailleuse)
-C’est la merde. Une perte de courant. A chaque fois que l’on se branche, tout fout le camp.
-C’est pas vrai. Je veux jouer ce soir !
 
Pour être honnête, j’ai cherché la caméra cachée. Je me suis dit que l’on me faisait une blague, qu’elle était vraiment bonne. Las ! Il a fallu s’incliner. Dans cette salle où j’ai produit environ une centaine de concerts sans jamais subir la moindre avanie technique, par un de ces mystères que seul l’irrationnel peut expliquer, aujourd’hui, alors que les musiciens étaient prêts, qu’Arno avait affiché sa détermination à vaincre le signe indien, la fée électricité avait décidé de nous lâcher !
 
Pendant que chacun s’activait, je suis allé m’installer à côté d’Arno. Nous avons parlé de malédiction, nous avons refait l’historique de nos mésaventures communes. La première au Noga à cause d’une sono récalcitrante, la seconde du fait du décès de la maman de son ancien batteur, la troisième (un show case à la Fnac) pour une paralysie de la jambe et maintenant…13 octobre 2007, l’électricité !
A 19h, les premiers spectateurs devant la porte, il m’assurait de sa volonté de jouer, envers et contre tous à Cannes. Je téléphone à Sophie, perdue dans les brumes du Nord. Bien sûr, elle n’en croit pas un mot, trop gros pour être vrai ! Une équipe file en ville chercher un câble d’alimentation afin de dériver du courant de l’armoire électrique et les gens patientent dans le hall. Certains nous interrogent et demandent s’il y a bien un concert ce soir. Beaucoup de ventes au guichet, il faut désormais juste que le courant fonctionne et plutôt rapidement car le groupe n’a toujours pas fait de balance, ces réglages indispensables pour que le concert puisse se dérouler.
19h20  Jean-Marc demande aux musiciens de brancher leurs amplis. Miracle de l a technique.
Après deux morceaux et 20 minutes de répétition et de réglage, le public accède à la salle et le concert commence à l’heure précise.
Que dire, si ce n’est que cette trop longue attente fut comblée par un bonheur indicible. Voix d’outre monde, sons généreux, derrière la chanson, le rock le plus violent affleure et déclenche une bouffée d’émotions. Enfin, je l’ai mon Arno, il chante, dodeline de la tête, ferme les yeux et nous entraîne dans un monde qui n’appartient qu’à lui. Un concert d’Arno, c’est une messe orgiaque, un paganisme primitif, la révolte du bon sens et des codes en vigueur, un pied de nez au confort. Et cela marche, cela fonctionne, le public part dans une lente glissade qui durera près de 2 heures. Subjugués, nous sommes suspendus à ces lèvres, à cette voix qui se perd dans les volutes d’un torrent de décibels, fragile comme si le fil pouvait se briser à tout instant. Lumières admirables, textes criants, hurlements d’une sensibilité à vif, quelques sons d’accordéon plus loin, des riffs à faire vibrer le cœur, une saturation de l’ambiance comme dans un troquet du port d’Ostende où les marins viennent s’échouer parce qu’ils ont trop goûté à l’ivresse des horizons lointains.
C’est cela un concert d’Arno, et plus encore. Je vous le certifie, cela méritait d’attendre quelques années, de rater des rendez-vous, d’espérer en des lendemains chantant. Et quand l’homme, après, dans la douceur et quiétude d’un après concert se livre, quand il vous donne à croiser une pincée de ses rêves, alors vous avez la certitude que la vie vaut d’être vécue, qu’elle a un sens et que le bonheur et à portée de main !
Merci monsieur Arno. Comme vous l’avez si bien dit, la malédiction est vaincue, plus besoin désormais d’attendre si longtemps. A bientôt pour de nouvelles aventures !
 
 
 
 
 
 
 

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Réflexions sur le Cinéma

Publié le par Bernard Oheix

 
 En cette heure où nombre de jeunes considèrent que le cinéma ne peut être que parlant, en couleur, américain, et naquit avec le premier opus de la saga des Stars Wars, la visite du musée des frères Lumière à Lyon est un exercice salutaire et indispensable pour mieux comprendre quelle révolution représenta cette invention qui fit pénétrer de plein pied dans le XXème siècle.
 
Qui se souvient que le cinéma fut muet ? Qui connaît dans les générations actuelles, les films épiques d’Eisenstein, de D.W Griffith, l’humour de Buster Keaton, les écrits de Dziga Vertov, Les épures d’Ozu, les drames de Murnau, les revues de critiques cinématographiques que l’on s’arrachait, les livres sur l’esthétique du cinéma si complexes que l’on tentait de les comprendre tout en tirant des commentaires exaltés sur la nature du monde et le choc des idées… etc. etc.
Qui se souvient que Lénine parlait d’un art révolutionnaire et que Jean-Luc Godard insistait sur la « moralité » d’un traveling ? Que Truffaut alliait la critique au fer rouge et un cinéma d’émotions et de sensations ? Qui peut encore gloser sur « l’effet Koulechov » ?
Si l’on considère que le cinéma est jeune, (100 ans), alors, ceux qui ont dépassé la cinquantaine, (il y en a encore sur cette terre !), ont vécu la moitié de la vie d’une invention qui fit exploser le monde de la connaissance, de la découverte et du loisir.
L’effet image animée est une marque moderne banalisée depuis que la télévision est entrée dans le salon et la cuisine. Nous savons désormais que 24 images à la seconde introduisent le mouvement continu. Mieux, l’image ne se décompose plus, elle est, elle trône dans notre environnement, déversée dans l’indifférence d’une agitation perpétuelle, accrochant nos regards pour vanter des pubs criardes, sur les écrans de nos ordinateurs, des panneaux arrimés aux murs de nos cités. C’est cela l’image moderne dans l’indifférence d’une esthétique révolue. La pauvreté graphique des films américains pour les jeunes (Ah ! les fameux 15-25 ans des drive-in !) est un exemple de l’appauvrissement général de la capacité de lecture optique. Jusque dans les années cinquante, il y avait, dans l’absence de ce mouvement devenu général, des moments où l’image s’animait. Moment de recueillement choisi, la séance de cinéma de quartier, elle-même entrecoupée d’animations vivantes, concentrait les regards des spectateurs vers un lieu unique, l’écran blanc de tous les désirs.
Je me souviens de ces séances de ciné-club des années soixante, quand le coureur de fond de Richardson s’épuisait pour ne pas couper le ruban de sa solitude, les mains de Franju qui folâtraient sur les touches d’un clavier, les brumes alambiquées d’un Bergman sur la trace de forains énigmatiques, quand les cigognes passaient dans un ciel chargé de nos humeurs… Les discussions passionnées dans l’odeur d’un appareil vétuste, d’une arrière-salle d’un restaurant faisant office de cinéma itinérant et de ce drap immaculé vecteur de rêves, occupant notre espace et nous emplissant l’esprit d’un sel de la terre.
Elle est bien révolue cette période où l’on apprenait le cinéma en faisant ses gammes, en décryptant le fin réseau de signes qui ouvraient sur la connaissance. Aujourd’hui, l’on nait dans le mouvement des images, à son propre rythme, celui de dizaines de chaînes qui offrent le monde à la vision désenchantée de ceux pour qui le mystère a disparu ! Torrent tumultueux mêlant le meilleur et le pire, l’insipide et le chef-d’œuvre, le sit-com aux rires préenregistrés et la saga d’une science-fiction qui n’ose plus se projeter dans l’avenir ! Voix criardes, décors figés, objectifs impudiques. Plus aucun recoin de cette planète trop étroite à être ignoré, plus aucun événement qui ne soit scruté par l’œil impavide de caméras indiscrètes. C’est ainsi, il n’y a pas que le ruban de la mémoire qui défile dans les morsures du temps.
 
C’est en me promenant par hasard à Lyon, entre deux rendez-vous, que j’ai croisé le musée des frères Lumière. J’y suis entré en religion, comme à confesse, histoire de me faire pardonner ces heures que je passe, presque malgré moi, à la vision de séries américaines, de polars à la française, de jeux stupides où l’on ne gagne que le droit de s’abêtir en un dernier mot. Choc.
Une villa bourgeoise, un parc survivant des usines Lumière, des salles regorgeant des appareils qui ouvrirent le monde à la curiosité et préfiguraient cet univers de l’image que nous vivons désormais. Des photos rétro en relief, des inventions baroques, lanternes magiques, films en couleur peints à la main, bric à brac d’appareils de bois et de fer, rêves futuristes désuets. Partout dans cette villa cossue, on retrouve l’âme et la présence obsédante de cette famille qui révolutionna l’image que le monde avait de lui-même.
Dans les sous-sols, une salle est aménagée afin de projeter les premiers films de ces opérateurs qui parcoururent un monde inconnu pour l’ouvrir aux regards des autres. Petites bobines de 52 secondes, cette « sortie des usines » filmée plusieurs fois pour des mises en scène élémentaires, ce train de La Ciotat qui effraya des spectateurs tétanisés par un mouvement qu’ils ne pouvaient concevoir immatériel, ces reportages sur l’Afrique, l’Asie, bouts de rien où l’art du conte s’efforce de figer le mouvement mécanique. Un commentaire analyse chaque mètre de pellicule et met en exergue les innovations parfois nées d’incidents techniques ou de l’irruption d’un acteur vivant dans un cadre qui ne pouvait bouger. On parle alors des années 1890, de ces prémices d’un XXème siècle qui annonçait tant de peurs et d’horreurs que l’image ne pouvait être que muette en noir et blanc. Emotion et nostalgie où l’humour se prête à toutes les audaces dans un arroseur éternellement arrosé.
Dans une autre salle, le film du centenaire permet à une pléiade de réalisateurs contemporains de s’essayer à retourner aux origines du 7ème Art. Avec une authentique caméra en bois, chargeant ces mêmes rubans de pellicule de 52 secondes, ils vont fouler de leurs pas, ces chemins parcourus par tant d’illustres qui frayèrent la voie à leur cinéma. Wenders, Téchiné, Bigas Luna, Zhang Yimou, Rivette et tant d’autres… offrent leurs films en les commentant, cinéma dans le cinéma, mise en abysse d’un monde mystérieux où tout repart en arrière pour retrouver l’essence même du mouvement futur.
C’est cela le musée du cinéma de Lyon, un moment figé dans le glissement progressif du désir perpétuel. Si vous passez dans cette ville, n’hésitez pas, rendez-vous au cabaret des heures perdues, elles fleurent ce monde en train de s’évanouir dans la frénésie moderne.
 
PS : En écrivant ce papier, au moment de conclure, il me vient l’idée d’un concept à creuser : celui d’image sale et d’image propre. L’image sale serait le reflet de la réalité, renverrait vers une image brute, non sophistiquée, celle d’une télévision qui s’immerge dans le monde réel. En gros, les émissions de téléréalité, les jeux, mais aussi la plupart des séries américaines et françaises, avec en prime, une grande partie des films d’action, des polars, des productions pour le grand public. L’image propre serait une image façonnée au service d’une esthétique, une élaboration structurante, une composition volontaire qui transcende cette réalité et interprète le concret. Rien à voir avec une esthétique de la beauté, on parle bien de mise en scène. C’est émouvant cette pensée que la beauté naîtrait des forces qui sous-tendent l’action à l’intérieur même du cadre délimitant cette rupture avec la réalité !
Bon, je vous laisse méditer !

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Arno ? Encore !

Publié le par Bernard Oheix

 
Bon pour ceux qui ont raté quelques épisodes, prière de se rendre sur le blog, chapitre Histoire Vraie, 2ème opus de juillet 2006…. C’est simple, vous vous rendez sur la droite, cliquez sur la rubrique idoine et sélectionnez le bon texte. Abscons ? Pas plus que mes relations avec le chanteur Arno !
 
Petit récapitulatif  et préalable :
Le préalable : Il faut aimer Arno le Belge. Chanteur généreux, voix rauque, inspiration gothique, regard dérisoire sur un monde cruel qui le cerne. J’aime à jamais Arno et rêve d’avoir le privilège de le présenter depuis des années dans ces « Saisons » qui bornent mon horizon.
Le récapitulatif : le samedi 13 avril 2002, Arno est programmé dans le cadre de la saison « Sortir à Cannes 2001/2002». Enfin me dis-je ! En ce qui concerne les péripéties de son non passage, prière de se référer à mon texte précédent.
Une séance de rattrapage est donc prévue pour le 29 novembre 2002, « Saison 2002/2003 ». Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, du moins, le crois-je ! Car l’ombre délétère de Dame Fatalité continue de rôder autour de sa venue hypothétique. Un coup de fil intempestif, deux jours avant nous informe d’une annulation contrainte et forcée… mais vous savez tout cela n’est-ce-pas, puisque vous avez lu cette histoire dans mon blog !
 
Reste à digérer cette double annulation. Il faut du temps pour cicatriser les plaies béantes, se remettre des regards goguenards et des sentences rédhibitoires sur l’impossibilité de le faire chanter dans ma ville ! Les années s’écoulent, et avec les printemps nouveaux renait l’espoir de le reprogrammer… heu ! Pardon ! De le programmer tout court ! C’est donc chose faite au printemps 2007, (il m’a fallu 5 ans pour me remettre d’attaque et retrouver mon dynamisme légendaire !) où je peux renouer le contact avec sa nouvelle production et caler cette date attendue avec tant d’impatience. Son dernier spectacle fait un tabac, une tournée « jus de box » qui va l’amener aux quatre coins de France pour communier avec son public. Et il y aura enfin une étape cannoise ! Et je conclurai donc cette série cauchemardesque en tirant un trait sur la fatalité ! Il sera présent sur la scène du théâtre la Licorne !
 
C’est le 13 octobre, jour symbolique d’ouverture de la saison, que Arno est attendu. Je vous passe les commentaires acerbes et l’ironie grinçante (y compris au sein de mon équipe, les traîtresses !) qui ont accueilli l’annonce de cette  programmation. Mais bon, les mois s’écoulent, les locations s’ouvrent, les coups de téléphone pleuvent (Mais, viendra-t-il, cette fois…sic !) Nous avançons et se pointe désormais le jour de toutes les attentes, un 13 octobre qui se joue de tous les mirages.
Bon, avouons-le, ce n’est pas aussi simple que cela. Le samedi 7 octobre, après avoir chuté contre l’Argentine, ce qui l’oblige à changer de trajectoire, la France va battre, à la surprise générale, une équipe de « blacks » qui ont fait exprès de perdre afin de foutre le « bordel » dans ma saison musicale. Par le jeu de ce double traquenard, le samedi 13 octobre, à 21 heures, la France affrontera l’Angleterre pour aller en finale d’une coupe de rugby que je hais ! (J’adore ce sport et les victoires de la France, mais là, quand même, le même jour à la même heure qu’Arno, cela fait beaucoup !). Et ce d’autant plus que je ne pourrai du coup y assister…
La France les yeux dans les bleus, et pendant ce temps les yeux de sa mère furibonds, Arno, pitié, fais les choses simplement, je veux juste te programmer tranquille pour un concert sympa, entre amateurs de bonne musique et de bières !
 
PS : Avec Sophie D et Jean-Marc S, nous avons cherché une parade et imaginé de conjuguer musique et rugby, le concert et la retransmission du match. Plusieurs solutions ont été évoquées, le préalable étant de connaître la position d’Arno. Contact avec son régisseur, exposition des faits. Deux heures après, il nous rappelle « - J’ai eu Arno. Il veut absolument jouer à Cannes, il s’adaptera à tout ce que vous déciderez, hors de question d’annuler cette fois-ci ! ». Finalement, je ne suis pas le seul à désirer ce concert. L’intéressé lui-même commence à ressentir une certaine lassitude à voir se dérober les palaces de la Croisette à chaque fois que ses pas l’amènent du côté de la Méditerranée. Peut-être qu’Arno écrit un journal intime dans lequel il narre ses aventures et conte ses relations contrariées avec le public cannois et Bernard Oheix !
Ce qui est certain, c’est que je prouve en permanence que je suis un vrai fan d’Arno, (il doit s’en rendre compte, je l’espère, et vous aussi !). Finalement, nous aurons le concert normal à 20h30, (on croise les doigts), et nous organiserons le visionnement sur écran de la fin du match pour les amateurs frustrés d’une deuxième mi-temps qui nous verra nous qualifier pour la finale d’une coupe qui ne peut nous échapper… tout comme Arno ne peut fuir éternellement les planches des salles cannoises !

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