Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Fin de voyage. La Transmed (5)

Publié le par Bernard Oheix

Voilà la ligne d'arrivée et nos rescapés sains et saufs, perdus dans l'agitation des côtes tunisiennes. Ils ont fière allure nos marins, et dans l'emballement de cette dernière nuit de navigation et des effluves orientales, notre responsable du journal de bord pète un plomb et se pose une couronne d'épines sur la tête. Bon, il faudra redescendre sur terre, c'est sûr, mais en attendant, quel pied !
Reste la transatlantique à effectuer l'an prochain et à survivre à la lecture de ce journal par mes amis marins d'opérette... 40 années d'amitié se brisant sur quelques envolées stylistiques à la brise océane, c'est dur d'être le rapporteur de service quand rien ne peut l'empêcher de faire un effet de style, une figure non imposée, un jeu de mots comme un acte gratuit !



10ème jour.
Fin de la grande traversée.

Je ne suis que l’humble plumitif chargé de rapporter dans ce livre d’or les événements qui se sont succédés sur ce fier voilier. Pourtant, aujourd’hui, en ce matin du 12 juin de l’an de grâce 2007, 10ème jour de notre expédition vers les terres d’Orient, j’aimerais posséder la science des mots, la magie du langage, le souffle à même de vous retranscrire le cours incroyable des aventures de cette nuit dantesque.

Nous sentions bien aux nuages chargés de soufre, aux éclairs d’une clarté sourde en train d’agoniser dans les abysses d’une ligne d’horizon, que cette nuit ne serait pas comme les autres, qu’il en allait de notre destin et que notre courage serait éprouvé. Las ! Nous ne croyions pas si bien penser !

C’est Captain Fifi dans son premier quart qui nous a tirés du sommeil avec des hurlements démoniaques. Malgré sa vigilance, nous nous sommes empêtrés dans les mailles d’algues tressées d’un filet dérivant. Notre quille ripant contre ce piège létal, frôlant la catastrophe d’une immobilisation définitive et d’une paralysie synonyme de mort assurée, notre capitaine a, au prix d’une manœuvre hardie, réussi à coucher le voilier afin de nous dégager de cette pieuvre qui tentait de nous tirer vers le fond. En se libérant, Captain Fifi arracha nos lignes de pêche, nous condamnant à vivre sur nos réserves jusqu’à la fin de cette expédition. L’heure était grave, quand, épuisés, nous avons décidé de tenter de récupérer en nous jetant sur nos grabats. Hervé maître-queue affronta alors un ballet de licornes. Ses cris nous rameutèrent. Sous nos yeux exorbités, une dizaine de gigantesques animaux préhistoriques traçaient une route parallèle à la nôtre. Immenses, hautes de plusieurs étages, éclairées par le diable et crachant une fumée noire dans le ciel sombre, elles vaguaient en musardant, cherchant quelques proies à dévorer, il fait nul doute. Fort heureusement, elles passèrent au loin sans s’occuper de nous. Le bruit ronflant de leurs narines portait jusqu’à nous. Nombre d’entre nous se sont signés dans l’obscurité, confiant leur destin à un Dieu tout-puissant, quémandant avec force qu’il nous permette d’échapper aux pièges de cette nuit d’enfer.

Vint mon tour de garde. Force Brutale mais si fragile au fond de moi. La première heure fut angoissante mais c’est lorsque je vis deux monstres marins en train de chercher l’affrontement en se précipitant sur nous que je perdis mes moyens. Je ressens encore cette terreur à la vision de leurs deux yeux énormes (un rouge et un vert) dévorant l’espace qui nous séparait. L’éclair jaillissant de leur gueule, mon désespoir à l’idée de cette dernière heure venue. J’avais tant de rêves encore à accomplir que j’ai hurlé en suppliant Captain Fifi de venir me sauver. Il a jailli, nu dans la brise, d’autorité s’est emparé des commandes et a imprimé un virage à 360° à notre esquif pendant que les deux monstres nous longeaient sous l’œil goguenard de marins tunisiens hilares. Il les a égarés dans l’immensité noire de cette nuit sans fin. Il avait fière allure notre capitaine dans le plus simple appareil, ses muscles découpés luisants dans la clarté blafarde d’une lune haut-perché.

Enfin le soleil s’est levé. L’odeur d’une terre chargée d’épices et de senteurs exotiques a précédé la vision d’un rivage hospitalier, chassant les derniers miasmes de nos peurs nocturnes. Nous préparons l’équipage à l’accostage. Captain Fifi, sévère mais juste, dans un accès de générosité, a éventré un coffre en nous autorisant à nous servir. J’ai récupéré deux colliers en verroterie, trois miroirs et un peigne, de ces babioles dont raffolent les indigènes et qui permettent les trocs le plus fructueux.

Déjà nous entendons les cris des mousmés, elles lancent des youyous en notre honneur et exhibent leurs poitrines généreuses. Elles dansent sur ce quai de fortune en dévoilant le diamant de leur nombril, prémices de tous les délices de la chair qui nous attendent. Ah ! La vie d’aventurier !

Nous allons débarquer dans quelques minutes. Ce sont les derniers mots que je jette sur les pages de ce carnet de bord. Il est prévu de s’en retourner après une semaine vers nos foyers, le temps de remplir nos cales de trésors et de ravitailler en eau fraîche, fruits et légumes.

Pourtant, je sens d’étranges langueurs. Saurai-je résister longtemps aux sourires éclatants des femmes abyssines ? Réussirai-je à contrôler cette pulsion d’une étreinte sauvage avec des corps animaux qui rugissent à nos sens exacerbés ? Leurs seins flamboient comme un appel à ma chair tourmentée par les stupres d’une vie de licence.

Une idée trotte dans ma tête, les germes d’un avenir grandiose. Et si je fondais un empire sur ces rivages primitifs peuplés d’indigènes accueillants ? Un empire dont je serais le maître, où Captain Fifi assurerait les responsabilités d’un amiral en chef d’une flotte de guerre à construire qui me ferait régner sur les côtes orientales de cette mer inconnue, où Hervé maître-queue deviendrait le superintendant de mes fortunes et gérerait les nombreuses femmes de mon harem qui assureraient ma descendance.

Je vais y réfléchir ! En attendant, les cris des femmes en rut montent dans l’azur et font vibrer en écho, la chair trop humaine de mes désirs. Je me souviens de cette pellicule cinématographique de ma jeunesse, « l’homme qui voulut être roi », et je respire l’ivresse d’un pouvoir à conquérir, d’un règne sur les sables du désert pour une cité fantôme érigée à la force de mes poignets, dans la sueur de mes esclaves.

Adieu ! Peut-être, sans doute ! Au revoir, que les flots vous entraînent jusqu’aux délices des portes du mystère.

Je vous ai aimés, il y a si longtemps me semble-t-il, dans une autre vie, un autre monde. L’inconnu m’appelle, les ombres s’épaississent, les mots s’effacent, vient le temps des actes, la mort ne pourra qu’attendre !

 

 Bernard O à Hammamet, harnaché pour le départ. Finalement, cette traversée ne laissera que peu de stigmates sur son corps d'athlète ! 

 

FIN


Il était temps que l'on arrive, pour nos santés communes comme pour l'équilibre mental du rapporteur.
Quelques jours à Tunis, l'avion de retour avec le Romulus ancré dans le port d'Hammamet sous bonne garde et la reprise du travail pour gagner son morceau de paradis... En attendant les cancers sont jugulés, la thyroïde s'est remise en marche, nos sens exacerbés revivent dans des physiques épanouis et l'avenir est devant nous...vive la Transmed 2007 !
 

 

 

 

 

 

Commenter cet article