Sur quelques livres...
Sur quelques livres….
Depuis décembre, j’ai plongé dans les livres. Au cours des temps morts des voyages (et dieu sait combien il y en a, même dans les plus exotique !), en rentrant pour se détendre et se
laver la tête, accroché par une phrase ouverte sur le monde, contemplant les nombreux cadeaux d’un Père Noël particulièrement culturel…Entre deux mouvements d’écriture, le désir de consommer
passivement…
Quelques commentaires à partager.
Cul de sac. Douglas Kennedy.
C’est moite au début, étouffant à la fin. Un homme rompt avec la routine, prend son argent et décide de traverser l’Australie. Ce coup de dé n’abolit pas le hasard. Une terre de chaleur, des
êtres comme des fantômes errant dans un bush parsemé d’embûches. Une femme va se jeter dans ses bras et l’attirer dans un trou perdu, au fin fond d’une piste abandonnée, village rayé de la carte
routière, vieille mine fermée depuis quelques décennies, repeuplé par quelques familles dans un rêve utopique d’une rupture avec la modernité. Cette « cité du soleil » retournée aux
sources de l’humanité dans des règles frustres édictées par 4 gardiens du temple, s’est transformée en « cité de l’enfer ». Il est échoué dans ce paradis perdu afin de devenir un
procréateur. Afin de lutter contre l’inceste, les enfants de 18 ans, doivent partir sur la route en un voyage initiatique pour ramener de la chair fraîche apte à renouveler le capital
génétique de ce cheptel humain. Notre héros marié de force à une gorgone va vivre l’enfer au vrai sens du terme. Enfermé dans une prison ouverte, il tentera de se libérer de ses chaînes pour
retrouver la civilisation et ses codes.
C’est une œuvre au couteau, une écriture lourde mais terriblement efficace, des mots qui suintent la peur et l’horreur, des phrases qui campent l’abomination d’une utopie qui s’est inversée en
une monstruosité niant le temps. Ames sensibles s’abstenir !
Millénium 1
Millénium 2
Millénium 3. Steag Larson.
Comment ne pas être fasciné par l’histoire de cette oeuvre. Un homme écrit pendant des années dans l’ombre pour déposer ses tapuscrits auprès d’un éditeur et décéder avant leur parution. Déjà,
cela ennoblit d’entrée l’auteur ! Avoir l’élégance de disparaître quand une œuvre émerge, quel talent ! Et si le livre et bon, quel génie !
3 tomes de 1000 pages, le pari semble impossible, l’ambition hors de propos. Pourtant, dès le premier paragraphe, dès la première page avalée, vous savez au fond de vous que vous êtes piégé,
qu’il va falloir désormais puiser dans vos nuits pour les terminer, que vous allez enchaîner les tomes au rythme d’une lecture frénétique. Ce n’est pas de la grande littérature, c’est même, osons
le dire, plutôt banalement écrit. Mais les personnages vivent, sont attachants, on les voit se dessiner derrière les mots. Les situations sont exacerbées à souhait, les dénouements tombent piles.
C’est de l’écriture efficace, sans génie, mais diablement percutante. Même si le deuxième tome se perd quelque peu dans un dénouement facile, même si le troisième vous parait recouper des
situations passées, même si parfois les clefs du royaume s’avèrent tendancieuses, quelle efficacité, quel punch dans ces trois Millénium. C’est du roman à l’image de notre époque, un brin
m’as-tu-vu, parfois scabreux, toujours accrocheur, traçant un chemin dans une forêt de phrases pour déboucher vers un monde où s’affrontent la soif de découvrir et la capacité de dissimuler.
L’informatique comme levier, le journalisme comme vision, des individus de chair et de sang qui souffrent et se perdent.
La route. Cormack Mcarty.
Le thème est connu. Dans le pays ravagé d’une post-apocalypse, un homme et son fils tentent de survivre et de rejoindre la mer. Des hordes de cannibales errent sur des chemins désertés par la
civilisation. L’homme, malade, protège son fils et lui inculque les rudiments d’une culture disparue, celle des hommes d’avant le cataclysme. Ils vont s’épuiser à marcher, éviter des pièges,
tomber dans d’autres, abandonner toute humanité afin de survivre et de se protéger. L’auteur s’interroge sur ce qui pourrait unir l’homme à l’homme quand tout lien social disparaît, quand la
survie dépend de la solitude et du hasard. Au bout du chemin, on trouve le désert de l’océan vide, la mort pour l’un, l’espoir pour l’enfant. Si un embryon d’humanité peut être conservé, alors
tout est possible, même l’avenir ! C’est un thème mainte fois traité que ce soit par Stephan King, ou plus proche de nous, par Robert Merle dans Malevil. Ce n’est pas le meilleur, mais
Mcarty est un vrai écrivain. Il sait peindre la réalité et introduire une réflexion dans les dialogues simples d’un père et de son enfant. Comment survivre, sinon en tuant sa part de rêve et
l’image du passé ? Rien ne doit raccrocher aux souvenirs, une seule règle prévalant : rester du côté des gentils contre les méchants (les cannibales). Si vous n’êtes pas fan de
science-fiction, replongez-vous dans « de si jolis chevaux », un chef-d’œuvre sur la mort de l’ouest et les derniers cow-boys.
Je passerai sur un de mes péchés de jeunesse, le polar pur et dur, en l’occurrence Nicci French dans Jeux de dupes, une vraie histoire à l’américaine dans la
tradition des MacDonald, Highsmith and co. Un bouquin à lire dans l’avion qui me ramenait de Russie et à filer à un ami après lecture. Il n’y avait pas de trou d’air et j’ai pu le siroter
comme une bière un peu fade, fraîche mais sans consistance !
Plus troublant, le récit de Jean Teulé dans un Darling glauque à souhaits lu à Madrid. Rencontre entre l’auteur et l’héroïne du livre pour une œuvre duale.
Enfant grosse et laide qui traversera sa vie à coup de viol, mépris, coups et autres tentatives de suicide, ce livre est un témoignage poignant et désespéré sur une femme aux confins de
rien, quand l’individu ne rêve plus parce que la réalité est le reflet déformé de nos cauchemars. Morbidité assurée !
Tout ancien soixante-huitard a forcément. Entendu parler de Phillippe Sollers, mais qui le connaît vraiment ? Le nom de Tel Quel résonne encore. Il y a ses écrits rarement
lus, il y a le personnage public, rares apparitions, un brin désinvolte, intelligentsia décalée, hors du temps, il y a l’ancien révolutionnaire maoïste que l’on voit si peu dans les débats
contemporains… Un vrai roman est une fausse autobiographie. S’appuyant sur son passé, il livre des bribes de son histoire pour introduire des clefs de lecture plus générales de
cette période d’une extrême densité. Très rapidement, il va s’extraire du passage obligé de la confidence pour passer à l’universel d’une conception de la vie. La religion, le pouvoir,
l’écriture, mais aussi l’amour, le cinéma, le théâtre par le prisme des ceux qui ont croisé sa lumière.
De cette plongée, on ressort plus intelligent, il a réussi à nous faire partager ses rencontres avec Ponge, Aragon, Mauriac, Breton, toutes les personnalités fascinantes de ce milieu du
20ème siècle qui vont faire de Paris une capitale intellectuelle, les Barthes, Foucault, Sartre, Althusser, Deleuze, Derrida… On rêve ! Il n’y a point d’affectation dans ses
anecdotes, il y a la vie extraordinaire d’un être qui rend naturel cette destinée hors du commun.
Il y a aussi ses femmes, Dominique Rolin, la maîtresse mère et Julia Kristeva, la femme pour l’éternité… et toutes les autres évoquées avec pudeur.
Au fond, plonger dans ce livre, c’est ouvrir une page de notre propre passé tant son histoire extraordinaire colle à notre vie ordinaire. Il nous restitue ce qui en a fait un être d’exception…
plutôt sympathiquement, comme s’il nous aidait à mieux comprendre ce qui s’est joué dans ces années de soufre où tout était possible. Il nous remets du sens dans ce qui brillait au point de nous
aveugler. Toutes les générations vieillissantes ont tendance à penser que leur jeunesse avait des vertus que le présent a chassées… Sollers nous prouve que c’est bien dans cette moitié du siècle
que les idées avaient encore la possibilité d’être des armes au service de la raison. Bienheureux celui ou celle qui peut désormais lire ce livre en sachant qu’à défaut de comprendre, il a pu
respirer l’air contemporain de ces penseurs qui ont éclairé l’humanité ! Combien apparaît d’une grande pauvreté le degré zéro de la réflexion actuelle et d’une politique de l’image où tout est
dérobé, même la critique !
Et pour finir, c’est à Rome que j’ai terminé le prix Goncourt 2007. Alabama Song de Gilles Leroy. Est-ce un grand Goncourt ? Je n’en ai pas
l’impression ! Pourtant, même si le livre démarre doucement, il ferre avec douceur et l’on se surprend à terminer cette fausse biographie d’une Zelda Fitzgerald plus vraie que nature. La
part de fiction s’imbrique si parfaitement dans les maigres éléments de ma culture « Fitzgéraldienne » que le thème éternel de la vampirisation d’un être par un autre devient l’axe qui
accroche le lecteur. L’homme célèbre qui dévore sa compagne dont l’œuvre sera captée et détournée pour sa seule gloire est un thème récurent de la création ! En l’occurrence, une petite
musique suave à l’écriture fine et élégante, mais pourquoi pas ? Cette oeuvre ne devrait pas passer à la postérité, elle engrangera toutefois quelques royalties conséquentes et semble
être le produit consensuel d’une alchimie où la cuisine littéraire l’emporte largement sur les considérations esthétiques ! Peut-être que la vraie création était en panne en cette année de
2007.
Bon, à bientôt pour d’autres rendez-vous sur mon blog, de nouvelles aventures nous attendent !.
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