Paris-Théâtre, octobre 08.
Paris. La saison théâtrale est morose. Une Plongée dans les salles afin de dénicher les pépites de la programmation 2009/2010 s'impose. Beaucoup de pièces, des heures dans l'inconfort général, mais aussi des rencontres, mes amis Yves Simon, Nilda Fernandez et une auteure, Agathe Fourgnaud, le talent à l'état rebelle. Les nuits sont trop courtes pour faire le tour d'un monde en folie. C'est bien de rêver aux lendemains !
11 et 12 octobre. Riccardo Caramella « Bon anniversaire, Maestro
Puccini ». Salle de la Licorne. Cannes.
On connaît le talent du pianiste, on connaît moins la verve gouailleuse du conteur. Riccardo a cette capacité de rendre la musique accessible, de désacraliser intelligemment les grands compositeurs en leur réattribuant un peu de chair. On passe ainsi de morceaux de musique exhumés, d’essais qui deviendront au fil du temps de véritable bijoux, en suivant l’histoire de leur composition et en accrochant des pans de moments vécus comme des perles.
Petit exemple narré par Riccardo Caramella.
Rossini envoie pour noël un « panettone » à ses amis et s’aperçoit que sa secrétaire l’a expédié à Toscanini, qui est à New York, alors qu’il vient une nouvelle fois de s’embrouiller dans cette relation d’amour et de haine permanente qui les caractérisera. Il décide de lui envoyer un télégramme. « -Panettone envoyé par erreur. ». Il recevra le lendemain une réponse de Toscanini. « -Panettone, mangé par erreur ! ».
La soirée s’écoule ainsi, entre la mélodie et l’humour, avec un zeste d’émotion quand Riccardo parle de sa vie, des actions humanitaires qu’il mène et le conduisent à rendre un peu de cet amour et de l’argent à ceux qui l’ont tant aimé sur les scènes du monde entier.
Que le chœur flotte un peu, que le baryton tombe malade et le ténor dérape parfois n’a alors que peu d’importance. Il reste une belle
énergie, un désir de contrepied, une démarche atypique avec un cœur gros comme une tranche de vie pleine de surprises et de tendresse.
Bernard avec Puccini. Présentation du concert de Riccardo Caramella.
15 octobre. Le diable rouge. Avec Claude Rich et Geneviève Casile. Mise en scène Christophe Lidon. Texte d’Antoine Rault. Théâtre Montparnasse.
J’avais accueilli avec beaucoup d’enthousiasme la précédente pièce d’Antoine Rault, Le Caïman avec Claude Rich portant sur la vie d’Althusser et le meurtre de sa femme. Changement de décors avec cette pièce historique portant sur l’agonie d’un Mazarin malade, tentant de s’accrocher aux lambeaux de son pouvoir devant la montée inexorable d’un Louis XIV qui entame son ascension vers les sommets de la gloire. Belle pièce d’une facture classique, parfois un peu trop dans sa scénographie, mais dont le texte fait ressortir la fascination des hommes de l’ombre pour la lumière de l’exercice du pouvoir. La mère de Louis XIV est la témoin de cette passation qui enterre aussi sa propre volonté de régenter le roi. Louis XIV va ainsi se libérer de ses chaînes et concentrer le pouvoir entre ses mains. Fin d’une période, début d’une ascension, Claude Rich est parfait dans son cabotinage de vieux despote tentant de sauver quelques bribes de sa puissance d’antan. Un beau moment d’histoire dans une langue fleurie.
16 octobre. Le malade imaginaire. Avec Michel Bouquet et Juliette Carré. Mise en scène Georges Werler. Théâtre de la Porte St Martin.
Un texte qui sonne si présentement, en écho de tant de nos angoisses, maladie chronique d’un mal de vivre, Michel Bouquet est l’incarnation de cette mort au travail qui hante tout acteur qui s’empare de ce rôle au souvenir du grand Molière agonisant sur scène. Fragilité insoutenable de l’être humain, profondeur du personnage de théâtre et d’une distribution parfaite. C’est un chef-d’œuvre de sensibilité, d’humour et de drame. Il n’y a rien à dire, juste baisser son chapeau et dire à un Bouquet crépusculaire, merci pour votre carrière, merci pour cette illumination d’une œuvre qui continuera à traverser l’histoire des hommes par sa férocité contre les savants, son mépris des conventions et la force désespérée de l’amour. Vive Molière !
17 octobre. 15h Café de Flore. Rendez-vous avec mon ami Yves Simon.
Deux heures pour nier le temps, parler du monde et se percher sur un fil d’amitié parcourant des vies d’hommes. C’est beau le partage des rêves, les interrogations multiples et le regard convergent vers la réalité. Deux heures passées à la vitesse d’un songe d’harmonie.
18h30. La divine Miss V… Avec Claire Nadeau. Texte de Mark Hampton et Mary Louise Wilson. Mise en scène de Jean-Paul Muel. Théâtre du Rond-Point
Tout est beau, les décors rouges, la mise en scène précieuse, le jeu sobre de Claire Nadeau… mais au fond on s’ennuie un peu ! Les états d’âme d’une miss vieux siècle, impératrice de la mode, ex-rédactrice de « Vogue » nous indiffèrent. On peut épiloguer sur le personnage et trouver des résonances au monde moderne, rien n’y fait, je m’ennuie ferme et en plus, j’ai sali mon beau pantalon avec la gomme d’un scotch qui colmate le dossier bringuebalant du siège qui est devant moi. Il ne fait pas bon avoir de grandes jambes à Paris, même au beau théâtre du Rond-Point.
21h Sans Mentir. Texte de Xavier Daugreilh. Mise en scène José Paul et Stéphane Cottin. Théâtre Tristan-Bernard.
Une future pièce culte d’après Gérard Miller. Bon, moi je veux bien. Peut-être que les acteurs ont eu un coup de calcaire, ou bien que j’étais toujours avec Yves Simon, ou que sais-je encore… Mais rire à ce vaudeville sans saveur ni rythme aurait été un exploit. Sur une trame éprouvée, le mensonge qui en entraîne d’autres, (cf, Stationnement alterné, Chat et souris, Espèces menacées et tant de bijoux), l’auteur s’épuise, les acteurs s’agitent et rien ne se passe si ce n’est un sentiment de grande solitude. Et puis mon pantalon salle, fallait pas déconner, non mais !
18 octobre. La journée des dupes. De Jacques Rampal. Mise en scène Yves Pignot. Théâtre 14.
Surprise. Dans une langue en alexandrins fleuris, Louis XIII malade, attaqué de toutes parts, sous la pression des intégristes catholiques, d’une Espagne et d’une Autriche aux aguets, va confier le pouvoir à un Richelieu omnipotent pour asseoir sa royauté et ne pas succomber aux affres d’une nouvelle guerre de religion. 20 ans avant le Diable rouge, par les hasards d’une programmation, les deux couples de pouvoir se trouvent renvoyés en écho, l’un en image inversée de l’autre. Louis XIII est malade même s’il est lucide et fait le bon choix de confier les rênes du pouvoir à un Richelieu rayonnant, Louis XIV est fringuant, il dévore la vie et abandonne Mazarin dans ses rêves d’une puissance révolue. Au milieu, naviguant d’une pièce à l’autre, Anne d’Autriche, femme séditieuse de Louis XIII devient la mère d’un Louis XIV dont elle n’accepte pas qu’il la rejette pour exercer son pouvoir en solitaire.
Etrange paradoxe de deux écrivains contemporains qui font revivre deux pages d’histoire séparées par une poignée d’années avec un personnage commun vu sous deux angles différents. La mise en scène est très théâtralisée, le rythme parfois un peu lent ne gêne pas la tension d’une histoire en train de revivre sous nos yeux.
Ainsi donc, deux auteurs contemporains, dans une démarche parallèle, exhument deux tranches d’histoire, le personnage de la femme du roi Louis XIII de la première pièce devenant la mère de Louis XIV dans le deuxième. Dans la même ville, la même saison, un pied de nez au hasard qui donne furieusement le désir d’aller jusqu’au bout de cette concomitance : une programmation à Cannes la saison prochaine… dans l’ordre chronologique !
Francis Lalanne ayant une extinction de voix, je serai donc privé du plaisir extrême d’assister à Lorenzaccio. Tant pis ou tant mieux, c’est selon !
19 octobre. 15h. Elle t’attend. Avec Laetitia Casta, Bruno Todeschini, Nicolas Vaude. De et mise en scène de Forian Zeller. Théâtre de la Madeleine.
Bon, je veux bien. Un mec capable de quitter sa femme pour la Casta, cela paraît tellement normal… mais qu’il la laisse
tomber en pleine présentation à la future belle famille pour retourner chez la mère de ses enfants, non, là, ça déconne vraiment ! Elle est trop belle notre effigie corse. Elle a une chute de
« rein » à faire apparaître les chutes du Niagara comme une aimable plaisanterie, des fesses pour ne pas dire un cul, sublimissimes, un torse à damner un « sein » et même le
bout d’un téton apparent qui illumine la pièce d’une aréole boréale. Mais à part cela, c’est long, verbeux, inutile, désespérant d’une platitude inversement proportionnelle à la beauté des
courbes de l’héroïne abandonnée. Les acteurs font ce qu’ils peuvent, le décor est beau mais l’argument tenant sur un papier à cigarette ne nous fera pas fumer le cerveau. Loin s’en faut !
Tout est plat, sauf bien sûr les formes de Laetitia, et ce n’est pas une mise en scène poussive qui relèvera l’électroencéphalogramme désespérément étal de cette pièce terriblement française où
rien ne se passe que l’attente d’un rideau de fin tombant enfin sur notre espoir de rencontrer et de garder auprès de soi une Laetitia Casta au demeurant bonne comédienne.
18h. Sérial Plaideur.De et avec Jacques Vergès. Théâtre de la Madeleine.
Cela commence par une brillante démonstration sur la notion de culpabilité, sur le rapport entre le théâtre et la justice. Cela enchaîne avec une application plus concrète sur des cas de figures contemporains et sur des procès que l’avocat a vécus, cela aboutit parfois à de vrais moments d’humanité. Vergès nous prend par la main et nous balade, suspendus à son verbe brillant, entre les horreurs de la réalité et la nécessaire prise en charge de celles-ci par une société qui les engendre et se doit d’en traiter leurs auteurs avec compassion.
Pas d’ambiguïtés dans son discours, le mal reste le mal, mais son traitement ne peut et ne doit se résoudre à se situer sur le terrain de ceux qui ont porté le fer de l’horreur. Parfois les ailes de la tendresse effleurent et certains personnages qui viennent le hanter sont si cruellement humains que l’on se prend à avoir de la commisération à défaut de tendresse pour eux.
C’est brillant, enlevé, cela fourmille de notations, de références historiques et philosophiques. On aurait aimé avoir Jacques Vergès comme tuteur, prof ou maître, on se contentera de ce beau moment d’intelligence dont on émergera avec l’impression de mieux comprendre la réalité. Et ce n’est pas les faiblesses d’une maigre mise en scène et le jeu physique gauche d’un Vergès qui pourront contraindre son verbe à plier devant les impératifs d’une mise en spectacle accessible à tous.
Si l’avocat tribun a 20/20, si l’analyse de texte est parfaite, cette faiblesse de l’acteur Vergès rend d’autant plus attachants, authentiques, sa démonstration et son plaidoyer pour une justice plus humaine. Non-coupable, avec les félicitations du jury populaire, le public !
Une dernière bière avec Nilda Fernandez, mon pote qui m’a rejoint pour cette ultime pièce de mon périple parisien, quelques discussions sur des projets à venir et le rideau se ferme sur cette semaine de spectacles et de rencontres. Si les pièces sérieuses semblent tout à fait séduisantes et programmables, je vais avoir quelques problèmes avec les comédies. Peut-être est-il trop difficile de faire rire quand le monde vacille sous les coups d’irresponsables qui nous ont menés à la ruine. Il faudra bien panser les plaies de notre économie mais rassurons-nous, tous ces tsars de la finance et de la politique, une fois la crise dénouée grâce à notre argent public, resteront en place, accrochés à leurs privilèges et pourront alors nous expliquer de nouveau comment fonctionne le monde et combien il faut travailler plus pour gagner moins !