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All about Eve

Publié le par Bernard Oheix

Eh oui !

Je viens de me baigner. Il y a quelques heures je jouais à être un dauphin dans la méditerranée dans une eau translucide (merci le départ des touristes ! ), température de l'eau excellente, et je pensais dans mon fort intérieur, nonobstant mes problèmes avec la presse (cf . précédent édito), que j'étais un homme heureux. Et pour cause !

Samedi 14 octobre. Vivre un spectacle exceptionnel pour l'ouverture de la saison. Juan Carlos Caceres. Un argentin à la voix rauque, un homme plein d'intelligence et de finesse qui emporte le public dans les volutes d'un tango primitif, loin de la sophistication d'un Piazzolla, aux racines d'une musique populaire, hybride entre la musique noire (tango veut dire percussion en bantou), la milonga brésilienne et la musique des carnavals. Avec lui, c'est tout un pan de l'histoire qui est revisité et son groupe (bandonéon et contrebasse tenus par deux superbes femmes et deux percussions plus son piano) déclenche une tornade et invite à la fête. Merci monsieur Caceres de ce pur moment de bonheur et d'énergie. Merci d'être aussi simple, comme si l'on pouvait être brillant et naturel, un génie extraordinaire et un homme normal.

Dimanche 15. Chez Eve. Grande fête pour saluer son départ. Toute l'équipe est présente, les conjoints et les enfants sont là. Une belle réunion pleine d'émotion, de cadeaux et de discours...tiens, tiens !

Et puis, départ annoncé pour Séville et le Womex ( un marché de musiques du monde) avec son cortège de découvertes, rencontres et coups de coeur. Du théâtre à Paris aussi. Soyons fous et vive la culture !

PS : Je vous ai parlé du départ à la retraite d'Eve. C'est mon premier cas, il y en aura sans doute d'autres. Je me suis fendu d'un discours, un vrai, à la Oheix. Si le coeur vous en dit. Bon courage.

 

EVE


Il y a des signes qui ne trompent pas. Quand j'ai commencé ce discours, le 9 octobre à 15h30, une page plus loin et sans l'avoir enregistré, une coupure d'électricité dans nos bureaux a emporté mon texte tout frais dans le paradis des mots envolés, ce no man's land où gisent tant de mes formules géniales par la tourmente d'une technique absconse dérobées.
Qu'à cela ne tienne ! J'aurai donc deux fois du talent, un double effort que tu mérites bien, si on le compare au nombre des années pendant lesquelles tu dus subir mes foudres, courber ton échine pour passer sous le bureau afin d'accomplir la tâche qui t'était dévolue : permettre à ton directeur d?être créatif et dégagé des contingences matérielles.
Non, Eve, tu ne seras jamais remplacée. Il faut que cela soit dit. Tout au plus pallierons-nous ton absence en comblant le vide que tu laisses dans ces bureaux orphelins de ton sourire en coin, de cet air décalé qui faisait de toi, un sphinx parmi les tigresses, une légende du siècle dernier dans un univers futuriste.
Souvenons-nous et égrenons ces quelques pages d'or qui ont marqué quelques décennies de la culture cannoise.

La première fois que je t'ai rencontrée, tu étais belle, jeune et douce. C'était au lycée Carnot, à la fin des années soixante. Tu rayonnais des atours de la jeunesse mais déjà maquée à un peintre anarcho-révolutionnaire, tu te consacrais aux causes perdues avec une délectation qui frisait la sainteté. Tu étais plus âgée de quelques saisons, mais ta constance à ne pas briller en classe me permit de me glisser dans ton sillage et de profiter de ton ombre et des miettes d'une présence hautaine que tu m'octroyais avec dédain.
Ce n'est pas avec toi, hélas, qu'en 68, je pus conjuguer révolution et sexe, occupation de la cantine et collectivisation des dortoirs, enthousiasme révolutionnaire et dérèglements nocturnes. Non, il fallut une blondasse pour me permettre de t'oublier et me dévouer à la cause des peuples. Qu'à cela ne tienne, la vie avait décidé de nous séparer par un de ces clins d'oeil dont elle est coutumière et de nous donner rendez-vous quinze ans après dans l'ombre d'un Corbier en fleur.
Que savons-nous exactement de ces années de plomb où tu disparus corps et bien de Cannes ? Certaines mauvaises langues ont osé émettre l'hypothèse que tu collaboras en Roumanie avec les services secrets de Ceausescu, que tu trempas dans de sombres histoires d'espionnage et que le fruit de tes amours ombrageux s'épanouit sous les traits de deux ravissantes gamines frondeuses qui font ta fierté et celle de ton compagnon.
Que Nenni, comme dirait Marie.
Tu fus une hétaïre des salons de Bucarest, important l'élégance et le bon goût à la Française dans ces territoires des confins de l'Europe centrale et ton forfait achevé, te réfugias dans les terres inhospitalières du centre de la France, entre les porcelaines de Limoges et les pis abondants de quelques grosses vaches qui ne te faisaient point d'ombre. Tu t'es refaite ainsi une virginité, entre l'âtre fumant et les soupes de navets et de pois chiche, te requinquant pour affronter un avenir qui s'annonçait enfin flamboyant.
Car depuis le début de cette sombre histoire, tu savais pertinemment que Cannes t'attendait. Encore fallait-il que tu puisses y revenir dans de bonnes conditions, avec la certitude de retrouver Bernard Oheix et sa compagnie de pieds cassés qui allait devenir célèbre dans le monde des nuits folles de la Croisette.
L'opportunité se présenta enfin. Refaire les bagages, se faire embaucher par René Corbier en utilisant une nouvelle fois ton charme et ton talent ne fut qu'une formalité : tu savais que j'allais arriver et avec moi, le souffle du grand large et la certitude d'une fin de carrière exaltante.
Nous nous retrouvâmes donc réunis, toi et moi, et autour de nous, quelques jeunes filles constituant ce phalanstère auquel tu aspirais depuis la fin de ces années de soufre se constitua. Bonheur de venir au travail sans savoir quand tu en repartirais. Satisfaction de ces tâches roboratives qui prenaient les couleurs de l'arc-en-ciel d'être accomplies la passion au ventre. Le festival de guitare fut le socle fondateur de cette union sans pareille qui nous permis d'éperonner la culture cannoise et de constituer la première brigade d'intervention de l'agit-prop azuréenne.
Qui se souvient qu'en cette période, la culture prenait les formes rondelettes de Scarcafamme, les traits sévères de Monrose, l'hystérie d'Isabelle Truc. Pas de saisons à l'horizon pour meubler nos soirées, les Frugier en gestionnaires de salles vétustes et Sophie Dupont qui ne se pointait qu'à peine en nous annonçant qu'elle ne resterait pas longtemps dans cette galère !
Florence la tuquette et ses rêves d'un mari (un vrai, un romantique !) qu'elle n'accomplit que bien plus tard avec un fils du Portugal qui lui fit une belle petite fille, Elisabeth, l'attachée de presse qui n'aime pas la presse, la fleur des îles et son Victor basané, et qui d'autre encore dans cette première vague d'espoir qui nous embrasa sous la férule d'une Léadouze adjointe au Maire, débarquant dans notre monde décalé avec sa générosité et les bons sentiments d'une mère Theresa de la culture.
Vint ma vaine tentative de te quitter mon Eve. Episode noir s'il en fut. N'y tenant plus, jaloux jusqu'à l'obsession de ton peintre, je décidai de te fuir en emportant la Sophie, abandonnant mes autres collaboratrices à leur triste sort. Combien je le regrette, combien cet épisode me paraît infâme et sordide avec le recul désormais. Vous laisser dans les griffes de Pierre Jean l'abominable pianiste qui maltraitait les pianos en meurtrissant les femmes. Un trésor que je lui léguais qu'il ne sut exploiter. Devant votre peine et ce désarroi général, je décidai de faire don de ma personne et de revenir vous dorloter. Je vous devais bien cela mes petites chéries et votre pénitence avait assez duré.
S'ensuivit les années folles de l'événementiel.
Tu étais à ton zénith alors !
Nous en avons réalisé des prouesses avec des bouts de ficelles malgré les mots d'un Lefrancq, directeur financier vengeur, sabrant dans la culture comme un hussard polonais ivre de fureur. Des présidents, directeurs ou directrices, nous en avons vu défiler et toujours, cette équipe qui t'entourait, fidèle, même si quelques strates apparaissaient régénérant le cheptel de la culture en la renforçant quelque peu. Nadine, Daniel, comme des orphelins égarés trouvant le gîte et le couvert auprès de toi. Jean-Marc, Hervé apportant leur masculinité et leurs gros biceps pour t'émoustiller, Marie-Ange sa voix douce pour nous bercer d'illusions. Nous avons campé comme des soldats, connu les affres des fonds sous-marins sonores, des lasers à rien, des réussites et des échecs, des salles pleines d'amour et des festivals s'enchaînant comme des perles sur un fil d'or que tu tissais de tes mains habiles.
A l'apogée de ta gloire, devenue cadre en charge des contrats de notre direction, tu décidas de prendre un nouveau contrat sur l'avenir en adoptant le petit Karimou au sourire malicieux qui te permettait de te souvenir que les années filaient, tes filles s'envolaient et convolaient et que ton peintre se dégarnissait tout en affûtant le trait de sa plume.
Las ! Déjà les atteintes de l'âge se font sentir dans tes artères fatiguées de pulser tant de passions. Déjà l'impatience de se retrouver chez toi prévaut sur les veillées spectacles que tu condescends encore à effectuer mais du bout des doigts désormais. Tu commences à disparaître des caterings, la faute à un dos récalcitrant, tu n'assistes plus qu'au compte-gouttes aux spectacles magiques programmés par ton directeur, ceux-là même qui t'auraient fait courir autrefois, tu aspires à souffler en ta retraite et c'est bien ce que tu nous prépares dans le secret de ton château fort inexpugnable du Cannet.
Une dernière rafale de minettes rajeunissant l'équipe de l'événementiel te fit sentir à quel point désormais ton sort était suspendu à l'enthousiasme et à la vitalité de ces jeunes filles en fleurs, les Séverine et autre Eurielle qui débarquaient avec frénésie bousculant tes habitudes et le confort intellectuel dans lequel tu t'assoupissais.
Il était temps.
Le départ de Lefrancq résonne encore comme le glas du tocsin. Funèbre et lancinante musique t'appelant à le rejoindre. Car maintenant qu'il y a prescription, devant ton seigneur et maître, je peux l'avouer : tu l'aimais le bougre entretenant des relations ambiguës à souhait avec le maître des chiffres du Palais. Plusieurs versions circulent. As-tu trompé ton amant potentiel, c'est-à-dire ton directeur qui te pourchassait depuis des lustres, avec un autre, en l'occurrence le directeur financier, sous l'oeil complice de ton mari ? As-tu osé, franchir le cap, accomplir l'inimaginable en mystifiant la culture par la finance? le mystère demeure et les greniers de notre mémoire croulent sous les diverses versions de cet amour impossible. Toujours est-il que son départ provoqua chez toi, le désir de le rejoindre dans la retraite et de rompre avec ton présent de labeur.
Tu as donc tranché. Une nouvelle fois c'est ton coeur qui a parlé. Et tu nous as lâchés définitivement en refusant de te lever un certain 2 octobre 2006 à 7h23 pour venir pointer dans le Palais des Festivals et des Congrès de Cannes. Tu es libre Eve, il paraît même qu'il y en a qui t'ont vue voler dans l'azur de la Baie de Cannes depuis ce jour fatidique.
Et tu t'es enfin libérée des Oheix, Dupont et consorts. Tu peux au matin, regarder le soleil se lever et le soir se coucher. Tu te consacres à ton mari, ton enfant, tes filles, tes petits-enfants et tu sais que la vie n?est pas un long fleuve tranquille mais que tu campes désormais sur sa rive en observant les tempêtes d'un oeil détaché. Tu as raison Eve. Tu es mon premier départ à la retraite d'une carrière éphémère et tu resteras à jamais celle qui m'a indiqué le chemin de la sortie d'un doigt nonchalent.
Pourtant, nous nous retrouverons encore et toujours, nos petites chaises roulantes accolées, nos têtes se touchant, nos sonotones branchés au maximum. Nous nous confierons alors ces histoires du temps passé, celles que nous avons partagées, quand la culture avait encore un sens et que créer à plusieurs signifiait aussi rêver à l'unisson.
On t'aime Eve, et puisque l'on ne peut vraiment pas se quitter définitivement, tu garderas encore ta plume pour nous concocter quelques beaux programmes, les derniers avant que la cataracte ne t'oblige à inventer des mots nouveaux pour parler de l'amitié et de l'amour, quand plus rien n'a d'importance que le moment à vivre et qu'il faut se dépêcher d'en goûter le sel pendant qu'il est encore temps.
Eve, l'éternité commence aujourd'hui pour toi. 


 


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Histoire vécue (6)

Publié le par Bernard Oheix

Il y a des moments dans la vie qui comptent double. Cette expérience valut son pesant de cacahuètes. Faut dire, accepter un tel plan démontrait à l'évidence que j'étais un peu barge. Pour être honnête, je ne suis pas sûr qu'il y ait eu une amélioration. Vous verrez, j'en possède d'autres dans ma besace ! Cow-boys-indiens...nordistes-sudistes : à vous de choisir votre camp...mais méfiez-vous, l'histoire exige son tribut !


La reconstitution historique de la bataille de Nashville




Avril 1989. Festival de guitares. Pierre Olivier P. en est le directeur artistique, un guitariste sans talent, professeur sans passion mais qui a eu le nez creux en créant une manifestation autour de la guitare. Les relations ne sont pas toujours faciles entre nous.
POP avait décidé d’inviter Chet Atkins et Marcel Dadi, (vous savez la guitare à Dadi !), le français étant le plus fidèle lieutenant et l’admirateur inconditionnel du génial guitariste américain. Dans la foulée, il nous propose de réaliser une reconstitution de la bataille de Nashville qui s’est déroulée pendant la guerre de sécession opposant les nordistes et les sudistes, les forces fédérales aux confédérés. Sa rencontre avec un adepte des jeux de rôles grandeur nature ayant débouché sur une soirée bien arrosée et sur ce projet délirant.
Il faut savoir que deux associations existent, l’une en Belgique, l’autre en France. Ces bons pères de familles, cadres et ouvriers, se donnent des rendez-vous secrets dans des propriétés du Massif Central pour se la rejouer en technicolor, cette guerre. Ils achètent des costumes, se fabriquent des armes (fusils, canons), récupèrent des éléments de décors, tentes, couteaux, havresacs et le temps d’un week-end, crapahutent, se tirent dessus (à blanc !), s’égorgent à l’arme blanche dans l’espoir de confirmer où d’infirmer les leçons de l’histoire !
Il faut être honnête : pour « barges » que nous apparaissent ces « soldats du temps », cette reconstitution excite toute l’équipe de l’Office de la Culture dont je suis le directeur adjoint. Imaginez ! Dans cette ville de Cannes de la période du bicentenaire de la révolution, ce projet ambitieux et hors normes. Tous les ingrédients sont réunis afin de nous autoriser à rêver et à sortir du moule d’une culture aseptisée et formatée. Le goût pour l’histoire avant que la mode ne lance ce type de reconstitutions devenues très prisées.
L’endroit choisi se situait au cœur de Cannes, les Allées de la Liberté les bien nommées. Le jeudi, deux convois dégorgent devant les badauds estomaqués, une bande de soiffards qui se précipitent sur des fûts de bière et montent les tentes (copies des authentiques) au carré après nombres altercations (sic) entre nordistes et sudistes sur la délimitation des emplacements. Les cordes arrimées à des pieux jalonnent ces carrés de toile grise qui flottent dans la brise du soir. Les nuages (on est en avril, et même s’il ne pleut jamais sur la Côte d’Azur !!!) se décident alors à déverser un violent orage sur les protagonistes qui se retrouvent trempés, le camp se transformant en un champ de désolation boueuse. On est vraiment à Nashville !
Plusieurs tonnes de sable en sac de jute définissent des zones, un glacis de positions de combats, dégageant une arène d’évolution en leur centre, le public se répartissant tout autour de cette immense place qui résonne plus souvent aux chocs des carreaux des boulistes plutôt qu’à l’explosion des canons confédérés issus d’une contraction ubuesque de l’histoire.
Le samedi soir Chet Atkins et Marcel Dadi offrirent un concert sublime aux 600 spectateurs entassés dans la salle de la Licorne. Au sortir de cette soirée mémorable, un message de la police nationale m’attendait. Il me demandait de me présenter le plus rapidement possible au poste de la rue Borniol. Angoisse au ventre, je me présente. Un fonctionnaire débonnaire m’attend et me convie à expliquer comment et pourquoi un indien, un vrai indien avec la jupette de cuir, les plumes dans les cheveux et un coutelas de 30 cm accroché à sa taille, peut se promener dans la rue d’Antibes en avril.
-Monsieur, le carnaval c’est en février.
-Oui, mais c’est un éclaireur des nordistes !
-Comment ? (tête rubiconde du fonctionnaire ebaudis)
-C’est un des acteurs qui réalisent la reconstitution historique sur les allées, vous savez, c’est moi qui l’organise pour la mairie.
Pas convaincu, le pandore dubitatif accepte de relâcher notre Geronimo contre la promesse qu’il ne promènera plus son coutelas d’égorgeur dans les rues éclairées de la ville.
Sommeil entrecoupé de cauchemars prémonitoires. Scalps en trophées, canons qui explosent, batailles rangées à l’arme blanche entre les troupes rugissantes, chevaux se cabrant…

Que vous dire de cette reconstitution. Le pire. Du désordre né de ces réunions insupportables avec les responsables des deux camps ne voulant en faire qu’à leur tête et refusant de monter un scénario cohérent. Les à peu près d’une parade qui allait engager notre crédibilité, notre image. Notre désarroi d’organisateurs impuissants à canaliser la fougue de soldats emportés par le souffle de leur propre histoire.
Le meilleur aussi. Magie du spectacle. Les deux armées défilent. Pas un bouton de guêtre ne manque. Tout rutile sous le soleil, les chevaux piaffent, les canons se glissent à main d’hommes entre les obstacles, harmonie des musiques militaires. Tout y est. Chet Atkins prend sa guitare et entame l’hymne sudiste. Marcel Dadi se saisit de la sienne et joue l’hymne nordiste… les deux morceaux fusionnent. C’est beau à pleurer.
Notre indien, en bon éclaireur à la solde des fédéraux, quand les hostilités se déclarèrent, décida de monter dans un des immenses platanes qui se trouvent en plein milieu du champ de bataille afin de parfaire son rôle de guetteur et de justifier ses appointements réglés en fioles d’eau de feu. Un acolyte l’aide à grimper et, comme un sphinx, il campe fièrement, la main en visière, l’œil perché sur la ligne d’horizon. Las ! Ayant présumé de son aptitude à descendre de son perchoir comme un singe, il restera bloqué sur sa branche tout le temps de l’engagement, ses appels à l’aide se noyant dans le vacarme des vociférations de soldats en transe occupés à se déchirer. Coups de feu, rafales, les soldats miment la mort en chutant lourdement pour se relever après quelques minutes et reprendre le combat comme si de rien n’était, les troupes de réserve n’ayant manifestement pas eu le temps d’être exhumées des cercueils de l’histoire.
Pendant une heure, entre le ridicule et le fantastique, de grands enfants vont jouer aux soldats d’opérette pour le plus grand plaisir des milliers de spectateurs qui se sont massés le long des barrières et contemplent ces scènes caricaturales exhumées des lambeaux d’une mémoire tragique de l’humanité.
Spectacle terminé. La bière coule à flots dans les gosiers asséchés des vaillants combattants.
Et puis vient le moment de défaire ce qui a été bâti si laborieusement depuis trois jours. Et savez-vous ce qu’il advint ? Les nordistes après trois heures de travail intense, campent fièrement devant leurs paquets soigneusement entassés devant le bus, tentes pliées, havresacs alignés. Ils se mirent à huer les sudistes, à les couvrir de lazzis. Leur camp ressemblait à un capharnaüm digne d’un tableau d’apocalypse. Tout gisait sens dessus dessous, plié à la va vite, avec des bouts de ficelle, jeté pêle-mêle dans la plus grande des confusions. Quelques confédérés se disputaient sur l’ordre du chargement, d’autres draguaient des jeunes filles en fleur, certains, allongés sur des tapis de sol, riaient en se remémorant leurs exploits à l’aide de grandes lampées de bière.
Une nouvelle fois, l’histoire se réécrivait en lettres d’or et la sentence de l’officier supérieur nordiste sonnait le glas de tout espoir de revanche : « -Regardez ce foutoir, vous comprendrez maintenant, pourquoi les sudistes ont perdu cette putain de guerre ! »

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D'Eve à Cali

Publié le par Bernard Oheix

Le baiser qui tue. Après Cary Grant et Ingrid Bergman, Humphrey Bogart et Lauren Bacall, BO et Eve.

                                         L'événementiel au grand complet fêtant le départ d'Eve en feu !        

Il a fallu 40 ans pour que j'ai l'autorisation de baiser ses lèvres. Eve, à la veille de son départ, au moment où les concerts de septembre ouvrent la saison 2006/2007. Elle nous lâche la bougresse et s'oriente vers une vie plus centrée vers son nombril. Tout un programme !

Les Grands Concerts de septembre

La sublimissime Tanya St Val, Diva du zouc, reine de mon coeur. Elle est douce et belle et chante comme elle vit, avec passion ! Tanya, je t'aime !

C'est Da Silva, un petit homme vert, issu du punk, en train de refaire le monde et sa vie. Il est humble, ses textes sont beaux et ciselés dans l'or du temps. Il tient la scène avant son pote Cali l'extraterrestre. Il a tout du grand notre portuguais de service. Les fêtes foraines, l'indécision où la meilleure amie sont des petits bijoux. Achetez le disque Décembre en été, c'est une galette qui se laisse déguster et vous habite au fil des écoutes

Et Cali pète un plomb.

C'est la dernière de son spectacle, 160 concerts à travers la France et le monde. 25 personnes sur la route, des heures a partager un rêve, à vivre en dehors de la réalité. Ils sont tous là pour cette ultime séance. Dans la salle, c'est de la folie. Deux heures debout, le public oublie les sièges rouges de velours, tangue et vibre au diapason de ce chef d'orchestre hors du commun. Il est heureux et triste. Il se donne et s'oublie. Il va aller jusqu'au bout de la nuit avant de s'évader dans un univers qui lui appartient désormais. C'est Cali. Respect !

 

Cali dans le hall. Il est 1h30 et la centaine de fans qui fait le pied de grue ne veut pas le laisser partir. On sort la guitare et on y va de son refrain.

Il monte sur une table et et chante avec son choeur improvisé.

 

 

 

 

Il est deux heures du matin. Tout le monde est épuisé...sauf lui. Cela finira à la fermeture du Harem, dans la ville, avec du champagne et la nostalgie d'une page que l'on tourne. Un belle page d'amour et d'amitié qui s'achève dans notre ville. Merci mister Cali.

 

 

 

J'aurai aussi pu vous parler de Gloria Gaynor. Avec ses quelques kilos de trop et une voix fatiguée, elle reste une grande dame du disco et assure à l'américaine. Un I will survive de folie de 10 mn en final avec le public debout.

Je vous ai épargné les photos de Tina Arena... ( mais comment peut-on avoir une voix aussi belle sur des textes aussi débiles, une robe qui la fagote autant, des hauts talons qui l'empêchent de se mouvoir et aussi peu de contact avec son public...) Dommage, elle mériterait mieux.

Inutile, de même, de vous décrire la québéquoise de service. Natasha st Pier. Il y a si peu à dire !

Petite information : c'est sur le concert de Tina et Natasha que nous avons cartonné !!!! Presque une salle complète. Ah ! Public, que je t'en veux parfois pour tes choix si abscons !

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Un après-midi d'automne.

Publié le par Bernard Oheix

Si j'ai pu vous paraître un "peu" excessif dans la nouvelle La peur du vide, qui se terminait quand même sur le constat amer d'une permanence de l'horreur, les mercredis se suivent et ne se ressemblent pas forcément. Aujourd'hui, il s'agit de se laisser aller sur les pas de ces deux personnages émouvants qui cherchent ce qui nous anime tous : un zeste de bonheur dans une vie pleine d'embûches, le lot quotidien de tous ceux qui s'engagent et savent que le soleil se lève aussi à l'Est.

Voilà, avec mes voeux de douceur et de tendresse. Profitez-en, c'est gratuit aujourd'hui pour ceux  et celles qui ont l'âme pure, et vous en êtes, j'en suis persuadé.

                                                    A Thérèse, si loin de la haine et de la violence



Il avait sonné et attendait devant la porte, le cœur battant la chamade et l’énorme bouquet de roses qu’il étreignait dégageait un parfum entêtant qui l’enivrait. C’était si inattendu, si beau qu’il ne pouvait le croire. Elle lui avait dit :
-Ce sera de jour, avec le soleil qui rentre par la fenêtre, je veux que tu me regardes comme je suis, je veux être réelle pour toi.
Il avait acquiescé, mais au fond de lui, l’angoisse le minait, tant de questions se bousculaient et encombraient son esprit. Il avait peur, il percevait cette passion qui les embrasait, les obligeant à se découvrir, à sortir de l’abri qu’ils avaient érigé autour d’eux, rempart si rassurant contre le monde et ses blessures. Il fallait se remettre à nu et il se demandait s’il en était encore capable, s’il saurait tout dévoiler et redevenir l’enfant qu’il avait toujours voulu rester.
Elle ouvrit la porte avec solennité et le fit pénétrer dans l’appartement. Une immense baie donnait sur le port de Rapallo et le soleil de cet été indien se déversait dans la pièce. Il lui tendit les fleurs sans un mot et elle rosit, un « merci » s’échappa de ses lèvres soulignées de carmin. Elle se dirigea vers le coin cuisine et commença à remplir un pot et à les disposer en les écartant afin de dessiner une corolle où les couleurs jetaient des notes de gaieté.
Il se dirigea vers le balcon et s’accouda à la rambarde. L’écrin du golfe nappé du bleu d’une mer translucide mettait en valeur les ruelles agrippées aux versants du cap, les maisons pimpantes semblaient suspendues dans le vide, des touffes d’arbres déployaient leurs branches, définissant des zones d’ombres où l’on discernait des silhouettes assises sur les bancs des jardins publics. La beauté de cette cité hors du temps coupait le souffle. Les bateaux ancrés dans le port se balançaient sous l’effet d’une petite houle qui venait du large et se glissait dans l’échancrure de la baie, la brise faisait chanter les haubans des voiliers et l’odeur de sel marin se mêlait aux effluves des genêts et de la végétation méditerranéenne qui embaumait l’air. Quelques cris d’enfants et des paroles surgies du néant dans un italien chantant rompaient la quiétude de ce village marin préservé des atteintes du temps.
Il comprenait pourquoi elle résidait pendant quelques mois dans ce port chaque année, c’était un coin de paradis dans lequel il avait échoué par hasard, ce hasard qui lui avait permis de croiser son chemin, qui l’autorisait à rêver et à croire à sa fortune : elle était si belle qu’il en avait mal au cœur d’évoquer son visage, les courbes de son corps, l’inflexion de sa voix légèrement rauque comme il les aimait, une voix au timbre assourdi qui lui faisait courir des frissons le long du dos. Il se tourna, elle se tenait debout, le vase dans les mains, si gauche et empruntée qu’il s’émut et que son cœur s’emballa.

Il avait choisi Rapallo sur un coup de dés, un zapping sur Internet et une proposition de tarif acceptable, une pension de famille à 80 € avec vue sur la mer et voyage organisé. L’Italie symbolisait tant de bonheur pour lui, des moments partagés avec des femmes si jeunes dans les années de plomb, et par la suite Anne-Lyse l’amoureuse de Venise, leur longue balade sur les canaux dans une gondole de cinéma, la voix puissante du Vénitien qui maniait sa perche en chantant des airs d’opéras pendant que l’embarcation s’immisçait dans le trafic des bateaux en tout genre qui sillonnaient les venelles de la cité des doges. Il se remémorait l’Etna qu’il lui avait fait découvrir une nuit d’éruption…c’était si proche et si lointain. Il se souvenait encore de son émoi quand la lave avait jailli pour se déverser sur les contreforts pentus, de la terre qui tremblait, du soufre qui montait en volutes des cicatrices béantes du sol, de cette ferveur qui les avait gagnés et de leur disparition du refuge des philosophes. Ils s’étaient isolés et avaient fait l’amour sauvagement le nez dans les étoiles, dans la frénésie et le fracas d’un monde qui se révoltait et les entraînait dans une farandole exaltée. C’était si bon de croire et d’aimer à la folie.

Il n’avait jamais mis les pieds à Rapallo, il se rappelait vaguement d’un traité signé dans la ville, des cours d’histoire évanouis dans une mémoire surchargée, du charme supposé de cette station balnéaire. La veille, après avoir défait ses valises, il était descendu sur le vieux port pour contempler les bateaux. Il était si seul et, plus grave, persuadé que sa vie avait été irrémédiablement rompue par le décès d’Anne-Lyse, juste des morceaux épars que rien ne pouvait assembler, un puzzle de sentiments plongés dans les racines du temps, l’avenir si sombre de voir sa source tarie. Anne-Lyse l’aimée, celle qui avait su lui donner la force de vie, celle sur laquelle il s’appuyait pour exister et le comblait aussi sûrement qu’une moitié indispensable à l’équilibre. Comment marcher sur une jambe, saisir l’instant avec un seul bras, dévorer le présent ? Pour qui ? Depuis deux longues années, il portait ce deuil comme un fardeau, inconsolable.
Tout à ses pensées, il s’était installé sur la terrasse du Bar de la Marine, avait commandé un campari en regardant le spectacle de la foule qui déambulait. A sa droite, dans son champ de vision, une femme sirotait une boisson en contemplant le spectacle animé de la rue. Elle semblait si unique, hors de toute réalité, qu’il en fut troublé, âme sœur en solitude. Elle tourna la tête en sentant peser son regard et esquissa un sourire. Il eut un choc. Ses yeux bleus brillaient, un regard qui portait loin, traversant l’espace et ses lèvres découvraient des dents parfaites. Elle lui rappelait un parfum légèrement suranné, une douceur de madeleine, il eut envie de la connaître. Il osa se lever et lui demanda poliment, emprunté, si elle acceptait de partager sa table et de boire un verre avec lui. C’était comme si elle l’attendait depuis toujours, elle vint s’installer auprès de lui et se présenta avec solennité.
-Bonjour, je m’appelle Yvonne, et vous ?
-Norbert, excusez-moi, je n’ai pas l’habitude d’aborder aussi cavalièrement une personne respectable mais je ne connais personne ici. Je suis heureux que vous partagiez ma table pour un verre de l’amitié.
Il n’y a pas eu de gêne entre eux, pas de round d’observation, quand deux adversaires se jaugent et mesurent leur territoire, bien au contraire. Pourquoi à certains moments de la vie, les évènements décident-ils pour vous, comment expliquer cette étrange alchimie de deux êtres qui se reconnaissent avant même de se découvrir ? C’était ainsi, magique, sans affectation, la parole libérée après tant de silences, deux esprits fusionnant, agrippés l’un à l’autre et qui se donnent sans réserve.
Chacun avait son histoire à narrer, deux vies si dissemblables, deux parcours pour se croiser un soir d’octobre sur un quai de Rapallo, des destinées banales, composées de vies et de morts, de voyages, d’amours, un travail, des anecdotes exhumées, des rêves avortés, tout ce qui rend si banal l’existence pour en faire une trajectoire unique, tout ce qui symbolise l’individu et le rend universel. Il y avait si longtemps qu’il n’avait pas partagé que cela lui semblait irréel, magique. Il était sous le charme de cette femme qui se tenait si droite sur sa chaise, son port altier, sa chevelure soigneusement disposée autour de son visage fin, ses habits de qualité, un corsage turquoise sur une jupe violette, des couleurs gaies comme ce qu’elle lui offrait en un présent capiteux.
Ils mangèrent une salade de fruits de mer, ils avaient choisi ensemble le même plat et dégustèrent un chianti aux saveurs rudes et âpres, une douce ivresse allumant des étincelles dans leurs yeux. Au dessert, il se saisit de sa main et en caressa le revers, suivant les veinules qui striaient la peau. Il adorait cette fermeté, ce tissu si chaud qui l’embrasait. Elle se laissa faire en l’observant, pensive et lui déclara que cette situation l’étonnait, qu’elle se surprenait elle-même et qu’il fallait lui laisser un peu de temps. Cela tombait bien, il n’avait pas envie de se presser. Après le « gelati à l’amarena », il la raccompagna jusque chez elle et l’embrassa sur les lèvres. Elle sentait si bon. Quand il glissa sa langue dans sa bouche, elle l’accompagna en mêlant sa salive à la sienne. Il sentit une vigueur s’emparer de son sexe et elle perçut la bosse de son pantalon. Elle s’appuya langoureusement en laissant échapper un soupir de contentement et son corps se lova contre le sien, épousant ses courbes, s’arrimant à ses hanches, pesant contre son membre raide.
Quand elle se détacha de lui pour le contempler, son souffle court lui caressa le cou.
-Je ne veux pas ce soir. Laisse-moi rêver encore de toi. Viens demain si tu le souhaite. Je t’attendrai à trois heures. La première fois que nous ferons l’amour ce sera de jour, avec le soleil qui rentre par la fenêtre, je veux que tu me regardes comme je suis, je veux être réelle pour toi. Sauras-tu attendre, peux-tu me comprendre ? Il y avait de l’appréhension dans sa voix, une crainte qu’il percevait et l’émouvait.
-Je serai toujours là pour toi, ne t’inquiète pas, ma patience n’aura pas de limites parce que je t’ai au fond de moi. A demain.

Il s’était évanoui dans l’ombre et son cœur battait la chamade, mélodie désaccordée du bonheur, langueur étrange dont les syllabes de son nom qu’il scandait en chantonnant résonnaient en promesse de félicité. Il avait la vie devant lui.


Ils savaient tous deux que l’inéluctable devait survenir. C’était si soudain, si étrange d’imaginer qu’ils allaient recomposer la fresque de l’amour, mêler leurs corps dans une étreinte, mélanger leur suc et monter au ciel. Ils étaient angoissés et cela se sentait à l’ébauche des gestes, aux hésitations des regards, à l’indécision qui marquait la fuite dans laquelle ils s’engageaient.
-Tu es si belle, j’ai pensé à toi toute la nuit, je t’ai lovée contre mon cœur et je me suis endormi en chantant ton corps.
-J’ai si peur.
-Je le sais et moi aussi, mais c’est ainsi, nous devions nous rencontrer, c’était écrit.
-Mais je ne te connais pas, tu es un inconnu, hier encore je ne savais même pas que tu existais. Est-il possible de s’aimer sans se connaître ?
-Je t’offre si peu que cela doit avoir un sens. Il me reste juste le temps de t’aimer. Nos solitudes sont faites pour s’accorder. Donne-moi ta confiance, je ne te trahirai pas, tu le sais parce que parfois les mots sont inutiles. J’ai tant besoin de toi.

Il a osé s’approcher et leurs corps entrèrent en résonance, des liens apparents se tissèrent qui allaient de l’un à l’autre en un flux mystérieux, irriguant leur désir, enflammant leurs sens. Sa main s’est posée sur son épaule et elle manqua défaillir sous la violence du choc. Un gémissement s’échappa bien malgré elle. Il vint cueillir ses lèvres, chastement d’abord, il goûta la senteur de prune de sa bouche, il gardait les yeux ouverts pour ne rien perdre de chaque instant, de chaque mouvement, le soleil les nimbant d’un halo surnaturel, les isolant dans une bulle de tendresse. Son corps vibrait sous l’intensité des émotions qu’elle ressentait. Elle percevait le cheminement des humeurs dans son intimité, ces signes avant-coureurs qu’elle se mettait en phase avec le désir de l’homme. Il y avait si longtemps qu’elle n’avait plus fait l’amour qu’elle retrouvait instinctivement les hésitations et les peurs d’une jeune fille qui avait connu ces émois, à l’aube de sa vie.
Il tremblait. Sa dernière expérience sexuelle remontait à quelques mois, dans les bras froids et méthodiques d’une prostituée ghanéenne. Elle était petite et noire comme le charbon. Il avait toujours fantasmé sur la peau et l’odeur des africaines et n’avait jamais eu l’occasion de croiser une de ces perles qui hantaient ses nuits de fureur. Elle avait respecté le marché et donné son corps pour 100 €. Il en avait ressenti un plaisir fruste lié à un dégoût de soi-même. Il n’aimait pas l’amour marchand, l’idée même de monnayer le sexe le rebutait quelque peu, salissait ce qui avait toujours représenté pour lui, un moment de grâce et d’absolue perfection. Faire l’amour ne pouvait s’inscrire dans une relation commerciale mais dans un échange total, il était d’une école ancienne où la valeur de l’être ne se mesurait pas à l’aune d’un métal. Il avait malgré tout pris son plaisir rapidement dans une chambre d’hôtel borgne et s’était juré de ne plus recommencer. Depuis, il était persuadé que sa vie sexuelle était morte, définitivement close. Il se trompait, elle était là pour lui rappeler que la vie est magique et l’amour imprévisible.

Il dégrafa son chemisier, bouton après bouton, la peau mordorée, bronzée par le soleil était si douce sous ses doigts. Elle avait un soutien-gorge rouge frangé de dentelles et quand il fit sauter adroitement l’attache de la bretelle, en un geste de pudeur spontanée, elle croisa ses avant-bras sur sa poitrine. Il lui prit les mains et les écarta. Elle eut une tentative de résistance puis s’abandonna. Il la contemplait et son âme bondissait, son sang charriait une tempête de volupté. Il tira sur le zip de sa jupe qui s’écroula en corolle à ses pieds. Elle émergeait comme une déesse surgit de l’onde, son bas-ventre couvert d’un voile qu’il déroula pour la faire apparaître dans cette nudité si crue, si belle, si impitoyable pour leur passion naissante.
Elle ouvrit les yeux et scruta son visage, guettant un signe, craignant sa réaction mais dans son regard elle ne trouva que tendresse, communion, fol espoir d’un présent annonciateur d’une osmose totale. Alors, elle osa. Elle lui retira sa chemise, attaqua la ceinture de son pantalon malhabilement et libéra son sexe. Il n’avait pas besoin de craindre l’impuissance. Il bandait comme un dieu, son sceptre qu’elle caressa de l’ongle vibrait, le tissu chaud irrigué par le sang de la passion. Elle se saisit de ses bourses et les fit rouler doucement dans sa paume, un soupir s’exhala de sa gorge contractée.
Ils étaient nus tous les deux, seuls dans cette chambre isolée du monde et rien ne pouvait entraver l’attirance et le bonheur de cette rencontre fortuite. Ils avaient dépassé le stade de la pudeur et des faux-semblants, et quand il la coucha sur le lit et qu’elle écarta les jambes naturellement pour l’accueillir en elle, ils réinventèrent les gestes si simples de l’amour. Un homme et une femme, leurs sexes imbriqués, fusionnant en un accord parfait. L’orgasme de la femme vint rapidement, une réaction violente du corps de l’aimée, tétanisée par cette vague qui la surprenait. Il continua adroitement à glisser en elle et elle l’accompagna vers son plaisir, attentive à ses réactions, guettant les prémices du ravissement masculin. Elle se sentait si bien dans ses bras, avec ce membre qui comblait un vide et la remplissait d’espoir. Elle pressentit les pulsions montantes dans la verge de son amant et quand son sperme libéré vint la fouetter dans son intimité, elle eut un second orgasme et repartit sur les cimes de l’extase dans une tornade d’émotions qui la fit chavirer.
Leurs souffles s’accordèrent, leurs regards s’accrochèrent avec tant d’affection et ils reposèrent en paix pour un instant d’éternité.


Il avait 78 ans et elle était beaucoup plus jeune que lui, presque une gamine, une jeunette, lui avait-il dit en plaisantant, avec ses 71 ans seulement. Ils s’étaient croisés dans cette ville de rencontre dans la clarté d’un mois d’octobre et venaient de recomposer un alphabet de l’amour. Ils se prouvaient si besoin était que l’espoir n’a pas de frontières et que la solitude n’est pas une fatalité.

Que dire de plus de leur vie qui n’ait déjà été dit ? Quel avenir pour ce couple issu du néant et si proche de la fin ? Ils s’en moquaient éperdument car dans leur rencontre, il y avait l’immortalité et un monde de tendresse que rien ne pourrait effacer, un présent si riche qu’il obérait le futur. Ils allaient cheminer le temps qui leur restait imparti, mais ils savaient désormais qu’ils ne seraient plus seuls et que le fardeau des années passées serait partagé, une épaule pour s’appuyer, une main tendue pour secourir, le silence du vide brisé définitivement.
Ils s’endormirent dans les bras l’un de l’autre et voguèrent dans un monde de confiance où la douleur s’estompait. Ils avaient encore tant de choses à accomplir et tant de mots à se dire !
Tout cela parce que l’amour est éternel.

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Histoire Vécue (5)

Publié le par Bernard Oheix

Discours prononcé pendant le dîner de fin d’année qui réunit toute l’équipe de l’Evénementiel du Palais des Festivals, le 9 novembre 2005 à Sophia-Antipolis.

Je vous vois venir. Mais que nous sort-il de sa manche le bougre ? Et oui ! Un vrai discours. Avec  l'équipe de l'évenementiel, chaque année nous privilégions quelques moments de convivialité, des réunions autour d'une bonne assiette, d'un verre. Pour des personnes condamnées à travailler ensemble tout au long de l'année, ce n'est pas du luxe. Ce sont des moments forts, de vérités, un moyen de souder l'équipe. On se connait trop pour être dupe, mais il suffit de connaître nos limites et pour cela, rien de tel que de boire un canon en oubliant le fracas de la réalité.

Voilà un exemple de ce que subissent les membres de mon équipe !

 

Dans l’univers impitoyable qui est le nôtre, par-delà les vicissitudes de cette noble mission qui nous est confiée : faire manger, boire, dormir, offrir un catering aux artistes, et plus si affinités… dans cette période particulièrement trouble qui voit les banlieues s’embraser, le public se terrer et lâcher de plus en plus chichement les maigres oboles qui nous permettent de remplir les caisses du Palais des Festivals pour faire des spectacles, il reste une équipe de l’Evénementiel fière d’elle, debout, le nez plongé dans cet horizon d’un lendemain chantant.
Souvenons-nous. Vous étiez jeunes et belles, une bande de drôlesses directement échappées des failles du système. Etudiantes, Tuc, Stagiaires de l’office de la culture, perdues dans un comité des fêtes occupées à quelques japoniaiseries détonantes, ou même encore étudiantes sur les bancs de l’école, de la fac…
Par les hasards de la vie, tout ce petit monde, un jour s’est retrouvé dans les rêts de ma direction. Regardez-moi. Malgré ma calvitie rampante, mon haleine fétide et les petits pets que je dispense derrière mon bureau quand vous êtes absentes, je suis aussi un homme, un vrai, de chair et de sang, avec ses humeurs, ses peines et ses colères, ses désirs et ses frustrations. Je suis un homme et je rêve encore d’un monde meilleur.
Et pour que ce monde plus beau s’accouche, il faut des femmes de désirs, vous, toujours aussi belles au fil de ces années partagées, de ces épreuves communes. Il faut aussi des hommes, et oui messieurs, des hommes, pas nombreux, tolérés dans cette équipe matriarcale. Il faut enfin des enfants.
Et de ce point de vue, l’Evénementiel a été prolifique sans que j’y sois, hélas, pour grand-chose. Moi qui fut un géniteur exemplaire aux spermatozoïdes d’une fécondité tout à fait étonnante, j’ai dû laisser ma place à d’autres futurs pères, provoquant une pondaison soudaine et éruptive, perturbatrice d’une vie d’équipe mais dont les regards malicieux des chers bambins et les cacas malodorants sont les meilleures des thérapies… pour avoir envie de revenir au boulot subir mes foudres !
Oui ! Vous êtes devenues d’affreuses marâtres aux seins flasques d’allaiter…mais rassurez-vous, Bernard se vengera sur vos filles, à leur majorité, de tout ce que vous lui avez fait subir, de tout ce que vous continuez à me faire subir avec vos charmes de déesses de la maternité !

Dans notre histoire fertile commune, si riche et variée, nous avons côtoyé les dieux, leurs muses mais aussi l’enfer et ses diablotins.

Comment ne pas se souvenir de Sir Elton John et de son désamour immodéré pour les belles jeunes filles interdites de coulisses même quand elles devaient œuvrer à nourrir les artistes, des premières soirées d’une Pantiero Sevainesque où les rares passants nous faisaient espérer d’une entrée miraculeuse, d’un Festival Russe version fausse armée rouge, des bides divers dont nous nous souviendrons longtemps. La débauche d’énergie pour attirer le chaland à Jimmy Cliff, la morgue impérissable d’un Tapie à la vulgarité affirmée, l’inénarrable Monsieur Masure dans le veston cintré de Bernard Menez ou le sourire gracieux d’Evelyne Leclercq dans un canard à l’orange qui avait malheureusement survécu à la grippe aviaire avant l’heure.
Souvenons-nous de la honte qui a embrasé nos visages à la présentation de certains spectacles. Notre sympathique Roger Hanin dans un Tartuffe mémorable et ce sein que l’on n’avait surtout pas envie de voir, La Fille de Madame Angot dont on espérait qu’elle n’engendrerait point de progéniture, Stormwind, un rock nordique à la Licorne (30 payants), Don Juan d’origine dans le désert vide d’un Debussy devenu soudain gigantesque, Ruggero Raimondi, une de nos déroutes les plus sanglantes… Mais aussi le cirque de Russie sur glace… sans la glace avec l’allure hésitante des patineurs en recherche permanente d’équilibre, la grâce pataude des escaladeurs de Sakountala accrochés aux rêves de grandeur d’une chorégraphe de piètres galas.

Mesdames et Messieurs, souvenons-nous et recueillons-nous. Aujourd’hui, à la mémoire de tous les coups tordus, les pets de nonnes, les artistes plantés et planteurs, les spectacles frelatés, et même à la mémoire de ce public qui n’hésite jamais à vous trahir. Versatile et traître, il n’hésite pas à se précipiter sur les daubes les plus faciles, pourvu qu’elles soient médiatisées, pour s’installer aux abonnés absents quand nous avons besoin de lui, que le spectacle en vaut vraiment le coup et que nous avons désespérément besoin de son soutien pour faire passer cette idée de la noblesse d’une culture qui continue à nous cheviller au corps.

Mesdames et Messieurs. Pour les heures de gloire qui se sont transformées en cauchemars, je vous demande de vous lever et de respecter ce silence.

(30 secondes de silence)

Mais si le pire a côtoyé parfois nos vies professionnelles, bien souvent le meilleur l’a sublimé pour nous permettre d’atteindre l’extase. Dans ce chapelet de moments de bonheur et de félicité absolue, dans ces innombrables perles que nous avons serties dans les nuits cannoises, Souvenons-nous :
Les concerts si chauds et attachants de la Licorne à La Bocca. Idir le Kabyle humaniste, Huun Huur Thu, les diftoniques mongols issus des steppes, Bireli le gitan virtuose capable de toute les audaces, Vicente Amigo l’espagnol aux doigts de fée, Mariza la blonde portugaise à la voix déchirante, Souad Massi l’arabe au yeux de beauté… et tant d’autres noms dont les signes sont invariablement accolés à la pureté musicale, à la ferveur et à la passion d’un public transporté.
Le Grand Auditorium rempli à craquer par une foule avide de toucher du doigt le rêve d’une star offerte. Bécaud au timbre pur dans sa dernière tournée, Nougaro à la juvénile silhouette et au parler incantatoire, Alain Souchon et son ironie désenchantée, Aznavour toujours en haut de l’affiche, Mano Solo, un soir de deuxième tour d’élection présidentielle, Cheb Mami et Ismaël Lô réunis pour faire vibrer les fauteuils rouges de la salle de gala du Palais, Cesaria Evora, la voix rauque, pieds nus sur scène, la tête dans un bouge du Cap-Vert… et tout ceux, ils sont nombreux depuis 15 ans, qui nous ont emportés sur les ailes de leur passion.
Parlons de grâce exquise. Le cirque Eloïse et son univers lunaire, Les danseurs comédiens mimes de Philippe Genty plongés dans un monde onirique où rien ne compte que la légèreté, La Batsheva, danseurs d’Israel à le recherche d’un paradis perdu, le ballet des tables de Forsythe, les drapeaux rouges du ballet national de Chine, Brachetti où l’art de se transformer sans jamais perdre son âme d’enfant, la Giselle Rouge de Boris Eifman, quand la folie touche aux vagues de la révolution d’octobre, les décors somptueux d’Enki Bilal pour un Roméo et Juliette de Preljocaj qui invente la douleur sous les pas de ses danseurs…
Les concerts sous la mer avec le Corou de Berra et Michael Lonsdale en train de déclamer Jules Verne pendant qu’un harpiste sonnait d’un instrument sous-marin pour les plongeurs spectateurs ravis (avez-vous déjà entendu de la musique sous l’eau ?). Les déambulations du soldat Sveik dans les jardins de la médiathèque, Bouquet-Noiret en tandem dans une histoire scabreuse qu’ils anoblissaient, Christophe Malavoy, Niels Arestrup, Bernard Giraudeau… Les nasardes de Santini, le clown Howard Buten et son double Buffo et tous ceux dont les voix résonnent encore dans la salle Debussy en portant un écho de leur amour et de leur passion pour les textes qui rendent plus intelligent.
Les rasades de bonne humeur aussi. Noëlle Perna notre salade Niçoise se déhanchant dans une robe rose en strass, Alex Metayer en train de s’écrouler pendant sa dernière tournée faisant naître des vagues de rires pour faire la nique au cancer qui le rongeait. Slava Polonin et sa tempête de neige dans une salle surchauffée, Aïoli ou la chanson au niveau de la ceinture du Toulonnais, Franck Dubosc en autodérision d’un tombeur éternellement amoureux de ses propres charmes.
Et puis… Kasparov tournant comme un ours des Carpates avant de fondre sur son adversaire pour l’assommer en partie semi-rapide, Karpov, fuyant l’échiquier et illuminant les joueurs de tarot de sa mémoire et de son killer-instinct. La beauté des étoiles des artifices de Kimbolton l’anglais ou la majesté divine d’un Caballer espagnol toquant à la porte des dieux pour leur parler avec la poudre aux cieux.
Et les 5000 personnes du concert de Massive Attack…
Et tout, et tout, et tout…

Voilà, si nous avions à trouver une justification à notre travail dans la culture, ce sont dans ces moments dérobés à la tristesse que nous la trouverions. Nous sommes dépositaires de ces tableaux volés à la morosité, de ces émotions si rares, de ces rencontres provoquées par notre action.
C’est cela qui doit être notre fierté.
A l’heure où le choc des idées se transforme trop souvent en jets de cocktails molotov, en embauche de flics, en gestionnaires sans état d’âme d’une culture que l’on aseptise derrière les chiffres… nous sommes des forgerons de la beauté, des artisans d’une humanité plus juste, plus belle de se confronter par l’art.
Oublions les indices, les pointages, les caméras et vigie pirate…
Oublions les échecs, les insatisfactions, les trahisons…
Oublions les fatigues, le stress, la médiocrité…

Il nous restera toujours…
Pour nous-mêmes, quand nous regardons notre miroir, pour nos enfants que nous plongeons dans un monde cruel, pour nos amis, pour ceux, innombrables, qui d’un serrement de main, d’un clignement d’œil, d’un rire franc qui brise les conventions…nous donnent un peu de leur chaleur…
La fierté, le vrai honneur d’être au cœur de ce qui est capital : la vie des idées, le choc des mots, la violence des sentiments, la rencontre pacifique de ceux qui s’opposent par les mots et non par les armes.
Tout le reste est accessoire. Tout est dans l’amour. Je vous aime alors pour les heures passées, les rêves avortés, les joies du cœur.
Merci à vous.

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La peur du vide

Publié le par Bernard Oheix

Vous me voyez arriver avec mes gros sabots. Marre de la tendresse et de l'humour. Un peu de sang pour la route...et pas le dernier rassurez-vous ! L'histoire se passe... et ils ne se marièrent pas, n'eurent pas d'enfants, sinon pour les éventrer, les broyer, les tuer à petit feu. A bon entendeur salut, tant pis pour vos cauchemars, moi, ça va ! J'arrive encore à dormir quand je ne suis pas en train d'écrire des abominations pour vous.

De toutes les façons, vous avez 15 jours pour digérer...






Quand vous êtes chaussé d’une paire de rangers au bout clouté et que vous visez le visage d’une femme allongée en y imprimant toute la force dont vous disposez, un sentiment étrange de volupté s’empare de vous. Peut-être est-ce la conséquence de ses traits déformés par la peur paroxystique, la lueur affolée de ses yeux, le frémissement de sa lèvre inférieure, la bave qui inonde son menton dans l’attente de l’inéluctable, que sais-je encore de cet instant où le temps s’arrête pour que la fureur s’épanouisse. Se situer dans l’œil du cyclone, quand vous êtes cet œil et que vous maîtrisez les règles du jeu, que la réalité se plie à vos désirs les plus inavoués, fige le monde en le concentrant autour de vous. Il y a une forme de plaisir extrême qui se rapproche de l’orgasme, le sentiment d’une toute puissance que les frontières de la civilité ne peuvent endiguer. C’est très différent avec un homme car lui vous renvoie à votre propre virilité, à la certitude que votre tour viendra. Il n’est rien de plus évident que celui qui utilise la violence en subira un jour les foudres, que le sang appelle le sang, les coups se retournent contre leurs auteurs, la mort rôde sans répit autour de ceux qui l’entretiennent et en deviennent les servants attentionnés. C’est ainsi.
J’en ai connu des jouissances dans ce laboratoire vivant d’une Yougoslavie se démembrant au fil des intérêts personnels, des peuples soudés par le pouvoir déliquescent d’un titisme agonisant, ce melting-pot de religions, races et histoires que tout opposait et qui ne tenait que par le fil d’Ariane d’un monstre qui tissait ce traquenard dans lequel l’Europe allait s’embourber. Ils l’ont brisé ce fil et j’en ai largement profité tant on m’offrait ainsi un terrain de jeu grandeur nature où mes instincts pouvaient enfin s’exprimer en toute sérénité.
Je ne vais pas vous faire le coup du jeune abandonné et chercher des excuses dans la misère de mon enfance. Un père en prison pour contestation politique, une sœur prostituée sur les trottoirs de l’Occident, une mère qui tente vaille que vaille de nourrir mes trois frères et moi, l’aîné, toujours dehors à chercher un sens à ce qui me dépassait. Ne craignez rien, je ne demande pas votre indulgence, c’est si peu important pour moi que vous me compreniez, que vous me donniez une absolution qui m’indiffère. Je n’ai pas besoin de votre pardon, je n’ai jamais eu besoin de vous car vous n’existez pas, vous n’avez aucune réalité.
Moi je sais que c’est avec eux que j’ai grandi si vite, trop vite, des armes, des frères, une bande où me réfugier pour ne plus entendre les voix du futur m’angoisser. C’est bon de voler quand on a faim, c’est génial de violer quand on a soif. Ne me faites pas de morale, les droits humains inaliénables, l’être au-dessus des instincts animaux…il me plaît d’être un animal sauvage, de rugir la nuit, de dévorer le plus faible. Etiez-vous présents quand j’avais peur et que j’étais démuni de tout, même de l’indispensable affection, tendresse, amour, que m’avez-vous offert que je n’aie dû conquérir de haute lutte ?
Vous m’avez transformé en prédateur et il faudrait m’amender parce que vous m’imposez une loi que je ne reconnais pas. Je devrais me plier à vos diktats, ces règlements dont vous êtes les auteurs mais qui ne servent que vos affaires, le calme du négoce après la tempête du feu, comme un gigantesque marché que vous échangez après avoir vendu des armes pour entretenir ma colère ! C’est un peu facile, voyez-vous, juste indélicat de penser que vous avez fourbi ma haine et qu’il me faudrait désormais la panser d’un amour que je n’ai jamais connu, qui m’indiffère au-delà de toutes vos certitudes ?
Revenons plutôt à cette femme qui geint à mes pieds, elle halète, transpire et je vois sous sa robe une tache suspecte. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre d’adultes qui se font dessus au moment du pire. C’est impressionnant, pourtant personne n’en parle, comme s’il n’était pas séant de relâcher ses sphincters, que l’histoire d’une femme ou d’un homme ne pouvait se résoudre à une urine expulsée, à des excréments que la peur panique fait jaillir des intestins. Je vous assure que si vous étiez à la place de cette femme, à la vue de ses godillots qui vont vous éclater la gencive, déchausser les dents, fracasser la mâchoire, vous aussi vous n’hésiteriez pas une seconde en perdant votre contrôle et en abandonnant toute espèce d’humanité. Vous auriez peur et feriez dans votre froc, dans votre jupe, comme n’importe lequel des êtres humains qui ont croisé ma route pour le regretter amèrement, ennemis ou amis, cibles ou compagnons. J’en ai tant amené à se liquéfier devant ma force brutale, ce goût absolu de la violence qui me possède. J’aime frapper sans retenue et l’odeur de vos excréments m’excite tout comme cette âcre senteur que la peur exsude de vos pores devant l’inéluctable. J’en bande même avec délectation parfois.
Je lui ai assené le plus formidable coup de pied de mon existence et elle s’est désincarnée, devenant pure abstraction, paradigme de douleurs, poupée démembrée, misérable reste humain sans consistance. Son enveloppe charnelle tel un gant froissé ne provoquait même plus le désir sexuel qui d’habitude concrétise la domination totale du physique sur l’esprit. Quand vous transgressez les frontières de l’horreur, il n’est plus besoin de passeport, d’alibi, pour vous saisir des opportunités les plus extrêmes dans la satisfaction bestiale de vos pulsions. Non, je ne la violerai pas, sa chatte gluante d’urine et son visage explosé ne m’attiraient même pas. Peut-être un autre coup dans sa gueule d’ex-ange qui n’aurait jamais dû se trouver sur mon chemin, ou alors la laisser agonisante sur ce talus sale d’un chemin de campagne qui menait vers l’enclave musulmane d’une Bosnie hypothétique, puzzle fantasmatique de vos contradictions !
Qui était-elle ? 25 ans environ, des vêtements de paysanne, un accent qu’elle n’aurait pas dû afficher la situant dans un camp adverse…sans doute, une sortie pour aller chercher de l’eau ou du ravitaillement pour des bouches à nourrir qui allaient regretter son empressement à subvenir à leurs besoins. Serait-elle pleurée, honorerait-on sa mémoire au milieu des milliers et des milliers de victimes infortunées qui jonchaient les paysages bucoliques de cette verte contrée ? Peut-être avait-elle été belle et désirable ! Sans doute avait-elle rêvé d’un destin hors du commun : la paix, une famille nombreuse, un métier, des amis, quelques aventures, un quotidien que je venais de lui ôter car il ne faisait nul doute qu’elle ne survivrait pas longtemps à la pluie de coups que je venais d’abattre sur son corps gracile.
Ne nous illusionnons pas, je ne suis pas un Dieu portant la justice céleste et déterminant qui, de mes ouailles, doit subir le châtiment ultime, ce n’est pas moi qui choisis à la lumière divine des fautes de chacun l’aune de leur espérance de vie. Je ne suis qu’un bras qui s’abat sans calcul sur tout ce qui bouge, ce qui gravite à ma portée, c’est le rôle que l’on m’a attribué et je m’acquitte de ma tâche avec une grande conscience professionnelle, un souci du détail et la volonté de rendre mon hommage à la terreur comme une symphonie grandiose attestant une ode inhumaine que je compose au jour le jour. Je suis dans un camp, j’ai des chefs, des équipiers parfois, mais je reste le plus souvent un électron libre que son parcours mène sur les sentiers escarpés de l’horreur, à travers les aléas de rencontres impromptues.


Quand j’étais sniper sur la ligne de démarcation de Sarajevo, mon fusil à lunettes avait la capacité de choisir lui-même ses victimes, presque indépendamment de ma détermination à tirer sur tout ce qui bougeait. Je mirais dans la focale grossissante les silhouettes des passants qui s’aventuraient, un cabas dans les mains, longeant les murs en tentant de s’abriter. Je les suivais avec délectation jusqu’à sentir mon doigt, bien malgré moi, se concentrer sur l’éperon de métal qui me permettait de les envoyer ad patres, auprès de tant de mes autres victimes. Combien, calés au centre de ma cible, ont survécu du simple fait que mon appendice n’ait pas pressé la détente, combien sont des miraculés, des rescapés sans le savoir de ma fureur aveugle ? Je me souviens d’un petit vieux qui sortait toujours à la même heure, sa chemise rouge sale comme un appel à l’exécuter, son regard angoissé m’avait amusé et je l’ai laissé passer, une fois, deux fois…J’ai attendu huit sorties avant de mettre fin à son calvaire et de faire cesser l’épouvante qui jonchait son visage de rictus morbides. Il aurait au moins pu changer de chemise et d’itinéraire !
Je n’appréciais que modérément la fonction de tueur de l’ombre. Le sniper est si loin de sa cible, la soif de l’avant émoussée par tant de distance et par l’incapacité de sentir le choc de la balle de métal déchirant les tissus, le jaillissement du sang, le cri d’agonie qui monte en une prière fervente, oratorio inhumain dont je ne pouvais jouir.

J’ai préféré revenir au ratissage de terrain, cette traque dans l’ombre des taillis qui exalte les sens et aiguise l’appétit, cette attente enivrante d’une proie et cette accessibilité physique de la victime avec laquelle vous pouvez jouer. Un lien étrange noue le martyr et son bourreau, une relation perverse qui force le dominé à séduire son maître, à le cajoler dans l’hypothétique espérance d’amadouer sa colère et de survivre à l’épreuve. Cette étape durera le temps que vous laissiez entrevoir une porte de sortie, un échappatoire comme une lucarne aspirant la lumière. Le chat et la souris. Une souris faible car les forts sont plus entiers et souffrent moins, ils vont vers la mort avec trop d’aisance pour notre contentement. Mais une jeune fille, si belle et fragile, que vous posséderez en lui laissant espérer la vie sauve, qui s’accrochera à votre sexe comme s’il était un passeport pour l’infini et qui, bien consommée, avec ce dégoût d’elle-même que vous ressentez dans son regard éperdu, comprend que tout cela était vain, que son honneur bafoué n’aura servi qu‘à prolonger une agonie… cela, oui, vous mène à l’extase suprême, la félicité absolue, la puissance d’un dieu dans les griffes d’un humain.
Je suis une bête féroce, grandie dans l’odeur du sang et dans la décomposition d’une société sur laquelle je crache tous les jours. Je vais même vous avouer la vérité, il m’est indifférent d’être dans le camp pro-serbe de la Bosnie…j’aurais tout aussi bien pu n’être qu’un oustachi croate la croix entre les lèvres, ou un Albanais de l’UPK, aigle poussif d’un nationalisme exacerbé, ou un extrémiste musulman à la barbe longue de ses noirs desseins, il me suffisait de naître au bon moment dans la bonne région, et c’est ce que j’ai fait, je suis un bon soldat du désordre et vous ne voulez pas de l’ordre, vous vous complaisez dans l’anarchie, vous n’êtes qu’un reflet tremblant de ce que vous me poussez à devenir. Je suis votre bonne conscience car vous avez besoin de mes crimes pour justifier les vôtres, ô combien plus subtils et plus pernicieux ! Vous jouez votre partition, vous m’avez affecté la mienne et tout va pour le mieux dans le pire des mondes possible.
Qui m’a entraîné aux armes ? Qui m’a donné les moyens de mes ambitions, qui sécrète tous les jours la haine dans le cœur des hommes, qui veut vraiment orchestrer le chaos que vous avez érigé en force de vie ? Je suis l’humble dépositaire de vos turpitudes, j’en suis la formulation active, l’équation qui permet de résoudre vos aspirations par le simplisme d’un monde partagé artificiellement entre les bons et les mauvais, le bien et le mal. De quel côté suis-je ? Où êtes-vous dans cette répartition réductrice qui vous arrange tant ?

Je l’ai contemplée longuement. Un amas de chair violette, traversée des éclairs nacrés d’os qui perçaient sous le sang, des yeux vitreux encore animés d’un souffle de vie, un gargouillis à chaque pénible inspiration avec cette bulle rosâtre qui se formait au passage d’un filet d’air dans sa gorge broyée, m’ont inspiré. La vue de son sein marbré glissant hors d’une échancrure de sa robe, le téton déchiré laissant sourdre une humeur sanguine a entraîné un début d’érection. Je me suis masturbé en la fixant, ses jambes écartées en un compas désarticulé ouvrant sur sa toison maculée de scories. Je lui ai refusé tout contact, juste mon membre roide et la montée de cette sève dans ma verge, dans ces mains qui pouvaient dompter le monde et imprimer la marque de l’horreur par le simple fait de mon désir. J’ai joui, en saccades et je me suis agenouillé pour observer la dissolution de ma semence dans les flots de sang qui la maculaient.


C’est là que j’ai fait une erreur. Sans doute parce que mon corps s’était abandonné, que mes sens repus d’émotions avaient baissé la garde. Je ne l’ai pas entendu approcher, l’autre, je n’ai pas senti sa colère rentrée, cette odeur de vengeance que l’individu dégage quand sa vindicte est inextinguible.
Sa faucille des champs aux bords recourbés s’est fichée entre deux côtes et a gagné par l’inertie de la force de son poignet, la zone de mon cœur, la pointe déchirant un de mes ventricules et le sang a commencé à se répandre en moi. Perdez une autre de vos illusions : on ne meurt jamais rapidement, il faut du temps, beaucoup de douleur, énormément d’énergie pour s’éteindre et plonger dans l’agonie. Mon heure était venue, point de détail, me direz-vous, mais capital pour moi. J’aurais dû me méfier, les musulmanes ne sortent que rarement sans leur mari, une autre leçon qu’il me fallait apprendre en vitesse si je voulais survivre dans ma jungle. J’ai basculé sur le corps déjanté de la femme, mon ultime victime, et j’ai souri aux yeux noirs de mon tueur : j’avais si peur de mourir !
Au dernier moment, juste à l’aboutissement d’une existence précaire, j’ai su qu’ils seraient nombreux à se lever pour prendre ma place, que les légions de l’hiver se peupleraient de fantômes si réels que je n’avais pas vécu pour rien. Le refrain grotesque de ma vie n’était que le chapitre incomplet d’une grande litanie de pleurs.
Tout cela parce que l’horreur est éternelle.


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Les tsarines sont de retour

Publié le par Bernard Oheix

Avertissement.

Deux pour le prix d'un ! Un port-folio avec mes poupées Russes, et une nouvelle dans la foulée, La peur du vide ! Décidèment, je vous en veux beaucoup pour vous infliger ce rythme intolérable. Mais bon, vous allez pouvoir prendre le temps, je disparais dans la nature pendant quelques deux semaines. A vous d'en profiter.

Le Festival de l'Art Russe clôt la saison estivale. Une semaine de spectacles magiques, des libations juqu'à 3 heures du matin...et plus, si affinités ! La folie et la démesure slave dans toute la splendeur de ces nuits fauves peuplées de rêves évanescents. C'est la dernière manifestation de l'été, après, on ne peut qu'aspirer à la sérénité des soirs d'automne ! 

 

 

Une vraie table de vraies blondes. La nuit russe, caviar à volonté, vodka à flot et toujours le sourire ensorcelant et charmeur de mon fan club : pas besoin de cotisation pour y adhérer !

 

 

Ariadna. Une Moldave qui a du charme, redoutablement intelligente. Sa vie est un roman d'aventures. Son coeur, un bateau ivre qui danse sur les tempêtes des passions humaines.

 

 

Les babouchkas entonnent une complainte des plaines glacées. La tourmente s'apaise. Elles nous parlent d'une beauté éphémère dans la splendeur du couchant des steppes sauvages. Nathalie, mon guide !

 

 

Ariadna et Irina. La blonde et la brune. Les soeurs jumelles d'un empire déchu qui n'a pas fini de nous surprendre. Et si le nouvel impérialisme passait par les yeux des beautés slaves !!!

Pourquoi pas après tout !

 

   

 

 

Après le ballet extraordinaire de Boris Eifman, Anna Karenine, le public sur un nuage salue la prestation des artistes ! J'en profite quelque peu.

 

Boris Eifman, un grand parmi les grands, un créateur snobé par les adeptes de la "vraie" danse mais qui réussit à conquérir le public avec sa danse d'expression très visuelle, décors et costume sublimes, histoire lisible. De la vraie danse populaire dans toute la noblesse du terme. 

 

 

Dans les bras d'une des balerines les plus époustouflantes jamais vu sur scène. Une performance conjuguant la dureté de l'acier et la souplesse d'un corps longiligne totalement fascinant.

Elle nous a fait rêver et son sourire est un enchantement. Elle s'accroche à vous comme si elle vous aimait... et c'est si bon !

 

 

 

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Histoire vécue (4)

Publié le par Bernard Oheix

Bon d'accord ! Vous allez être jaloux et me maudire. C'est dur, je le sais mais que voulez-vous, quand on a du charme... Et puis, il fallait bien que je vous la sorte celle-là, d'histoire vraie. C'est ma perle, mon bijou, un diamant taillé dans ma légende. Chut, je ne vous en dirai pas plus, à vous de lire désormais.

 

 

Encore Kim Basinger !

 

 

 

Dans le cadre du Festival du Film, c'est ma direction qui est chargée de réaliser les empreintes des stars, vous savez, ces mains qui jalonnent le parvis du Palais des Festivals que les touristes contemplent, dans lesquelles ils glissent leurs menottes, à quatre pattes, en tentant de saisir un peu de l'âme de leur idole. Les plus grands noms se retrouvent ainsi inscrits pour l'éternité au revers de nos désirs, gravés dans le marbre de nos émotions. Et cela marche, les appareils de photos qui mitraillent ces augustes doigts plein de rêves nous le prouvent toute l'année. Une véritable aubaine pour les millions de touristes qui déferlent vers le « grand palais » du Festival du Film !

 

 La technique de prise d'empreintes est sophistiquée. Un carré d'une terre glaise est préparé spécialement par un potier de Vallauris. L'artiste imprime sa main mais le responsable de la prise est dans l'obligation de peser sur cette main et sur les doigts (à plat, l'impétrant n'a pas de force !). Par la suite, quand la trace de la main est bien visible en creux dans la terre, il s'agit d'apposer une signature lisible grâce à une pointe qui mord dans la surface plane et d'ajouter l'année de réalisation. L'octroi d'une petite lingette permet de nettoyer les scories déposées sur les mains de nos stars devenues immortelles !

 

Chaque année, à partir des noms des vedettes annoncées dans la programmation des films, ma collaboratrice, Nadine, effectue son choix, contacte les attachés de presse, organise les rendez-vous et gère les egos divers de nos invités. En général, si l'entourage dresse des barrières autour de sa vedette, l'artiste lui, redevient un enfant pendant cette opération. Cela l'amuse et disons-le, le flatte, de savoir que la postérité retiendra une trace concrète de son passage sur terre. Il rit, plaisante, se prête au jeu, s'enthousiasme comme un enfant devant des pâtés de sable.

 

 Au vu de la liste des postulants à l'interprétation masculine et féminine, j'ai choisi trois noms, (je suis le directeur, quand même !) pour en  devenir l'officiant dévoué. En cette édition particulièrement brillante de l'année 1998, j'avais sélectionné Julie Delpy (Ah ! La grâce fragile de deux yeux d'émeraude), Claudia Schiffer (une bombe de naturel aux formes bouleversantes comme un bonbon d'amour) et... Kim Basinger dont je ne pouvais décemment pas rater l?occasion de la « prendre dans mes bras » même si la figure de style est un peu osée en regard des présupposés techniques énoncés plus haut !

 

 Arrive le moment sacré, dans un salon d'un partenaire champagne du festival au 3ème étage du Palais, dans une quasi intimité, 150 photographes et journalistes seulement se pressant autour de nous pour immortaliser notre étreinte. Présentation, dans mon anglais de collège constipé.

 

 -         Hello, Kim, how are you ?

 -         Fine, thank you ( Yes ! C'est elle qui me parle ! A moi, Bernard !)

 -         One or two hands, as you like !

 -         One

 -         Ok, we go, now.

 

 

 Je sais, dans la gamme d'un échange shakespearien, avoir relativement peu de chance de passer à la postérité comme un dialoguiste de génie, mais j'étais très fier de m'en être tiré sans dommage collatéraux pour le sabir de la blanche Albion. Nous passons donc aux actes, elle ondule jusqu'à la plaque, se courbe légèrement m'enivrant de son parfum, ses cheveux cascadant dans un effet des plus réussi, se colle à mon flanc comme attirée par mon charme, pose ses doigts graciles sur la plaque de terre et commence à pousser sans que, évidemment, sa main s'imprime. Arrive donc le grand moment tant attendu, celui de recouvrir sa main avec la mienne afin de peser sur ses doigts et de les faire pénétrer dans la glaise.

Deux remarques à ce moment crucial de cette authentique anecdote. La première fait référence à une symbolique éminemment sexuelle. Contact intime, couvrir, peser, proximité des corps qui s'effleurent, pousser, souffle divin, j'en passe et des meilleures sur ce qui se déchaîne dans ma tête, où plutôt, dans l'ouragan de mes sens exacerbés !

La deuxième est beaucoup plus prosaïque. Les plaques sont changées à la moitié du festival car elles ont tendance à sécher et deviennent moins souples à travailler au fil des jours. Petit détail, nous étions à la moitié du festival et les plaques avaient perdu de leur morbidité du fait d'une grande chaleur régnant en ce mois de mai. C'est le lendemain que nous devions recevoir une nouvelle provision. En attendant, il fallait faire avec les moyens du bord !

 

 J'entame donc ma danse nuptiale comme un gros bourdon. J'appuie sur chaque doigt, imprime ma paume sur le dos de sa main, puis les deux mains, je m'arc-boute, me dresse sur la pointe des pieds pour avoir un meilleur angle de pesée et sens que cette main de star refuse de prendre sa place dans la terre élue. Je redouble d'efforts et sous mes yeux horrifiés, m'aperçois que ses doigts deviennent tout blanc, perdent leur couleur et que seul le rouge vermillon des ongles surnage dans ce Waterloo de la prise d'empreintes. C'est la Bérézina, je panique, défaille, ne réussis à extraire de ma gorge nouée qu'un râle dans lequel son oreille experte discerne un : « -Sorry, Kim, sorry », balbutiant. Sans se démonter, se tournant légèrement pour plonger ses yeux dans les miens, papillonnant des  cils comme un sémaphore épileptique devant un bateau ivre en train de sombrer dans une mer démontée, elle m'octroie un : « -More, more ! » d'une voix basse et sirupeuse avec un grand sourire moqueur de connivence ravageant toutes mes certitudes.

 

 Ainsi donc, par la nature rétive d'une plaque d'argile, je suis devenu en cette année 1998, l'Homme à qui Kim Basinger a susurré dans le creux de l'oreille un « Encore, encore » qui résonne toujours comme une douce et lancinante mélopée. Ma légende s'en trouva, ma foi, fort agréablement enjolivée d'une page dorée. Et je vous assure, que dans les soirées arrosées entre amis, le « more, more » de ma Kim adorée à plus fait pour  conforter ma réputation que des heures de discussions sur la dialectique du changement pacifique des institutions dans l'Union Soviétique de Mikaïel Gorbatchev !

 

 Merci Kim Basinger. Et si j'osais : «-Encore, encore !» une fois merci du fond du coeur de me permettre de narrer cette histoire sans mentir.

C'est arrivé près de chez moi, je vous le jure !

 

 

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Ali est né / 1ère partie

Publié le par Bernard Oheix

Accrochez-vous aux branches ! Cette histoire est composée de faits réels, de saynètes authentiques légèrement réorchestrées et réagencées dans le temps ! Vous avez droit à la matinée, si vous aimez, on vous fournira l'après-midi en dessert pour le week-end.Voilà bonne lecture et à bientôt, dans le même pavillon !

 

 -Je viens de tuer ma mère.

-Ah ! bon !

-Je l'ai même torturée, un peu, avant.

-Jean-Paul, tu ne vois pas que je suis en train de lire. Je prends mon café et je veux terminer ce putain de traité sur la phénoménologie. C 'est facile à comprendre, non ?

-Oui, mais qu'est-ce que je fais du corps, et le sang, il me faut des serpillières. Rien ne marche ici. Tu pourrais m'accorder un peu d'attention, me conseiller, t'occuper de moi, quoi, toujours dans tes livres !

-OK, mais tu l'as déjà  empoisonnée le mois dernier, décapitée en avril, écartelée en juin, elle ne peut pas mourir à chaque fois ta mère, tu as dû te tromper, c'est quelqu'un d'autre que tu as assassiné.

-Non, non, c'est bien ma mère et je viens de la tuer avec ces ciseaux à papier. Regarde, ils sont tachés de sang.

 

 J'ai saisi la paire de ciseaux et j'ai commencé à m'arracher un ongle. Pas le couper, mais enfoncer une des pointes sous la peau pour le déchausser et quand il a bayé, j'ai mis mon doigt dans la bouche et avec les dents j'ai agrippé le bout relevé et j'ai tiré fortement. Une douleur violente, grisante, normale car j'avais décidé de m'ôter cette excroissance de chair dure qui me gênait, c'était indécent tous ces ongles qui poussaient sans arrêt et il fallait bien que j'intervienne. Hier, après la séance de l'après-midi, je m'étais occupé des doigts de pieds, c'était plus facile avec une tenaille, et je dois dire que j'avais passé une bonne nuit malgré la douleur et le sang qui coulait et inondait mes draps.

 Jean-Paul se tenait devant moi et j'ai compris que je ne pourrais pas continuer ce chapitre passionnant. J'ai arraché la page 72 pour me rappeler où j'en étais et je l'ai fourrée dans ma poche puis je l'ai accompagné dans le salon. Evidemment, il n'y avait aucun cadavre, même pas une goutte de sang. Narquois, je l'ai branché.

-Tu vas avoir du travail pour tout ranger.

-Mais je te jure Erwan, elle était là, c'est quelqu'un qui a dû  voler la dépouille pour la revendre, il paraît qu'il y a du fric à se faire avec un corps de femme.

 

 Nadia est entrée, mutine à son habitude. Elle me cherchait depuis quelques temps déjà et tournait autour de moi comme une mouche attirée par un gros pot de miel.

-Mon Erwan chéri, c'est décidé, je vais accoucher, tu ne veux pas être le père ? Il aura tes yeux et ta bouche mais il faut que tu me promettes de ne pas lui arracher les ongles. Ce sera un bébé délicat et on l'appellera Ali.

-Je suis homosexuel, Nadia, tu le sais, c'est ma phase sans femmes.

-Quel gâchis, comment imaginer un tombeur comme toi dans les bras velus d'un mec, tu serais si bien comme géniteur de mon bébé, et puis j'ai envie de te sentir, ça fait un bon moment que j?ai pas baisé et il faut se dépêcher avant qu'Ali naisse.

Jean-Paul est intervenu, furieux.

-C'est dégueulasse, hier on a couché ensemble et tu l'as déjà oublié. A quoi cela sert-il que je m'escrime à te faire monter au ciel si tu ne t'en souviens même plus le lendemain, la prochaine fois que tu auras besoin de moi, tu pourras toujours courir !

-Peut-être mais encore faudrait-il que j'y sois arrivée au 7ème ciel, et que ton sperme vaille le coup. Elle est nulle ta semence, c'est du lait en boîte, du pasteurisé demi-écrémé, pas un spermatozoïde à l'horizon capable de me féconder. Ici il n'y a qu'Erwan pour  être mon vrai amant. D'abord, j'ai couché avec toi parce que c'est sa période homo et qu'il lisait son livre, t'es qu'un remplaçant.

 

 Nadia m'a pris à part et tiré par le bras. Elle m'a entraîné dehors pour fumer une cigarette, elle avait un secret à me confier. Elle était vraiment jolie bien que son haleine soit un peu forte. Il faut dire qu'elle refusait de se laver les dents à cause de sa religion, dans le coran, Mahomet n'avait pas prescrit de se laver avec une brosse et du dentifrice et elle avait décidé de suivre les préceptes de son guide.

-Tu ne devrais pas fumer dans ton état.

-C'est pas grave, j'ai pas encore le bébé dans le ventre, non, c'est autre chose, il faut que tu m'aides.

-Qu'est-ce que je peux faire ?

-Tu sais pour l'infirmier qui m'a violée le mois dernier dans sa voiture, quand il m'a sodomisée, figure-toi qu'il a introduit un rat dans mon anus et depuis Nestor remonte petit à petit dans ma colonne vertébrale pour me dévorer le cerveau?

-Nestor ?

-Ben oui, le rat ! C'est ainsi que je l'appelle, tu ne trouves pas que c'est mignon pour un monstre qui me dévore le bulbe rachidien.

-Mais que veux-tu que je fasse pour te soulager ?

-Simple, il faudrait que tu introduises ta main dans mon cul et que tu t'enfonces pour l'attraper. Je suis sûre de mon coup, quand il verra tes doigts s'agiter, il va se jeter dessus et les mordre. Tu n'auras plus qu'à retirer le bras et il sera piégé. Je le mettrai dans une cage et il regrettera d'être venu au monde, par contre il faut que tu penses à me faire jouir quand tu seras en moi, et après, il faudra bien se laver les mains. Tu peux le faire pour moi, dis ?

 

 Je ne savais si j'en avais vraiment envie. J'hésitais en soupesant le pour et le contre quand Sophie, la grande Sophie est arrivée. Cela faisait trois ans qu'elle était muette. Un matin pendant la réunion, elle s'était dressée et avait déclaré qu'elle refuserait désormais de s'exprimer. C'était son auto-stoppeur, celui qu'elle avait chargé sur la nationale 7 et qui l'avait violée pour s'installer dans sa tête qui la commandait et elle en avait vraiment marre d'entendre ses mots dans sa propre bouche. Tout ce qu'elle disait provenait de lui, et le seul moyen de le faire taire était de la fermer définitivement. « -Je me révolte désormais, il pourra guider mes gestes, j'en suis désolée, il est odieux, mais au moins mes pensées seront miennes. » Elle s'était rassise et depuis on n'avait plus entendu le son de sa voix. Cela ne l'empêchait pas de vivre avec le groupe, c'était juste un peu plus compliqué pour communiquer avec elle.

 Elle a croisé son index et son majeur pour signifier qu'elle voulait une cigarette. Nadia lui en a tendu une et elle l'a enfournée, la mastiquant avec délectation. Elle a déglutit son tabac et craché quelques brins puis est rentrée se vautrer devant le téléviseur pour fermer les yeux.

C'était une journée vraiment compliquée et les choses ne se sont pas arrangées avec Micheline qui a déboulé de la maison en montrant le ciel. Elle  s'est mise à hurler : -Regardez, venez voir, y a  des bites qui volent de partout. Elles arrivent tôt cette saison ! Faites attention, elles vont se mettre à pisser !

Je n'y croyais pas une seconde bien sûr, mais j'ai quand même enfilé mon bonnet, on ne savait jamais trop avec les bites volantes !

-Ecoute, Nadia, tu devrais plutôt envoyer Ali pour piéger ton rat.

-Mais je peux pas, tu me l'as pas encore fait, ou alors viens derrière la porte, je te suce un peu et avec de la chance j'aurai mon bébé, mon petit Ali.

 

 Je n'avais vraiment pas envie d'une pipe à cette heure, d'autant plus qu'un nouvel arrivant avec une barbe longue jusqu'à la taille se pointait à l'horizon. C'est Thérèse qui l'a accueilli, normal, elle était la cheftaine, et ça, elle savait vraiment le faire, toujours avec son air de bonne soeur à nous dire ce qui était bien et ce qui l'était pas ! Elle répondait à nos questions invariablement par une autre question ce qui fait que les débats s'éternisaient avec elle et que l'on oubliait la première interrogation et que l'on ne savait jamais où cela devait aboutir quand on tentait de la suivre dans les méandres compliqués de son raisonnement. C'était frustrant et le nouvel arrivant allait découvrir un interrogatoire façon Thérèse.

-Mais vous sortez d'où, vous ?

-D'une autre planète, bien sûr.

-Et qu'est-ce que vous faites ?

-Je suis un moine et je viens vous évangéliser.

-Votre nom ?

-Diomède, le castrateur.

 

 J'ai bien vu Thérèse lever les yeux au ciel, elle n'y croyait pas une seconde. Lui manifestement représentait une bonne source de dialogue. Elle aurait du travail notre cheftaine. Tant mieux, qu'elle comprenne que tout n'était pas si drôle dans notre univers. Et puis il allait falloir lui passer un bon savon car manifestement il avait oublié la fonction de l'eau et la crasse le recouvrait d'une pellicule épaisse. Moi ce qui m'attirait c'était ses ongles, des griffes recourbées d'au moins six centimètres qui lui donnaient l'air d'un oiseau de proie. Je lui aurais bien proposé de les extraire mais je ne le connaissais pas encore suffisamment. De toutes les façons, on avait le temps, il était là pour un bon moment vu sa tronche d'ahuri.

 

 Nadia m'a regardé. Elle attendait ma décision. C'est fou ce qu'elle m'aimait. Pourquoi pas après tout ! Un petit coup vite fait, une bonne giclée et elle me lâcherait la grappe et retournerait à ses fantasmes. On est rentré et Mickey pérorait comme d'habitude. Il inventait un système d'antivol à base de résistance électrique et d'ammoniaque. Il en avait marre d'être potentiellement la victime d'un malandrin et se préparait activement à cette confrontation. Il fallait surveiller toutes les bouteilles de détergents pour être certain de survivre. Avec lui, on n'était jamais vraiment sûr que ses expériences ne nous mèneraient pas à faire sauter la baraque avec tous ceux qui y vivaient. Je l'ai contourné avec précaution, il était vraiment trop imprévisible.

Je me suis dirigé vers le grand placard des jeux, il y en avait plein à notre disposition et je me disais qu'une petite partie de trivial-poursuite serait la bienvenue. J'allais bien trouver deux où trois joueurs disposés à se faire battre. J'avais appris toutes les réponses par coeur. J'ai ouvert la porte et j'ai vu Shiaman recroquevillée près des balais, les yeux grands ouverts. C'était ma préférée, une petite brunette qui souriait toujours et ne s'énervait jamais.

-Mais qu'est-ce que tu fais donc là ?

-C'est l'ascenseur, il est bloqué, je l'attends depuis tout à l'heure.

-Bon, ne t'inquiète pas, je vais faire appeler le réparateur.

 

 Bien sûr, je n'en ai rien fait, je savais qu'il n'y avait pas d'ascenseur dans ce placard. L'heure du repas s'annonçait. Ils nous livraient la bouffe dans des grandes marmites de la cuisine centrale. Comme elle était loin et qu'il y avait un trafic intense, cela arrivait toujours un peu froid, mais ce n'est qu'une habitude à prendre.

Jean-Marc demanda s'il y avait de la purée. Faut dire qu'avec les cinq dents qu'il lui restait, la mastication n'était pas chose aisée. Je lui avais demandé pourquoi il s'obstinait à se faire sauter une dent pas semaine, mais il m'avait répondu que c'était un secret et que s'il le disait à moi ou à un autre, il les perdrait toutes. Il n'en avait plus pour longtemps avant de pouvoir tout nous dire. Sa technique se sophistiquait. Au début, il se cognait la mâchoire contre le lavabo mais les inconvénients étaient nombreux. Il n'arrivait pas à bien viser et ne se la cassait qu'à moitié, ou même se trompait de cible. Et puis il fallait tout nettoyer après, et cela lui prenait un temps infini pendant lequel il hurlait de douleur, cela nous empêchait de travailler tranquillement, énervait les pensionnaires. Il prenait désormais son temps, un rituel bien rodé, enroulant sa mâchoire d'un tissu, il ligaturait sa dent avec un gros fil de nylon et l'accrochait à la poignée de la porte et quand l'un d'entre nous allait faire ses besoins, il entendait un crac et pouvait observer sa satisfaction, une extraction bien menée, un travail d'orfèvre qui le remplissait de fierté. Il prenait un sirop anesthésiant avant ce qui fait qu'il ne sentait même plus la douleur, cela l'attristait bien un peu, mais il avait compris que ses cris nous perturbaient.

 

 C'était le jour du boudin et nous y avons encore eu droit. Angéla s'est levée, a rempli un broc d'eau et l'a versé sur les gros étrons qui marinaient dans la marmite. Elle ne supportait pas que l?on mange du sang mais Jean-Marc s'en foutait, il était en train de se gaver de mousseline par les espaces béants que ses cinq dents laissaient entrevoir quand il ouvrait la bouche, par contre on était plusieurs à aimer la consistance moelleuse d'un bon boudin et il a fallu égoutter le plat avant de pouvoir se servir. Tant pis, jusque-là, la journée avait été presque normale.

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Ali est né / 2ème partie

Publié le par Bernard Oheix

Voilà donc la deuxième partie des aventuriers du bâteau ivre. On retrouvera notre Erwan en train de lire et de se demander s'il concevra le petit Ali ou pas.  

Personne ne pouvait prévoir que Julien pète un plomb.

Il a pris un couteau de cuisine et l’a lancé violemment sur son vis-à-vis, en l’occurrence le pauvre Christian qui n’y pouvait rien. La lame a ricoché sur son pull et a atterri à terre sous le buffet. Thérèse est intervenue avec promptitude, elle s’est interposée entre eux et a empêché que Julien, dans sa crise, ne se jette sur sa victime. Il lui hurlait au visage qu’il l’avait reconnu le traître, et que ce n’était pas besoin de se déguiser, qu’il était l’ennemi du masque de fer et qu’il le vengerait. Sa visite thérapeutique d’hier à la prison du Fort Sainte-Marguerite avait laissé des traces. Il se prenait pour le vengeur du prisonnier masqué, le fils du roi, alors que tout le monde savait parfaitement que ce n’était pas Christian qui jouait un double jeu. Lui n’y était strictement pour rien. Nous savions pertinemment que son truc c’était les photos de joueuses de tennis, toutes ses belles Kournikova, Mauresmo, Mary Pierce et autres championnes qu’il collectionnait dans des tenues affriolantes, leurs jupettes dans le vent, les jambes écartées dans l’effort pour rattraper la balle. Il ne se séparait jamais de son album et il était en train de hurler que Julien l’avait lâchement agressé parce qu’il était jaloux de ses photos et qu’il voulait lui dérober ses fiancées.
Une voiture est venue chercher un Julien désemparé. Il savait qu’il avait fauté, la violence sur les autres était prohibée, c’est une règle intangible, un principe sacro-saint qu’il ne fallait pas transgresser sous peine de retourner au centre illico. Il était penaud et tout chamboulé, il ne s’expliquait pas son geste et a embrassé Christian en l’assurant qu’il n’en voulait aucunement à ses trésors. Cela a fait un vide et Thérèse nous a réunis pour un groupe de paroles. Cela a cassé l’ambiance. Je n’avais pas du tout envie de parler et j’ai repris mon livre pour me plonger dans la phénoménologie. La page 72 était toujours au fond de ma poche et personne n’avait pu me la voler. J’ai remis la page à sa place et je me suis immergé dans mon bouquin. La lecture a vraiment du bon, j’ai pu tout oublier.

Au bout d’un moment, vu que personne ne voulait s’exprimer, elle nous a libérés et Nono est venu me demander de l’aider à enlever son casque. C’était un magnifique casque de football américain bleu avec des étoiles et le nom de l’équipe de Boston en lettres dorées. J’ai dû refuser car nous avions interdiction de lui ôter. Il faut dire qu’il se précipitait la tête la première contre les portes fermées et les murs dès qu’il en avait l’occasion. Il avait cabossé tant de parois et des cicatrices couraient sur son visage, c’est pour ça qu’on l’obligeait à le porter. Son visage était une carte routière, avec des grosses nationales, des petites départementales et même des carrefours, une plan Michelin déambulant. Il disait que quand il se regardait dans un miroir, son visage se déformait, la partie droite s’estompait et il n’avait plus que la moitié de ses cheveux comme un iroquois.

J’ai vu Nadia en train de parler avec Danièle derrière les fourrés d’aubépine du jardin, des histoires de femmes sans doute, je me suis approché pour écouter discrètement leur conversation. J’aimais beaucoup surprendre les discussions. Elle était en train de lui expliquer qu’aucun rat ne pourrait rentrer par sa minette vu qu’elle s’était ligaturée le sexe avec un fil de pêche, le matin même avant de venir au centre. Elle a soulevé sa jupe et baissé sa culotte. Elle s’était cousue les lèvres intimes et l’on voyait des gouttes de sang perler sur sa fente, le fil comprimait le bouton de son clitoris en l’entortillant, cela me rappelait une paupiette de veau dans une assiette de jus de tomates. Elles ne m’en ont pas voulu de les surprendre, bien au contraire, cela les a émoustillées et Nadia en a profité pour me demander si j’étais enfin prêt à lui faire son enfant.
-Je réfléchis encore, on verra tout à l’heure !

Il y a eu un instant de répit, le calme plat avant la tempête. Françoise a jailli de la maison comme si elle avait le feu aux fesses. Elle était encore débraillée et sortait des cabinets. Elle avait sans aucun doute vu un serpent lui rentrer dans l’intestin pendant qu’elle faisait ses besoins. Cela ne lui était plus arrivé depuis un mois et elle était manifestement terrorisée. Elle s’est arrêtée, a pointé le doigt vers le cumulus blanc qui paressait dans le ciel et s’est mise à hurler: -C’est lui, ce nuage satanique, c’est sa faute, il a réveillé les serpents du diable ! Elle s’est enfuie, elle était vraiment paniquée. J’ai averti Thérèse et nous avons formé deux groupes pour la retrouver.
Nous avons exploré les entrées des immeubles et tous les recoins. Un chien aboyait dans le quartier, cela a attiré l’attention de Nadia très sensible aux animaux. Un berger allemand qui gardait une villa manifestait sa colère et nous alertait. Il grognait et grattait le sol avec ses pattes, furieux contre l’intruse qui l’empêchait de se coucher dans sa niche. Françoise s’était glissée par l’étroite ouverture et l’on ne voyait que sa tête blonde émerger de la pimpante cabane verte et rose. Il a fallu la rassurer, lui promettre que les serpents avaient raté leur coup pour qu’elle accepte de sortir et libère la place pour le chien qui se précipita sur sa gamelle. Heureusement qu’elle ne lui avait pas mangé sa pitance.

Diomède le castrateur, avec les pans de son cache-poussière qui balayaient le sol, ne cessait de demander si c’était de lui que l’on riait quand il n’était pas là. Thérèse l’a rassuré et tout le monde a rejoint le centre pour prendre un thé ou un café avec des petits gâteaux. C’était un moment important, tous assis en rond, à récapituler les évènements de la journée avant de rejoindre nos appartements thérapeutiques. C’était le dernier de nos rendez-vous, après nous aurions la possibilité de nous retrouver chez nous et d’être libre.
Nadia s’est installée à mes côtés et a posé sa tête contre la mienne. Elle ne parlait plus mais je sentais sa respiration, elle était oppressée à l’idée de se retrouver seule. Elle espérait vraiment que je l’inviterais à m’accompagner, que nous passerions la nuit ensemble. J’en avais marre d’être homo et finalement quand la réunion s’est terminée, je lui ai pris la main et nous sommes partis. Nos pas se sont accordés et je crois que Jean-Paul était un peu jaloux, je le comprends, il l’aimait tellement.

Elle a accepté de se laver les dents pour moi et je lui ai préparé une salade de tomates et de la mozzarella. On a regardé la télévision, c’était un épisode de Colombo et on a ri en pensant à Diomède le castrateur à cause de son imperméable. Elle ne m’a plus parlé de Nestor, il avait dû s’endormir et j’en ai profité pour lui faire l’amour. C’était bon et je sais qu’elle a eu du plaisir, quand elle ne fait pas semblant d’avoir un orgasme, c’est qu’elle est vraiment contente. Elle n’a pas simulé, elle est restée les yeux grands ouverts pendant que je jouissais et nous nous sommes endormis dans les bras l’un de l’autre.
C’était vraiment une bonne journée mais je ne sais toujours pas si Ali est né.



PS : En hommage aux personnels qui rendent l’hôpital psychiatrique un peu plus humain et tentent d’harmoniser le monde des cauchemars et celui de la réalité

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