L'extrême solitude du bonheur
Festival du Film. (1)
Enfin une journée où il se passe quelque chose de violent, qui fait partie de ses pages d’histoire comme le Festival en a écrit tant, comme il en écrira encore de multiple…Au cœur du cinéma et d’un monde qui reçoit de plein fouet les élans de créateurs de génie, de la dynamique des idées, du mouvement des images, de sons issus de l’inconscient... et qui n’ont comme vocation que de faire progresser l’humanité, un pas de géant dans la culture des hommes, sur le fil d’un rasoir, juste une œuvre magistrale d’offrande à sa perversité !
Ce serait faire injure à Lars Von Trier que de parler de film à propos de son oeuvre, d’analyser avec les codes classiques de la critique ces 104 minutes d’une plongée insoutenable dans le maelstrom de cette part d’ombre qui peuple le cerveau, entre le désir et la peur, la fascination du pire et la recherche d’un absolu.
Une femme (sublimissime et fragile Charlotte Gainsbourg) et un homme (dérangeant et massif Willem Dafoe) sont en train de faire l’amour quand leur enfant bascule par la fenêtre et s’écrase quelques étages plus bas. Après le deuil, il faudra en passer par le chaos et la mort pour assumer le drame insoutenable de cette perte. C’est Antichrist, conçu sous la forme d’un prologue et d’un épilogue encadrant les 3 volets de ce parcours initiatique vers une rédemption impossible.
Entre hyperréalisme et onirisme, entre une image qui peut passer du détail le plus infime au plan impossible d’un ciel dans lequel la constellation des Mendiants est un leurre pour égarer les âmes blessées, entre les mots les plus simples d’un thérapeute tentant de guérir sa femme et l’abomination des gestes les plus sordides par l’irruption d’un imaginaire torturé, (jouissance du sang, ablation du clitoris)…on oscille en permanence au bord d’un gouffre noir, celui de nos propres peurs !
L’auteur convoque à son banquet l’âme de Bosch dans ces corps jonchant la nature luxuriante, du Bataille et un Dieu tout puissant, d’autres multiples références pour créer son chaos universel, des images surréalistes, du psychanalytique, des pans entiers de notre culture pour aboutir à la sauvagerie d’êtres livrés à l’éternelle lutte du bien et du mal qui deviennent complice de la mort de chacun d’entre nous. Chaque fois qu’une larme coule, qu’une blessure s’ouvre, qu’une vie s’interrompt, c’est l’humanité toute entière qui est punie. Désespoir de voir le Malin se nicher dans ses propres désirs d’un Eden sans peur, comme si l’Homme, pour atteindre à l’éternité, devait combattre sa part d’humanité et redevenir cet animal primitif qui créa le monde en ignorant ses peurs !
Je ne sais pas si le palmarès retiendra ce film dans ses primés (est-ce le plus important en regard de son propos ?) mais l’histoire indubitablement se souviendra de ce film comme d’un moment charnière du cinéma, de son apogée, juste avant que l’on cesse de raconter des scénarii et de mettre en image la mort du cinéma et son corollaire, la fin de l’humanité !
Quand à l’interprétation profonde que chacun se fera du contenu de ce film, elle conservera son mystère et la magie d’une lecture indéfinie !