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Compadre Nilda Fernandez

Publié le par Bernard Oheix

Il y a des jours comme cela. Goran Brégovic qui nous avait offert un concert sublime, Nilda Fernandez en première partie... C'est comme une madeleine qui fond dans la bouche, dans la moiteur des nuits vençoises. Cela donne des reflets dorés, l'impression de plonger dans son passé, de sentir les rêves se briser sur la réalité. C'est aussi la magie des souvenirs à fleur de peau, quand rien n'était trop beau pour une génération en train de conquérir son espace. Qu'en avons-nous fait est une autre histoire ?  Peut-être qu'il vaut mieux fermer les yeux et se souvenir du temps enfui !

 

Backstage aux Nuits du Sud de Vence, le meilleur Festival estival de la Côte d’Azur. Une programmation de Musiques du Monde, des groupes qui se livrent sans retenue, un public regroupé en masse sur la place du village, des restaurants et de la bière. Ce Festival est géré par Thé Saavedra, un latino génial qui monte sur scène avec ses chemises bariolées pour faire rugir le public et honorer les artistes qu’il aime pardessus tout et Serge Kolpa, régisseur général compétent, attentif aux détails, un de mes amis dans ce métier où tout le monde se connaît et où beaucoup se jalousent. Avec Théo et Serge, c’est différent, un respect, une passion autour de la musique, une humanité profonde. Vence, c’est à la fois une manifestation populaire (places entre 10 et 17€), le rendez-vous branché de ceux qui aiment les sons du monde et un endroit où l’on rencontre ses amis.

Sur la vidéo de contrôle, les cuivres de Goran Brégovic traversent la foule pour accéder à la scène, la musique se fait bal populaire. J’ai la nette sensation que mon ami va me faire rater le show de Goran, mais ce n’est pas grave, celui-ci ne pourra être meilleur que le concert de folie qu’il m’a offert à Cannes, quelques mois auparavant. (cf article dans le blog du mois de février 2007). Une assistante vient nous demander si nous désirons une bière, Nilda opine, elle est fraîche et nous nous regardons. Un ange passe. C’est bon de se retrouver.

Il sort à peine de scène, une première partie osée, seul avec sa guitare, avant le déferlement de Brégovic et de ses 50 musiciens, fanfares, chœurs d’hommes, voix bulgares, groupes… Nilda est entré à 20h 30 dans la lumière déclinante du jour, il s’est assis sur un tabouret… Barcelone, Mes fiançailles, Mes yeux dans ton regard… des mots ciselés, des mélodies simples qu’il retransmet fidèlement avec son unique instrument. Le public arrive par vagues et il les accroche, il les tient au bout de sa voix, charmeur, jouant de son élégance et de sa décontraction. Il a toujours cette voix de tête inimitable, monte dans les aigus, un timbre féminin qui envoûte. C’est Nilda sans la pression d’un groupe, jouant et s’arrêtant, interpellant le public, reprenant des thèmes à sa guise, communicant jusqu’à laisser la musique envahir l’espace et le silence reculer devant son talent. C’est Nilda et c’est mon ami.

Je me souviens toujours.

Débarquant en septembre 1980 pour un premier poste dans cette grande petite ville bourgeoise agricole, « la plus au sud possible ! », jeune Directeur de MJC, j’avais 30 ans, aucune expérience et des rêves plein la tête. Des années mythiques où rien n’était impossible. Le choc d’un métier à apprendre en réalisant ses propres expérimentations. Mon accent du sud qui faisait rire le Maire, mon premier coup avec la nuit du polar où une actrice jouait le rôle d’une Myralène Bacall inventée, marraine de la manifestation arrivant des USA, kidnappée par des mafiosi la pourchassant à coups de révolver (à blanc !) dans une « studbaker » blanche à travers les rues de la ville, la nuit de l’horreur avec la MJC intégralement recouverte de tissu noir où le public devait présenter sa carte de groupe sanguin avant de pénétrer dans l’arène et cette porte découpée en direct avec une tronçonneuse pendant la poursuite finale de « massacre à la tronçonneuse ». Des années de rires et de passion, quand l’ « agit-prop » n’était pas enfermée dans un corset de règles et de peurs, quand les acteurs pouvaient investir la ville sans craindre les foudres d’une administration terrorisée par l’éventualité d’un accident, quand l’ordre public était une question de public avant d’être celle de l’ordre. Ces années furent si belles, vivantes, animées de rencontres et de passions.

En 1984, je produisais des disques, des spectacles et mobilisais mon équipe dans la création d’un organisme officiel de production artistique et de diffusion des jeunes artistes. A l’époque, 600 structures programmaient régulièrement des spectacles. L’hypothèse que j’avais réussi à « vendre » à la Fédération Française des MJC, au Ministère de la Jeunesse et des Sports et au Ministère de la Culture, était que si chacun sélectionnait 3 spectacles dans notre catalogue, nous campions sur un capital de 1800 concerts, assurant le développement de notre structure, des artistes en devenir, forgeant une nouvelle crédibilité au réseau associatif en pleine mutation avec l’arrivée de la gauche au pouvoir.

Rassurez-vous, n’est pas Don Quichotte qui veut et Zorro qui peut !  Je n’étais que Bernard O, et mon projet si séduisant vola en éclats sur les aspérités des égos des programmateurs et sur cette sacro-indépendance des MJC qui allaient faire leur lit dans cette période où la culture rencontrait de plein fouet le monde de l’économie.

En attendant mon échec, c’est grâce à cette expérience que je découvrais les jeunes artistes de cette région.

C’est dans un café-concert de Lyon que je l’ai entendu pour la première fois. Sa voix m’avait bouleversé, une voix d’androgyne, perçante dans les aigus, descendante dans les graves pour remonter en boucles tourbillonnantes, trilles brodant un univers particulier entre l’Espagne et la France. A l’époque, il tentait de se frotter au rock, à la chanson, à tout ce qui pouvait exciter son imagination fertile. Avec son frère à la guitare, une batterie et une basse en rythmique, il se lançait à l’assaut du public, cherchant à le convaincre de l’aimer.

Son histoire est de celles qui feraient rêver les apprentis de la Star’Ac. Un premier disque pressé par une major qui décide de l’enterrer vivant et ne sort pas le produit. Il m’en avait offert un, prénom bizarre de conformité (c’est avant qu’il ne le change comme on change de peau, pour se purifier d’une tare originelle, exit D…, bienvenue à Nilda !), déjà cette touche originale, atypique, sans doute trop pour une industrie du disque qui surfait sur les dernières vagues de la prospérité, avant que le CD ne pointe son nez et ne bouscule les équilibres de l’industrie culturelle balbutiante.

Nous avions sympathisé, une amitié naissante, faite d’éclairs et de passion. J’ai encore une lettre qu’il m’écrivit, dans les jardins du Luxembourg pour me confier son désarroi et son espoir que je lui offrirais cette renaissance pour une reconnaissance. Je l’intégrai dans mon catalogue de La Belle Bleue, le proposant pour 1400 francs de l’époque (1985/1986) dans des MJC qui acceptaient de jouer le jeu. Il y en avait si peu, même si je me souviens avoir décroché un contrat à Ranguin à Cannes, en 1986, grâce à un de ces Directeurs qui croyaient que nous pouvions changer l’histoire et renverser les montagnes. Le nord l’accueillit pour quelques dates aussi, dates refouloir de mes ambitions pour cette perle dont je ne savais que faire.

Il entra en studio pour enregistrer un nouveau single, j’assistais à cette genèse sans avoir les moyens de le produire. La Belle Bleue s’effondrait et moi avec, sombrant dans le paradis des bonnes idées sans avenir.

Le titre qui en sortit s’appelait Madrid, Madrid. Cruel paradoxe, je déposais mon bilan au moment précis où un de mes artistes perçait pour devenir une vedette médiatique. Je voyais le train de la réussite me filer sous le nez, lui décollant pour un premier CD qui allait faire exploser les ventes en le propulsant comme chanteur à succès.

J’ai rebondi tout naturellement. Directeur de la MPT des Campelières, puis Directeur-Adjoint de l’Office de la Culture de Cannes pour atterrir Directeur de l’Evènementiel Cannois au sein du Palais des Festivals.

Pourtant, nos chemins ont continué à se croiser. Dormant à la maison au cours de sa première tournée promotionnelle, puis, programmé au Palais devant 800 spectateurs enthousiastes. Nilda ne pouvait se contenter d’être un chanteur à succès, le temps passant, il se dérobait devant le chemin direct qui mène au showbiz et installe l’artiste dans une case prédéterminée.

Son expérience en roulotte, son cabotage vers Cuba, des disques toujours, et son installation en Russie où il acquit un statut ambigu de star, disparaissant de la scène française pour réapparaître par intermittence, brouillèrent son image dans le métier tout en lui assurant une liberté qu’il partageait avec son public. Je le vis ainsi dans plusieurs villes et Festivals comme les Musicales de Bastia, toujours avec plaisir, toujours ce sentiment d’un passé à fleur d’émotion.

Là, en cette nuit caniculaire, à Vence, nous nous sommes retrouvés avec plaisir. Chacun avait fait son chemin, chacun a roulé sa bosse et expérimenté la vie. On dépose les armes de nos échecs, on compose avec nos succès passés, on rêve encore d’un avenir de beauté. Un projet s’ébauche, entre la sortie de son prochain album et une programmation à Cannes. On reprend nos habitudes, mon humour grinçant, son ton décalé, les échanges fusent dans les chorus de mon ami Brégovic qui tente vainement de capter notre attention. Le temps s’écoule à la vitesse d’une amitié libérée.

Il décide de passer le lendemain manger à la maison, à Cannes, sur le chemin de Nîmes où il a un rendez-vous en fin d’après-midi.

Dans mon jardin, après un repas arrosé d'un bon rosé, Nilda et son pacte avec le diable qui l'empêche de vieillir.

C’est ainsi que dans mon jardin, à l’ombre de mes bananiers, on boira, on mangera, on parlera des choses intimes d’un être qui fait partie de sa vie, de légèreté aussi parce que la vie est surprise et que la plus belle des aventures se situe au niveau du cœur, dans l’amitié triomphante.

Et puis, il est reparti, vers Nîmes et on se retrouvera bientôt, pour chanter et faire la fête. Compadre Nilda, petit bout de mon histoire chargé d’émotions, celle du côté des ombres, quand sa gloire illuminait son chemin et que le mien se pavait de mes incertitudes. Même sous les spots, il reste mon ami, celui qui fait chanter les mots, pleurer les notes et ouvre des horizons nouveaux à ceux qui entendent les cris de la beauté.

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