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Pégase, le messager des Dieux

Publié le par Bernard Oheix

On connaît la qualité de l’accueil de nos amis Corses, on ne va pas épiloguer sur cet aspect de mon séjour ! Je vous avais déclaré ma flamme l’an dernier devant la richesse et l’originalité de la création théâtrale. « E Teatrale de Bastia » se veut un rassemblement, une vitrine, un marché potentiel, une réunion de famille, un thermomètre de l’activité artistique de l’île de Beauté. Tout ne fut pas parfait dans cette édition, mais c’est le propre de l’art vivant d’être sur le fil du rasoir, sans aucune certitude. Heureusement, il y eut de beaux moments de rencontres, des propositions pas toujours abouties mais porteuses d’espoir, une effervescence en dehors de la scène en gommant parfois ses faiblesses ! Il s’agit là de culture, pas de mathématiques. Il n’y a pas de martingale magique qui guiderait vers le succès, qui assurerait la perfection d’une œuvre et impliquerait la reconnaissance du public.

Pourtant, une pépite était dissimulée dans la veine bastiaise de 2008. Un vrai grand et beau texte, admirablement mis en scène, interprété à la perfection. Je vous livre un page sur cette aventure intellectuelle, moins une critique théâtrale qu’un écrit d’émotions. C’est ma façon à moi de rendre hommage à la perfection de ce travail.

 

51, Pégase ou La confession de la bête.

De Marc Biancarelli

Mise en scène Jean-Pierre Lanfranchi

Avec Christian Ruspini.

 

Un dispositif scénique qui ouvre sur le noir et des mouvements sombres, furtifs meublant le silence. Il y a de l’ordre du chaos dans l’air, à l’image des cubes qui jonchent l’aire de jeu qu’un comédien s’efforce de remettre en place. Mais de quel ordre s’agit-il ?

C’est bien cette question que nous pose l’auteur. C’est bien l’interrogation du metteur en scène. C’est ce que réussit à transmettre un acteur d’une qualité incroyable, Christian Ruspini seul en scène et pourtant habitant de multiples personnages qui vont illuminer le temps d’une réflexion, celle d’une terre et de ses éclairs de cruauté. Plongée dans un passé récent pour conjurer un avenir complexe, société qui se cherche une âme mais dont la barbarie qui a présidé sa naissance ne peut qu’entacher d’une tare irréversible.

Le texte est d’une richesse formelle sublime, avec des mots qui parlent des maux d’une histoire à construire. Il prouve que les Corses peuvent envahir l’espace d’une langue en cherchant un sens à leur réalité. Marc Biancarelli est un auteur corse qui revisite un passé de violence en dessinant un futur d’interrogations. Grâce à une machine qui permet de voyager dans le temps et l’espace, il va peindre le tableau composite d’une épopée à la fois sublime et sordide. D’Aléria aux cendres d’un terrorisme dévastateur et de luttes intestines, se tisse la « geste » d’une fiction dans le regard introspectif d’un homme qui a accouché de cette folie meurtrière. Le goût du sang comme matrice de toutes les volontés de puissance. Peut-on construire une société libre sur les ruines qui ont induit sa fondation ?

Une voix off introduit la problématique. Un écrivain s’est exilé, il revient dans une Corse libre pour régler ses comptes, ceux d’une utopie qui n’a engendré que des rêves brisés. Un de ses anciens élèves a créé une machine (Pégase 51) qui permet de s’évader dans un monde d’Héroïc Fantasy où la guerre est abstraite et le sang couleur de vie. Ces deux univers vont cohabiter. Celui des actes qu’il faut solder, comme celui des mythes que l’on a entretenus au mépris des hommes.

Certaines scènes font froid dans le dos. Celles du racket et de la coercition provoquant un plaisir malsain à son auteur qui s’interroge : comment a-t-il pu engendrer ce petit soldat de l’innommable ? Le rapport au sexe avec cette femme objet que des hommes utiliseront pour assouvir leurs instincts les plus vils dans une boîte où l’on parle de bâtir un monde nouveau dans les volutes d’alcool et les bassesses d’une misère sexuelle. La vaillance à l’aune de la violence la plus primitive.

Il y a des chants désespérés dans cette complainte, et l’on sait que ce sont les plus beaux, les plus déchirants. L’acteur au fil de ses pérégrinations recompose inlassablement son espace en utilisant ses cubes de formes diverses, jamais symétriques, noir d’une face, rouge de l’autre. Empilés, de guingois, se chevauchant où prenant la forme des dolmens de Filitosa, sur le fil d’un état d’âme où l’hystérie se conjugue à l’abattement.

Cette pièce est un chef-d’œuvre. Manifeste philosophique, acte politique, histoire sublime de la petite histoire, elle reste une pièce de théâtre qui fascine par la densité de son propos, la complexité des thèmes traités dans la simplicité d’une mise en forme limpide comme un discours qui toucherait à l’essentiel. Et si l’art au fond n’était que cet accouchement douloureux que nous partageons avec les auteurs de cette pièce ?

Une voix off finale va conclure la problématique. Il y a du renoncement dans ce constat que la machine à voyager dans le rêve est plus réelle que l’ensemble des actes qui nous ont amenés à transgresser notre humanité. L’homme est encore trop imparfait pour s’affranchir des pesanteurs de son étroitesse. Il reste le verbe alors pour espérer. C’est ce que Marc Biancarelli et Jean-pierre Lanfranchi ont réussi à nous faire croire, du côté de Bastia, dans une Corse bien vivante.

Les attentats continueront à égrainer leurs nuits bleues, la vie en rose prend sa source dans la sensibilité d’artistes qui redonnent au genre humain quelques lettres de noblesse. C’est toute la force et la magie des Théâtrales de Bastia de nous offrir cette vision d’une Corse capable de s’élever vers le monde des idées pour atteindre à l’universel d’un discours sur l’homme moderne.

 

PS : Une programmation à Cannes dans la saison 2008/2009 ? A étudier de toute urgence !

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