Mon Festival 2008 (1)
Des beaux moments de cinéma, il y en eut pendant ces 12 jours de Festival, beaucoup bien sûr et heureusement, suffisamment pour remplir la tête de panoramiques cernant les personnages, d’éclairs de violence, de plongée dans la réalité, de notes en contrepoint, de couleurs délavées et autres procédés techniques chargés de coller en symbiose une forme sur un fond.
Le cinéma a cela d’incroyable qu’il autorise toutes les audaces, permet toutes les ellipses, entraîne vers des mondes imaginaires en parlant de notre réalité. Il parle à la tête en passant par les sens, commotionne le cœur en court-circuitant le filtre du cerveau, vous fait pleurer et rire, vous donne la certitude de ne plus être dans le monde présent et vous offre un avenir éternel.
C’est cela mon Festival, c’est lui qui me pousse à voir 3 a 4 films par jour en moyenne, à enchaîner des histoires de continents opposés, à voir se tisser des liens improbables dans des hémisphères qui s’ignorent, comme si le monde des idées était plus fort que les camisoles qui nous isolent dans nos solitudes.
Vive le cinéma des rencontres.
Dans la série surprenons-nous, deux petits évènements avec deux bijoux de films d’animation. Kung-Fu Panda de Mark Osborne et John Stevenson et Waltz with Bashir de Ari Folman. Le premier est un conte délicieux avec un bon gros Casimir adepte de Kung-Fu qui va devenir un guerrier de légende et sauver le monde du mal. C’est gai, frais et amusant, un film que l’on rêverait de voir avec ses enfants. Le deuxième est dramatique, il parle de la guerre du Liban et de l’occultation dans la mémoire du narrateur, du drame de Sabra et Chatila, un massacre perpétré par les phalangistes contre les populations palestiniennes sous les yeux des militaires de Tsahal. Le graphisme est étonnant, on en oublierait que c’est un dessin animé. C’est superbe, émouvant, déchirant et cela parle du rôle de la guerre dans la destruction de cette part d’humanité qui réside au fond de chacun d’entre nous.
A l’évidence, les progrès techniques de l’animation permettent désormais de coller à un projet artistique en inventant un langage approprié. Avec le Marjane Satrapi primé l’an dernier, il y a éclosion d’un nouveau genre totalement adulte et cohérent. Vive le dessin animé et parions que le Waltz with Bashir aura un prix, il le mérite.
Moscow, Belgium du Flamand Christophe Van Rompaey est un premier film totalement réussi qui inverse avec jubilation les codes traditionnels. Il s’agit du drame familial de la femme de 40 ans délaissée par un mari artiste lui préférant une jeune élève. La rencontre musclée avec le camion d’un camionneur va lui permettre de briser les tabous, d’inverser les rôles et de plonger dans les délices d’une nouvelle aventure amoureuse avec son « Gigi l’amoroso ». C’est émouvant, drôle et terriblement amoral !
Dans le registre des comédies sympas, on trouve certains films du cinéma australien, très présent à Cannes comme Footy Legends de Khoa Do, délicieux conte sur fond de chômage d’un groupe de loosers qui se transforment en winners par la grâce d’un rugby à 7 et d’une énergie puisée dans le dérisoire. C’est plein de tendresse et d’espoir et l’on applaudit des deux mains au dernier essai qui consacrera la victoire du faible sur le fort. Le sport dans ce cas précis est le moyen de se libérer et non d’aliéner un peuple comme dans le film de Salles (Linha de Passe).
Autre bijou avec O’Horten de Bent Hamer qui doit solder ses comptes avec sa vie au soir de son dernier voyage comme conducteur de train. Pour gagner cette liberté et accepter son statut de retraité, il va falloir que le héros (Odd) au temps retrouvé passe par quelques épreuves initiatiques. Après une entame très classique, le film s’autorise quelques incursions dans le monde de l’absurde, décalage réel entre le sérieux du protagoniste et les situations complètement loufoques qu’il vit. C’est frais et revigorant comme un pays nordique sous la neige.
Petite comédie française avec en vedette un Darroussin enfin échappé des Pyrénées, Les Grandes Personnes de Anna Novion est un conte loufoque qui brode autour des émois d’une adolescente et du rapport qu’elle entretient avec un père possessif et fantasque à la recherche d’un trésor. Les adultes ne seront pas épargnés dans cette rencontre fortuite entre deux familles pour cause d’erreur de location d’une maison en Suède. C’est gentillet comme une glace à la vanille en temps de vacances.
Linha de Passe de Walter Salles et Daniela Thomas (après le film Carnet de voyages sur le Che) montre la vie d’une famille dans les quartiers pauvres de Sao Paulo où tous les chemins qui mènent vers la réussite semblent condamnés. C’est un film noir sur l’enfance dérobée et sur la pauvreté où le football devient le nouvel opium du peuple et sert d’exutoire à toutes les misères, où la ligne qui sépare l’honnêteté de la malhonnêteté est si ténue, que l’on peut la franchir à tout moment. Il en va de même avec Le sel de la terre de Annemarie Jacir, un film sur le retour en Palestine d’une fille de réfugiés, née aux Etats-Unis. Elle cherche à récupérer un maigre pécule laissé par son grand-père dans une banque palestinienne et tente de retrouver les traces de sa famille. Si Kafka devait renaître, il fait nul doute qu’il élirait domicile en territoires occupés ! Son combat pour rester sur la terre de ses ancêtres croisera le chemin d’un jeune Palestinien qui désire s’évader de cet enfer. C’est un film très sensible et émouvant même si quelques naïvetés parsèment son parcours.
Blindness de Fernando Meirelles faisait l’ouverture du Festival. L’occasion était trop belle d’entamer cette semaine dédiée aux dieux de la pellicule par un film dont le sujet est une pandémie de cécité dans un monde qui a perdu son âme. Les aveugles parqués dans des prisons vont reproduire les tares de la société, les plus forts dominant les faibles, la violence prévalant sur la raison, et les femmes devenant une marchandise dans un troc pour la survie. C’est une parabole entre la nuit des morts-vivants et un conte philosophique pervers. Dommage qu’une fin poussive aux relents de happy end vienne entraver cette glissade dans les abysses de la noirceur des hommes.
Gomorra de Matteo Garrone est une peinture des luttes fratricides entre clans de la Camorra. Sur fond de drogues, extorsions, d’escroqueries à l’Europe sur le traitement des déchets, de meurtres et d’armes, plusieurs histoires s’entremêlent pour peindre un tableau d’apocalypse d’une société au bord du gouffre. Il n’y a plus de lois, plus de règles, les amis d’enfance se tuent, les mères se font assassiner par des hommes de mains, les jeunes n’ont comme objectif ultime que d’intégrer une bande et pour ce faire, passent des épreuves initiatiques en se faisant tirer dessus, la population devient une masse asservie sans possibilité de réaction et l’humanité se dilue dans une sauvagerie sans limite.
C’est magnifiquement filmé comme un reportage flamboyant qui oscille entre le réalisme et la fiction, la fin létale d’un monde chancelant. On devrait retrouver ce film dans le palmarès, (commentaire écrit avant la cérémonie de clôture !), il est de salut public avec cette maigre lueur d’un homme qui va refuser de voir sa terre mourir et décider de couper tout lien avec la pègre. Puisse-t-il avoir un peu raison dans ce troupeau qui se laisse conduire vers une mort au travail sans réaction dans une ville de Naples gangrenée par un amoncellement d’ordures qui la paralyse !
Le silence de Lorna des frères Dardenne est un film émouvant traitant de la place des émigrés dans les marges de notre société européenne. A la recherche d’un sésame absolu : la carte d’identité communautaire qui permet de s’affranchir des frontières. Un mariage blanc avec un « camé » a permis à Lorna, jeune et belle réfugiée, d’obtenir ce passeport pour le paradis terrestre de la consommation. Las ! Lorna va s’attacher à ce junkie qui tente de se sevrer. Il va réussir grâce à son aide à s’émanciper de la dope et en cela, déjouer les plans de l’organisation maffieuse qui avait déjà prévu un remariage de Lorna avec un truand Russe en mal de nationalité belge. Il sera donc « overdosé » afin de libérer une place au banquet de la consommation ! Chronique douce-amère d’une tragédie au quotidien, le film montre que derrière l’instinct de survie de ceux qui ne possèdent rien, un reste d’humanité stagne, petit sable dans les rouages d’une mécanique froide de l’horreur. La mort va déclencher une prise de conscience qui mènera Lorna vers la fuite de tous ses espoirs. La folie est parfois le prix à payer des réveils d’une conscience assoupie !
Film parmi les films, réalisateur parmi les grands, L’échange de Clint Eastwood était
attendu sur la Croisette par son copain Sean Penn, président du jury. N’en déplaise aux « pisses copies », le rendez-vous fut à la hauteur de l’attente. Angélina pas seulement jolie,
une histoire qui mêle tueur en série, force de police gangrenée, psychiatrie et folie, religion et féminisme ne pouvait que nous enflammer. C’est filmé avec la sobriété de ceux qui n’ont plus
peur du vide, l’histoire est légèrement distante, la reconstitution soignée, le jeu des acteurs impeccable, tout est quasiment parfait et s’installe à mon goût dans le palmarès au sommet de l’or,
vers une palme promise et méritée, (Bon, je crois que j’avais un peu exagéré !). Un conseil, allez voir ce film au plus vite. Clint, on t’aime ! (Et là, je maintiens !)
Bon, vendredi prochain, vous aurez droit à la 2ème tranche de mon parcours dans ce 61ème Festival du Film ! Souvenez-vous, ces commentaires ont été écrits à chaud, d'où parfois ce
décalage avec la réalité ! Mais c'était le but du jeu, donner mon impression dans l'ambiance de cette consommation forcenée... alors, on ne change pas la règle ! Rendez-vous vendredi,
il y aura encore quelques surprises !