Deux morts et un enterrement !
Petit commentaire déposé sur le blog de David Lisnard écrivant sur la starification de Michael Jackson après son
décés.
Divagations au petit matin !
« Dans le cas de notre ami M. Jackson, cher Président, vous évoquez sont statut de "starification" mais n'est-ce point plutôt de "scarification" dont il faut parler ? En quel cas, notre
messie de la pop aurait offert son corps et son sang à l'élaboration de son propre mythe et d'une nouvelle religion dont ses fans seraient les apôtres ! En l'occurrence, la scène prendrait
furieusement une allure de cène et son parc Neverland deviendrait un Eden épargné par le pêché originel ! »
La mort du roi de la pop m’a laissé étrangement indifférent. D’ailleurs, je me suis aperçu à cette occasion que je n’avais aucun CD de lui. Ce n’est qu’après les nombreux reportages entrevus à la télévision et les articles de Libé et du Monde que le personnage a pris une certaine épaisseur pour moi. Son rapport aux « fans », sa disponibilité et la gentillesse de sa sécurité, (vérifiée à l’occasion de sa prise d’empreintes par ma collaboratrice Nadine S. lors de la présentation de son clip au Festival du Film) n’étaient pas qu’une légende. Sa trajectoire d’enfant prodige en star momifiée par un culte planétaire n’obère en rien la part d’ombre d’un personnage lunaire. Qu’en est-il exactement de ce passé de soufre qui brouille une image colorée ? Le rapport à la teinte de sa peau qui mène à cet étrange paradoxe que l’emblème des blacks américains tentait désespérément de se blanchir en gommant sa couleur d’origine, la monstruosité de ses masques mortuaires dérobant son visage aux photographes, son nez sans cesse « retaillé » aspirant le regard de son trou noir, ses enfants engendrés dans la froideur d’une mécanique même si son amour paternel ne semble point discutable…Mais le reste aussi, les nuits dérobées d’enfants perdus, mythe ou réalité ? L’histoire ne tranchera jamais, mais il reste les traces de ses spectacles, les galettes d’un son brut, cette silhouette étonnante de grâce virevoltante en échappant à la pesanteur, ce sens de la scène et de la musique qui en font un des personnages fondamentaux de l’univers musical de la fin du XXe siècle ! Sa disparition brutale, apte à générer toutes les rumeurs, entretiendra sa légende et lui permettra de se retrouver aux côtés des James Dean, John Lennon et autre Hendrix foudroyés en plein soleil pour l’immortalité !
Que dire alors de cette cérémonie mondialement diffusée où l’improbable côtoyait le mauvais goût, le génie, l’à-peu-près, où un Dieu si typiquement invoqué par les américains, dispensait ses bienfaits en larmes dégoulinantes cascadant de bouches éplorées, où les voix s’époumonaient à tenter de monter dans l’azur afin que les présents récupèrent un peu de la gloire du disparu…Facticité d’un clan artificiellement reconstitué, d’un père honni devenu le géniteur d’un dieu mort ? Rien sans doute, si ce n’est que l’authentique tristesse de certains ne pouvait que se heurter à la réalité d’un monde où la mort affronte au quotidien les indéfinissables, les sans-grades, les mères et les enfants qu’une faux vengeresse décapite allégrement aux sons des tubes de Michael Jackson que la radio déverse en flots tumultueux !
Par contre, j’ai été choqué par la disparition soudaine de la grande chorégraphe Pina Bausch. Je me souviens encore en 1984, au TNP de Villeurbanne, de la seule et unique fois où j’ai vu une de ses pièces en live. Je me rappelle vaguement de danseuses et danseurs vêtus de tenues sans forme en train de se jeter sur des parois de bois délimitant la scène, d’une musique assourdissante et d’une émotion naissant de l’enchevêtrement des corps et de la rythmique d’un mouvement paroxystique, sans fin. Après Béjart en Avignon en 1969, Pina Bausch en 1984 m’a transmis une idée de la Danse sans frontières ni limites, comme une bouffée d’air pur dans le conformisme d’un académisme qu’elle faisait voler en éclats. Mon imaginaire chorégraphique s’est structuré autour de ces deux repères.
Je n’aurai plus l’occasion de la voir. C’est une grande perte pour le monde des idées et de l’art. Depuis 10 ans, je suppliais Yorgos Loukos, le Directeur artistique du Festival de Danse de Cannes que j’organise, de monter un projet avec elle et de la programmer, et ce d’autant plus, qu’il la connaissait personnellement. Ce n’était pas chose aisée mais j’avais bon espoir…je l’ai perdu définitivement cet espoir de croiser son chemin et de partager un moment de sa magie, je le regrette infiniment !
Il reste le mystère d’une femme morte en cinq jours d’un cancer inconnu. Les rares éloges d’un monde frileux ne l’empêcheront point d’accéder au Panthéon des vraies célébrités, celles que l’histoire grave dans ses pages en lettres d’or. Tant d’autres disparaîtront à jamais du grand livre des femmes et hommes qui ont transformé le monde des certitudes…que le temps n’usera point son aura mystique. Elle échappait aux règles, aux normes, n’était jamais où on l’attendait, toujours dans cet univers si particulier de bruit et de fureur qui fait que le silence de sa disparition devient assourdissant. Elle posait inlassablement des questions et ces questions resteront ouvertes à jamais de par sa disparition…si rapide, trop tôt.
Il est toujours trop tôt pour que la lumière s’éteigne !