Iggy Pop et les Stooges
L’Iguane à Cannes pour un concert unique en France, entre Budapest et la Russie, on en rêvait, le public l’espérait, tout le monde en avait peur…moi aussi, et pourtant, on l’a fait ! Introduire en crime de lèse-majesté dans ce lieu chargé de toutes les images glamour des stars du Festival du Film, une bande de fous furieux qui ont inventé tous les délires du rock, précurseurs du punk et rois des premiers pogos, fallait oser ! On a osé !
Salle bourrée à craquer pour une première partie, Eon Megahertz, groupe local transcendé par cette opportunité de réaliser la première partie de leur idole. Un set nerveux et noir, batteur épileptique, guitare et basse à « donf », un « hard » à faire vibrer les murs du Palais, petites minettes en jupettes lamées argent et cheveux d’or en clin d’œil pour booster le « merchandising » et danser sur scène. Un beau groupe élégant dans sa rugosité, d’Antibes et de Cannes, que cette opportunité devrait conforter dans sa démarche originale.
Vous raconter les premiers contacts. Il y a 6 mois, englué dans la recherche d’une programmation choc pour les Concerts de Septembre
2008, je navigue entre Zucchero, Mariane Faithfull, Bob Dylan, et d’autres stars, ricochant d’échecs en absences de confirmation, passant des heures au téléphone à tenter de concilier
l’inconciliable, quand une jeune programmatrice me propose en hésitant, Iggy Pop et les Stooges. Sophie Kafiz, à la recherche d’une place dans ce monde cruel de la diffusion. L’idée est absurde,
folle, inconcevable, la salle étant si peu adaptée à ce concert, fauteuils velours rouge, moquette, scène sans hauteur accessible au public, le prix de vente de l’artiste est élevé, très élevé…le
groupe se rendant en Russie, ce serait la seule date française, pause dans une mini tournée de capitales européennes.
Les photos sont de mon
ami Alain Hanel, un photographe qui vole des images pour leur donner une âme !
L’accord de mon Président et du
Directeur Général obtenu sans réserve malgré l’analyse des risques de ce concert dansr la salle extrêmement défavorable, nous voguons vers cette journée historique du 27 septembre 2008, Iggy dans
le Palais pour un peu plus de 20€ !
Une fiche technique hilarante mixant des éléments réels sophistiqués (son, lumière, accueil…) et des demandes surréalistes (un sosie de Bob Hope pour lui raconter des histoires dans sa loge et le faire rire, sept hommes de petites tailles vêtus comme les 7 nains pour cheminer avec lui de sa loge à la scène, une jeune fille déguisée en Cendrillon pour l’accueillir après le concert…). Imaginez la tête du technicien en train de nous lire la fiche technique.
La production française est assurée par Alain Lahana, un de ces rares bons producteurs qui aime la musique et les musiciens, qui cherche et trouve de nouveaux talents, qui est fidèle en amitié. J’avais déjà travaillé avec lui sur Rachid Taha. Le contact était passé et il le reste, nous mettons en œuvre la logistique complexe d’un tel concert. Une de ses demandes nous posera bien des problèmes. Iggy fait deux heures de fitness par jour… nous aménageons donc un mini club dans une suite du Majestic, le palace où nous le logeons. Désolé chers fans, Iggy est aussi un homme comme les autres qui fait du sport pour pouvoir se défoncer sur scène comme un sportif de haut niveau ! Triste réalité !
Deux jours avant le concert, notre limousine le récupère à la sortie de l’avion et le dépose au Majestic (en face du Palais des Festivals) où je l’accueille avec un pincement au cœur. Il disparaît alors dans une grande discrétion, pas de scandale, ni de demandes hors normes, enfermé en pratiquant son sport, sans boire ni manger le jour du concert pour être au top ! J’ai vécu cela jusqu’à voir débouler une horde vers le Palais au soir du 27 septembre, du vieux soixante-huitard aux jeunes percés, des blousons de cuir aux middle âge and class attirés par l’odeur d’une star, un panel bien représentatif d’une population branchée à la recherche du coup de cœur.
Et alors, les Stooges sont arrivés (air connu). Le public leur a réservé une véritable ovation pour célébrer l’alliance du feu et de la glace, le son massif et anguleux que les musiciens ont jeté en pâture à tous les conformismes de cette salle mythique. Reformé après 30 ans de séparation, Scott Asheton (batterie) et son frère Ron à la guitare, Mike Watt (le bien nommé !) à la basse et Steve Mackay au sax, campent au milieu d’un mur d’enceintes, avides de rattraper le temps perdu à coups de décibels. Et cela fonctionne parfaitement. Un son d’une puissance extraordinaire (des pics à 115 dB mesurés) qui garde sa cohérence interne, une rythmique envoûtante en vagues destructrices, le corps à l’unisson d’un spectacle total qui transforme la salle du Palais en caisson de résonnance d’une fureur électrique démentielle. C’est cela un concert des Stooges, une étrange plongée dans un monde irrationnel.
Et le vibrion hystérique pénètre dans l’arène, torse nu, micro à fil dans lequel il éructe, sautant, bondissant sans interruption
comme une puce épileptique. Iggy Pop transfigure le rock, devient un dieu d’énergie pure, incarne la magie du dérèglement. Dès le deuxième morceau (Down on the street), il escalade le mur
d’enceintes et campe dressé comme un seigneur, il toise la foule et replonge sur le plateau, se jette dans le vide, se fait happer par le public qui colle à la scène sans protection. Bizarrement,
cette absence de sécurité traditionnelle, la pression réelle de la foule sur les membres du fragile cordon de cerbères va grandir le spectacle, le propulser dans un évènementiel rare.
Le sphinx au milieu de ses
fans sur "No Fan"
Sur No Fun, Iggy invite une soixantaine de personnes à le rejoindre. La digue semble craquer, condamner le show, la salle tangue
d’ivresse mais Iggy assure dans cette marée humaine, ne perd jamais le contrôle de la situation pendant que ses comparses, inébranlables, continuent stoïques, de déverser leur son de feux
infernaux.
Saisissante pose que personne
n'aura vu... dans le mouvement paroxystique, l'ivresse solitaire d'un homme qui donne du sens au mouvement.
Comme une fusée dans l’éther, les morceaux fulminent, dérapent, rebondissant sur les paroles d’un Iggy paroxystique, boitant bas, se versant des litres d’eau sur la tête, asphyxié maintenu en vie
par un souffle venu d’ailleurs. L’emblématique I wanna be a dog lui permet de hurler à la mort, Electric Chair d’entrer en transe (si c’est encore possible), et il enchaîne sans répit, sans mots,
Little Doll et Ray Power comme si cela devait être les derniers morceaux de musique joués sur cette terre, le pantalon de cuir glissant sur ses genoux, poils pubiens apparents, fesses à
découvert, androgyne diabolique forgé dans le fer rouge des entrailles de la musique.
Pas de redescente pour l’artiste. A la fin du set (1h15), il s’écroule, pantin désarticulé, ayant tout donné et reste de longues secondes la face sur le plancher de la scène avant de s’ébrouer et de s’éclipser définitivement dans les hurlements de la foule en extase.
Trente minutes après, Alain Lahana vient me chercher pour
m’introduire dans la loge du dieu vivant. Il est seul en compagnie d’une sculpturale métisse à la poitrine de feu. Il est beau, comme débarrassé des peurs du monde. Yeux clairs, sourire charmeur.
Il me dit merci en sautillant. Comme un enfant, il rigole du bon coup qu’il vient de réaliser, « jouer dans cette salle où toutes les stars sont passées… et vous avez même posé un tapis
rouge sur les marches pour accueillir mes fans (sic) ! ».
Iggy, 30 minutes après
le concert. Ses yeux pétillent, il est heureux, il me serre dans ses bras et rit encore du bon coup qu'il vient de jouer dans le temple du glamour ! Je suis au paradis
!
Il me signe quelques autographes et accepte gentiment deux photos qui iront se graver dans mon bestiaire musical. Je suis, pour quelques minutes, le centre de la terre, le point ultime de tout ce qui nait et meurt, de tous les rêves du possible. La porte se referme comme si les plaisirs devaient fatalement s’achever avec un pincement au cœur. Il confiera à Alain que je suis un drôle de directeur, sans costume ni cravate…
Je m’en vais. Yves Simon m’attend au Farfalla, un restaurant en face du Palais, en buvant un verre de Meursault. Nous allons manger ensemble pour terminer cette journée, j’ai quelque chose à lui raconter… Cela parle d’un certain jour où une légende du rock est venue jouer à Cannes et a croisé mon chemin. Je vous le jure, j’y étais ! Un apprenti sorcier qui n’avait rien compris de la vie des autres et pensait toujours que le monde peut se façonner aux désirs des enfants. Je suis cet apprenti-sorcier, je reste cet enfant et j’en suis fier. L’âge n’aura pas de prise sur les élans de ma passion. Il peut me diminuer, il peut corroder mon corps, mais je reste un éternel adolescent émerveillé par la magie d’une rencontre, d’un artiste et de son public, d’un instant de grâce à cheval sur les terreurs engendrées d’un monde que l’on ne comprend plus.
Yves Simon m’attend, c’est toujours et encore la même histoire d’une rencontre… mais c’est pour la prochaine édition de mon blog, bientôt !