Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Pourquoi écrire ?

Publié le par Bernard Oheix

Devant les thèmes paticulièrement scabreux de mes nouvelles et les descriptions parfois sanglantes et osées qui en parsèment les pages, nombre de mes proches me demandaient les raisons me poussant à me complaire dans le gore et le sanglant en étalant tant d'insanités au long de mes textes. Ce billet, situé en avant-propos de mes nouvelles, se veut une réponse. Sans les "mots" des autres mais avec mon vocabulaire, un essai maladroit de justification, une tentative désespéré de faire partager le sentiment d'injustice d'un monde dans lequel les droits sont violés et les plus faibles toujours méprisés. Que peut-on faire si ce n'est compatir... et ressentir l'injustice du monde !  Moi, j'écris et mes lettres tracent un chemin de révolte dans le vide. C'est ma seule arme !


Dans le domaine de l’horreur, la réalité dépasse largement la fiction et rien ne peut décrire la vraie douleur de quelqu’un qui souffre dans sa chair, dans son esprit. Les mots sont impuissants, les phrases inutiles, il ne reste que ce déchirement profond de l’être meurtri, cet impossible partage d’une souffrance indicible. Vous pouvez essayer de reproduire avec ce maigre alphabet les cris intérieurs, ils seront toujours assourdis, si loin de la crudité d’un hurlement qui doit jaillir en réponse au mal qui ronge.
Quand l’on regarde les actualités télévisées, quand on parcourt les feuilles d’un journal, plonge dans les reportages d’un magazine, on est appelé à croiser nos regards, nos pensées avec des évènements qui, chacun, représente une somme de douleurs et de drames incommensurables comme aucun scénariste, aucune fiction ne pourrait les rendre. Quoi de plus odieux que la situation au Darfour avec ses populations exterminées, ses enfants violés, cette faim qui dévore une partie de notre humanité ? Quoi de plus intolérable que ces femmes toujours voilées de l’Afghanistan, cette déforestation de l’Amazonie, la situation au proche orient, la haine du juif et de l’arabe, les ravages du sida en Afrique, le commerce de la chair en Thaïlande, le corps décharné d’un homme rongé par la drogue, le ventre vide et si gros d’un enfant au bord d’une route sans destination ?
Et pour tenter de comprendre ma démarche, établir un lien entre le regard apeuré d’un enfant au moment du sacrifice et celui de son bourreau fait-il de vous un propagandiste de ce drame ? Que peut-on découvrir derrière les prunelles exorbitées de l’auteur de cette sauvagerie barbaresque qui ne peut contrôler ses pulsions morbides et souffle sur les braises du cauchemar ? Existe-t-il un châtiment à la mesure de l’horreur accomplie ? Un million de victimes sous les yeux des occidentaux dans la région des grands lacs africains ont-ils valeur de symbole pour des sociétés repues dans leur conformisme et dans la paix illusoire de leurs frontières ?

Dans toutes ces histoires, dans les emballements de ces élans mortifères, il y a toujours en point commun la décapitation des élites intellectuelles et des artistes pour des raisons aussi contradictoires que le pouvoir absolu, la domination de la matière sur l’esprit, le refus d’ouvrir une porte sur l’avenir par les gardiens qui en possèdent les clefs. Tous ceux dont les cris peuvent devenir audibles deviennent suspects, tous ceux dont l’écho peut transformer la souffrance en actes et la dévoiler aux yeux du monde sont des dangers pour les maîtres de l’horreur qui campent sur ces ruines gorgées de douleurs.
Derrière le masque de la religion qui autorise toutes les vilenies, derrière les potentats nationaux, locaux, les caïds de quartiers, il y a toujours le goût du pouvoir, les intérêts privés, la raison de la force sur la force de la raison, histoire éternelle où le plus démuni est toujours la victime. C’est ainsi que se construit le monde, que s’érige l’histoire de demain, dans la frénésie des passions exacerbées !
Ce mal ne touche pas seulement le tiers monde, les pays de la faim, l’obscurantisme des sans espoirs, il gangrène les riches qui entretiennent cette pauvreté, il corrompt les nations arc-boutées sur leur sang, leur race, leur histoire falsifiée, leurs légendes frelatées de héros inutiles. Brecht déclarait : « Bienheureux les pays qui n’ont pas besoin de héros », il se trompait, il n’y a pas de pays heureux, il n’y pas de société « humaine », juste une gigantesque arène où la partition de la mort est la seule conduite que nous avons trouvée pour aller vers le futur en boitillant, cahin-caha, éclopés de la vie, perclus des drames que nous refusons de voir et d’entendre, parmi les millions de morts et de bouches avides qui appellent au secours désespérément sans que jamais on les entende.
Que reste-t-il de ces drames si réels ? Quelques photos jaunies par le temps toujours chassées par d’autres documents encore plus cruels, l’horreur n’ayant pas de frontières et reculant les limites de l’indicible, de l’inaudible ! Le sentiment confus d’un marasme avec en revers cette capacité de fermer les yeux, de clore nos oreilles, de fermer nos bouches afin de ne pas désespérer de nous-mêmes et de continuer à vivre malgré la cacophonie ambiante dans l’atonie la plus totale.
Il n’y peut-être rien à faire. Nous avons accepté la dérégulation sauvage pour une rentabilité à court terme et l’exploitation des plus faibles au profit des nantis, nous nous aidons d’une religion comme une béquille qui nous garantirait la vie éternelle en rémission d’une vie de souffrance, nous acclamons les forts et les portons au pouvoir en démissionnant de notre droit de contrôle, blanc-seing dont ils usent largement devant notre apathie, nous abandonnons notre planète à nos déchets, faisons mourir nos rêves parce qu’il est plus facile de se laisser porter par les flots tumultueux de nos faiblesses que de se battre pour une liberté qui ne serait pas seulement la nôtre, mais un bien de partage, un trésor commun qui impliquerait une vigilance de tous les instants. Il y a si peu d’humanité en l’homme que l’on peut désespérer de lui.
Alors que faire ? Le temps des révolutions est bien terminé, elles ont si peu accouché d’un monde meilleur que l’on peut légitimement s’interroger sur leur utilité. Fermer les yeux et rejoindre la grande masse de ceux qui privilégient l’illusion d’un confort parce qu’ils sont nés du bon côté de la frontière et ne veulent pas sentir la colère gronder dans le ventre de ceux qui n’ont rien ? Léguer à nos enfants un monde où le cancer de l’égoïsme se développe, tenter de vivre tout simplement ? Savoir que l’on a si peu de place et d’importance qu’il n’est nul besoin de revendiquer d’exister et de trouver un sens à sa vie pour aspirer au bonheur.

Peut-être un peu de tout cela ! Etre capable de dire non, de pleurer devant la souffrance des autres, de s’émouvoir et de rêver, de rire et de respecter. C’est par les mots que je veux lutter, en dessinant les contours d’un univers incomplet, en mettant en exergue les plaies de notre tissu social, les déchirures de nos rapports à l’autre, en décrivant la souffrance de la victime tout en tentant de saisir les revers cachés de celui qui commet l’irréparable, en riant de ne pas me prendre au sérieux tout en offrant la description de quelques moments d’inhumanité à la sagacité du lecteur qui me suit dans le parcours erratique de ces troubles si inhumains. Puisse-t-il partager un soupçon d’émotion et panser quelques plaies, puisse-t-il offrir un peu de réconfort à ceux qui en sont trop démunis.
Si le stylo était une arme, il pourrait venger bien des humiliés, si l’esprit primait sur la matière les larmes se fondraient en un océan de douceurs, si le soleil se décidait à briller pour tout le monde, les exclus se retrouveraient exposés à ses caresses. Les mots restent des mots, les idées des idées, mais la douleur est tangible, les blessures saignent et nous avons si peu de temps pour apprendre à grandir et aimer.
Voilà donc un chapelet de nouvelles qui ont pour but de vous étonner, de vous émouvoir, parfois de vous entraîner sur les rives escarpées de l’horreur au quotidien. Partageons-les comme le pain qui accueille ceux qui ont faim à l’issue d’une grande traversée du désert. Rappelez-vous, ce ne sont que des mots, des lettres de papier, des signes tracés sur une feuille blanche. Mais derrière ces mots, on trouve une réalité que même les phrases les plus sincères ne peuvent pas décrire : celle de millions et de millions d’êtres humains qui souffrent dans leur chair et dont les rêves sont bornés par l’ignominie de leurs frères.
De l’écrivain qui compose une partition définitive destinée à venger son talent méconnu au cerveau torturé d’un bourreau exécutant les victimes innocentes d’un génocide, d’un sniper se complaisant dans la brutalité et jouissant de la torture à une naissance en accéléré au bout d’un cordon qui s’avèrera comme un film en raccourci d’une vie incomplète, d’une malle bourrée de chefs-d’œuvre inconnus aux yeux d’une proie terrienne dans un café galactique, de Betty, hantée par les camps de la mort à cet enfant de la guerre à la recherche d’un ennemi fantôme, de tous ces personnages, il ne restera sans doute que l’amertume d’un monde à construire pour que vivent les hommes et qu’ils apprennent à se regarder comme des êtres humains, se détachant de ces liens tragiques qui les réunissent et sont le dénominateur commun de leur incapacité de vivre en harmonie.

Bonne lecture.

Voir les commentaires

2007, a(p)née nouvelle

Publié le par Bernard Oheix

Mes vœux…pour 2007.

Les hommes et femmes politiques enfin au service de l’être humain pour créer un monde plus juste.

Du travail pour nos enfants, un salaire pour l’espoir et des responsabilités pour s’inscrire dans une société qui avance grâce à ses jeunes.

Que la mort épargne les plus faibles et démunis, ceux qui n’ont pas encore pu rêver et ne connaissent du monde que son versant noir.

Que les savants s’inclinent, enfin, devant un principe de réalité… celui de notre planète qui souffre des effets pervers de cette économie dévorant la matière première en aliénant son futur.

Que chaque viol, violence, blessure et accident soit ressenti par les victimes comme par les bourreaux. A part égale de souffrance, on peut rêver d’un bras qui s’arrête au moment de frapper.

Que les patrons cessent d’être rétribués au prix des marges préservées pour leurs actionnaires en licenciant le personnel et qu’une prime leur soit offerte chaque fois qu’ils créent un emploi.

Que chaque larme ait son contrepoids en rires.

Que la solitude ne soit que le produit d’un choix et que chaque femme rencontre un homme, au-delà de la beauté de ses traits et de son intelligence : juste en partage !

Que les églises ferment leurs portes, les religions prêchent enfin la tolérance et les textes sacrés exposés dans les musées afin d’apprendre aux enfants à aimer leur prochain.

Que plus aucun coup de tête ne vienne affirmer le prima de la bêtise sur l’esprit et le corps : Zizou, je t’aime quand même… mais faut pas déconner, qu’est-ce qui t’as pris ce jour-là !!!

Que les beaux matins et la douceur hivernale ne soient pas la production d’un réchauffement climatique pernicieux. Je veux continuer à me baigner les 31 décembre et  1er janvier par plaisir et non par nécessité.

 

Enfin, que tout le monde, (moi y compris !) soit riche, beau et intelligent. Et que chacun écrive, peigne, danse, chante chaque jour de cette année 2007 comme si cela devait être le dernier jour de l’humanité... le plus beau !

PS : Et spécialement pour mes 59 bloggés (chiffre officiel au 31 décembre 2006), la santé, l’amour et l’argent avec un soupçon d’acharnement pour continuer à suivre mes pérégrinations dans le monde des mots !

**********************************************

Voici un texte paru le 1er janvier 1983, à la Une du Courrier de l'Ain, comme une madeleine exhumée des tiroirs de la mémoire. A l'époque, je sévissais sur les rives de la Reyssouse en arpentant les étangs de la Dombe. J'étais jeune et déjà persuadé que le temps me mordait la nuque et m'en voulait personnellement. Je ne savais pas encore ce que vieillir voulait dire ! Je ne le sais toujours pas, mais j'ai vraiment peur maintenant !

**********************************************

 

Bonne Année ….

Ce n’est pas parce qu’on n’est rien qu’il ne faut rien faire… ou ce n’est pas parce qu’on n’est rien qu’on peut tout faire !

Imaginons, né dans la nuit des profondeurs, ce gigantesque bang originel. Une contraction violente de l’espace dans le torrent tumultueux du temps infini. Une boucle libérant une énergie fantastique dans une cascade vertigineuse.

 

Galaxies, soleils, étoiles, planètes ne sont qu’un devenir dans cette vague déferlante.

Plus près, grains de sable déjà avec des filets d’atmosphère : le hasard malicieux.

Plus bas encore, des croûtes légères de pierre et de terre, minces parois qui filtrent les flammes, nous y sommes presque, pour de la chair et du sang.

L’homme, impondérable produit d’une alchimie involontaire vient de naître. C’est toujours un enfant, gavé de terreurs enfantines et dans ses cauchemars, le bang résonne douloureusement. Il s’en souvient, c’est sûr.

La terre est née il y a un an, jour pour jour, échos répétitifs d’un bang toujours premier.

Et chaque année, disons le premier janvier (mais c’est peut-être un autre jour !), le bang tonne de nouveau, toujours présent, toujours aussi violent.

Je vous vois. Vous avez 25 ans. J’ai 33 ans. Il a 56 ans. Prouvez-le-moi. Cherchons notre passé. Photos, articles, souvenirs intacts de dates et d’objets : objets sans histoire, photos qui figent le temps pour mourir avec lui, souvenirs troubles et flous. L’unité est illusoire.

Alors, vous vous projetez vers les autres, garantie de votre existence dans cet univers où chacun dépend d’un tiers invisible : classes sociales, civilisations précolombiennes, art primitif, classes d’âge, lieux de naissance, couleurs de peau, famille de naissance ou famille de coeur…

Il parait que c’est sûr. Il semblerait qu’il faille le croire puisque les autres le disent.

Mais au fond de vous-même, dans votre lit d’ombre, vous entrevoyez ce combat entre la vie et la mort, qui, tous les 365 jours de l’année, vous fait progresser vers votre point de départ : le bang ultime.

Et cela vous terrorise, comme l’enfant a peur de l’ombre.

Et chaque 1er janvier, résonne le bang originel que nous refusons d’entendre.

Et chaque année une nouvelle boucle revient faire un croche-pied au temps.

La spirale se resserre en nous. Quand cette spirale deviendra une étoile filante, nous saisirons que nous ne sommes rien, et nous aurons l’avenir et l’espace en nous… pour nous.

 

 

Voir les commentaires

Père Noël (1)

Publié le par Bernard Oheix

Souvenirs, souvenirs... En 1981, J'étais directeur à la MJC de Bourg en Bresse pour mon premier vrai travail après 10 années d'études. Il y avait trois quotidiens et un hebdo dans une ville de 40 000 habitants perdue entre les étangs de la Dombe et les plaines de la Bresse. Deux déserts de volailles et de génisses laitières. Le journal local du Courrier de l'Ain par l'entremise de son directeur PDG, chroniqueur, livreur et animateur, (c'était la fin de l'âge d'or, quand les gens achetaient encore un journal qui était fabriqué par des journalistes aimant leur métier) me proposa d'écrire une nouvelle pour le jour de Noël. Banco. Le texte parut à la Une du journal du 25 décembre 1981. Il eut un certain retentissement dans la ville (n'exagérons pas quand même, ce ne fut pas la révolution espérée !!). Dans le climat ambiant burgien, il possédait manifestement des vapeurs iconoclastes qui remuèrent nos bons bourgeois de cette cité alanguie par des années de conformisme. C'était le but recherché ! S'ensuivirent des années de collaboration épistolaire et quelques textes à venir pour mon plaisir et le vôtre... je l'espère ! 

Le Père Noël a un bouton sur le nez

Il pleuvait, ou neigeait, bruinait, glaçait, ventait. Un temps de réveillon pour Père Noël. Ses grosses chaussures s'enfonçaient dans la boue et la pluie glissait le long de sa chevelure grisâtre, gouttant entre son cou et le col de sa chemise, l'imbibant d'une moisissure froide.
« Un petit Cognac me ferait du bien, pensa-t-il. La nuit allait être interminable. La nuit sans étoiles, à se faufiler dans des millions de foyers, par le toit, le radiateur, les ventilateurs et lucarnes de toutes sortes.
Une nuit épuisante à visiter les maisons, une par une, avec ses deux hottes, toujours aussi lourdes pour ses vieilles jambes variqueuses qui, depuis des millions d'années, s'escrimaient à le porter.
Des larmes perlaient de ses yeux et suivaient les étranges contours des cicatrices qui marbraient son visage. Deux abcès avaient percé sur sa joue, et le dernier chicot de sa gueule noirâtre branlait sérieusement, menaçant de tomber en le condamnant à la purée... ou plutôt à la mousseline.
Toutes ses articulations n'étaient que douleurs, brûlures et ganglions. Quelques bubons avaient paralysé son bras gauche et une hernie discale l'immobilisait à moitié.
Quant à la tachycardie, elle emballait son coeur au rythme des la maladie de Parkinson et des quelques crises d'épilepsie qui parsemaient sa longue nuit.
Des centaines de Noël, des milliers d'heures à marcher et à monter, descendre, ramper, pour atteindre le coeur de la maison, de la hutte, de la grotte ou de la paillotte.
Et à chaque fois, les mêmes gestes. Prendre des jouets de sa hotte dorsale, les déposer devant les chaussures (avec ses tremblements, plus question de les enfiler dedans), ramasser les péchés de toute l'année, les glisser dans sa hotte ventrale.
Action répugnante s'il en est. Ces péchés froids, gluants, puant le rance et la rancoeur, la mauvaise humeur, la colère, les coups et les cris, ces fautes accumulées pendant 364 jours et qu'il fallait solder la nuit de Noël !
La nuit de l'horreur, oui !
Le Père Noël, on le montre sans hotte ou de dos... mais jamais de face ou de profil. On verrait alors ce que lui même refuse de regarder, ce qu'il sent grouiller contre son ventre, ce qui le mine et l'use : tous les péchés de chaque foyer de cette terre maudite, tous les péchés qu'il faut bien liquider... Et qui fait le sale boulot ? Le gentil Papa Noël, bien sûr ! Et qui est-ce qui trinque ? Le Père Noël, naturellement...
Tenez, par exemple, au B2 du 94 de la rue de l'Ane Rouge de notre ville. Quatorze foyers seulement pour un meurtre, deux viols, huit vols (dont quatre à main armée), un nombre incalculable de mensonges et tromperies (qu'il avait enfournés sans même les trier), des adultères en série, de la jalousie et de l'hypocrisie, de la petitesse... et caetera, et bla bla bla...pouët, pouët...
Non, ce n'est plus possible, se dit le Père Noël, en attaquant dans la foulée le B3 du même numéro de la même rue, toujours de notre ville.
Quand il arriva au 4ème étage, il eut la surprise de sentir quelqu'un s'approcher. Très étonné, (d'habitude les gens étaient trop saouls pour l'attendre), il chaussa ses lunettes triple foyer et regarda le petit bébé (six mois) ramper vers lui.
-Ô mon Père Noël, je t'attendais. Que tu es beau et gentil. J'espère que tu m'apportes des jouets magnifiques.
Le Père Noël faillit se laisser attendrir et caresser la petite tête bouclée. Un réflexe lui fit plonger les yeux dans ceux de l'adorable chérubin.
« Et merde ! » s'écria-t-il, en déchirant sa carte syndicale : le « génial-bébé-menteur-tricheur-flagorneur » était né, et le Père Noël renonça définitivement à apporter des jouets le 25 décembre. Les péchés s'accumulèrent alors dangereusement au fil des ans, plus personne ne les vidant au jour de Noël !
La suite, vous la connaissez, non ?
Goldorak qui appuya sur le bouton rouge pendant que le Père Noël défroqué se saoulait la gueule en enfer avec Lucifer.
Décidemment, quand il n'y a plus de Père Noël, il n'y a plus rien.
Plus rien du tout !

Bernard n'est pas le Père Noël... même si Sophie est une fée qui a croisé son chemin, il y a quelques siècles. La Belle et la Bête de la culture cannoise !

Voir les commentaires

Les fossoyeurs de la Danse

Publié le par Bernard Oheix

Texte polémique. Moi qui aime la modernité, qui tente de rester désespément "branché", d'ouvrir les yeux, et de me mettre au tempo de la modernité, je pondrais un hymne "réac" !!! Que nenni ! Avant de le mettre en ligne, je l'ai transmis à Jean-Marc G, mon pote immergé dans la danse comme une taxifolia dans un aquarium monégasque, en lui demandant ce qu'il en pensait. Sa réaction est mitigée. En gros, il comprend ma position en soulignant : " c'est un texte violent qui pose la question que pose  toute violence... à savoir sa légitimité... Tu revendiques le plaisir et c'est cette absence que tu dénonces. Ma question alors est : la violence de l'absence (fût-elle celle du plaisir) est-elle préférable à l'absence de violence ?"

J'ai décidé de boire. C'est aussi une réponse et contrairement à ce que je pensais au départ, de mettre mon texte en ligne. Après tout, c'est un espace de ma liberté. Je ne sais pas si j'ai raison au fond, mais je suis persuadé, par ce texte, d'exprimer tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Ce n'est pas une justification, la majorité n'a pas toujours raison parce qu'elle est majoritaire, surtout dans le domaine artistique ! Mais moi, Bernard, premier public avant tout de mes spectacles, je revendique le droit de vivre, d'avoir des émotions, de pleurer et de crier, de sentir des fulgurances, d'espérer et de craindre... jamais de m'emmerder, de sentir mes paupières peser, de couper mes sens en quatre pour laisser résonner le vide de l'orgueil.

C'est ainsi, je le mets en ligne et après, c'est à vous de réagir à ce texte. Il est là pour cela. Bon courage.



De Maguy Marin à Carolyn Carlson, de Bill T Jones à… tant d’autres créateurs, un vent de folie est en train de consumer le public de la danse. Dans leur nihilisme artistique et leur ego surdimensionné, ces créateurs attirent autour de leurs oeuvres, les derniers feux d’un public alléché par des noms qu’une critique inconséquente célèbre et loue. Ces spectateurs payent, et souvent cher, pour assister à des spectacles indigents dont ils ressortent brisés à jamais dans leur volonté de découvrir l’expression d’une danse moderne. Qui est coupable de cette complaisance ? Le critique enfermé dans sa tour d’ivoire pour qui, danse, doit nécessairement rimer avec ennui, pour qui le nec plus ultra de leur critique anémique est de vanter une « non-danse » comme forme ultime de la déconstruction de l’art chorégraphique ? Le programmateur qui veut faire mode et se laisse subordonner en donnant carte blanche à des créatifs sans projets pour être « branché » et s’attirer ces mêmes pseudos critiques qui ne font illusion que dans le cercle si fermé de leurs intimes ? Le créateur, dans son impuissance régénératrice, vivant et occupant les espaces d’une danse largement subventionnée et qui ne doit rendre de comptes qu’à sa conscience et pousse son suicide intellectuel en refusant tout plaisir au spectateur ?
C’est Maguy Marin qui déclarait dans une conférence de presse que l’art chorégraphique d'aujourd’hui ne pouvait que restituer la laideur du monde. Sans aucun doute, à la lecture de ses derniers spectacles, est-elle en phase avec elle-même… laideur des déplacements, des costumes, de la musique insupportable, de l’absence de dramaturgie. Tout est cohérent dans sa volonté désespérée de chasser le plaisir du spectateur… sauf qu’elle vide ses salles, y compris pendant les représentations. Au Festival de Danse de Cannes, pendant sa précédente création, les 400 personnes se sont évanouies dans le bruit infernal des guitares saturées, fuyant par grappes le non-spectacle proposé en création mondiale(sic !!!) et ce qui est terrible, c’est que cela ne fait même plus polémique… juste un grand refus du spectateur de se faire piéger dans un inutile débat sans fond… juste la certitude qu’on ne les y reprendra plus et qu’ils ne sont pas près d’y revenir et de faire confiance à ces noms médiatisés qui font la danse actuelle.
Alors voici donc nos créateurs, occupant les postes clefs de la danse, gérant les centres dramatiques, subventionnés par les pouvoirs publics, trustant les festivals, insérés dans un réseau si petit et sans ambition, en train de se saborder parce qu’incapables d’assumer leur mission de création. C’est le cas au Festival de Danse de Cannes, au Monaco Danse Forum, à Montpellier, à la Maison de la Danse de Lyon…
Pourtant, une danse moderne et festive, cela existe. Des Maguy Marin en train d'inventer une Cendrillon ou May B, œuvres de jeunesse qui ont fait son succès… (mais qu’elle doit renier, au vu de son regard désespéré actuel), et qui portaient tant d’exubérance et de magie à l’époque, il y en a beaucoup. De Preljocaj à Thierry Malandin, de la danse « afro » de Georges Momboye aux délires si ludiques de Jean-Christophe Maillot dans ses grandes fresques, Kafig qui invente une chorégraphie de la banlieue et définit un art moderne du mouvement, de tous ceux que la critique ignore, car marqués du sceau d’un néoclassique infamant ou d’une modernité trop banale à leurs yeux, mais qui permettent au public de ressortir d’un spectacle de danse avec des rêves plein la nuit et des émotions dans le cœur.
Car il s’agit de cela. Le cœur. Le désir. L’amour. Ceux qui verrouillent la danse actuellement en sont cruellement démunis. Ils creusent la tombe d’une danse moderne et ambitieuse, branchée sur le versant ensoleillé du mouvement. Cet art si proche de l’être humain quand il parle aux sens, devient un cauchemar quand plus rien ne le soutient, que le seul ego désespérant d’un créateur vide de toute richesse.
C’est le public qui paye cette débauche, c’est lui qui fuit désormais la danse et se réfugie vers les grands ballets classiques et la danse folklorique. Alors, l’âge d’or de la danse contemporaine ne déboucherait que sur cet échec sanglant : des salles vides, pire, des spectateurs à jamais écartés des chemins de la beauté. Peut-être notre système a-t-il échoué et faut-il refonder les axes de subventionnement de la danse en cassant les institutions. Il faut réinventer la danse et c’est aux créateurs d’effectuer ce voyage en tendant la main au public, en l’invitant à ses agapes afin de partager et de communier dans un espace meublé de tous nos rêves. Il y a péril en la demeure et ce sont tous les acteurs de la culture qui sont concernés.

Juste pour terminer. Il existe beaucoup de spectacles passionnants, d'oeuvres complexes et riches, de visionnaires en recherche d'équilibre. Surtout ne vous trompez point, continuez à chercher la pépite, la perle rare, elle mérite des efforts et quelques déceptions ! Surtout, sortez, couverts peut-être, mais sortez !

Voir les commentaires

Histoire vécue (8)

Publié le par Bernard Oheix

Les Trogodes Banda Linda : De la paillote au béton

 

J'ai eu l'occasion de travailler à plusieurs reprises sur des projets d’échanges et de promotions avec un Réseau Européen pour les Cultures du Monde composé d'opérateurs de Hollande, de Suisse et de Belgique. Nous avions constitué un groupe de réflexion et de travail qui tentait de diffuser des orchestres de musique et de danse porteurs des traditions et d'une authenticité…non frelatée. Cela peut paraître contradictoire avec l'univers du spectacle marchand dans lequel nous les plongions sans transition. Une tournée en Occident pour un musicien du Soudan ou de la Côte d'Ivoire représente souvent une année de salaire pour une famille vivant dans un village de cases perdu au fin fond de la savane africaine. Il nous fallait profiter des Festivals d'été et des concerts gratuits pour monter ces tournées entre nos diverses structures et amortir les coûts des voyages et de l'hébergement, l'artistique étant bien souvent la part minoritaire des budgets même si nous avions la volonté de leur assurer un minimum de 100€ par concert, ce qui représente  une petite fortune pour des hommes vivant dans des pays où le revenu annuel moyen se situe dans des fourchettes de 200 à 500 dollars par habitant.

 Nous avions réussi à organiser la venue d’un orchestre à trompes, les Trogodes Banda Linda de la République Centrafricaine. La Centrafrique est plus grande que la France tout en étant peuplée que de 4 millions d'habitants. Les Banda Linda sont un peuple pacifique installé sur les rives de l'Ouham, vivant de l'agriculture et perpétuant les traditions séculaires qui rythment le quotidien. Dans les villages de paillotes en terre séchée couvertes de toits de chaume, l'arène centrale est le lieu de vie où l'échange et les décisions de la collectivité s'effectuent sous la houlette des chefs dans des rituels non écrits immuables. Chaque événement individuel, de la naissance à la mort, chaque moment de la vie du groupe est l'occasion de réunions et de palabres qui s'expriment aux sons des Trogodes, les orchestres à trompes indispensables au bon déroulement des cérémonies.

La nature des trompes creusées dans des racines, des bambous ou des cornes d'animaux ne permet pas de jouer sur l'harmonie, chacune ne pouvant donner qu'un ou deux sons. Chaque musicien  s'appuie alors sur l'intensité et la durée, la mélodie naissant de la juxtaposition des divers sons et de leur enchaînement sur le temps. C'est comme dans le Gamelan de l'Indonésie, la musique ne peut naître et s'épanouir qu'en corrélation avec les autres instrumentistes, l'union et la fusion permettant de composer à partir des individus, des airs structurés qui se perpétuent de génération en génération. Des sifflets et des percussions donnent une rythmique à l'ensemble.

Il fallait voir cette fanfare constituée d'une quinzaine de noirs de tous âges défiler dans les rues de cette cité balnéaire avec leurs habits de parade, pagnes en fibre végétale, colliers et peintures sur le visage, tirant des sons plaintifs de leurs instruments, pour saisir le choc culturel qui jouait dans les deux sens. Incompréhension et stupeur des spectateurs à la vision surréaliste d'une bande de "sauvages" issue de la nuit des temps propulsés dans l'univers du béton et de la consommation de la Côte d'Azur. Je sais que nombre d'entre eux ont pu s'acheter du bétail et nourrir leur famille d'avoir arpenté nos trottoirs en jouant leur musique. Qui a gagné de cet échange entre leur monde et le nôtre : j'aime à penser que le ventre plein de leurs enfants justifiait ce voyage dans le temps qu'ils ont effectué à marche forcée vers l'acculturation.

 

Voir les commentaires

Ephéméride Novembre 06 (2)

Publié le par Bernard Oheix



Le mois continue, les jours se chassent et toujours ces spectacles qui parsèment ma route. Deuxième volet donc de mes aventures en terre de culture. Tout tourne autour de ces rendez-vous quasi quotidiens, de ces moments d’attente quand le noir envahit la salle et qu’un délicieux frisson s’empare de vous ! Et la lumière est !


21 novembre. Cannes. Palais des festivals. Andromaque. Racine. (Théâtre).
Mise en scène Philippe Adrien.
Programmer un classique dans la saison théâtre, c’est accomplir une plongée dans une zone indéfinissable, celle de notre jeunesse, d’une éducation à marche forcée vers l’âge adulte, quand tout était possible et que l’espoir bornait notre horizon. Un public différent occupe la salle, beaucoup plus jeune, des adultes se présentent l’air emprunté, surprenants, des amis, professeurs ou simples nostalgiques venant se remémorer un texte qui remonte par bribes, une madeleine qui se fond dans notre mémoire. L’exposition est complexe, le son un peu brouillé, les comédiens ne jaugeant que difficilement le volume imposant de la salle Debussy. Mais au fur et à mesure, qu’ils occupent la scène, que les actes s’enchaînent, tout s’éclaire, devient d’une luminosité rare. Les vers se transforment en musique, un slam antique qui jongle avec les sentiments et les émotions. Les situations sont d’une crudité lumineuse, c’est un opéra antique qui parle au présent dans un langage fleuri où tout est harmonie.
Le contenu de la pièce : Andromaque est aimée de Pyrrhus, qui est aimé d’Hermione, qui est aimée d’Oreste…et cela va mal finir pour tout le monde sauf pour Andromaque !
La mise en scène se veut dépouillée dans un décor majestueux comme pour souligner l’inanité des personnages à s’évader de ces chaînes qui les emprisonnent. Un régal. Un rappel émouvant de cette culture qui a bercé notre apprentissage des belles lettres.

23 novembre. Lyon. Maison de la danse. Asobu (jeu). Hommage à Henri Michaux. CCN d’Orléans. Chorégraphe. Joseph Nadj.
Création du Festival de Danse de Cannes en 2003, les philosophes m’avaient conquis. J’attendais avec une certaine impatience de retrouver son univers lunaire, une façon de mouvoir les acteurs et danseurs en faisant exploser les codes traditionnels pour inventer un monde absurde, dépouillé, entre l’expressionisme allemand du cinéma muet et les tableaux de Magritte. En s’emparant de Michaux, on pouvait rêver d’une force obscure prenant le pouvoir. Las ! Quand le mouvement tient lieu d’orientation et que le vide devient le support principal de l’action, les sens s’émoussent et s’épuisent à s’inventer une chorégraphie intérieure. Le temps s’étire dans cet exercice complexe et la raison tourne en rond. Il ne s’agit pas de regretter l’absence de lisibilité, il importe d’en souligner le manque de tension, de cohérence dans une démarche qui s’avère vaine. Dommage. L’irruption de danseurs japonais et le choc entre les deux cultures (l’Asiatique et l’Européenne), ne débouchent que sur la perte de son identité, comme si le moteur de ses rêves s’essoufflait de trop étreindre et se diluait dans les rites obscurs qu’ils tentent de faire émerger du désordre.
Son talent n’est pas en cause, il nous reviendra plus fort pour nous embarquer de nouveau dans son univers décalé !

26 novembre. Nice. Don Pasquale. Donizetti. (Opéra)
Opéra bouffe. Un complot amical de Malatesta va permettre à sa fille Norina (la belle et géniale Henrike Jacob) d’épouser Ernesto après avoir simulé un mariage avec le vieux Don Pasquale, l’oncle fortuné. Tout est prétexte à un humour mis en valeur par la mise en scène inventive de Claire Servais. Mimiques, jeux de mains, attitudes, les voix sont portées par des chanteurs aux talents d’interprètes dans l’esprit « commedia dell’arte ». On rit, elles sont magnifiques, c’est l’opéra sans le drame, sans les larmes mais aussi sans la passion. On passe un bel après-midi dans le charme rococo de l’opéra de Nice, ses velours rouges et ses corbeilles remplies de bijoux et de petites vieilles enturbannées. Mais redonnez-moi un zeste de La Norma ou de Rigoletto pour finir la soirée !


28 novembre. Cannes. Cyrano d’hier et d’aujourd’hui. Jean Piat. (Théâtre)
Une leçon de théâtre par un homme qui « est » le théâtre, qui a parcouru presque un siècle des scènes les plus prestigieuses, a côtoyé les plus grands noms, a travaillé avec ceux qui ont écrit les pages de gloire d’un âge d’or qui court de Jean Vilar jusqu’au XXème siècle.
A 82 ans, silhouette juvénile, même si sa démarche laisse transparaître le poids des ans, il se décide à raconter ses Cyrano, ses aventures avec un des textes les plus flamboyants du répertoire moderne. Tout est prétexte à digressions, au récit d’anecdotes, à une mise en abysse vertigineuse qui va permettre de faire ressusciter le texte avec deux acolytes. La tirade du nez, le récit devant Christian de son combat contre 100 spadassins, l’échange amoureux sous le balcon de la belle Roxanne, l’agonie avec panache d’un vieil homme au cœur de lion… sont exhumés avec des éléments de décors de fortune, les deux compères opérant des changements qui vont permettre à la voix de Jean Piat de porter les vers sublimes vers des sommets d’émotions.
Il fallait être dans la salle ce soir-là pour sentir la tension du spectateur devant cette mort au travail en train d’offrir l’éternité à un acteur vieillissant, au crépuscule flamboyant de son talent.
Bouleversant, pétri d’humour et de tendresse, maniant la tragédie et faisant rire dans le même élan, Jean Piat nous a offert une formidable leçon de théâtre, un hymne à la vie et les 1000 spectateurs se sont levés comme un seul homme en un salut romain pour lui rendre un peu de cette émotion qu’il transmet avec tant d’élégance et la distance précieuse de celui qui est au cœur des vérités.

1er décembre. Cannes. Corrou de Berra et A Filetta. (Musique)

Deux ensembles polyphoniques, dans un mouvement convergeant, s’instrumentalisent et mettent en perspective les voix des chœurs et l’orchestration. Démarche complexe, le travail des voix et des instruments étant aux antipodes. Harmonies naturelles contre harmonies figées. Deux facettes de l’extraordinaire capacité des voix issues de la tradition de s’adapter et de se régénérer dans la modernité.

Michel Bianco, mon copain depuis des années, le leader du Corrou, on se suit avec fidèlité...toujours ce plaisir des retrouvailles comme un rendez-vous entre la musique et l'amitié


Corrou de Berra : Michel Bianco est le fondateur et le sorcier de cet ensemble, meilleur groupe polyphonique des Alpes du Sud-est, entre niçois et provençal, ils explorent depuis des années le répertoire sacré et tentent sur les traces de leur grand frère corse, de se frayer un chemin dans la composition originale, en support des poètes niçois. A la différence de la majorité des autres groupes polyphoniques, c’est un chœur mixte, deux femmes et quatre hommes qui le composent.
Pour l’occasion, ils se sont entourés d’une batterie, (le divin et génial Gilles Chouar), de clavier, accordéon, guitare et basse. Les voix sont chaudes. L’ensemble est parfois décousu dans sa structure et n’utilise pas assez la richesse polyphonique mais la générosité et l’émotion emportent l’adhésion du public. La fragilité des interventions du leader crée un sentiment de proximité, comme si nous étions entre amis, en train de partager une soirée de fête et d’amitié en partageant la polenta et le vin âpre des coteaux Niçois.

Jean-Claude Acquaviva, un barde, un maître, un homme dont la richesse intérieure n'a d'égale que sa faculté de partager avec l'autre. A ses côtés, mon pôte Basile, un fin connaisseur de la musique du monde, chroniqueur à Agora FM... un de mes bloggé de toujours.


A Filetta. Depuis sa rencontre avec Bruno Coulais, le groupe historique de la Balagne fondé par Jean-Claude Acquaviva, a exploré de nombreuses voies. Musiques de films, scènes, créations mythologiques, compositions avec orchestre… A chaque fois leur talent fait merveille, leur humilité séduit, leur inventivité triomphe. Les sept membres du groupe sont alignés, derrière Romaneli à l’accordéon, deux claviers, une guitare, une basse et une batterie. Le dosage est subtil, les poses hiératiques et Jean-Claude Acquaviva parle comme un poète avant les morceaux, explique et commente, ramène le concert vers une fête païenne où le public prend toute sa place, participe au rite d’une communion où les notes et les voix s’interpénètrent et donnent le tempo d’une humanité en partage.
C’est beau et grand. C’est divin et cela donne la chair de poule, les sens affleurent et l’espoir renaît… celui d’une Corse fière et ouverte, d’une musique comme un trait d’union entre les cultures, par-delà les différences.
Soirée envoûtante pendant laquelle le Corrou de Berra et A Filetta permirent que les voix de la tradition se confrontent à la modernité, que le public chavire sur les notes de l’espoir et ressorte plein d’énergie de cette cérémonie païenne.

Voilà donc un mois très riche terminé. J’ai pu assister à 3 ballets, 10 pièces de théâtre, 5 groupes de musique et 5 films. De tout cela que reste-t-il ? Une vraie plongée dans la culture du monde, des coups de cœur, des élans irraisonnés, le partage avec des amis, un sentiment étrange que la vraie vie se dissimule dans les cris de ceux qui créent chaque jour pour que l’humanité avance sur les chemins de l’espoir. C’est cela ma culture, c’est aussi celle que je voulais vous offrir en communion.
A bientôt donc pour de nouvelles aventures.

Voir les commentaires

Ephéméride Novembre 06

Publié le par Bernard Oheix

Le tour du monde en 24 séances.

Du 1er novembre, date de mon retour de Séville au 28 novembre, mes pérégrinations m'ont mené devant les écrans et les scènes  de la Côte d'Azur, de Marseille, Paris et Lyon, dans une marche forcée vers la « culturation », un doux chemin de croix pavé de beaux sentiments, d'émotions et de rires, un livre ouvert empli de désirs et de rêves. Privilège extrême d'être le passeur, celui qui va accompagner le spectacle d'un lieu à un autre, qui analyse et juge, qui donnera sa chance et effectuera la séparation du grain et de l'ivraie. Pour qu'elle advienne, cette possibilité du rêve, un long cheminement est nécessaire, de la présentation devant des acheteurs potentiels d'un objet artistique, de la négociation sur la date, le rapport qualité/prix, son insertion dans un programme qui se doit d'être cohérent dans ses équilibres, et toutes les contraintes et impondérables d?une tournée à construire dans la douleur de ces routes jamais droites qui ne mènent jamais à Rome.

Et puis il y a l'arrivée à Cannes, l'accueil des équipes techniques, les hôtels et restaurants... Et plus l'heure avance, plus le public est censé être convaincu et escalader les marches du grand Palais. Belle cuisine que la présentation d'une oeuvre que vous bouderez peut-être !

Tout ces petits riens font un monde de riens, mais c'est cela la culture, des bouts de ficelles pour des noeuds d'humanité, des sanglots pour lutter contre le désespoir, des rires pour vaincre la folie. Et si tous les êtres humains réfléchissaient un tant soit peu, peut-être que la fureur des hommes pourrait se noyer dans un océan de bons sentiments. Vision vertueuse et idyllique s'il en est, mais après tout, les marchands de sable sont aussi des fabricants de mirages !

 PS : D'accord, Hitler pleurait en écoutant la 9ème de Beethoven dirigée par Von Karajan... mais c'était des larmes de crocodile !

Et donc en avant toute pour ce tour d'horizon d'un mois de novembre riche en expériences. Beaucoup de films, de théâtre, de danse. Dur, dur d'être directeur au Palais des Festivals et de devoir programmer une saison 2007/2008 !

 

2 novembre : Cannes. Ne le dis à personne. (Film).

 

Harlan Coben revisité et reficelé par Guillaume Canet. Trame fumeuse pour une distribution éclectique dans un casting de gala (Dussolier, Cluzet, Belfond, Rochefort... avec en prime la belle Kristin Scott Thomas).  Un vrai talent de réalisateur, une façon d'approcher au plus près le rêve hollywoodien sans se trahir. Un bon polar détente pour penser aux choses sérieuses.

 

4 novembre : Cannes. Scoop de et avec Woody Allen (Film) 

Un bijou de plus pour monsieur Woody. Le talent des histoires, l'art des images, la magie des mots. Entre le réel et l'irréel, une comédie enquête reposant sur les graciles épaules de la sublimissime Scarlett Johanson , journaliste débutante récupérant un scoop de l'au-delà et tentant de démasquer le tueur aux tarots avec l'aide d'un magicien raté au sac plein de malice. Woody Allen brode une de ces comédies dont il a le secret, alerte, virevoltant, parsemé de mots d'auteur d'anthologie, maîtrisant chaque élément du film pour composer un hymne léger à la gravité de la vie. A voir absolument.

 

6 novembre : Paris. La goutte au pépère. Olympia. Richard Gotainer (comédie musicalo-écologique)

L'Olympia dans ses atours, salle bourrée d'amis du monde du spectacle. Attendue cette arrivée sur Paris d'un show rôdé en province par un chanteur qui ne tourne plus depuis quelques années mais dont le nom reste une énigme pour ceux qui traque « les ringards »... comme si l'humour préservait du temps qui passe !

Richard, c'est mon pote. Un copain d'amitié alors ne comptez pas sur moi pour dire du mal du spectacle ! En plus il est étonnant sur scène. Il vit le rapport au public, il est un vrai comédien qui dévoile tout son talent et sa finesse d'interprétation. Il bouge avec élégance comme un félin des planches qu'il est, les chansons sont délicieuses, les décors beaux. Reste que cette histoire entre la pub et l'écologie dégage un parfum de déjà-vu, ou peut-être une résonance trop claire, évidente, avec des problèmes contemporains. Paradoxe. Je m'en contrefiche, le public a aimé et moi j'étais heureux pour lui, même si j'attends avec impatience son nouveau disque et qu'il fera sa première à Cannes comme il me l'a promis. Rendez-vous en 2008 pour un show à la Gotainer inspiré d'une verve canaille, un chanteur hors du temps, niché dans les vers de ses poèmes absurdes qui en disent si long sur la vrai nature de l?homme !

 

7 novembre : Paris. Dolores Claiborne. (Théâtre des Bouffes Parisiens)

Tiré d'un roman de Stephen King, dans une distribution géniale où Serge Riaboukine est d'une veulerie absolue et Michèle Barnier totalement possédée par son personnage de « mère courage ». Une femme va solder une mort passée, celle de son mari disparu d'une façon mystérieuse 20 ans auparavant, au cours d'une enquête où elle est injustement accusée d'être responsable du décès de sa patronne, Vera Donovan, une riche et vieille femme qui lui lègue sa fortune. 

On peut avoir le livre en mémoire, le film dans les yeux, il reste l'éblouissante prestation d'une actrice qui s'impose sur la scène dans un rôle dramatique à la mesure de son talent. Timbre émouvant de la voix, souvenirs qui émergent dans ses yeux désabusés, solitude, destin brisé et malgré tout, cette force exceptionnelle qui donne de l'espoir, un amour désenchanté de la vie qui porte à la rédemption. Pas seulement la sienne, celle de toute une humanité qui souffre par la faute de ceux qui salissent la terre en la foulant. La pédophilie, l'ivrognerie comme baromètre de la déraison.

A Cannes l'an prochain, c'est sûr, comme un élixir de vie. Préparez vos mouchoirs !

 

10 novembre : Cannes. Théâtre de la Licorne. Babel. Cie Najib Guerfi. (Danse)

Membre fondateur de Kafig, (cf. plus loin), Najib exploite le Hip-Hop en le confrontant à une double culture : celle d'une danse contemporaine plus charnelle et animale et celle d'une danse asiatique (la Malaisie) avec sa précision du geste et ses conventions hiératiques.

Cela donne un spectacle lunaire, construction d'un geste libéré de toutes attaches, mélange subtil à la croisée des cultures définissant une gestuelle intemporelle et universelle. C'est somptueux ! Un ballet moderne, qui puise dans l'alphabet contradictoire de ces cultures qu'il revisite une sensualité et une actualité que le titre souligne. Babel, comme un espoir que les hommes s'entendent enfin, comme une fresque vivante où la bande-son osée (un mixe de sonorités électro et asiatique) permet de suivre le chorégraphe et ses interprètes dans sa volonté de communier.

Najib Guerfi est adorable. Talentueux, il a l'humilité des grands, l'humanité de ceux qui ont côtoyé l'enfer pour s'échouer sur les plages dorées de la reconnaissance et du partage. Son livre, le Sauvageon, devrait trôner sur les commodes de tous les politiques qui parlent de la banlieue sans y avoir mis les pieds et échafaudent des plans sans la comprendre. Ambassadeur de l'intégration, Najib, je te nomme ministre de la reconnaissance et de la fierté retrouvée. En plus t'es mon pote !

 

                   Il y a le jeune des banlieues et le vieux baba-cool...cherchez l'erreur !

11 novembre : Cannes. 19h45. Prête-moi ta main. (Film)

Sympa. Une bonne première partie de soirée avec une Charlotte Gainsbourg étincelante qui occulte même Alain Chabat.

 

                                      22 H. Le Dahlia noir (Film)

Brian De Palma est fatigué. Il n'arrive même plus à réunir les bouts d'images somptueuses de son film incompréhensible. Reste un jeu qui tourne à vide dans une parodie de glissements de sens et de boucles allusives auxquelles plus personne ne comprend rien. Déjà que l'histoire est foutraque ! Si on me fournit le mode d'emploi, je changerai peut-être d'avis mais en attendant, pitié monsieur De Palma, retrouvez votre verve et un peu d'humilité avant de nous proposer un nouveau film !

13 novembre : Cannes. 19h45. Le labyrinthe de Pan (Film)

Je l'avais raté au Festival du Film. Dommage ! Guillermo del Toro signe un film éblouissant, un conte cruel et désespéré, quête d'une petite fille pour survivre à l'horreur d'un franquisme incarné par un Sergi Lopez transcendé en tortionnaire d'une dictature sans état d'âme. Amaigri, froid, bourreau glaçant, il va contraindre Ophélia à fuir dans l'imaginaire, la réalité d'un mal étouffant. Rien n'est beau dans cet irréel qu'elle s'invente, versant fantastique d'une sordide fuite, les épreuves s'enchaînent alternant les retours au présent de la guerre et de la traque des partisans. Un monde se tisse où chacun se retrouve confronté à ses propres peurs, la mort seule sort grandie, comme la signature d'un malin démon devant la petitesse des hommes. C'est beau et oppressant.

Un film qui aurait mérité un peu plus de reconnaissance de la part du jury du Festival du Film.

                                      22 H. La mémoire de nos pères (Film)

 

Clint Eastwood au zénith. Il continue son travail de sape des mythes contemporains. Le héros de guerre en cette heure de bourbier irakien n'a plus d'odeur, il a les pieds dans la boue et sombre, broyé dans une mécanique de la guerre qui ne laisse place qu'à l'absurde. Règne d'une faucheuse qui hache le corps de l'homme aussi sûrement que ses rêves meurent dans le sang des combattants anonymes. Même les héros, ces fameux guerriers qui hissèrent le drapeau américain à Iwo Jima, sont prisonniers d'une logique qui les dépasse. Ils sont tout autant broyés dans la victoire que dans la défaite car le message de Clint Eastwood est clair... c'est l'humanité qui sombre dans la guerre ! Hommes simplement, geste de l'horreur, souvenirs de ceux qui disparurent pour que la victoire soit proclamée au prix du sang qui souille les plages de cet îlot perdu ! On attend désormais avec impatience le deuxième volet de cette saga guerrière, la vision dans le camp des perdants de cette même bataille. Nul doute  qu'il trouvera encore les voies pour nous désarçonner et nous donner un nouvel opus crépusculaire. Qu'ils sont durs ces mythes à abattre d'un monde généré par les flammes de l'enfer.

14 novembre : Saint-Raphaël. Palais des Congrès. Terrain vague. Cie Kafig. (Danse)

Mourad Merzaki. Un des promoteurs de l'irruption du Hip-Hop sur les scènes de l'hexagone, le passeur de la rue à la salle, un créateur de génie à l'expression douce et suave. Mais si on aime Terrain vague, ce n'est pas parce que Mourad est aimable... le ballet se suffit à lui-même. Formidable hymne de vie, énergie d'une banlieue perdue dans un désert de béton, la scène est une agora où se croisent des personnages qui vivent au rythme d'un monde de frénésie. Arène cernée de tôles ondulées, palissades surchargées de « graph », garçons et filles vont se croiser et inventer des figures qui, chacune, dessinent un univers de bruit et de fureur tout en transcendant cette énergie en force de vie. C'est cela la force et la vision de Mourad. Interpréter la gestuelle moderne et la rendre sublimée, poétique, capable de toucher n'importe quel être pensant du côté du coeur. Ode à la mixité, tempo d'une urbanité perplexe, il donne des réponses aux questions que l'on ne se pose pas toujours.

Commentaires : Mourad et Najib avaient créé  ensemble Kafig dans les années 90. comment expliquer tant de talents et de visions dans un même lieu, au même endroit, à la même époque... mystère ! L'an prochain je le programmerai si Yorgos Loukos ne le sélectionne pas dans le Festival de Danse.

15 novembre : Cannes. Palais des Festivals. Corneille. (Musique)

Hystérie de la salle conquise. Deux notes et c'est parti... Cela tombe bien, il n'en connaît que deux. Je suis resté sans voix... mais comme lui n'en a pas non plus, on était à l'unisson ! Pour le public, c'est l'extase, un orgasme de foule incompréhensible. Il est le gentil sans doute, celui qui part de la nuit pour arriver à la lumière et le public aime les success story, même porté par un souffle de voix épais comme du papier à cigarette. On peut lui accorder un certain talent d'animateur, les poses affectées d'un sex-symbol à l'origine soufrée mais cela en fait-il une star pour autant ? L'avenir nous le dira.

Quant à Perle Lama qui avait chauffé la salle en première partie en exhibant son nombril comme un passeport pour la gloire, elle confirme qu'un joli postérieur n'est pas suffisant pour avoir du talent.

 

16 novembre : Paris. 19 H. En allant à St Yves. (Théâtre Marigny)

Petite bourgade anglaise. Une spécialiste des yeux traite la mère d'un dictateur africain. L'une a un fils mort en héritage, l'autre a enfanté d'un monstre assoiffé de sang. Elles vont nouer une relation ambiguë et conclure un pacte qui les enchaînera à jamais. Le texte est beau et puissant, un souffle brûlant du vent de la folie meurtrière des hommes. Yane Mareine en mère blessée et Béatrice Agenin (qui signe aussi la mise en scène) le portent toute en retenue et subtilité. La mort et le sang comme expiation pour libérer le monde de ses propres fautes et des blessures du temps. Un choix cornélien pour deux mères qui vont se délivrer de leur fardeau en enterrant l'espoir. C'est du théâtre dramatique contemporain, c'est joué juste et l'émotion est sincère dans le regard de Béatrice Agenin qui a porté ce projet jusqu'à son aboutissement.

Pourquoi pas à Cannes ? A voir suivant le reste de la programmation et l'équilibre entre comédies et pièces plus sérieuses. Tentant.

                                   21 h. Le jardin. (Théâtre des Mathurins)

 

Particulièrement à l'abandon « le jardin ». On l'annonçait comme la succession du « petit jeu sans conséquence » qui avait fait fureur l'an dernier. Quelle idée aussi de faire jouxter ce jardin où vont se croiser des personnages archétypaux de la société française avec un cimetière ! Un coup à enterrer ses espoirs ! Texte convenu et plat, réparties prévisibles, jeu mollasson... pas nécessaire de le fouler ce jardin pavé de si bonnes intentions qui ne débouche que sur une impasse broussailleuse où errent nos attentes déçues.

17 novembre. 19 H et 21 H. Paris.  Adultères. Woody Allen. (Théâtre de l'Atelier)

3 pièces en un acte conçu par l'auteur comme un triptyque autour de liaisons en train de se dénouer.

Comment utiliser des adjectifs pour décrire ce festival de bons mots, ce feu d'artifice de situations cocasses, de quiproquos, de hasards malencontreux portés par des comédiens extraordinaires qui se livrent avec jouissance aux délires de l'auteur ! Eblouissants de virtuosité Pascale Arbillot et Xavier Gallais... mais tous les autres aussi, jonglent, surfent, se glissent dans un texte plein de verve où se côtoient les pièges du désir. Nombrilisme et égotisme, drames sous-jacents de ces êtres qui errent au bord du chemin, mamelles abondantes sur lesquelles Woody Allen tire avec jubilation pour camper des portraits tragiques, des ambitions avortées immergées dans la misère affective et les contradictions des coeurs qui battent.

Et comme pour nous prouver que derrière le futile se niche un véritable auteur, Old Saybrook, la dernière pièce de la trilogie, dynamite les conventions du théâtre de genre, exhibe l'auteur bâillonné et ligoté, impuissant à terminer son oeuvre, en panne d'idées achevant sa pièce grâce au renfort des acteurs qui inventent un fin cohérente !

Et vous imaginez que cette pièce ne sera pas à Cannes l'an prochain !

En prime et uniquement pour vous, ce florilège de réparties pour vous donner une pincée de cette saveur distillée tout au long des 3 oeuvres.

 

-David, essaie de comprendre... à part le sexe, c'était platonique !

 -Ce n'est pas grave! c'était un fétichiste de la chaussure. Il s'excitait uniquement les jours de soldes de Prada.

 -Je ne vais quand même pas bazarder des années d'intimité et d'amour à cause d'un mari dentiste qui jouait de sa fraise avec ma soeur.

 -J'ai toujours su que si on lui tenait la tête, tu baiserais un serpent.

 -Madeleine Cohen est une freudienne orthodoxe... elle porte même la barbe.

 -Rejeté par les suicidés anonymes... si c'était moi, je me tuerais.

 -Elle m'a supplié de la mettre enceinte, c'est ce que j'ai fait...

 

-Non sans mal, mon chéri... autant fourrer une huître dans un parcmètre !

-Personne n'est détesté pour ses faiblesses... uniquement pour ses prouesses.

 -Il ne faut jamais baiser avec un juriste, il te coince toujours sur le vocabulaire.

 -Tu as couché avec mon co-auteur ?

 -Une fois, tu étais à l'hôpital pour tes électrochocs. On était tous les deux très inquiets pour toi et on ne savait comment exprimer ça.

Samedi 18 novembre. 18 H. Opus coeur. Israël Horowitz. (Théâtre Hébertot)

 

Mise en scène de Stéphane Meldegg. Un vieux professeur d'anglais et de musique condamné par la maladie prend une jeune veuve pour l'assister. Tout les sépare, pourtant chacun va faire un pas vers l'autre pour aller vers l'amour par-delà le trépas. Pierre Vaneck est un lion blessé, Astrid Veillon, sublime trait d'union entre le passé et le futur, porte l'espoir d'un apaisement, une énergie vitale au service de cette mort au travail. Solder son histoire et guérir ses blessures en un mouvement convergent qui les lie à jamais.Ils sont divins, atteignent cette zone merveilleuse d'un paradis d'acteurs, quand tout se conjugue pour créer l'illusion, beauté du texte, qualité des décors, profondeur des sentiments, interprétation ciselée. Du théâtre, du vrai !

Ne vous précipitez pas à Paris, ils seront à Cannes l'an prochain.

                                    21 H. Paris. Le gardien. Harold Pinter. (Théâtre de l'Oeuvre)

 

Mise en scène de Didier Long. Robert Hirsch porte pendant plus de deux heures la pièce sur ses épaules de vieux monsieur de plus de 80 ans. Un texte où l'absurde naîtrait du quotidien et de la répétition assumé physiquement dans une violence extraordinaire poussant le spectateur à la limite du supportable. Un vagabond veule et raciste hébergé par un homme simple va tenter de profiter de la situation en utilisant le frère de celui qui lui a donné l'hospitalité pour devenir le gardien de l'immeuble. Une pièce dense, physique, louvoyant entre les misères du monde, huis clos pervers où l'anti-héros tente de survivre par tous les moyens, même les plus abjects. Reste cet affrontement physique, cette violence sadique à glacer le sang, poupée abandonnée, le corps malingre de Robert Hirsch instille une pulsion irrationnelle parmi le public tétanisé.

Commentaires : Je ne sélectionnerai pas cette oeuvre à cause de la dimension de ma salle. Cette violence qui fait l'intérêt de la pièce se diluerait dans les immenses espaces de la salle Debussy. C' est un spectacle qui implique que le spectateur soit le nez sur les acteurs, sur leur sueur. Leur angoisse, quand ils s'affrontent, ne doit pas se dissoudre dans la nuit, elle doit s'exposer aux yeux du public !

Voir les commentaires

Chérie, et si on faisait l'amour ?

Publié le par Bernard Oheix

Bon, un peu de sexe, après tout, cela ne fait pas de mal ! Et puis, les horreurs de la guerre, les cris de douleur, la famine... Y en a marre ! Un peu de tendresse enfin, de la douceur et de la volupté... L'histoire se passe entre un homme et une femme... et si l'on ne donne pas la date de cette soirée d'amoureux, hélas, elle ne devrait pas tarder cette copulation programmée, ce sexe de cadres dynamiques à qui rien ne résiste.

Bon, rassurez-vous, cette romance n'est que presque vraie !



-Tu es si belle, un ange dans ma vie, et si on faisait l'amour ce soir !
Elle a souri et ses joues prirent une belle couleur rose tendre. Les flammes des bougies auréolaient son visage fin, ses yeux en amande qui m'avaient toujours fasciné, son sourire dévoilant des dents blanches parfaites, des lèvres carminées pulpeuses soulignées par une intervention discrète au silicone lui donnant une bouche sensuelle qui appelait le sexe. Une cascade de cheveux cendrés frémissait à chaque mouvement de sa tête. Elle possédait le port altier d'une reine que j'avais épousée il y a plus de six ans et qui résistait à l'usure du temps en continuant à me ravir.
Sa dernière intervention au botox était vraiment une réussite, sa peau était lisse comme un fruit frais mûri au soleil. Elle ressemblait à une jeune fille pure comme de l'eau de roche malgré ses trente-deux ans, et je discernais sous son chemisier de soie une poitrine ferme et orgueilleuse que les implants mammaires maintenaient en équilibre et dont les tétons durcis laissaient une trace pointant sous le tissu vert pomme. Elle était symphonie de couleurs, oeuvre d'art, ma femme pour l'éternité.
Nos amis s'étonnaient de la longévité de notre couple, le cap des sept années bientôt atteint, cette ligne qui paraissait infranchissable à tant de nos relations allait devenir notre horizon, un objectif bien tangible de notre vie commune qu'aucun nuage menaçant ne semblait pouvoir mettre en péril. Il faut dire que nous ne lésinions pas sur les moyens nécessaires pour contrer la monotonie d'une relation de couple et sur les ingrédients indispensables à l'harmonie de notre foyer malgré les aléas du quotidien et les tracas de la vie professionnelle.

Ma fonction de directeur commercial dans une société de congrès particulièrement connue dont je tairai le nom pour d'évidentes raisons, impliquait un investissement total de ma personne. Des journées de dix à douze heures, des voyages incessants autour de la planète, des relations à faire fructifier pour maintenir l'activité de mon secteur dans un contexte de concurrence mondiale, la lutte permanente pour m'accrocher à mon poste et continuer à percevoir un salaire confortable, me mobilisaient et occupaient une grande partie de mon temps et de mon énergie. Il faut dire que le culte de la performance, la rentabilité poste pour poste et les objectifs toujours plus ambitieux de ma direction générale ne me laissaient aucune alternative, ma réussite était à ce prix.
Je voyais arriver des jeunes de moins de 30 ans bardés de diplômes, prêts à toutes les concessions pour obtenir ma place, se proposant à la moitié de mon salaire, mais à trente-neuf ans, je n'étais pas encore totalement fini et j'escomptais bien résister encore quelques années avant de me faire éjecter comme un outil usagé d'avoir trop servi. Les jeunes avaient de grandes gueules, une propension à tout connaître avec leur tête trop pleine d'un savoir scolaire, ils étaient formatés pour devenir ces « winners » de l'entreprise mais moi j'avais l'expérience et un carnet d'adresses, j'étais rompu à toutes les arcanes du monde souterrain qui structurait l'entreprise. Ils n'auraient pas facilement ma peau, il allait falloir qu'ils s'emploient encore beaucoup pour conquérir mon bureau et s'installer dans mon fauteuil.
Mon épouse était analyste financière dans un cabinet d'audit spécialisé dans les entreprises événementielles. Elle avait débarqué, pétillante de jeunesse pour réaliser une étude sur mes coûts de production et accordé un satisfecit à ma gestion en même temps que son coeur et le droit de partager sa vie. C'était une carnassière et je l'aimais pour son aptitude à mordre dans la vie. Le coup de foudre avait été mutuel, deux esprits forts s'attirant pour régner sur un champ d'espoir, la certitude de construire ensemble les bases d'un couple solide que rien n'altérerait.
Elle avait énormément de travail, se déplaçait sans arrêt et nos agendas respectifs ne nous autorisaient que trop rarement un dîner en amoureux dans un restaurant de luxe comme ce soir. J'étais décidé à la séduire et persuadé que nous finirions cette soirée dans les bras l'un de l'autre, j'avais vraiment une grosse envie de sexe. J'étais son mari.

Elle a semblé jouer avec l'idée, retardant avec coquetterie sa réponse, affectant une pose langoureuse qui était déjà en soi une réponse.
-Pourquoi pas, il me semble qu'il y a une éternité que nous n'avons pas fait l'amour ! C'était quand la dernière fois ?
-A Pâques, pendant notre week-end à Venise. Rappelle-toi, le Pont des Soupirs, la promenade en gondole, et la suite au Danieli, cette nuit extraordinaire, tu as joui trois fois, cela ne t'était jamais arrivé.
-Gros bêta, bien sûr que je m'en souviens, de tels orgasmes ne sont pas si fréquents qu'on puisse les oublier, il faut dire que l'on avait fait ce qu'il fallait !
-Pour cela, c'est certain ! La tronche du pharmacien quand tu lui as commandé deux boîtes de Micromégax et que tu les as avalées avec la bouteille de cognac en lui disant que tu avais une urgence !
Nous avons ri et elle m'a saisi la main, me caressant avec le pouce les veines apparentes qui couraient sous ma peau et remontaient vers le poignet. Il y avait une telle connivence et communion d'esprit entre nous que je comprenais pourquoi notre couple s'ancrait si profondément dans notre vie de tous les jours. Je l'aimais comme ma déesse du soleil et elle bornait mes rêves de sa sensualité.
-Attends, il nous reste le dessert, si je prends mon Viagrus tout de suite, je serai prêt dès que nous arriverons à la maison.
-Tu n'as pas intérêt à me faire attendre, sinon je fais descendre le voisin !
-Pas lui, tu sais bien que je ne le supporte pas avec ses airs de sainte nitouche, son affectation de gay branché pour mieux séduire les bourgeoises, je ne peux pas le piffer, un marginal qui vit des largesses de la société.
-Mon petit mari jaloux ! 

Je lui ai parlé de mon travail et des résultats inespérés de la convention des Harley Davidson que j'avais convaincue de venir s'installer pour trois années dans mon Palais des Congrès et du bonus que j'en retirais, une prime confortable que j'avais transformée en actions immédiatement. Mon portefeuille était au beau fixe et s'enflait d'une manière intéressante. J'espérais dans quelques années pouvoir me retirer de cette course harassante avant d'être chassé de mon poste, mon statut de vieux cadre onéreux obérant mon avenir. Puis nous avons dégusté notre flan au miel et aux fruits de la passion, un dessert qui venait à point nommé alors que les effets du Viagrus commençaient, à ma grande surprise, à se faire déjà sentir. Je suis sorti du restaurant en tenant ma serviette devant moi tant je bandais ce qui fit beaucoup rire ma compagne et l'émoustilla jusqu'à me caresser dans mon coupé jaguar. Elle avait ouvert ma braguette et son ongle glissait sur mon pénis pendant que je conduisais à toute vitesse vers notre havre de paix et d'amour.

J'avais une envie incroyable de baiser et pas seulement à cause de ses caresses. Je me suis précipité dans la maison en hurlant qu'elle se dépêche, que j'avais le feu à la bite et que l'incandescence me guettait, qu'elle seule pouvait calmer ma douleur.
-Je règle le lit sur passion et grandiloquence ?
-Non, tendresse et félicité.
Elle a fait glisser le curseur sur le niveau 4. C'était une soirée trop intime pour les exploits, j'avais vraiment un désir de tendresse et notre accouplement se devait de refléter notre attachement mutuel. Elle aurait, en y repensant, peut-être préféré une soirée plus sauvage mais elle se plia à ma volonté et se rendit dans la salle de bain pour ses ablutions.
Quand elle revint, j'étais allongé nu sur le lit qui vibrait et s'adaptait au biorythme de notre passion. J'avais enfilé le condom à la machine d'asepsie et mon dard flamboyait, parfumé à l'orange, luisant de lubrifiant, se dressant vers le plafond constellé d'étoiles brillantes qui nimbaient la pièce d'une clarté langoureuse. Dans l'encadrement de la porte, elle est apparue nue comme au premier jour, ses hanches pleines de vie comme une anse dans laquelle j'aspirais à mouiller. Son contraceptif anti-VIH débordait largement de son sexe épilé lui faisant une corolle dentelée irisée dont le centre m'appelait en palpitant.
Elle m'a rejointe et avant de se pénétrer sur mon sexe, a avalé deux cachets de Micromégax, la pilule de l'orgasme que les Japonais avaient conçue pour assurer aux femmes de se guider jusqu'à l'extase. Elle a rampé sur les draps et s'est embrochée sur moi pendant que le lit s'ouvrait en entamant son cycle de vibrations spécialement étudiées par les Norvégiens après de longues études sur la dynamique des accouplements et les phases nécessaires à l'accomplissement d'une sexualité libérée.
Une musique ad-hoc créée pour endormir les sens périphériques s'échappait des baffles incorporés dans les montants du lit. Nous étions heureux, enfin réunis, si seuls dans les mystères de l'amour et nous chevauchions de concert vers la jouissance ultime comme si l'homme et la femme ne pouvaient se rejoindre que dans la galaxie de l'indicible. Au bout de deux heures, le vibrateur m'a annoncé que je pouvais me libérer et j'ai joui en de longs spasmes pendant qu'un double orgasme l'embrasait, la laissant pantelante, essoufflée, rassasiée de bonheur. Quelques gouttes de sueur perlaient à son front et je l'ai essuyée tendrement.
-Mon amour, si tu savais combien je t'aime.
-Mon grand fou ! On aurait peut-être dû programmer passion dévorante, j'ai encore un peu faim.

Je n'ai pas hésité une seconde. J'ai jailli de notre couche comme un diable sort de sa boîte et j'ai couru vers ma salle de bains. J'ai avalé la potion régénérant express, ingurgité une double dose de Viagrus, réglé le lit sur le niveau maximum d'intensité pendant qu'elle se resservait une tablette de Micromégax et après 16 minutes nous nous sommes jetés dans les bras l'un de l'autre pour entamer une ultime danse née au fond des âges primaires, quand l'homme était une bête et possédait la femme comme un animal. Nous avons remonté le temps et je l'ai mordue, frappée, m'enfonçant en elle à coups de piston violents, sans aucune retenue, libérant ces forces sauvages issues des nuits lointaines où le soufre brûlait, jusqu'à attendre l'instant fatidique du minuteur qui m'autoriserait l'éjaculation. J'étais bien et quand mon jet vint ricocher contre la pellicule plastifiée de mon condom et glisser sur la membrane gelée de son intérieur, j'ai compris que nous nous aimerions toujours et que la vie se partageait à deux.

Le souffle court, j'ai plongé mes yeux dans les siens. Elle avait un regard indolent, repu des fastes de notre passion.
-Je sais ce qu'est l'amour depuis que je te connais. Tu m'as ouvert les portes de l'infini et je rends grâce au ciel de t'avoir rencontrée. Puissions-nous vivre ainsi jusqu'à la fin du monde et finir dans les bras l'un de l'autre ce que l'humanité a entamé avec la naissance de l'homme primitif.

Elle n'a rien dit, juste un sourire et a fermé les yeux. Je l'ai regardée s'endormir et j'ai su, à ce moment précis, qu'aucun homme n'a jamais aimé une femme comme j'aime celle qui se love à mes côtés, qu'aucun amour n'est aussi puissant que ce fil qui me relie irrémédiablement à toi pour l'éternité.
J'avais hâte d'être à Noël, encore quelques trois mois à attendre pour que nos agendas coïncident, un petit voyage aux Baléares que j'avais concocté nous permettrait certainement de nous retrouver physiquement et de refaire l'amour. Je m'en délectais d'avance.

Voir les commentaires

Les sentences du jour

Publié le par Bernard Oheix

Lundi 13 novembre.

Dans la séquence des brèves de comptoir et des rencontres du bord de nuit, quand tout devient étrange, mon copain Momo, grand maître es belote devant l'Eternel, m'a alpagué dans la rue et entrainé dans un bar de la rue Meynadier. Minuit passé, je sortais d'un film, Mémoires de nos pères, et eus la faiblesse de me laisser porter par son enthousiasme communicatif et sa volonté de partage. Après moultes tournées, des discussions acharnées sur la stratégie du dix de der et l'enculage de mouche, d'une voix grave et chargée d'alcool, il m'a confié que "si la merde valait de l'or, les pauvres n'auraient plus de trous du cul".

Quelques verres plus tard, il m'a annoncé qu'il "n'achèterait une vache que quand il serait sûr de boire le lait gratuit".

La nuit s'est étirée et quand je me suis couché, outre un mal aux cheveux persistant, j'avais l'impression bizarre d'avoir raté quelque chose ! Quoi exactement ?

Voir les commentaires

Histoire vécue (7)

Publié le par Bernard Oheix

Lasers à rien


Eté 1990. Une nouvelle municipalité s’est installée à Cannes avec Michel Mouillot à sa tête. Françoise Léadouze est une adjointe à la culture passionnée, mère Térésa des « sans culture », révolutionnaire humaniste persuadée qu’elle peut transformer la réalité à coups de rêve. Elle nous booste, bobo avant l’heure, et nous oblige à trouver du sens à notre action.
Nous sommes une équipe jeune, celle de l’Office de la Culture, Une dizaine de filles dont je suis le directeur-adjoint, chargées des manifestations. Elles sont issues de stages, de Tuc, de bric et de « broque », manquent cruellement d’expérience mais compensent avec une farouche volonté de bien faire, une capacité de se dépasser et d’accomplir des miracles. Elles sont jeunes et belles, et moi, moins jeune mais toujours rêveur !
Et justement, en ce mois de mars 1990, le miracle a eu lieu. Dans mon esprit torturé, mon imagination débordante a encore sévi. L’espoir fou de marquer l’histoire (de Cannes !) et de laisser une trace indélébile me provoque une acné tardive et entraîne toute mon équipe dans un de ces cauchemars récurrents dont je suis un grand spécialiste.

Tout est venu, à ma décharge, d’une rencontre avec un Belge trop amateur de bière dont les effets néfastes sur son équilibre intellectuel le poussa à me proposer d’illuminer la rade de Cannes avec des lasers dont il faisait la promotion et la commercialisation. Il me dessina si bien le tableau de ce qui adviendrait, que je la voyais cette immense baie, éclatante de soleil de nuit, croulante sous les faisceaux se décomposant en myriades d’étoiles, découpée comme les remparts de Carcassonne, montagnes de lumières assemblées par un architecte divin. C’était moi, ce Dieu de l’impossible, j’allais montrer à quel point le désir est capable d’imposer sa loi à la réalité.

Le projet consistait à illuminer la Croisette à l’aide de lasers, à l’entracte d’un concert qui se déroulait sur le parvis du Suquet, la colline qui surplombe Cannes de son clocher où se déroule un festival de musique classique. Pour corser l’affaire, nous avions récupéré l’écran géant du stade de foot (à l’époque, Cannes avait une bonne équipe… Zidane, Vieri, Micoud…etc.) pour l’installer sur le parvis du Palais des Festivals afin de retransmettre le concert en « direct live ». Il manquait juste une montgolfière pour y accrocher des miroirs réfléchissants qui renverraient les lasers vers les cieux cléments. Une bagatelle somme toute au vu de ce que nous envisagions.

Je me souviens alors, de ces nuits de repérages au port Canto, à la pointe du Palm-Beach, des essais pour aligner les faisceaux sur les palaces, visant des disques minuscules qui permettaient de faire diffracter les pinceaux lumineux. Du phare du quai du vieux port pour cibler la pointe du Palais et même la colline du Suquet. Pour être honnête, j’avais l’impression très nette de ne rien voir mais vu les exclamations enthousiastes des techniciens belges, je mis sur le compte de ma fatigue et de mon inexpérience cette absence d’émotion…ce qui aurait dû m’alerter.
Et puis, nous avions tant de choses à préparer. Trouver la montgolfière, organiser le transport de cet écran géant, obtenir les autorisations de la marine, de la sécurité, ceinturer le parvis du Palais, tirer des tracts dont le titre alléchant explosait en un : « illumination aux lasers de la Baie de Cannes » comme un vœu qui allait rapidement devenir pieux.

Le soir du concert arrive, l’Orchestre de Vienne interprétant des valses, dirigé par un chef autrichien hilare devant le bordel ambiant. Inquiétude générale. Au dernier moment, les lasériens belges nous demandent un bateau pour étendre un rideau de fumée sur la mer trop étale et claire. Imaginez le ridicule d’une barcasse avec un enfant de Wallonie en tête de proue, le bras levé comme la Victoire de Samothrace, qui dégage à l’aide d’un fumigène un maigrelet trait de brouillard qui se fond dans la vastitude du plan d’eau. Qu’à cela ne tienne ! Il faut désormais boire jusqu’à « l’hallali » cette coupe frelatée de mes propres délires.

Pendant la première partie du concert, le vent se lève et la nacelle de la montgolfière arrimée au bord de l’eau se couche sur l’eau, endommageant irréversiblement le matériel et faisant courir des frissons auprès des spectateurs inconscients qui batifolent autour du ballon secoué comme un prunier. Un effet à l’eau, déjà, et en l’occurrence, ce n’est pas qu’une image !

Le public, aussi bien dans l’enceinte du Suquet que sur le parvis, chaloupe et tangue dans la tempête qui se lève. Une nuit de soufre. A l’entracte, le maire de Cannes et les invités de marque se massent au bord du muret dans l’attente du flamboiement de la baie. Après quelques minutes d’intense attente, un filet vert s’échappe presque par hasard du port Canto. Frémissement dans la foule. Enfin le spectacle commence. Las, c’était l’effet final ! Deux doigts anémiques se courant l’un après l’autre, tentant vainement d’accrocher l’attention et de s’imposer devant le grand vide de la baie ouverte à mon désespoir. Je disparais derrière les buissons et me cache aux yeux de tous. Séparé des officiels par un rideau de buissons, j’entends les commentaires fuser, portant tout autant sur le ridicule des lasers que sur la température trop élevé de la coupe de champagne où sur les petits fours rances que le traiteur nous avait refourgués. Certains même se gaussent de moi et je ne peux les en blâmer, sincèrement, j’avais autant envie qu’eux de me moquer de moi. J’ai honte comme rarement un directeur peut avoir honte. Le voile rouge devant les yeux, la gorge nouée, c’est Sophie mon adjointe et Françoise Léadouze qui viennent me déloger de ma tanière. Elles tentent maladroitement de cautériser les plaies à vif de mon orgueil et ne réussissent qu’à me rendre ombre qui marche, zombie de la culture, pâle ectoplasme du pouvoir de faire.
La deuxième partie du concert fut un feu d’artifice (enfin) d’humour et de déraison. C’est comme si un vent de folie venait doubler les rafales qui soulevaient les tentures du Suquet. En bas, sur le parvis, des milliers de personnes valsaient en riant de cette fête impromptue et gratuite où le grain de la déraison dispensait ses vapeurs hilarantes.
Pourtant, sur ma vespa, j’entendais, encore et toujours, rire des fameux lasers qui avaient inoculé une dose confortable de ridicule dans l’ego et les couleurs d’un directeur dérouté !
La conclusion. Le lendemain, Michel Mouillot m’attendait dans son bureau de maire. En entrant, dans mes petits souliers, je m’excusai platement…Eclats de rire ! J’ai rarement vu le maire de Cannes rire autant et si franchement. Il en avait les larmes aux yeux de me raconter son attente des lasers. Il doit s’en régaler encore et j’entends sa voix me glisser entre deux hoquets : « Oheix Bernard, il n’y a que les imbéciles qui ne se plantent pas… mais là, vous avez fait fort !!! Par contre si les huiles ont pâti d’être sur les hauteurs, mes électeurs étaient en bas et se sont bien amusés. Bon, avertissez-moi quand même si vous avez une autre idée de ce genre ! »
Et la vie a continué… comme quoi, on survit au ridicule… même si, quand j’entends parler de lasers belges, je me mets à avoir des palpitations et que le rouge me monte au visage.

****************************************************************************************************************

 

Sabine G, ma copine irresponsable d'une structure de diffusion de spectacles qui a, sur son tableau de chasse, les corses d'A Filetta. Adhérente de mon blog, elle me photographie à Séville afin de me faire chanter, un soir où manifestement je n'avais pas (encore!) arrêté ma consomation d'alcools forts. Elle signe le management de Darko Rundek et Cargo Orchestra (cf. mon article précédent), une des révélations du Womex. Honneur à elle !


Voir les commentaires