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le Festival Du Film de Cannes (3)

Publié le par Bernard Oheix

Petit coup de calcaire en ce mercredi 23 mai. Déjà 20 films au compteur, des milliers d’images, des discussions infinies et une certaine lassitude physique malgré une passion intacte ! On attaque désormais le dernier sprint, une ligne droite qui nous mène vers la fin du Festival et son palmarès tant attendu. On jouera au petit jeu de la Palme d’Or… mais rassurez-vous, comme tous les autres et comme chaque année, moi aussi, je perdrai au jeu de « qui a gagné quoi ! La maison se « reremplit » d’une 2ème vague de cinéphiles composée d’enfants parisiens, de compagne germaine et de quelques Corses de complément. Le canapé du salon va encore chauffer ! Sans transition, votre livraison de critiques.
 
Lundi 21 mai
17h. la visite de la fanfare. (France) Eran Kolirin
Au départ, une fanfare égyptienne s’étant trompée d’itinéraire, est bloquée dans un village israélien …la confrontation est tendue entre ces deux communautés que séparent depuis des années une guerre larvée. La responsable d’un restaurant dans lequel ils viennent chercher de l’aide va débloquer la situation… Mais moi, je bloque la mienne. Mon portable vibre après 30mn de film, je dois partir, devant me rendre au Palais afin de récupérer des invitations pour des amis qui me les ont demandées. Je chevauche mon 650 bandit, je file tel un funambule dans un Cannes bruissant, récupère les deux cartons bleus pour la sélection officielle et m’en retourne en ouvrant les gaz dans l’intention de visionner les dernières 30mn. Les choses se sont arrangées. La belle tenancière va connaître une brève et belle histoire d’amour avec l’Egyptien qui a fait des études aux Etats-Unis et joue du Chet Baker à la trompette. Au matin, la fanfare interprétera un air arabe devant un public qui a été bercé de cette musique dans son enfance ! Entre-temps, 30mn hilarantes que j’ai ratées et que mes amis me content avec perversité. L’humour n’est pas la monnaie la plus répandue du Festival et je viens de manquer un authentique bijou de non-sens et de décalage. Je n’ai finalement eu que les tensions du début et l’émotion de la fin. Un beau film sur le rapprochement des peuples, cela fait nul doute !
19h.Tehilim (psaumes) Raphael Nadjeri. Coproduction Israel/Angleterre..
Une famille à Jérusalem. Le père, l’épouse, l’adolescent et le petit dernier. Une famille religieuse qui étudie les psaumes et envisage d’inviter l’oncle Aaron au prochain shabbat. Le père accompagne les enfants à l’école et par un curieux concours de circonstances, dans une scène étrange, a un accident. Pendant que le fils va chercher des secours, il disparaît. La police échafaude toutes les hypothèses… terrorisme, fuite, blessure, mort, changement d’identité. Pendant ce temps, la famille tente de survivre, noyée dans les problèmes administratifs, les comptes bloqués, la belle-famille (ultrareligieuse) qui veut transformer sa maison en lieu de prières pour le faire revenir, la mère de Tel-Aviv qui la pousse à affronter l’avenir. Les enfants vont alors imaginer un stratagème afin de le faire revenir par la prière collective… Rarement un film nous aura permis de comprendre combien la notion de vide peut se remplir d’une présence en creux. Des mots que l’on comprend intellectuellement mais qui, d’un seul coup, par la force de cette absence angoissante deviennent tangibles. L’intelligence du film est de maintenir ce mystère, comme si certains actes ne pouvaient trouver de sens, comme si le symbole du manque de cette figure qui s’évanouit sans explication dans la nuit éclairait d’un fil lumineux le scénario. Le réalisme du film se nourrit alors de cette irrationalité ! Un beau film attachant.
21h Centochiodi. Ermano Olmi (Italie).
Un brillant professeur de philosophie accomplit un acte sacrilège. Il cloue au pilori cent livres rares et précieux de la bibliothèque de l’université catholique et s’enfuit, errant au hasard, débouchant sur les rives du Pô. Il quitte ses habits d’intellectuel, brûle sa thèse tant attendue et se consacre à la réfection d’une vieille maison sur les berges luxuriantes d’un fleuve majestueux, nouant des relations avec les habitants de ce village reculé. Le monde semble s’être arrêté aux portes de ce coin perdu au milieu d’une nature sauvage. Dans son apprentissage d’êtres réels, d’amour et d’amitié, le présent le rattrape. Des bulldozers vont raser les cabanes des pêcheurs, des « trials » envahissent les plages de sable, les gendarmes retrouvent sa trace et le confrontent aux conséquences de ses actes.
Apôtre, Christ moderne, « vert ou révolutionnaire ? », la problématique du savoir livresque en regard de la réalité du monde, l’existence même d’un Dieu de bonté, la vanité de l’intellectuel et son refus d’assumer les conséquences de ses choix sont les grandes questions qui traversent le film. C’est un film bien italien, entre la leçon de vie et la leçon de choses, une réflexion pleine de tendresse sur la fin programmée d’un homme vivant en phase avec l’eau, en osmose avec la nature.
 
Mardi 22 mai.
11h30. Death Proof (Les boulevards de la mort) USA. Quentin Tarantino.
L’histoire est inracontable, ce serait un crime d’en dévoiler la nature… mais sachez qu’elle vaut son pesant d’émotions, de surprises, de maestria. Les actrices sont sublimissimes, Kurt Russel génial, le scénario agencé comme de l’horlogerie suisse. Formellement, Tarantino s’autorise tout et franchit tous les obstacles. Il transforme sa copie neuve en vieille bobine d’un cinéma Z du passé, il passe sans raison du noir et blanc à la couleur, il se permet des plans impossibles, il transforme l’horreur en Grand-Guignol, l’angoisse en terreur, la fureur en rire… et cela passe toujours ! Chef-d’œuvre de sa filmographie, dans cet opus, il est au sommet de son art, conjugue le fond et la forme en tendant une passerelle entre le cinéma d’hier et celui d’aujourd’hui. Je n’en dirai pas plus et ce n’est point quelques dialogues diserts par des filles entres-elles sur l’état de leur sexualité qui me feront changer d’avis. C’est ma Palme d’Or assurée, ce serait un crime contre le 7ème Art de ne pas lui offrir de doubler la mise et de rejoindre ainsi, au panthéon des très grands, ceux qui ont marqué l’histoire de Cannes. A voté ! Et puis n’en déplaise aux vieux qui pincent le nez, aux critiques qui vont disserter, à tous les bien-pensants qui vont pratiquer l’onanisme intellectuel, le cinéma jubilatoire de Tarantino est un pied de nez à la morosité, une façon de claquer la porte sur le conformisme et le politiquement correct avec sa belle morale où le méchant en prend plein la gueule pour pas un rond ! Moi, j’aime !
 
Mains de star, et quelle star ! Dans le bureau du jury, dans une ambiance calme bien loin de l’agitation de la Croisette, Michel Piccoli, lui-même, adorable, gentil, serviable. Je lui raconte l’anecdote de Kim Basinger en lui écrasant chaque phalange. Il sourit. Il trace son nom avec application. Puis l’année en chiffres ronds. C’est Monsieur Piccoli en face de moi en train de s’appliquer à inscrire des lettres dans la terre glaise. Je suis tout ému, comme un grand gamin. Il me serre la main et va discuter avec ses compatriotes du jury… une porte s’est entrouverte sur l’ineffable ! Sarah Polley qui lui succède entre mes mains et nettement plus jeune et jolie… mais Monsieur Piccoli, Monsieur Piccoli…
 
17h. Paranoid Park (USA) Gus Van Sant.
Evénement s’il en est ! Le palme d’Elephant est de retour. La mort d’un gardien dans une gare de triage jouxtant une piste de skat fréquentée par tous les jeunes marginaux de Portland, déclenche une enquête qui mène la police vers le coupable, Alex, un adolescent de 16 ans. Il décide de se taire. C’est la technique brillante de sa Palme d’Or… des lambeaux de scénario qui semblent amorcer une histoire plus globale, repris par la suite sous un autre angle, dans une vision plus large. Le réalisateur tresse ainsi un tableau éclaté, comme si chaque fil dévidait un pan d’une vérité à plusieurs facettes, comme si les protagonistes étaient englués dans une toile d’araignée qui les dépasse et se dévoile au fil d’un temps sans repère. Il y a du jeu, un artifice majestueux qui échappe à la logique mais reste ancré dans une histoire rigoureusement menée jusqu’à son terme. Il n’y a peut-être plus l’aspect « choc » du premier opus (soutenu par l’atrocité du drame de Columbine présent dans toutes les mémoires), mais ce deuxième volet, toujours situé dans l’univers de l’adolescence et du lycée démontre à l’évidence cette maîtrise d’une technique qui transforme le passé en un puzzle à reconstituer, une polyphonie de sens à organiser, un chaos sémantique qui se structure par la magie d’un chef d’orchestre dissimulé derrière l’objectif.
19h Déficit (Mexique) Gael Garcia Bernal
Premier film du beau, du latin lover dont sont amoureuses toutes les filles (y compris la mienne qui a exigé que je lui ramène un autographe de Gael, ce que j’ai fait dans la douleur en me battant avec un bataillon de midinettes prêtes à m’arracher les yeux pour approcher leur idole !) Le héros de Amours chiennes, de Carnets de voyages, de la Mauvaise éducation réalise son premier film. Bon qu’en dire sinon qu’il s’est bien amusé avec ses copains et ses copines dans cette histoire d’une fête de la jeunesse dorée mexicaine où coule à flot alcool, drogue à fumer, cachets à avaler et où le sexe tient lieu de fil conducteur à tous les dérèglements. Bon, c’est déjà vu, un peu usé et pas très novateur… mais c’est un premier film et il lui sera beaucoup pardonné, à l’image de ce débat où une salle entièrement conquise était prête à se jeter dans ses bras !
 
On continue la série. On est mercredi. Plus que (ou encore !) 4 jours, une quinzaine de films à visionner, les yeux se tirent et la colonne vertébrale souffre de se plier à nos exigences et aux contingences des sièges toujours trop étroits. Mais le noir complice et cette lucarne qui s’illumine sur l’écran de nos désirs méritent bien quelques inconvénients ! Hardi les cœurs, à l’ouvrage les forçats de la pellicule, il y a des étendards à brandir pour ceux qui ont encore l’énergie de penser que  « le cinéma est un art révolutionnaire » (Lénine) !
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