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Une pincée de culture...

Publié le par Bernard Oheix

 
 
Mon dernier voyage sur Paris s’était soldé par une compilation de pièces peu intéressantes, des brouillons vagues, sans désir. Je suis en retard sur ma programmation de la saison 2008-2009, ce nouveau rendez-vous avec les scènes de la Capitale était d’importance : allais-je enfin trouver ces pépites dorées que tout programmateur rêve de dénicher ?
 
Mercredi 6 février. Carpentras. Salle polyvalente. Les moines de Shaolin.
Il existe autant de troupes de Shaolin que de Chœurs de l’Armée Rouge ou de Cirques de Pékin sur le marché. Il était indispensable que je visionne la troupe qui m’était proposée afin de vérifier que j’avais bien de « bons » et « vrais » Shaolin. Mission accomplie. Dans une salle de gymnase mal aménagée (mais qui fait une belle petite programmation sur l’année), les moines bondissent, se fracassent des barres de fer sur la tête, s’empalent sur des clous, des lances, exécutent des figures toutes plus improbables les unes que les autres, deviennent oiseaux, tigres et crapauds. Cela reste beau, élégant, lumières soignées et chorégraphies particulièrement réglées. Un beau spectacle tout public à déguster en famille. Il y a même un soupçon d’élévation d’âme dans les sentences de respect et d’accomplissement de soi prodiguées au fil des numéros. Pas de problème donc, les Moines de Shaolin trôneront dans ma programmation entre le Casse-noisettes du Cirque de Dalian et un Festival International des Jeux 2009 à dominante asiatique.
 
Jeudi 7 février. Paris. La tectonique des sentiments. Eric-Emmanuel Schmitt.
Une pièce originale de Schmitt, mise en scène par l’auteur, avec Clémentine Célarié et Tcheky Karyo, ne peut, à priori, laisser indifférent. Pari réussi. Un texte étourdissant d’intelligence et de finesse, marivaudage moderne sur deux êtres qui, ne pouvant se dire -je t’aime- (par pudeur, par fierté, par aveuglement ?), vont s’annoncer la fin d’un amour et entrer en guerre. Chaque situation est décrite avec la précision d’une chirurgie des sentiments, un tableau somptueux de la tempête intérieure, le calcul le plus froid et l’incandescence des pulsions les plus primitives en un dosage qui mène chaque individu vers sa propre frontière. C’est un jeu de l’amour et du hasard, une réflexion sur la patine de l’habitude et l’impossibilité d’être autre, sur des mots que l’on ne prononce pas et qui se transforment en maux. C’est du théâtre à l’ancienne au verbe moderne.
En conclusion, j’ai adoré mais je ne suis pas sûr, hélas, de sélectionner cette pièce. La première raison en est la dimension du décor qui impliquerait deux jours d’immobilisation de la salle mais la cause principale réside dans le filet fluet de la voix de Karyo qui est, au demeurant, un excellent comédien. Les dialogues intimistes se perdraient dans la grande salle Debussy du Palais. Un coup à avoir des rafales de« vieux » en train de hurler « –plus fort » en pleine tirade, et de recevoir une dizaine de lettres me demandant pourquoi on entend rien dans la salle. Un truc à me gâcher tout le plaisir rien que d’y penser !
 
Vendredi 8 février. 15h. Réunion Zone Franche. (Musiques du Monde)
Je retrouve mes copines productrices, tourneuses, bookeuses et autres Delaporte and Co. Discussions. Se dessinent une soirée latino pour les Concerts de Septembre et une programmation espérée de Diego Amador dans la saison pour une soirée jazz manouche branchée. A Suivre pour les amateurs.
 
21h. Le dindon. Mise en scène Thomas Le Douarec.
C’est mon ami JB Guyon qui produit cette énième version d’un Feydeau. Il m’avait averti…mais je n’avais pas vraiment entendu ! Le Douarec est connu pour ses adaptations déjantées. Il allait nous servir ! Le lieu est étrange, un cabaret dans le quartier chaud de Pigalle, en face du Moulin Rouge, entre peep-show et sex-shops, de petites tables avec abat-jour, une scène ouverte où trône un canapé et une série de portes comme seul décor.
Les acteurs vont démarrer à fond de cale et tenir pied au plancher pour un vrai divertissement, une loufoquerie sans retenue. C’est un Feydeau totalement enivré d’une jouissance communicative. Même si le genre est périlleux et parfois frôle le mauvais goût, parfois dérape (les chansons mauvaises du début !), l’énergie des comédiens servis par un texte limpide, des situations extrêmes et des retournements incessants, permettent à ce Feydeau d’être un pur divertissement. Banane de rigueur à la sortie ! Bon, on ne s’ennuiera pas la saison prochaine, le 25 avril 2009 au Théâtre Croisette !
 
Samedi 9 février.
Pari difficile pour cette journée de folie. Je vais visionner 4 pièces à 15, 17, 19, 21 heures dans 3 salles de Paris, avec quelques minutes seulement pour me rendre de l’une à l’autre ! Et dire qu’il y en a qui affirme que je m’amuse dans mon métier ! Et bien, c’est vrai ! Cela m’excite et je suis heureux en train de courir à la recherche de l’émotion perdue sur les pavés de l’espoir !
15 h. Balé de Rua. Danse et percussions du Brésil.
Je n’étais pas convaincu en m’y rendant. TS3 m’avait poussé, me sollicitant instamment. Je m’y rendais en traînant les pieds, persuadé que je sortirais après une demi-heure afin de ne pas speeder pour le prochain rendez-vous. Au fond de la scène, des échafaudages sur trois niveaux, une vingtaine de danseurs et une danseuse ( !), la musique, moitié enregistrée, moitié live, et la sarabande peut commencer. Pendant plus d’une heure, ils vont accomplir une prouesse physique étonnante, dansant en un ensemble parfait à la limite de la rupture les rythmes les plus chauds de l’Amérique du Sud. De la rumba à la samba en passant par la capoeira et le hip-hop, ils se déchaînent emportant tout sur leur passage. Les spectateurs du Trianon sont scotchés sur leur siège tant une force tribale est en jeu, histoire d’un pays par sa danse brute. Certains tableaux sont surréalistes comme ces fleurs qui éclosent sur les échafaudages ou ces couleurs dont ils se parent en se crachant dessus. C’est la fête des corps luisants, des muscles au service de la grâce dans un tempo de frénésie. Cela me fait penser au formidable Mayumana que nous avons reçu pour les fêtes de fin d’année au Palais des Festivals. Je subodore une forte envie de les programmer… il va falloir en discuter avec la production. Le public se lèvera pour une ovation à la fin du show comme si c’était enfin à nous de nous libérer de toute cette tension accumulée pendant  1 h 20.
 
En sortant, je prends le métro pour le Châtelet et me dirige vers la rue duTtemple. Au passage, je tombe sur les célébrations du nouvel an chinois. Comme dans un film de Cimino, les pétards, le grand serpent qui ondule, les costumes magnifiques, les roulements de tambours, des centaines de Chinois et de Chinoises défilant dans les rues…la communauté asiatique en démonstration dans le Marais. Cela vaut le coup d’œil !
 
17 h. Café de la Gare. Le Tour du monde en 80 jours.
Pour moi, le Café de la Gare est un symbole des belles années, quand Romain Bouteille et son équipe inventaient une nouvelle façon d’être, un style différent tant sur scène que dans le public. Le lieu n’a rien perdu de son charme désuet. Une cour bruissant des académies de danse qui mêlent des sonorités africaines, sévillanes, jazz…Un bar où les gens fument et consomment au soleil. Un foutoir sympathique, un accueil décontracté. Sur les planches, c’est toujours la même chose. D’excellents comédiens dans un pastiche dérisoire où se marient en écho l’œuvre de Jules Verne et les accents d’une actualité politique brûlante. C’est frais et amusant, un moment de détente sur les traces des aventuriers d’un monde en train de s’ouvrir au regard de l’Occident. Les acteurs en font des tonnes et l’interprétation permet à la sauce de prendre. Spectacle tout public, les enfants rient et les parents aussi, pas toujours d’ailleurs pour les mêmes raisons !
19 h. Question d’envie.
En avais-je vraiment le désir ? En prélude à la pièce de 21 h, un objet théâtral non identifié. Un jeune homme parle au public et nous comprenons qu’il s’agit d’une émission de téléréalité ou autre jeu. 3 filles le rejoignent et chacun sera dans sa bulle sauf pour des césures où ils se rejoignent en un procédé de rupture. Les archétypes fleurissent, la frustrée pour laquelle le désir ne peut être que sexe, le jeune sûr de lui, heureux et vide de tout, l’écervelée qui rêve la vie sans la connaître, la femme qui a un enfant et dont le seul désir et de parler pour lutter contre la peur… C’est séduisant, joué à la perfection par une brochette de jeunes comédiens talentueux. Les textes sont incisifs et collent aux personnages et aux situations. C’est brut comme un exercice d’école de théâtre, frais et généreux, une leçon de chose sur une humanité inconsistante en train de fleurir sous les décombres d’une société de consommation qui a perdu le sens des valeurs. Que vais-je bien pouvoir faire de cette pièce ?
21 h. La forme des choses. Neil Labute.
Une étudiante s’entiche d’un gardien de musée. Elle est belle, brillante. Il est laid, timide. Elle va le transformer, l’habiller, changer sa coiffure et faire opérer son nez. Il perdra 12 kilos par la pratique du sport. Elle va le façonner comme de la pâte à modeler… mais voilà ! Comment vous dire la suite sans vous dévoiler un ressort qui doit rester caché ? Comment vous amener à suivre les rapports ambigus entre les deux amants sans vous dévoiler ce qui doit être tu ? Sachez que cette pièce est un bijou, un chef-d’œuvre d’intelligence et de finesse, une vraie plongée dans les rapports entre deux êtres que tout oppose ! Démonstration brillante autour du concept de l’art, du pouvoir de l’individu et de sa liberté, de l’échange et de l’aliénation. Rendez-vous le 3 avril 2009 dans la saison « Sortir à Cannes ».
 
Le dimanche, j’avais prévu de me rendre au Palais des Sports afin de voir la dernière œuvre posthume de Béjart. Crise de lèse-majesté, dans la nuit après un sommeil difficile, je décide de m’en retourner sur mes terres cannoises. Le Festival International des Jeux approche et je n’ai pas envie de tomber malade. Je cours me réfugier dans mon home comme un animal blessé afin de récupérer quelques maigres forces. On ne devrait pas vieillir ! Tant pis pour Béjart, il nous a bien laisses orphelins, lui !
 
 
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